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Article Ă©crit par Tara Chapron TĂ©lĂ©charger l’article au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le 12 janvier 2021. Introduction L’ñge du Bronze est synonyme de mouvement la circulation de matiĂšres premiĂšres, d’échanges de biens, la mobilitĂ© individuelle et celle des populations. Les vestiges archĂ©ologiques des costumes fĂ©minins de cette pĂ©riode, particuliĂšrement dans le Nord de l’Europe, sont un mĂ©dian privilĂ©giĂ© pour aborder ces trois aspects. Sur les sept costumes complets conservĂ©s de l’ñge du Bronze au musĂ©e national du Danemark, trois d’entres eux appartenaient Ă  des femmes. Ils sont connus sous les noms de costume de la femme de Borum EshĂžj, de la femme de Skrydstrup et de la fille d’Egtved. L’état de conservation de ces derniers est tout Ă  fait exceptionnel grĂące aux mĂ©thodes d’inhumation. En effet, les corps Ă©taient enterrĂ©s vĂȘtus, enveloppĂ©s dans une couverture avant d’ĂȘtre dĂ©posĂ©s dans un cercueil taillĂ© dans le tronc d’un chĂȘne. Le cercueil Ă©tait ensuite recouvert d’un tumulus. La combinaison du tertre et du chĂȘne a permis une protection Ă  la fois hermĂ©tique Ă  l’eau de pluie et de conserver les fibres organiques par l’aciditĂ© tannique. Par ailleurs, le chĂȘne permet de rĂ©aliser une datation par dendrochronologie des inhumations. Ainsi ces trois costumes sont contemporains et datent respectivement de 1351 1300 et 1370 C’est donc en s’appuyant principalement sur ces trois costumes que nous aborderons l’identitĂ© de leur propriĂ©taire avant de revenir sur les dĂ©bats concernant la mobilitĂ© et le statut des Ă©lites fĂ©minines. I. Les costumes de la femme nordique Ă  l’Âge du bronze. Des analyses ostĂ©ologiques et/ou les artefacts retrouvĂ©s dans les tombes prouvent qu’il s’agit bien de costumes portĂ©s par des femmes. Il s’agit en outre de vĂȘtements qui Ă©taient portĂ©s quotidiennement, ou du moins couramment, comme le montrent les traces d’usure2. Les trois costumes ont en commun d’ĂȘtre en laine et d’ĂȘtre composĂ©s d’un mĂȘme haut coupĂ© Ă  la taille, Ă  col bateau et aux manches trois-quarts kimono. La diffĂ©rence dans l’habillement concerne deux d’entres-elles qui portait une jupe longue tandis que la troisiĂšme portait une jupe courte Ă  cordes. A. Le modĂšle Ă  jupe courte. Il n’existe qu’un seul exemple complet de ce modĂšle, celui de la fille d’Egtved. Des costumes fragmentaires existent tout de mĂȘme qui permettent de complĂ©ter l’étude du modĂšle. La plupart proviennent de tumuli en pĂ©riphĂ©rie d’un tumulus central et datent du dĂ©but de l’ñge du Bronze scandinave 1700-1100 Sur l’exemple de la fille d’Egtved, la jupe est composĂ©e de cordelettes tressĂ©es en sĂ©rie et maintenues par un fin fil sur une bordure Ă©troite. Les cordelettes se terminent en anneaux et un lien est enfilĂ© pour maintenir les cordes en place. La jupe est enroulĂ©e deux fois autour de la taille et tombe sur les hanches. Sur d’autres exemples, les cordelettes Ă©taient parfois ornĂ©es de tubes en bronze sur une ou deux rangĂ©es. Ces Ă©lĂ©ments mĂ©talliques sont le plus souvent tout ce qui subsiste des jupes et ce qui suggĂšre ainsi sa prĂ©sence. Ce modĂšle de jupe pourrait ĂȘtre trĂšs ancien, peut-ĂȘtre du NĂ©olithique les cordelettes n’étaient pas en laine mais en fibres vĂ©gĂ©tales comme Ă  Robenhausen prĂšs de Zurich en Suisse. De rares tubes retrouvĂ©s dans des contextes tardifs de l’ñge du Bronze, attestent que la jupe est portĂ©e jusqu’au moins la pĂ©riode IV 1100-950 et V 950-750 La maniĂšre dont est portĂ©e la jupe a soulevĂ© un grand dĂ©bat au milieu des annĂ©es 1950 mais c’est finalement l’hypothĂšse d’Hansen qui est retenue c’est-Ă -dire que la jupe est portĂ©e sur les hanches et non Ă  la taille puisque les tubes sont toujours retrouvĂ©s au dessous de la taille4. Figure 1 – La fille d’Egtved, Source derniĂšre consultation le 30/08/2019 B. Le modĂšle de la jupe longue. Le modĂšle Ă  jupe longue est une jupe montante, fortement plissĂ©e Ă  la taille en larges replis et trĂšs ample. Une ceinture tressĂ©e retient la jupe. La trame est fortement tendue pour rapprocher les fils de chaĂźne ce qui crĂ©e un effet d’optique oĂč on ne voit presque qu’eux et rend les franges plus nombreuses qu’elles ne le sont vraiment. Dans le cas de la femme de Skrydstrup, Hans Christian Broholm pense que la jupe ne pouvait ĂȘtre portĂ©e comme elle est positionnĂ©e sur le corps5 la ceinture est en dessous des hanches et ainsi ajustĂ©e le tissu trainerait sur le sol. Elle suggĂšre que le tissu serait donc positionnĂ© dans le cercueil comme un linceul. Plusieurs tentatives de reconstitutions ont Ă©tĂ© menĂ©es sans pour autant donner de rĂ©sultat convaincant. En 1949, Inga Henning Almgren6 propose que le tissu aurait pu ĂȘtre portĂ© dans le style grec classique avec une Ă©pingle pour retenir le tissu Ă  l’horizontal ou Ă  la verticale. Cette proposition n’est pas retenue mais ouvre le dĂ©bat sur un rapprochement des costumes du nord et du sud de l’Europe, notamment suite aux dĂ©couvertes des sĂ©pultures de Vergina Ha, B, C, D en MacĂ©doine. Sophie Begerbrant et Serena Sabati, remarquent que si le tissu est relevĂ© environ 40 cm au dessus des Ă©paules, il peut former une sorte de capuche qui couvre la tĂȘte et qui retombe sur le devant et sur le long des cĂŽtĂ©s en deux rabats vastes et pliĂ©s qui couvrent les bras et une partie des jambes7. Il permettrait, ainsi ajustĂ©, une libertĂ© des mouvements, de rĂ©chauffer le corps et mĂȘme de servir comme sac de couchage pour la nuit. Elles soutiennent cette hypothĂšse par une scĂšne de la roche de Kivik oĂč plusieurs figures en S » pourraient reprĂ©senter des femmes en deuil portant un vĂȘtement long, large et Ă  capuche. Un textile rectangulaire dans la tombe de la fille d’Egtved pourrait Ă©galement avoir Ă©tĂ© cousu comme une piĂšce cylindrique et la jeune fille devait le plier sur la hauteur pour former une capuche. La bordure a en effet des trous dĂ©formĂ©s avec des restes de fils, ce qui peut valider cette thĂ©orie8. Figure 2- Femme de Borum EshĂžj, Source indtil-aar-1050/bronzealderen-1700-fkr-500-fkr/ derniĂšre consultation le 30/08/2019 Figure 3 – Femme de Skrydstrup, Source indtil-aar-1050/bronzealderen-1700-fkr-500-fkr/ derniĂšre consultation le 30/08/2019 C. Bijoux et ornements. Les vĂȘtements Ă©taient souvent accompagnĂ©s de parures en bronze et parfois en or. Cela forme un tout ce n’est pas le vĂȘtement qui met en valeur la parure ou la parure qui met en valeur le vĂȘtement mais l’un et l’autre fonctionnent ensemble de maniĂšre Ă©gale et complĂ©mentaire. La parure fait donc partie intĂ©grante du costume. Il est trĂšs commun entre la pĂ©riode II Ă  la pĂ©riode V 1500-750 env. de l’ñge du Bronze nordique et ses alentours de trouver en association dans les sĂ©pultures des Ă©lites des ceintures, des colliers couvrant le cou et le col, des bracelets en spirale et des fibules. D’aprĂšs les tombes, que ce soit pour le costume masculin ou fĂ©minin, la parure est prĂ©sente mais diffĂ©rente selon les genres. Les hommes portent souvent des bracelets alors que les femmes portent une panoplie complĂšte. Cette panoplie peut se constituer de disques de cheveux, d’anneaux d’oreilles et de doigts, bagues en ressort en or, colliers de perles en verre et ambre pour les tombes les plus riches, gorgerin, bracelets, disque de ceinture, jambiĂšres, ainsi que des Ă©pingles pour maintenir le vĂȘtement. Les maniĂšres de porter les parures sont interprĂ©tĂ©es selon les contextes de dĂ©couvertes et sont souvent similaires pour les pĂ©riodes II et III 1550-1200 Les traces d’usure sont aussi de bons indices pour comprendre la maniĂšre dont ils sont portĂ©s9. Figure 4- Reconstitution du costume fĂ©minin avec parure, Source Flemming Bau II. Statut et fonction de la femme et de son costume. Les costumes fĂ©minins ont soulevĂ© de grands dĂ©bats pour dĂ©finir l’identitĂ© des porteurs. Ce qui est sĂ»r c’est qu’étant donnĂ© le contexte d’inhumation, il s’agit de personnages de haut rang. Un tumulus implique une main d’Ɠuvre importante. Aussi le dĂ©funt ne peut qu’appartenir Ă  une Ă©lite de ces sociĂ©tĂ©s. La dĂ©couverte de la fille d’Egtved conduit Thomsen Ă  dresser une base de trois interprĂ©tations possibles de son statut, en comparaison avec le seul exemple connu alors, la femme de Borum EshĂžj. Ces hypothĂšses sont frĂ©quemment citĂ©es dans la recherche et servent encore aujourd’hui de base pour de nouvelles. A. Une question de saison. La premiĂšre idĂ©e est qu’il y a diffĂ©rents vĂȘtements qui conviennent au changement de tempĂ©rature. La jupe courte serait un vĂȘtement pour la saison chaude donc entre mars et mi octobre et la jupe longue pour la saison froide. Parmi les Ă©lĂ©ments organiques conservĂ©s dans la tombe d’Egtved, une fleur achillĂ©e achillea mille-folium a Ă©tĂ© retrouvĂ©e et prouve que l’inhumation a eu lieu entre juin et septembre. Cela pourrait donc convenir. Toutefois la tombe de Skrydstrup a permis la conservation d’anthriscus silvestris complĂštement dĂ©veloppĂ©es or elles poussent d’avril Ă  octobre et fleurissent entre mai et juin. Les deux femmes auraient Ă©tĂ© enterrĂ©es Ă  la mĂȘme saison, donc la thĂ©orie ne fonctionne pas10. B. Fille et femme. Selon Thomsen, la jupe Ă  cordelettes pourrait ĂȘtre un vĂȘtement de jeune fille fertile non mariĂ©e ou plus gĂ©nĂ©ralement d’une femme non mariĂ©e alors que la jupe longue serait liĂ©e au statut de mĂšre ou de femme mariĂ©e. La longueur de la jupe et le fait de pouvoir voir Ă  travers les cordelettes y compris le ventre sont les Ă©lĂ©ments qui ont conduit Ă  cette hypothĂšse. La thĂšse d’Orjan Engedal publiĂ©e en 2010 fait Ă©galement Ă©tat de cette thĂ©orie. Le changement de costume se serait produit vers l’ñge de 17 Ă  19 ans mais l’affirmer est difficile car les artefacts humains dans les tombes sont rares. Une thĂ©orie Ă©mise par Eskilden et Lomborg d’aprĂšs une idĂ©e de Nielsen. La jupe longue pourrait ĂȘtre rĂ©utilisĂ©e pour former un kilt, une cape ou un chĂąle selon la longueur de la jupe11. La jupe Ă  cordelettes serait donc, selon eux, un vĂȘtement fĂ©minin Ă©laborĂ© Ă  partir de chutes d’un ou plusieurs morceaux. Sur quarante-trois tombes dans lesquelles des traces de jupes Ă  cordelettes sont attestĂ©es, seulement huit documentent l’ñge du dĂ©funt. La tombe C de TrindhĂžj dans la commune de Vamdrup, par exemple, datĂ©e par dendrochronologie de 1347 avant notre Ăšre, ne possĂšde aucun os conservĂ© ; mais l’intĂ©rieur du coffre mesure 1,13 m sur 0,34-0,31 m pour une profondeur de 18 cm. Une Ă©tude sur la croissance des enfants rĂ©alisĂ©e par la Wold Health Organization12 montre que la plupart des enfants atteignent la hauteur 1,10 m avant l’ñge de six ans, ce qui signifie que le dĂ©funt dans cette tombe Ă©tait certainement ĂągĂ© de moins de six ans. La jupe Ă  cordelettes semble avoir Ă©tĂ© portĂ©e pendant toute la durĂ©e de l’ñge du Bronze, par des enfants comme des adultes13. L’ñge n’est donc pas un critĂšre du port de ce vĂȘtement. C. Rituel. Enfin, Christian JĂŒrgensen Thomsen propose de considĂ©rer le modĂšle de jupe Ă  cordelettes comme un costume rituel qui ne peut ĂȘtre portĂ© que par une seule une catĂ©gorie sociale. La littĂ©rature scientifique actuelle privilĂ©gie l’hypothĂšse d’une panoplie dans un contexte rituel. Il est mĂȘme prĂ©cisĂ© que la jupe pourrait signifier que la porteuse est danseuse d’un rituel Ă©rotique dans un temple14. L’idĂ©e est peut-ĂȘtre influencĂ©e par la dĂ©cence de l’époque. La figurine de FĂ„rdal de la fin de l’ñge du Bronze est l’une des preuves matĂ©rielles de cette interprĂ©tation. Les figurines Ă  l’appui de la thĂ©orie d’un lien rituel avec la jupe, portent des bijoux tels que des anneaux de cou et la jupe Ă  cordelettes, sans rien d’autre. Elles datent toutes cependant de la fin de l’ñge de Bronze, pĂ©riode IV et V entre 1200 et 750 et les jupes des figurines sont bien plus courtes15. Dans le cas de la fille d’Egtved, la jupe mesure 38-40 cm de long. Dans la tombe d’Ølby les cordelettes sont assez longues pour recevoir deux rangĂ©es de tubes de bronze, et trois rangĂ©es pour le cas de MelhĂžj. Les protubĂ©rances observĂ©es sur le torse de la figurine de FĂ„rdal et sur le manche du couteau de Itzehoe indiquent qu’il s’agit bien de reprĂ©sentations fĂ©minines, mais cela n’est pas toujours aussi Ă©vident. Au total sept reprĂ©sentations anthropomorphes ont Ă©tĂ© dĂ©couvertes Ă  ce jour, mais on ne connait l’apparence que de six elles ont pour la plupart Ă©tĂ© perdues mais des dessins archĂ©ologiques permettent de garder un tĂ©moignage de leur apparence. Les figurines reprĂ©sentĂ©es en plein saut pĂ©rilleux sont parfois difficiles Ă  genrer mais toutes semblent au moins liĂ©es Ă  une activitĂ© rituelle. Cela ne signifie pas pour autant un lien systĂ©matique entre la jupe et le sacrĂ©. Figurine de GrevensvĂŠnge, source Tara Chapron Figure 6 – Figurine de FĂ„rdal, Source Tara Chapron Klavs Randsborg envisage les diffĂ©rents statuts possibles pour la femme sans pour autant dĂ©tailler les Ă©lĂ©ments qui l’amĂšne Ă  ses hypothĂšses. Il note qu’entre 1500-1300 avant notre Ăšre, une Ă©lite fĂ©minine porte Ă  la ceinture un disque semblable Ă  celui soleil du chariot de Trundholm sur le ventre, peut-ĂȘtre en lien avec leur rĂŽle dans la sociĂ©tĂ©. Il note Ă©galement qu’elles portent la jupe Ă  cordelettes. Selon cet auteur, les disques de ceintures auraient Ă©tĂ© portĂ©s de symboles calendaires secrets, les femmes les portant sont liĂ©es d’une maniĂšre ou d’une autre au culte rituel du soleil. Quelques uns des disques seraient tout de mĂȘme des imitations formelles faites sans la connaissance du sens de ces objets. L’argument est tout de mĂȘme difficile Ă  suivre puisque la plupart des ceinturons mobilisĂ©s Ă  l’appui de son hypothĂšse ne possĂšdent pas d’information calendaire. Aussi si sur un quelconque contexte on applique ce critĂšre Ă  l’ensemble des tombes avec des restes textiles de jupe Ă  cordelettes et de tubes de bronze, il apparaĂźt que moins de la moitiĂ© des dĂ©funts pouvaient ĂȘtre classĂ©s comme membre actif du culte en incluant la haute sociĂ©tĂ© ce pourcentage atteint 37%, si l’on intĂšgre les dĂ©pĂŽts cela touche 56%. Les traces de jupe se concentrent tout de mĂȘme dans les tombes accompagnĂ©es d’objets en bronze prĂ©sents en moyenne et grande quantitĂ©. Si ceux-ci sont les tĂ©moins d’un rang social plus ou moins Ă©levĂ©, alors l’utilisation de la jupe Ă  cordelettes pourrait ĂȘtre associĂ©e Ă  une large variĂ©tĂ© de groupes sociaux Ă©levĂ©s. Le modĂšle est portĂ© dans le sud de la Scandinavie au dĂ©but de l’ñge du Bronze 1550 Ă  1200 et dans une zone plus limitĂ©e pour les modĂšles avec tubes de bronze. Le foyer originel se situerait dans le nord de Seeland avant de se diffuser dans l’ouest et l’est et a gĂ©nĂ©ralement Ă©tĂ© utilisĂ© Ă  la pĂ©riode III en Scandinavie oĂč on le retrouve dans les tombes sous tertre, quelque fois sous le tertre principal mais plus souvent secondaire. Deux tombes seulement contiennent des traces de jupe Valleberga, inhumation proche d’un tertre qui contient un plat de ceintures, deux spirales de bras et une quantitĂ© importante de tubes de bronze ; et GyldensgĂ„rd, qui date du dĂ©but de l’ñge du Bronze, crĂ©mation associĂ©e Ă  un tertre, qui contient des tubes de bronze uniquement. L’association Ă  un tertre est tout de mĂȘme rĂ©currente, ce qui dĂ©montre que le modĂšle semble avoir Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rĂ© par les femmes d’une condition sociale Ă©levĂ©e. Lorsque le traitement du corps est la crĂ©mation, alors les tubes en bronze attestent encore son utilisation. En l’état actuel des sources, il est impossible de dĂ©montrer l’existence d’un lien entre le type de jupe et une fonction rituelle ou religieuse ; difficile aussi d’infĂ©rer un lien entre le port de ce vĂȘtement et un des statuts de la vie des femmes classe d’ñge, maternitĂ©, le veuvage
. Ces diffĂ©rences sont peut-ĂȘtre plus remarquables par la coiffure et non au vĂȘtement. Ainsi, la fille d’Egtved porte les cheveux courts, Ă  la Jeanne d’Arc », alors que ceux de Skrydstrup sont retenus dans un filet. La jupe est probablement un simple type de vĂȘtement apprĂ©ciĂ© par les femmes du dĂ©but de l’ñge du Bronze, portĂ© pour la vie quotidienne ainsi que pour des activitĂ©s rituelles. Le goĂ»t pour ce vĂȘtement ou bien le fait de le dĂ©corer avec des tubes en bronze aurait peut-ĂȘtre dĂ©clinĂ© Ă  la fin de l’ñge du Bronze ou bien fortement raccourci Ă  la hauteur des jupes des figurines anthropomorphes. Il est possible aussi que la jupe n’ait pas Ă©tĂ© plus portĂ©e dans le quotidien mais toujours lors des rituels16. III. Échanges et mobilitĂ©s Ă  l’ñge de Bronze. A. Un contexte d’échange. Vers 2000 avant notre Ăšre, la technique du bronze est diffusĂ©e sur toute l’Europe occidentale et mĂ©ridionale avant d’atteindre aussi l’Europe du Nord. Les cultures situĂ©es Ă  proximitĂ© des centres miniers exercent une influence considĂ©rable sur les groupes voisins ce qui leur confĂšre un pouvoir commercial et politique. La zone nordique Danemark, SuĂšde, Hollande, Allemagne du Nord ne possĂšde aucun gisement mĂ©tallifĂšre mais en Ă©change d’ambre du Jutland et des rives de la Baltique qui sert Ă  la confection des perles, elle importe des outils tels que des haches Ă  rebords, des armes, du cuivre, de l’étain de BohĂȘme, des Alpes ou de la Bretagne. Le Nord est aussi en lien avec la rĂ©gion des Carpates, qui est trĂšs riche en mĂ©tal, il est possible que des Ă©changes de mĂ©tal brut Ă©taient aussi organisĂ©s. Ces Ă©changes ont permis aux bronziers scandinaves de crĂ©er des objets remarquables comme des Ă©pĂ©es ou des haches qu’ils exportent ensuite jusqu’en Europe de l’Ouest. Ils rĂ©alisent des crĂ©ations originales qui dĂ©montrent qu’ils sont aussi d’excellents mĂ©tallurgistes, comme en atteste le modĂšle rĂ©duit de cheval Ă  roues en bronze moulĂ© tirant un disque solaire de 1650 environ av. dĂ©couvert Ă  Trundholm au Danemark. Figure 7- Char de Trundholm, Source Tara Chapron MaĂźtriser la mĂ©tallurgie signifie maĂźtriser une matiĂšre premiĂšre recyclable si un objet est cassĂ© il peut ĂȘtre refondu et remoulĂ© pour ĂȘtre une arme, une parure ou un objet domestique. Les mĂ©tallurgistes dĂ©veloppent de nouvelles formes d’armes, d’objets de toilette rasoirs, fibules et de parures bracelets, Ă©pingles parfois si sophistiquĂ©s qu’ils impliquent une technique de fonderie tout Ă  fait maĂźtrisĂ©e. À partir de 1200 avant notre Ăšre, les techniques du bronze sont toutes maĂźtrisĂ©es en Europe. L’ensemble des artefacts retrouvĂ©s dans les dĂ©pĂŽts, les sĂ©pultures et les objets eux-mĂȘmes suggĂšrent en effet une production importante et en sĂ©rie, ce qui indique l’existence de nombreuses voies de communication, des relais commerciaux, des vĂ©hicules, une organisation de protection. Certes, dĂšs les dĂ©buts de l’ñge du Bronze, la production subit de nombreux changements mais aussi toute l’organisation autour. Elle bĂ©nĂ©ficie de la simplification du transport par l’utilisation de la roue Ă  rayons et des progrĂšs de la navigation. À la fin de l’ñge du Bronze, les relations sont internationales et les sociĂ©tĂ©s sont interdĂ©pendantes les unes des autres et ce, malgrĂ©, leurs diffĂ©rences culturelles17. B. Une Ă©lite dynamique et mobile. L’ñge du Bronze est une pĂ©riode de changements techniques mais aussi sociaux. Les sociĂ©tĂ©s productrices sont en effet de plus en plus hiĂ©rarchisĂ©es et ce de maniĂšre complexe. Autour de la production mĂ©tallurgique plusieurs fonctions encadrent cette activitĂ©, leur donnant Ă  chacun un pouvoir de plus en plus important Ă  mesure de l’intensification de la production. Ces derniers sont les fabricants, les trafiquants ou encore des puissants contrĂŽlant les Ă©changes. La production d’objets de prestige raffinĂ©s suggĂšre une Ă©volution de l’esthĂ©tique et de la pensĂ©e. C’est par ces objets que se distingue une classe privilĂ©giĂ©e. À l’ñge du Bronze ancien celle-ci emporte dans sa tombe les symboles de son pouvoir, marquĂ©s sur les objets tels que les armes, la vaisselle, la parure18. Cette Ă©lite ainsi que les autres acteurs de ces Ă©changes marchands semblent ĂȘtre la clef des Ă©changes pour assurer le transport de biens et des idĂ©es Ă  travers de longs voyages. Cette Ă©lite mobile et ouverte sur les Ă©changes Ă  longues distances se distingue des paysans immobiles. Un des symptĂŽmes de cette mobilitĂ© est la rĂ©alisation d’alliances matrimoniales dans des cultures parfois trĂšs Ă©loignĂ©es. D’autres raisons qui peuvent expliquer ces dĂ©placements sont les pĂ©lerinages et autres rassemblements religieux. En effet le pouvoir rituel peut exiger un systĂšme de transaction ou une mobilitĂ©, ramener des biens d’échanges ou de prestige, s’échapper un moment de la limitation de la sociĂ©tĂ© du village, rechercher la gloire, ou de nouveaux Ă©changes pour agrandir un rĂ©seau au delĂ  du local. Les objets dans les tombes sont les tĂ©moins de cette mobilitĂ©, assurent qui se dĂ©placent et montrent que les objets circulent autant que les hommes. Les petits objets comme les Ă©pingles ou les fibules ne sont pas Ă©changĂ©s ou donnĂ©s19. S’ils sont en dehors du contexte local alors ils reflĂštent un mouvement d’individus et peut-ĂȘtre mĂȘme de l’imitation. Une personne peut tout Ă  fait profiter d’un dĂ©placement pour acheter une fibule pour remplacer la sienne qui aurait cassĂ©e. Quant aux objets de prestige, ils sont dĂ©finis par des valeurs sociales, souvent fort Ă©laborĂ©s et requiĂšrent un artisanat spĂ©cialisĂ©. Ils peuvent ĂȘtre Ă©changĂ©s ou offerts en cadeaux diplomatiques par des chefs ou entre chefs et vassaux. Ils peuvent ĂȘtre personnels ornement, arme ou bien servent une fonction sociale amphore, coupe, instrument de musique. Ils peuvent ĂȘtre de production locale ou bien ĂȘtre importĂ©s et informer ainsi sur les alliances politiques au niveau local ou rĂ©gional. Pour les objets Ă©changĂ©s, la situation est un peu plus complexe. Ils peuvent l’ĂȘtre pour des raisons Ă©conomiques et pratiques plutĂŽt que symboliques. Il s’agit de l’ambre, de l’étain, du cuivre, de l’or, du bronze et autre. Le pouvoir politique nĂ©cessite un accĂšs assurĂ© aux ressources. Le terme d’identitĂ© est employĂ© depuis les annĂ©es 1990 pour Ă©voquer les individus contextualisĂ©s dans une sociĂ©tĂ©. DĂ©finir le systĂšme sociopolitique des sociĂ©tĂ©s protohistoriques est encore une grande difficultĂ©. Les comparaisons sont gĂ©nĂ©ralement appuyĂ©es sur des modĂšles de bandes, tribus, chefferies, et Ă©tats. Le concept de chefferie est le plus souvent adoptĂ©. La survie d’une sociĂ©tĂ© dĂ©pend du succĂšs Ă©conomique, du contrĂŽle des terres et du labeur au niveau local des personnes sous le commandement des chefs. Plusieurs types de pouvoirs sont mĂȘlĂ©s au sein d’une sociĂ©tĂ© comme le pouvoir politique et militaire. L’importance du pouvoir politique peut ĂȘtre estimĂ© par les langues que l’individu pratique. Les paysans auraient un langage proche du dialecte rendant la communication entre rĂ©gions parfois difficile Ă  l’inverse de l’élite qui parle un langage international. Pendant l’ñge du Fer et la pĂ©riode Viking, c’est un langage scandinave commun qui Ă©tait utilisĂ©. Le rĂŽle et l’influence de secteur de cette Ă©lite dĂ©pendent du systĂšme sociopolitique adoptĂ©20. Les hĂ©ros de la littĂ©rature de l’ñge du Bronze sont les hĂ©ros d’HomĂšre comme Ulysse, partis pour revenir plus victorieux. La fille d’Egtved est un de ces exemples de grands voyageurs. Morte Ă  dix-huit ans pendant l’étĂ© 1370 av.,nĂš. selon une analyse dendrochronologique, elle aurait parcouru une longue distance avant de finir ses jours dans le Jutland mĂ©ridional. Elle aurait grandi loin du Danemark et est un tĂ©moin des alliances sur longue distance21. L’élite de l’ñge du Bronze devait ĂȘtre une Ă©lite itinĂ©rante assurant les Ă©changes et pour cela pratiquer un langage universel ». Les biens de prestige en bronze permettent de reconnaĂźtre les personnages de l’élite de l’ñge du Bronze. Si le bronze est considĂ©rĂ© comme une matiĂšre de valeur c’est en raison de la raretĂ© des matĂ©riaux dans plusieurs rĂ©gions. Toutefois si le mĂ©tal est si cher et qui plus est, recyclable, pourquoi est-il dĂ©posĂ© en offrande dans des dĂ©pĂŽts ou cercueils ? Les raisons peuvent ĂȘtre l’importance culturelle du dĂ©pĂŽt votif et que d’une certaine maniĂšre cela maintient une valeur marchande en l’îtant de la circulation. Les objets de prestige ne sont peut-ĂȘtre pas ceux estimĂ©s en tant que tels. Les objets qui accompagnent le corps semblent ĂȘtre standardisĂ©s par rĂ©gion. On retrouve une sĂ©lection d’artefacts du domaine fonctionnel comme des accessoires de costumes comme des fibules, des Ă©quipements de toilettes comme des peignes, des contenants et des armes. Aucune identification prĂ©cise n’a pu jusqu’ici ĂȘtre dĂ©finie d’aprĂšs ces derniers. À l’inverse, il est aisĂ© de diffĂ©rencier une tombe masculine et fĂ©minine par le costume, riche ou pauvre selon le type de tombe. L’identitĂ© s’explique peut-ĂȘtre par la combinaison des objets. L’ñge du Bronze est donc une pĂ©riode de changements sociopolitiques. Les objets enterrĂ©s avec les corps ne suffisent peut-ĂȘtre Ă  eux seuls de dĂ©terminer l’identitĂ© de l’élite des sociĂ©tĂ©s de l’Europe du Nord et du Sud. L’ensemble du costume et des objets associĂ©s mĂȘme les os, doivent sĂ»rement ĂȘtre analysĂ©s ensemble pour comprendre le rĂŽle de l’individu22. C. PolĂ©miques sur les mĂ©thodes d’analyse archĂ©ologiques. Le costume le plus mĂ©diatisĂ© est celui de la fille d’Egtved. Des dĂ©couvertes scientifiques en 2014 ont permis de repenser la mobilitĂ© des sociĂ©tĂ©s de l’ñge du Bronze. Ces rĂ©sultats ont Ă©tĂ© obtenus par un protocole chimique de systĂšme de tracĂ© isotopes de strontium sur ses cheveux, dents, ongles. Le mĂȘme procĂ©dĂ© a dĂ©montrĂ© que la femme de Skrydstrup serait arrivĂ©e au Danemark vers ses 12 ou 13 ans et dĂ©cĂ©dĂ©e quatre ans plus tard dans le Jutland23. Les fibres textiles du costume de la fille d’Egtved ont aussi Ă©tĂ© analysĂ©es et indiquent que la laine Ă©tĂ© produite en dehors de la zone actuelle du Danemark. Les recherches ont Ă©tĂ© poussĂ©es sur d’autres Ă©chantillons contemporains afin d’observer si le premier cas est isolĂ© ou si le phĂ©nomĂšne est commun. Les rĂ©sultats indiquent que 70% des fibres de laines analysĂ©es proviennent de moutons Ă©levĂ©s en dehors des limites du Danemark actuel. Chaque cas a tout de mĂȘme son propre pourcentage de fibres locales et non locales. Ce qui est intĂ©ressant par ces rĂ©sultats c’est que la laine serait donc bien une source d’échange peut-ĂȘtre importante durant l’ñge du Bronze nordique, mais comment l’échange est-il procĂ©dĂ© ? Il existe trois possibilitĂ©s la fibre est produite non localement, mais le tissage est fait sur place ; les piĂšces de textile tissĂ©es sont Ă©changĂ©es et transformĂ©es en vĂȘtement localement ; le vĂȘtement est entiĂšrement fait Ă  l’étranger et le voyageur le ramĂšne localement sur lui. Elles peuvent Ă©videmment ĂȘtre toutes les trois Une rĂ©cente Ă©tude de 2019 prĂ©sente des rĂ©sultats qui remettent en cause tout ce processus. Les rĂ©sultats des mesures de tracĂ© isotopes de strontium dĂ©pendent d’une comparaison du taux de strontium Ă  une base de donnĂ©e Ă©tablie par un relevĂ© des taux contemporains dans des espaces choisis. Or il faut savoir que les taux de strontium varient en fonction de la contamination des sols avec des pesticides notamment. Le Danemark est un pays lourdement cultivĂ© le sol et les cours d’eau peuvent donc ĂȘtre contaminĂ©s surtout en surface. L’activitĂ© agricole peut jouer sur la distribution des strontiums comme les fertilisateurs, la chaux agricole, le fumier, la nourriture des animaux et les pesticides. Le Jutland est complĂštement contaminĂ© par l’agriculture. Le problĂšme actuellement c’est que la base Ă©tablie par Frei sert Ă  d’autres Ă©tudes. L’étude de 2019 suggĂšre, aprĂšs avoir réévaluĂ©e ces problĂ©matiques que la laine est locale et que les deux femmes auraient Ă©ventuellement migrĂ© mais dans un rayon proche de leur lieu d’inhumation25. Ce qui, Ă©videmment, remet en cause les thĂ©ories de dĂ©placements sur longue distance. Conclusion. Le costume fĂ©minin de l’ñge du Bronze au Danemark est donc sujet Ă  de nombreux dĂ©bats que ce soit sur la maniĂšre dont il est portĂ©, sa fonction et l’identitĂ© du porteur. L’étude du costume permet de s’interroger sur les ressources textiles et minĂ©rales, les importations et elle participe Ă  la recherche des identitĂ©s au sein des sociĂ©tĂ©s. Si les mĂ©thodes d’analyse ne sont pas toujours approuvĂ©es et les rĂ©sultats parfois remis en cause, il n’en reste pas moins que l’élite fĂ©minine s’inscrit dans les Ă©changes de la pĂ©riode. Si leur vĂȘtement n’est peut-ĂȘtre pas conçu en dehors des limites du Danemark actuel, leur parure indique pourtant le contraire. Les questions soulevĂ©es Ă  propos des conditions d’acquisition de leur costume sont toujours d’actualitĂ©. Les parures et autres objets de prestige, venaient-ils Ă  elles ou se dĂ©plaçaient-elle pour les acquĂ©rir ? Et quelle a Ă©tĂ© l’échelle de la mobilitĂ© de ces femmes relevant du sommet de la hiĂ©rarchie sociale, en l’Europe du Nord durant l’ñge du bronze ? Tara Chapron Bibliographie Monographies Bergerbrant Sophie, Bronze Age identities costume, conflict and contact in Northern Europe, 1600-1300 BC, Lindome, Bricoleur Press coll. Stockholm studies in archaeology », 2007, 232 p. 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Communication prĂ©sentĂ©e le 14 janvier 2021 À l’exception de l’Arno et de la beautĂ© du canal qu’il offre en traversant la ville, comme aussi des Églises, des ruines anciennes, et des travaux particuliers, Pise a peu d’élĂ©gance et d’agrĂ©ment1». Lors de l’étape pisane de son Voyage en Italie, en 1581, Michel de Montaigne repĂšre ainsi les seuls Ă©lĂ©ments de la ville qu’il juge remarquables au sein de sa gĂ©ographie urbaine et de son patrimoine architectural. Le fleuve et plusieurs monuments ressortent dans un paysage qui lui apparaĂźt comme solitaire » cette perception de la ville, Ă  l’apparence renfermĂ©e, reflĂšte une identitĂ© civique construite, entre autres, sur ces Ă©lĂ©ments tout au long du Moyen Âge. Aux XIVe et XVe siĂšcle, la fragmentation territoriale qui rĂ©duit les rĂ©gions d’Italie centrale en des entitĂ©s communales distinctes – bien qu’elles ne soient pas isolĂ©es – alimente un processus de dĂ©finition identitaire des villes. À Pise, de maniĂšre accĂ©lĂ©rĂ©e et inĂ©dite, l’élaboration de structures politiques, le dĂ©veloppement Ă©conomique, ainsi que les mutations de l’organisation sociale permettent de prĂ©ciser les limites Ă  l’intĂ©rieur desquelles circonscrire l’appartenance de la communautĂ©. L’identitĂ© civique de la ville de Pise se bĂątit ainsi sur un ensemble d’élĂ©ments historiques, politiques, sociaux, dĂ©votionnels et culturels, passĂ©s et prĂ©sents, qui entretiennent des rapports Ă©troits entre eux. FondĂ©e sur ces valeurs, fortes et partagĂ©es, la conscience communautaire et identitaire s’affiche Ă©galement dans les arts. Si, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, il est souvent possible de retrouver ces caractĂšres politiques, sociaux ou religieux dans la production artistique pisane de la fin de l’époque mĂ©diĂ©vale, le cas spĂ©cifique de la reprĂ©sentation de la ville de Pise nous permet d’interroger la portĂ©e de la valeur civique en elle-mĂȘme. Par le mot civique », selon son Ă©tymologie latine dĂ©rivĂ©e de civis, citoyen », nous allons donc faire rĂ©fĂ©rence Ă  l’ensemble de valeurs d’appartenance de la communautĂ© de citoyens, sans nous cantonner Ă  son acception seulement politique. Par l’analyse de l’autoreprĂ©sentation de la ville, tantĂŽt personnifiĂ©e, tantĂŽt reprĂ©sentĂ©e topographiquement, cette Ă©tude souhaite replacer cette production picturale au sein du processus de formation de l’identitĂ© civique pisane et non de sa seule reprĂ©sentation. La figuration de la ville de Pise en peinture entre le XIVe et le XVe siĂšcle n’est pas seulement la traduction en images d’une conscience identitaire partagĂ©e Ă  travers la synthĂšse des diffĂ©rentes valeurs et idĂ©ologies locales, l’autoreprĂ©sentation de Pise se situe Ă  la source de la cohĂ©sion de la communitas. La reconnaissance d’une symbolique politique. Figure 1 Anonyme, Sainte Ursule sauvant Pise des eaux, aprĂšs 1392, peinture sur bois, 188 x 358 cm, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Soprintendenza archeologica, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno Autorizzazione Soprintendenza ABAP di Pisa, prot. n. 7007 del 12 maggio 2021. [
] Cette femme reprĂ©sente Pise, la tĂȘte couronnĂ©e d’or, vĂȘtue d’un manteau couvert de cercles et d’aigles, en danger sur les flots, demandant de l’aide Ă  la sainte2». Depuis la description livrĂ©e par Vasari dans ses Vite, le tableau de la Sainte Ursule sauvant Pise des eaux Fig. 1 a catalysĂ© les attentions de la critique. Aujourd’hui, l’Ɠuvre ne cesse d’intriguer les visiteurs du Museo Nazionale di San Matteo de Pise, par son grand format rectangulaire 188 x 358 cm, mais aussi en raison de son iconographie originale. Le panneau prĂ©sente une rare personnification de la ville de Pise sur la gauche, Ă  laquelle sainte Ursule tend la main, accompagnĂ©e d’un cortĂšge des dix Vierges. La prĂ©sence de la jeune princesse, incarnation de la ville de Pise, a toujours accordĂ© au tableau un rĂŽle de reconnaissance identitaire intense et efficace, et lui a permis de jouir d’une grande fortune Ă  l’échelle locale. Ainsi nous le retrouvons aujourd’hui parmi les illustrations des ouvrages majeurs consacrĂ©s Ă  l’histoire et aux arts pisans. MalgrĂ© cette fascination partagĂ©e pour l’Ɠuvre, sa seule interprĂ©tation demeurĂ©e plausible depuis les mots de Vasari y identifiait une expression de gratitude Ă  sainte Ursule, qui aurait sauvĂ© la ville d’une inondation de l’Arno3. Ce n’est que trĂšs rĂ©cemment qu’une nouvelle hypothĂšse sur la commande de l’Ɠuvre a fourni des pistes convaincantes pour en donner une lecture politique. GrĂące au rapport Ă©tabli entre les armoiries de la famille d’Appiano prĂ©sentes sur le cadre du tableau, et l’occurrence du coup d’état de Iacopo d’Appiano le 21 octobre 1392, jour de Sainte Ursule, le choix iconographique s’expliquerait par une commande politique de la part de son nouveau gouvernement4. La main tendue par sainte Ursule Ă  Pise cristalliserait l’acte de libĂ©ration de la ville par les d’Appiano, une entreprise urgente et nĂ©cessaire pour remĂ©dier au gouvernement prĂ©cĂ©dent des Gambacorta, dont l’exercice du pouvoir Ă©tait jugĂ© malhonnĂȘte et trop condescendant avec Florence. Si l’identification de la commande des d’Appiano apporte une nouvelle comprĂ©hension du tableau, d’autres Ă©lĂ©ments mĂ©ritent une attention particuliĂšre pour leur contribution au message politique, et par consĂ©quent identitaire, de l’Ɠuvre. Le plus Ă©vident apparaĂźt peint sur le manteau de Pise et se dĂ©tachant sur l’or du manteau de sainte Ursule l’aigle, l’emblĂšme de tradition impĂ©riale, rappelle ici la filiation pisane au parti gibelin. Cette adhĂ©sion politique Ă©tait profondĂ©ment enracinĂ©e dans la conscience de la communautĂ©, puisque pour le peuple pisan, la proximitĂ© et le soutien de la ville Ă  l’empereur Ă©tait Ă©galement percevable d’un point de vue matĂ©riel les forces militaires et maritimes pisanes collaboraient aux entreprises impĂ©riales depuis le XIIIe siĂšcle, et au siĂšcle suivant le passage des rois des Romains comme Henri VII et Charles IV, faisant Ă©tape Ă  Pise avant d’ĂȘtre couronnĂ©s empereurs Ă  Rome, provoqua l’installation dans la ville de reprĂ©sentants du pouvoir impĂ©rial5. En dĂ©pit de cette limitation des libertĂ©s gouvernementales de la seigneurie locale, dĂ©jĂ  au XIIIe siĂšcle Pise avait bĂąti une structure institutionnelle solide, au sein de laquelle les diffĂ©rents seigneurs prĂ©fĂ©raient perpĂ©tuer leur foi gibeline6, censĂ©e leur garantir l’approbation et la stabilitĂ© nĂ©cessaires. L’alignement aux cĂŽtĂ©s de l’Empire devint rapidement un facteur de consolidation idĂ©ologique de Pise en opposition aux autres villes guelfes, et notamment Florence, ainsi qu’un Ă©lĂ©ment de cohĂ©sion interne – puisque la forte scission entre guelfes et gibelins ne gĂ©nĂ©rait pas Ă  Pise les acerbes conflits qui divisaient les autres villes de la pĂ©ninsule. En corroborant l’hypothĂšse de la commande des d’Appiano, les aigles permettaient d’expliciter une des motivations du coup d’état de 1392, c’est-Ă -dire l’antiflorentinisme gibelin que le gouvernement prĂ©cĂ©dent avait remis en question. Ces rĂ©percussions matĂ©rielles de la fidelitĂ© pisane Ă  l’empereur alimentent, de surcroĂźt, une sensibilitĂ© civique. Les aigles impĂ©riaux matĂ©rialisent ici un fondement historique sur lequel s’était construite l’identitĂ© citoyenne. Par ce symbole d’adhĂ©sion publique et politique, nous assistons Ă  une rĂ©duction Ă  l’échelle locale d’une perspective plus large, qui inscrit la ville de Pise dans un rĂ©seau d’alliances internationales en s’appropriant les ambitions impĂ©riales, la communautĂ© pisane construit aussi sa propre conscience civique. Si, dans le tableau, l’aigle renvoie Ă  des rĂ©fĂ©rences politiques externes sur lesquelles construire l’identitĂ© civique locale, un autre symbole puissant permettait l’autoreprĂ©sentation de la ville de Pise, de maniĂšre plus introspective cette fois-ci l’étendard de gueules Ă  la croix d’argent. Par la fusion de ces deux Ă©lĂ©ments Ă©taient rĂ©unis dans ces armoires le Comune et le Popolo, c’est-Ă -dire les deux composantes de la structure communale. La prĂ©sence de cet Ă©tendard montre ainsi combien, pour la communautĂ©, le sentiment d’appartenance Ă  la ville passait aussi par la reconnaissance des valeurs politiques Ă  l’origine du systĂšme gouvernemental, tels les principes pisans de libertas et de participation de la communautĂ© au pouvoir. Sans s’attarder davantage sur les origines et les emplois de ces armoiries7, qui Ă©taient largement utilisĂ©es pendant le gouvernement des d’Appiano8, il est aussi important d’insister sur la place occupĂ©e par ce symbole au sein du tableau. Traversant la composition dans l’axe vertical, le drapeau pisan est portĂ© par sainte Ursule dans sa main gauche, devenant ainsi son second attribut, avec la flĂšche de son martyre. L’association de cet Ă©tendard Ă  des figures de saints n’est pas anodine nous la retrouvons Ă  Pise dans la Vierge Ă  l’Enfant peinte par Turino Vanni et aujourd’hui conservĂ©e dans l’église San Paolo a Ripa d’Arno Fig. 2. Dans ce cas, les enseignes du Comune et du Popolo sont portĂ©es par San Ranieri et San TorpĂ©, saints patrons de la ville de Pise, ce qui permet de questionner cette Ɠuvre dans ses qualitĂ©s de commande civique. En revanche, dans l’Ɠuvre du Museo San Matteo, la prĂ©sence de sainte Ursule pourrait sembler plus problĂ©matique reprĂ©sentĂ©e ici comme une sainte salvatrice de Pise, elle n’a pourtant jamais revĂȘtu le rĂŽle de sainte patronne de la ville. Cependant, elle est ici une sainte protectrice Ă  qui la ville se confie si la justification politique liĂ©e Ă  la commĂ©moration du coup d’état de 1396 est convaincante, elle ne devrait pas exclure les autres valeurs identitaires et civiques dont sainte Ursule est porteuse, et notamment la tradition religieuse, qu’il nous faut dĂ©sormais prendre en considĂ©ration. Figure 2 Turino Vanni, La Vierge et l’Enfant entre saint Ranieri, saint TorpĂ© et deux saints, 1397, Pise, Ă©glise San Paolo a Ripa d’Arno. © Silvia Marcheselli. Le chemin dĂ©votionnel du message civique La diffusion du culte de sainte Ursule connaĂźt Ă  la fin du Moyen Âge une grande ampleur. Les tĂ©moignages dĂ©votionnels liĂ©s Ă  cette jeune princesse bretonne, martyrisĂ©e aux portes de Cologne avec son cortĂšge de Onze mille Vierges, s’ancrent dans la tradition religieuse de la rĂ©gion germanique depuis le Ve siĂšcle9. L’histoire d’Ursule fait ainsi l’objet de transmissions et de réélaborations progressives, qui, de Cologne, lui permettent de se diffuser vers le reste du continent europĂ©en. À partir du Xe siĂšcle, c’est surtout Ă  la circulation des textes, et notamment des passiones qui Ă©dictent le rĂ©cit hagiographique de sainte Ursule – la Passio Fuit tempore pervetusto et la Passio Regnante Domino – que revient la propagation de sa lĂ©gende. Celle-ci Ă©tait en mesure, pour ses contenus narratifs mais aussi thĂ©ologiques, de rĂ©pondre aux nĂ©cessitĂ©s dĂ©votionnelles de cultures et de sociĂ©tĂ©s distinctes. À la diffusion des manuscrits se joint aussi la multiplication des reliques, dĂ©couvertes Ă  Cologne et distribuĂ©es non seulement vers les villes et les monastĂšres voisins, mais aussi Ă  l’étranger. Tout au long du Moyen Âge, la puissance maritime et commerciale de Pise lui avait permis d’établir des liens prĂ©cieux avec les pays de l’Europe et du bassin mĂ©diterranĂ©en. Par consĂ©quent, sa participation Ă  la diffusion du culte de sainte Ursule aux XIIIe et XIVe siĂšcles ne paraĂźt ni injustifiĂ©e ni inintĂ©ressante. Les directions dans lesquelles ce culte voyage sont diffĂ©rentes, et les acteurs qui y contribuent sont nombreux il serait difficile, au stade actuel des recherches, de dĂ©finir avec prĂ©cision la place occupĂ©e par Pise au sein du rĂ©seau de diffusion de ce culte. NĂ©anmoins, il est important de faire l’état de plusieurs facteurs qui ont sans doute fait de Pise un point de convergence pour la dĂ©votion Ă  sainte Ursule et qui nous encouragent Ă  proposer une nouvelle lecture de la portĂ©e civique de ce tableau. En premier lieu, Ă  la fin du Moyen Âge, les nouveaux modĂšles dĂ©votionnels sont liĂ©s aux transformations sociales. C’est donc dans les rapports tissĂ©s Ă  l’échelle internationale par la bourgeoise marchande Ă©mergente qu’il faut rechercher les traces des chemins de diffusion du culte de la sainte. Si, Ă  Florence, des marchands comme Donato Nicolai participent activement au commerce des reliques avec Cologne10, il est possible d’imaginer que les Ă©changes commerciaux – et cultuels – des pisans Ă©taient pareillement orientĂ©s vers l’Europe du nord. Or, les relations Ă©conomiques extĂ©rieures de la ville de Pise se dĂ©veloppent aussi vers le sud de l’Italie c’est toujours par le truchement des classes marchandes que cette dĂ©votion aurait trouvĂ© un terrain fertile en Sicile11. À la Galleria Regionale della Sicilia Palazzo Abatellis, nous retrouvons sainte Ursule aux pieds d’une Vierge Ă  l’Enfant avec anges et saints, signĂ©e par le pisan Turino Vanni Fig. 3. Sans pouvoir Ă©tablir pour le moment quelle en Ă©tait la destination d’origine, cette Ɠuvre montre du moins l’enracinement parallĂšle du culte pour cette sainte, tant dans la dĂ©votion que dans les arts picturaux pisans. Figure 3 Turino Vanni, La Vierge et l’Enfant entre des archanges et des saints, avec Sainte Ursule, vers 1370, peinture sur bois, 60 x 48 cm, Palerme, Galleria Regionale della Sicilia Palazzo Abatellis. © Galleria Regionale della Sicilia di Palazzo Abatellis. DeuxiĂšmement, et pour revenir aux sources, l’attention portĂ©e Ă  la sainte par la sociĂ©tĂ© Ă©mergente est strictement liĂ©e Ă  sa vitalitĂ© spirituelle, particuliĂšrement sensible dans sa participation Ă  l’activitĂ© des ordres religieux, bĂ©nĂ©dictins, cisterciens, prĂ©montrĂ©s12, et, dans le cas pisan, mendiants dominicains. La mobilitĂ© Ă  l’échelle internationale de ces derniers, entreprise dans le cadre de leur formation ecclĂ©siastique et de leur activitĂ© de prĂ©dication, a ouvert les horizons liturgiques pisans vers l’oltralpe, en rendant le foyer spirituel de la commune toscane extrĂȘmement dynamique13. C’est donc tout autant par le canal dominicain qu’il est possible de suivre la piste de l’importation du culte de sainte Ursule Ă  Pise. Simplement Ă  titre d’exemple typologique, nous retrouvons les traces de ce dynamisme religieux dans l’activitĂ© du cĂ©lĂšbre prĂ©dicateur Fra Giordano da Pisa vers 1260-1310, dont les sermons sont parvenus jusqu’à nous. C’est Ă  Pise, au sein du couvent dominicain de Santa Caterina, que Fra Giordano entreprend dans le dernier quart du XIIIe siĂšcle son activitĂ© religieuse. Comme il est relatĂ© dans la Cronica antiqua conventus Sanctae Catherinae di Pisa14, le prĂ©dicateur pisan aurait complĂ©tĂ© sa formation thĂ©ologique et commencĂ© sa carriĂšre de professeur Ă  la suite de plusieurs dĂ©placements dans la pĂ©ninsule et Ă  l’étranger, entre Bologne et Paris – oĂč, par ailleurs, l’UniversitĂ© Ă©tait placĂ©e sous le patronage de sainte Ursule et sainte Catherine depuis le dĂ©but du XIVe siĂšcle. Son voyage Ă  Cologne, qui pourrait se situer dans les premiĂšres annĂ©es du XIVe siĂšcle, n’est qu’une hypothĂšse le seul tĂ©moignage d’une visite dans la ville allemande demeure son sermon du 6 janvier 1305, oĂč Fra Giordano semble dĂ©clarer avoir vu les reliques des tĂȘtes des Mages qui y sont conservĂ©es. NĂ©anmoins, sans s’attarder sur des questions biographiques, il serait plus judicieux de souligner que, lorsque le culte de sainte Ursule se diffusait en Europe et en Italie, Fra Giordano, et comme lui les autres frĂšres des ordres mendiants, circulaient Ă  travers l’Europe, visitaient villes, Ă©glises et couvents, apprenaient et transmettaient des modĂšles spirituels. C’est ainsi que nous gardons la mĂ©moire des sermons de Fra Giordano de Pise pour sainte Ursule15. Le jour des Onze Mille Vierges » – le 21 octobre 1304 -, il prĂȘche Ă  Santa Maria Novella, oĂč Ă©taient conservĂ©es depuis 1285, grĂące aux rapports entre les dominicains de Florence et ceux de Cologne, les reliques de la tĂȘte d’une des Vierges16. De plus, dans un sermon Per Sant’Orsola non datĂ© Inc. Non fui al chomenzamiento », Fra Giordano raconte la lĂ©gende de la sainte, en dĂ©crivant le fonctionnement et le dĂ©cor du monastĂšre fĂ©minin de Cologne comme s’il avait pu le visiter17. Ces rĂ©fĂ©rences documentent l’ouverture des perspectives spirituelles des ordres mendiants et l’intĂ©gration du culte de sainte Ursule en Toscane. À Pise, comme ailleurs dans le reste de l’Italie, notamment Ă  Ravenne et Bologne18, la diffusion du culte de sainte Ursule se noue Ă  l’activitĂ© spirituelle des dominicains et au rapprochement qui se produit avec une autre sainte, Catherine. La prĂ©sence de sainte Ursule dans la prĂ©delle du Polyptyque de Simone Martini pour l’église pisane de Sainte-Catherine Fig. 4 nous dĂ©montre que depuis le premier quart du XIVe siĂšcle le culte pour la sainte bretonne et son association Ă  sainte Catherine Ă©taient assimilĂ©es par le systĂšme spirituel dominicain. Son dĂ©veloppement est aussi dĂ» Ă  l’efficacitĂ© de communication entre ces deux modĂšles, proches, de saintetĂ© fĂ©minine, qui s’adressent au mĂȘme rĂ©seau de dĂ©vots et de laĂŻcs. Il s’agissait des personnes appartenant aux classes sociales marchandes et Ă©mergentes qui, Ă  Pise, pouvaient se rĂ©fĂ©rer Ă  la Compagnie de Sainte-Ursule19. L’existence de cette compagnie de laĂŻcs, fondĂ©e au XIVe siĂšcle20 ou, selon Tronci, vers 142021, confirme lenracinement de ce culte dans cette ville toscane. Si nous n’avons aucune Ă©vidence de la provenance de Sainte Ursule sauvant la ville de Pise des eaux de cette Compagnie, un autre tableau, une bandinella du premier quart du XVe siĂšcle aujourd’hui conservĂ© au Museo San Matteo, lui serait mieux associĂ©e22 Fig. 5. Elle prĂ©sente sainte Ursule en trĂŽne, entourĂ©e des Vierges, avec Ă  ses pieds des laĂŻcs encapuchonnĂ©s, tĂ©moignant ainsi de la vĂ©nĂ©ration pour la sainte dans le milieu des confrĂ©ries pisanes. Figure 4 Simone Martini, Polyptyque de Sainte-Catherine, dĂ©tail de sainte Ursule, 1319-1323, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Silvia Marcheselli. Figure 5 Anonyme pisan, Sainte Ursule en trĂŽne entre les compagnes et les flagellants, premiĂšre moitiĂ© du XVe siĂšcle, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Silvia Marcheselli. Entre la reprĂ©sentation de sainte Ursule de Simone Martini et de la bandinella, et notre Sainte Ursule sauvant la ville de Pise des eaux, l’attribut de la sainte, sa banniĂšre, se transforme dans le drapeau pisan. À travers ce transfert symbolique de valeurs civiques sur une prĂ©sence spirituelle, il est possible d’apprĂ©hender la charge identitaire de la reprĂ©sentation iconographique dans son intĂ©gralitĂ©. Selon notre perspective, dans l’Ɠuvre et dans son message, la distinction entre valeurs politiques et religieuses n’est pas si nette. Le choix de reprĂ©senter sainte Ursule ne tient pas seulement Ă  sa cĂ©lĂ©bration liturgique le jour du coup d’état de Iacopo d’Appiano, ni exclusivement Ă  la tentative Ă©chouĂ©e du seigneur pisan d’imposer le culte de cette sainte, patronne du gouvernement23. Le culte de sainte Ursule se diffusait alors dans la pĂ©ninsule et dans la rĂ©gion et Ă©tait assimilĂ© par la mĂȘme sociĂ©tĂ© Ă©mergente Ă  qui cette Ɠuvre pouvait adresser son message politique. Sainte Ursule, sans ĂȘtre sainte patronne, pourrait ĂȘtre dĂ©finie comme une sainte civique, puisque la communautĂ© pisane se reconnaissait dans ce modĂšle dĂ©votionnel au fort impact communicatif. La synthĂšse des valeurs politiques et religieuses au sein de cette Ɠuvre procĂšde donc d’une double dynamique la famille d’Appiano rend hommage Ă  la sainte protectrice du gouvernement et qui sauve la ville, et la sphĂšre spirituelle de la sainte, enracinĂ©e Ă  Pise, est Ă©voquĂ©e ici dans une perspective civique. Ce jeu de miroir se matĂ©rialise dans les formes. Comme celui de la personnification de Pise, le manteau de sainte Ursule est recouvert des aigles pisans ; la sainte serre d’une part la main de la ville, dans un geste prometteur de salut, et elle brandit de l’autre le drapeau pisan, son symbole civique. C’est en ce sens que l’Ɠuvre cristallise, par l’expression d’une commande politique Ă  travers des rĂ©fĂ©rences dĂ©votionnelles et civiques, l’élaboration d’une identitĂ© communale pisane Ă  la fin du XIVe siĂšcle. Ce lien entre la sainte et la ville de Pise est aussi destinĂ© Ă  se renouveler au siĂšcle suivant. Sainte Ursule tenant le drapeau pisan figure sur un fragment de polyptyque datant du XVe siĂšcle, aujourd’hui conservĂ© au Museo San Matteo, et provenant probablement de l’église San Domenico24. L’ordre dominicain persiste dans la diffusion du culte de sainte Ursule. Or, la portĂ©e de l’association de la sainte Ă  la conscience identitaire pisane repose surtout sur l’intense message symbolique transmis par le tableau de Sainte Ursule sauvant la ville de Pise des eaux. Dans ce dernier, sainte Ursule tend la main Ă  la ville, reprĂ©sentĂ©e sous une forme humaine il s’agit de la premiĂšre consĂ©cration de ce lien identitaire, ici exprimĂ© par un modĂšle iconographique, celui de la personnification, qui ne semble pas trouver de correspondants et mĂ©rite d’ĂȘtre lu dans sa complexitĂ©. La communitas personnifiĂ©e Au-delĂ  de l’hĂ©raldique, de la symbolique politique et des repĂšres spirituels, c’est dans la personnification de Pise que rĂ©side l’efficacitĂ© inĂ©dite de l’Ɠuvre. Dans celle-ci se fabrique la conscience identitaire de la communitas de la citĂ©. Par l’incarnation de la ville pisane en une jeune princesse sortant des eaux, un choix prĂ©cis a Ă©tĂ© fait celui de ne pas figurer la ville dans sa rĂ©alitĂ© topographique. Cette derniĂšre aurait pu ĂȘtre plus reconnaissable et plus appropriĂ©e pour l’expression narrative d’un Ă©vĂ©nement, comme dans ce cas, de la libĂ©ration de la ville du gouvernement antĂ©rieur. Pour relater une semblable circonstance politique, celle de la fin de la tyrannie d’Ezelino da Romano, la ville de Padoue est reprĂ©sentĂ©e dans la chapelle Belludi par une vue Ă  vol d’oiseau, libĂ©rĂ©e par son patron saint Antoine. Par ailleurs, entre le XVe et le XVIe siĂšcle, sainte Ursule apparaissait le plus souvent au sein de cycles narratifs relatant sa lĂ©gende dans la scĂšne du martyre de la sainte aux portes de Cologne, la ville est reprĂ©sentĂ©e avec ses monuments mĂ©diĂ©vaux, comme dans l’Ɠuvre du MaĂźtre de la lĂ©gende de Sainte Ursule Fig. 6. Dans le contexte colonais, sainte Ursule Ă©tait chargĂ©e aussi d’un important rĂŽle civique, liĂ© Ă  la libĂ©ration de la ville Ă  la suite du siĂšge des Huns, aprĂšs son martyre. Ainsi l’iconographie de la sainte est-elle souvent associĂ©e en peinture Ă  des symboles politiques, tels l’hermine hĂ©raldique superposĂ©e Ă  sa robe25, ainsi que les armoiries des villes oĂč elle fait Ă©tape pendant son pĂšlerinage, qui apparaissent dans le cycle anonyme de la lĂ©gende de sainte Ursule conservĂ© au Wallraf Richartz Museum 1455-1460. Figure 6 MaĂźtre de la lĂ©gende de Sainte Ursule, Le Martyre de sainte Ursule et des Onze mille Vierges, vers 1492, huile sur toile, 163 x 232 cm, Londres, Victoria and Albert Museum, © Victoria and Albert Museum, London. En revanche, le tableau du Museo San Matteo condense la symbolique civique autour d’une personnification de la ville l’identitĂ© pisane est si forte qu’elle peut ĂȘtre incarnĂ©e. Or, son incarnation implique des significations qui vont au-delĂ  de la simple symbolisation de la dimension urbaine. Il ne s’agit pas tant de donner corps Ă  la ville de Pise dans sa rĂ©alitĂ© physique extĂ©rieure, mais de reprĂ©senter son systĂšme de valeurs civiques. L’Ɠuvre leur accorde une figure humaine, personnifiĂ©e dans une idĂ©alisation gibeline, qui rĂ©sume l’ensemble des Ă©lĂ©ments identitaires dissĂ©minĂ©s dans l’Ɠuvre. Ainsi, afin d’attribuer une forme concrĂšte Ă  une conception abstraite comme l’identitĂ© communale, le recours Ă  la personnification s’avĂšre ĂȘtre l’outil le plus appropriĂ©. Cette dĂ©marche Ă©tait aussi frĂ©quente en Italie, plus particuliĂšrement en Toscane aux XIVe et XVe siĂšcles, oĂč la personnification ou l’allĂ©gorie sont souvent employĂ©es pour reprĂ©senter les valeurs morales, comme les vices et les vertus26. Or, dans ce cas, c’est la conscience d’une identitĂ© civique qui prend des formes humaines. La ville de Pise personnifiĂ©e dans le tableau en question pourrait ĂȘtre ainsi comparĂ©e Ă  un prĂ©cĂ©dent en sculpture, la statue de Pise dans l’ensemble de la Madonna di Arrigo Fig. 7, rĂ©alisĂ©e par Giovanni Pisano en l’honneur du sĂ©jour pisan d’Henri VII 1312-131327. La sculpture de la ville de Pise devait ici interagir avec la Vierge d’une part, et l’empereur Henri VII – disparu – d’autre part. Comme pour la Sainte Ursule, il s’agissait ici aussi d’une conjonction de valeurs politiques et religieuses, symbolisĂ©es sĂ©parĂ©ment, mais en mĂȘme temps synthĂ©tisĂ©es dans un personnage, la ville de Pise, chargĂ© de transmettre le message civique Ă  la communautĂ©. Figure 7 Giovanni Pisano, La Vierge et l’Enfant, dite Madonna di Arrigo, et personnification de la ville de Pise, 1313, Pise, Museo dell’Opera del Duomo, © Wikimedia Commons. La personnification de la ville de Pise pouvait parfois assumer des formes et des proportions diffĂ©rentes, notamment Ă  l’occasion de cĂ©rĂ©monies civiles et religieuses qui prĂ©voyaient la participation d’une incarnation » de la commune. Des rares tĂ©moignages documentaires, dont le Journal du voyage en Italie de Montaigne et le poĂšme de Puccino d’Antonio di Puccino da Pisa, nous rapportent le rituel mĂ©diĂ©val du Sposalizio del mare une fois par an, la personnification de Madonna Pisa parcourait les eaux de l’Arno jusqu’à la mer, pour cĂ©lĂ©brer son mariage avec elle28. La grande reine », ornĂ©e d’or », et suivie d’un cortĂšge de cent galĂšres »29, semble pouvoir se retrouver dans la reprĂ©sentation du tableau pisan. En effet, dans l’Ɠuvre, la princesse entretient avec les eaux un rapport particulier la riviĂšre d’oĂč elle sort est non pas cause d’une inondation catastrophique, comme l’ancienne interprĂ©tation de l’Ɠuvre l’affirmait, mais remplie de poissons, Ă  l’origine de la richesse Ă©conomique et commerciale de la ville, Ă©voquant la prospĂ©ritĂ© restaurĂ©e par le nouveau gouvernement. Les eaux, la riviĂšre, la mer, prĂ©sentes dans l’Ɠuvre et dans l’imaginaire pisan et qui lui avaient permis de s’affirmer comme puissance navale, participent aussi Ă  cette fabrique de l’identitĂ© civique. MalgrĂ© le caractĂšre exceptionnel de l’emploi artistique et social d’une personnification de la ville par Pise, d’autres apparitions, notamment dans le contexte cĂ©rĂ©moniel, dĂ©notent une dĂ©marche qui Ă©tait rĂ©pandue mĂȘme en-deçà des Alpes. Par exemple, Ă  l’occasion des fĂȘtes d’entrĂ©e de personnalitĂ©s politiques ou ecclĂ©siastiques dans la ville de Lyon entre le XVe et le XVIe siĂšcle, la citĂ© participait au rituel d’accueil avec sa personnification30. Il s’agissait souvent de personnifications fĂ©minines, prĂ©sentant des blasons sur leurs robes31. Ces mises en scĂšne, en Italie comme en France, tĂ©moignent de l’assimilation du processus idĂ©ologique et visuel de personnification de la ville, et de sa puissance de communication dans le domaine politique, religieux, et civil. Les messages transmis par ces personnifications des villes s’adressaient Ă  une communautĂ© qui s’y reconnaissait, qui se soudait autour d’elles, et qui renforçait son identitĂ© Ă  travers la reconnaissance commune de symboles, le partage d’idĂ©aux politiques, la rĂ©novation de traditions historiques, et l’adhĂ©sion Ă  des modĂšles spirituels. AutoreprĂ©sentation de la conscience identitaire Tous les Ă©lĂ©ments contribuant Ă  l’élaboration du message civique dans Sainte Ursule sauvant la ville de Pise des eaux se retrouvent distribuĂ©s et parfois redoublĂ©s au sein du tableau. Les passages entre sphĂšre politique et valeurs religieuses s’expliquent par l’intention de reprĂ©senter l’idĂ©al urbain devenu rĂ©alitĂ© grĂące Ă  la prise de pouvoir de Iacopo d’Appiano. Le nouveau gouvernement Ă©tait en effet voulu par Dieu, qui sort des lumiĂšres dans l’angle en haut Ă  gauche, pour guider le geste sauveur de sainte Ursule. La nouvelle forme de la commune pisane est aussi protĂ©gĂ©e et glorifiĂ©e par l’ange tenant un phylactĂšre et pointant le doigt de sa main gauche vers l’étendard pisan. Dans sa main droite, il tient un rameau d’olivier, qui l’associerait Ă  un message de paix. La prĂ©sence de ce symbole rend compte d’un idĂ©al politique, religieux et social elle annonce les objectifs du gouvernement de d’Appiano, en opposition avec les temps antĂ©rieurs, tout en s’inscrivant aussi dans l’élaboration mĂ©diĂ©vale thĂ©ologique et morale d’une ville idĂ©ale fondĂ©e sur la paix et le bien commun, telle qu’elle Ă©tait prĂ©conisĂ©e par Fra Giordano32. Le coup d’état se justifie ainsi par la volontĂ© de rĂ©affirmer les idĂ©ologies politiques fondatrices de l’identitĂ© pisane, comme le gibelinisme, la libertas et la cohĂ©sion de la communautĂ©, ainsi que par la bĂ©nĂ©diction de Dieu et la sauvegarde de sainte Ursule. Cette derniĂšre correspond non seulement Ă  la sainte protectrice du gouvernement, mais aussi Ă  la communautĂ© tout entiĂšre qui participe Ă  son culte. L’Ɠuvre reprĂ©sente une conscience civique prĂ©existante et partagĂ©e, une identitĂ© communale abstraite mais Ă  laquelle le peintre peut donner forme humaine Ă  travers la personnification de la ville. Pour toutes ces raisons, il est possible de supposer qu’elle Ă©tait destinĂ©e Ă  ĂȘtre vue, si ce n’est pas par l’ensemble de la communautĂ©, au moins par la sociĂ©tĂ© proche du gouvernement. Or, la coexistence d’une portĂ©e politique et religieuse rend les hypothĂšses sur son emplacement original encore plus floues. L’Ɠuvre, vue par Vasari Ă  San Paolo a Ripa d’Arno, avait-elle Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e pour une structure ou une organisation religieuse, assurant une attention dĂ©votionnelle pour la sainte bretonne – telle la Compagnie de Sainte-Ursule ? Ou Ă©tait-elle destinĂ©e Ă  transmettre son message politique au sein d’un Ă©difice liĂ© au gouvernement, tel le Palazzo degli Anziani ? Si des recherches ultĂ©rieures pourraient nous Ă©claircir sur sa destination originelle, nous pouvons nĂ©anmoins parler d’un tableau Ă  fonction civique et identitaire. L’Ɠuvre s’adressait donc non pas personnellement Ă  Iacopo d’Appiano, mais Ă  toute la communautĂ© pisane, rachetĂ©e, libĂ©rĂ©e, rĂ©conciliĂ©e, protĂ©gĂ©e des dangers d’un mauvais gouvernement et des menaces de Florence guelfe. Ce message Ă©tait aussi explicitĂ© par les inscriptions des phylactĂšres, mal conservĂ©es mais transcrites au XXe siĂšcle par Enzo Carli, oĂč nous retrouvons le terme dominus », identifiable tantĂŽt au PĂšre Ă©ternel, tantĂŽt au gouvernement, et les mots et liberavit eos »33. Par ailleurs, la prĂ©sence des phrases sur des phylactĂšres avait Ă©tĂ© jugĂ©e maladroite par Vasari, qui attribuait l’Ɠuvre Ă  Bruno di Giovanni, un collaborateur de Buffalmacco qui en avait fait le mĂȘme usage au Ă  sa rĂ©interprĂ©tation, l’Ɠuvre peut aujourd’hui ĂȘtre datĂ©e de la fin du XIVe siĂšcle, aprĂšs 1392, quand Iacopo d’Appiano prend le pouvoir et que le culte de sainte Ursule se rĂ©pand sur le territoire toscan. Or, tout comme l’identification de son emplacement, l’attribution du tableau est loin d’ĂȘtre Ă©tablie. Pour cette Ɠuvre si rĂ©vĂ©latrice d’une pisanitas, plusieurs noms de peintres actifs Ă  Pise ont Ă©tĂ© avancĂ©s, parmi lesquels le pisan Turino Vanni35. Cette ancienne attribution faisait du tableau le chef-d’Ɠuvre pisan par excellence, en transfĂ©rant la signification identitaire du tableau Ă  son artiste, et vice-versa. Cependant, compte tenu de la grandeur de l’Ɠuvre, des diffĂ©rences aux niveaux tant techniques que stylistiques, et de la potentielle rapiditĂ© de la commande, il est possible d’y rechercher la contribution de plusieurs peintres en collaboration au sein d’un foyer dynamique. Topographie de l’identitĂ© pisane en peinture Si l’identitĂ© civique peut prendre la forme d’un corps idĂ©alisĂ©, elle peut aussi ĂȘtre Ă©voquĂ©e au sein d’une reprĂ©sentation topographique rĂ©elle. Une vue de la gĂ©ographie urbaine de la ville de Pise au Moyen Âge nous est livrĂ©e par le Saint Nicolas de Tolentino protĂ©geant Pise de la peste Fig. 8, Ɠuvre du deuxiĂšme quart du XVe siĂšcle aujourd’hui conservĂ©e Ă  Pise, dans l’église Saint-Nicolas. Pour questionner la reprĂ©sentation de la ville de Pise, il est d’abord important de revenir sur la commande de ce tableau les limites entre fonction religieuse et civique se confondent encore une fois, dans le but d’exprimer et de consolider l’identitĂ© pisane. Figure 8 Anonyme, Saint Nicolas de Tolentino protĂ©geant Pise de la peste, premiĂšre moitiĂ© du XVe siĂšcle, Pise, Ă©glise Saint-Nicolas. © Soprintendenza archeologica, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno Autorizzazione Soprintendenza ABAP di Pisa, prot. n. 7007 del 12 maggio 2021. Comme pour la Sainte Ursule, le tableau du Saint Nicolas semble avoir Ă©tĂ© exĂ©cutĂ© pour remercier le saint d’avoir protĂ©gĂ© la ville de Pise de l’épidĂ©mie. ReprĂ©sentĂ© debout avec ses attributs, le saint intercepte les flĂšches de la peste qui martyrisent la ville figurĂ©e Ă  ses pieds. La reprĂ©sentation de Pise semble contribuer Ă  la narration de ce miracle. Or, comme il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© par Cecilia Iannella, cet Ă©vĂ©nement ne trouve pas de correspondance dans d’autres sources ou attestations. La rĂ©alitĂ© topographique de la ville est donc appelĂ©e Ă  asseoir une entreprise de propagande dĂ©votionnelle, fondĂ©e sur l’attribution au saint de nouveaux miracles thaumaturges. Comme cela pourrait ĂȘtre le cas pour le tableau de Bicci di Lorenzo pour Empoli, datĂ© de 1445, l’Ɠuvre pisane devait Ă©maner d’une commande de l’ordre des augustins, qui depuis le dĂ©but du XIVe siĂšcle avait entrepris une campagne de promotion en faveur de la canonisation de saint Nicolas, mort en 130536. MĂȘme s’il s’agit finalement d’une commande religieuse, qui ne prĂ©voit pas l’intervention du pouvoir communal, nous pouvons retrouver dans cette Ɠuvre des Ă©lĂ©ments civiques, c’est-Ă -dire servant Ă  la reconnaissance identitaire de la communautĂ© pisane. Ces Ă©lĂ©ments sont rĂ©unis dans la reprĂ©sentation de la ville la vue de Pise, correspondant Ă  sa rĂ©alitĂ© urbaine, fait appel Ă  une culture visuelle concrĂšte et partagĂ©e, tout en Ă©tant caractĂ©risĂ©e par une charge symbolique. Nous constatons ainsi que la rĂ©alitĂ© gĂ©ographique de Pise se dĂ©finit Ă  travers la reprĂ©sentation de la muraille et du fleuve. La premiĂšre renferme et protĂšge la communautĂ©, dĂ©limite sa sĂ©curitĂ© militaire et dĂ©finit son identitĂ© d’urbs la pisanitas se trouve, condensĂ©e, Ă  l’intĂ©rieur de ces murs. Le fleuve appelle en revanche Ă  sortir de ces limites. Comme les eaux de sainte Ursule, l’Arno matĂ©rialise les succĂšs maritimes et commerciaux de Pise ; en traversant la ville, il la soude, et il lui permet de se dĂ©velopper gĂ©ographiquement et Ă©conomiquement autour de lui. De plus, les monuments architecturaux qui ressortent du profil urbain de Pise jouent Ă©galement un rĂŽle essentiel dans la stimulation du sentiment d’appartenance Ă  la communautĂ©. Nous distinguons, en particulier, les nombreuses tours appartenant Ă  la sociĂ©tĂ© aisĂ©e, mais aussi les Ă©glises, qui Ă©voquent l’activitĂ© spirituelle de la ville. Sur le bord de l’Arno, l’église de la Spina est reprĂ©sentĂ©e dans ses petites – et vĂ©ridiques – proportions. À l’opposĂ©, la cathĂ©drale ressort majestueuse, entre la tour du Clocher et une portion du BaptistĂšre. Les Ă©difices religieux de la place du DĂŽme reprĂ©sentent la splendeur du passĂ© mĂ©diĂ©val pisan, et sont ainsi chargĂ©s d’une symbolique civique ils permettent l’identification d’une communautĂ© de citoyens et de fidĂšles. Avec la mĂȘme vocation, les monuments urbains et architecturaux apparaissent dans le cĂ©lĂšbre tableau de la Crucifixion de la Douane. Cette Ɠuvre anonyme est caractĂ©risĂ©e par une prĂ©sence toujours Ă©nigmatique de repeints, qui, pour des raisons politiques dues aux transformations gouvernementales entre le XVe et le XVIe siĂšcle, avaient cachĂ© la figure du commanditaire agenouillĂ© le capitaine Giuliano Davanzati – ou mĂȘme le seigneur Pietro Gambacorta ?, ses emblĂšmes et la date 143737. Or, la valeur identitaire principale de l’Ɠuvre est celle qui, malgrĂ© les repeints, est gardĂ©e le patrimoine monumental de Pise, Ă  l’arriĂšre-plan de la Crucifixion, est immuable, chargĂ© de la mĂȘme valeur civique. Nous retrouvons Ă  droite les palais publics avec les emblĂšmes du Comune et du Popolo, que nous pourrions appeler monuments civiques afin de les diffĂ©rencier des monuments religieux prĂ©sents Ă  gauche. Toutefois, dans la Crucifixion de la Douane comme dans le Saint Nicolas de Tolentino, la cathĂ©drale de Pise et la tour du Clocher sont Ă©galement des monuments permettant l’élaboration d’une identitĂ© civique, et seront par ailleurs des signes de reconnaissance pĂ©rennes de la riche tradition mĂ©diĂ©vale pisane. Ainsi, tout comme, dans la Crucifixion de la Douane, l’évocation du patrimoine architectural permettait de consolider la lĂ©gitimitĂ© du gouvernement, dans le Saint Nicolas de Tolentino elle stimule la foi dans ce nouveau saint et permet de rendre tangible une tradition hagiographique qui semble, dans ce cas, fictive. En ce sens, le panneau de l’église Saint-Nicolas peut ĂȘtre comparĂ© avec les fresques consacrĂ©es aux Histoires de saint Ranieri au Camposanto, une autre Ɠuvre pisane oĂč la ville mĂ©diĂ©vale est reprĂ©sentĂ©e pour renforcer la crĂ©dibilitĂ© des miracles, comme pour rappeler le lien identitaire entre le saint patron et sa ville. La preuve du rĂŽle reprĂ©sentatif de la cathĂ©drale pisane pour l’identitĂ© non seulement urbaine et religieuse, mais aussi civique de la ville de Pise, se retrouve Ă  l’extĂ©rieur du territoire nous la retrouvons dans les fresques de Domenico Ghirlandaio pour Santa Trinita Ă  Florence. L’identitĂ© civique pisane entre XIVe et XVe siĂšcle, construite sur des fondements historiques, politiques, religieux et sociaux, se manifeste en peinture par l’emploi de stratĂ©gies de communication comme la personnification ou la reprĂ©sentation topographique. Quelle que soit la solution formelle privilĂ©giĂ©e, son efficacitĂ© repose sur le partage d’une conscience identitaire parmi les membres de la communautĂ©, se reconnaissant et se solidarisant autour d’un lexique vaste, composĂ© d’élĂ©ments, de symboles et de messages qui font appel Ă  toutes les sphĂšres de la sociĂ©tĂ© mĂ©diĂ©vale pisane. En confondant les limites entre les fonctions politiques et dĂ©votionnelles, la reprĂ©sentation de la ville en peinture utilise un langage qui peut ĂȘtre dĂ©fini comme civique elle n’est pas seulement une maniĂšre d’afficher l’identitĂ© pisane, mais aussi une piĂšce maitresse permettant sa construction. Or, comme toute sorte de langage, c’est l’histoire qui en dĂ©termine l’emploi, le remploi ou les transformations. Les armoiries changent, mais un certain lexique, appartenant Ă  l’hĂ©ritage mĂ©diĂ©val de la ville, est destinĂ© Ă  survivre. Ainsi, en 1603 Ventura Salimbieni peint une personnification de Pise, en forme d’allĂ©gorie de caritas, entre la cathĂ©drale et la tour du Clocher. Le patrimoine artistique et monumental du Moyen Âge, dĂ©jĂ  remarquĂ© au XVIe siĂšcle par Montaigne, rappellera aux pisans leur gloire passĂ©e et pourra rĂ©pondre aux questionnements identitaires de la communautĂ© tout au long des XVIIIe et XIXe siĂšcles. Silvia Marcheselli Bibliographie BARSOTTI, 2016 BARSOTTI Francesca, La Chiesa di San Paolo a Ripa d’Arno a Pisa, Pise Pacini, 2016. BERNARDINI, 2004 BERNARDINI Rodolfo, La Misericordia di Pisa. Sette secoli di storia, s. l., 2004. CALECA, 1978 CALECA Antonino, Il Museo Nazionale di San Matteo opere d’arte fino al 15° secolo. 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ZEHNDER, 1985 ZEHNDER Frank Gunter, Sankt Ursula Legende, Verehrung, Bilderwelt, Koln Wienand, 1985. Table des illustrations Figure 1 Anonyme, Sainte Ursule sauvant Pise des eaux, aprĂšs 1392, peinture sur bois, 188 x 358 cm, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Soprintendenza archeologica, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno Autorizzazione Soprintendenza ABAP di Pisa, prot. n. 7007 del 12 maggio 2021. Figure 2 Turino Vanni, La Vierge et l’Enfant entre saint Ranieri, saint TorpĂ© et deux saints, 1397, Pise, Ă©glise San Paolo a Ripa d’Arno. © Silvia Marcheselli. Figure 3 Turino Vanni, La Vierge et l’Enfant entre des archanges et des saints, avec Sainte Ursule, vers 1370, peinture sur bois, 60 x 48 cm, Palerme, Galleria Regionale della Sicilia Palazzo Abatellis. © Galleria Regionale della Sicilia di Palazzo Abatellis. Figure 4 Simone Martini, Polyptyque de Sainte-Catherine, dĂ©tail de sainte Ursule, 1319-1323, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Silvia Marcheselli. Figure 5 Anonyme pisan, Sainte Ursule en trĂŽne entre les compagnes et les flagellants, premiĂšre moitiĂ© du XVe siĂšcle, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Silvia Marcheselli. Figure 6 MaĂźtre de la lĂ©gende de Sainte Ursule, Le Martyre de sainte Ursule et des Onze mille Vierges, vers 1492, huile sur toile, 163 x 232 cm, Londres, Victoria and Albert Museum, © Victoria and Albert Museum, London. Figure 7 Giovanni Pisano, La Vierge et l’Enfant, dite Madonna di Arrigo, et personnification de la ville de Pise, 1313, Pise, Museo dell’Opera del Duomo, © Wikimedia Commons. Figure 8 Anonyme, Saint Nicolas de Tolentino protĂ©geant Pise de la peste, premiĂšre moitiĂ© du XVe siĂšcle, Pise, Ă©glise Saint-Nicolas. © Soprintendenza archeologica, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno Autorizzazione Soprintendenza ABAP di Pisa, prot. n. 7007 del 12 maggio 2021. Montaigne, 1774, p. 211. [↩]Vasari, Ă©d. 1568, Bettarini, Barocchi, 1966-1987, p. 160 ; selon la traduction de Vasari Chastel, 2005, v. 1, p. 185. [↩]Idem ; Carli, 1961, p. 72-73. [↩]Camelliti, 2010 ; Camelliti, 2015 ; Collareta, 2016 ; Iannella, 2018, p. 136-143 ; Camelliti, 2020, p. 193-200. [↩]Ronzani, 2013 ; Iannella, 2018, p. 33-43. [↩]Poloni, 2004, p. 24-25. [↩]Iannella, 2018, p. 59-86 ; Camelliti, 2020, p. 122-130. [↩]Camelliti, 2020, p. 196. [↩]Pour ces considĂ©rations et les suivantes sur le culte de sainte Ursule Tervarent, 1931 ; Zehnder, 1985 ; Montgomery, 2010. [↩]Montgomery, 2010, p. 26. [↩]Sardina, 2011. [↩]Tervarent, 1931, p. 44-45 ; Montgomery, 2010, p. 28-29. [↩]Zaccagnini, 2008, p. 304-305. [↩]Iannella, 2005. [↩]Delcorno, 1975, p. 291-411. [↩]Ibid., p. 211, note 64. [↩]Ibid., p. 209-211. [↩]Marchetti, Pini, 2009. [↩]Da Morrona, 1793, v. III, p. 141 ; Bernardini, 2004. [↩]Carli, 1974, p. 87 ; Bernardini, 2004. [↩]Tronci, 1643 ; Lucques, 1998, p. 302. [↩]Pour Supino 1894, p. 69, Sala Quinta, n°24, la bandinella serait une Ɠuvre d’ Ă©cole siennoise ». L’Ɠuvre est aussi attribuĂ©e au Maestro di Barga Caleca, 1978, p. 32 ; Lucques, 1998, p. 302-303, n°37. Pour Vigni 1950, p. 73-74, n°56, fig. XVII, elle appartient Ă  lentourage du bolonais Michele di Matteo. Kaftal 1952, p. 995-1000 la date du XIVe siĂšcle. Enfin, Carli 1974, p. 87-88, n°90, fig. 109 l’attribue Ă  un peintre pisan du gothique tardif ? ». [↩]Camelliti, 2020, p. 196. [↩]Anonyme, Sainte Ursule avec histoires de sa lĂ©gende, XVe siĂšcle, Pise, Museo Nazionale San Matteo. Pise, 1999, p. 50-51, Inv. 2153. L’Ɠuvre avait Ă©tĂ© rĂ©unie dans un triptyque fictif provenant de l’église San Domenico, avec le Christ trĂŽnant entre la Vierge et sainte Marie Madeleine signĂ© par Ambrogio d’Asti au centre Inv. 1695, et la Sainte Eulalie avec histoires de sa lĂ©gende Inv. 2159 comme pendant. [↩]Notamment, dans l’Ɠuvre du MaĂźtre de la LĂ©gende de sainte Ursule, Sainte Ursule annonce Ă  la cour de son pĂšre sa dĂ©cision d’aller en pĂšlerinage Ă  Rome avec onze mille Vierges, vers 1492, 129 x 116 cm, Paris, MusĂ©e du Louvre. [↩]Cosnet, 2015. [↩]Iannella, 2018, p. 104-130. [↩]Tolaini, 2004. [↩] Ibid., p. 19. [↩]LĂ©vy, 2013, p. 253-301. Je remercie Philippe Lorentz pour la suggestion. [↩]Ibid., p. 294. [↩]Iannella, 1999, p. 40-52. [↩]Transcription des inscriptions des phylactĂšres MISERICORDIAM FECIT DOMINUS CUM SERVA SUA / LAUDABO IPSUM IN ETERNUM » ; APPARUIT OMNIBUS VIDENTIBUS NOMEN / 
 TUUM + ET LIBERAVIT EOS ». Carli, 1974, p. 82 ; Camelliti, 2020, p. 193. [↩]Vasari, Ă©d. 1568, Bettarini, Barocchi, 1966-1987, p. 160. [↩]AttribuĂ© Ă  la maniĂšre de Turino Vanni » par Siren, 1914, p. 225, p. 230. Pour Van Marle 1925, p. 240-243, l’Ɠuvre serait plutĂŽt de la main d’un prĂ©dĂ©cesseur – selon lui le maĂźtre et/ou le pĂšre – de Turino Vanni the Second », ce dernier Ă©tant actif dans la deuxiĂšme moitiĂ© du XIVe siĂšcle. Vigni 1950, p. 100-101, n°88, concorde pour son attribution Ă  un artiste pisan de la deuxiĂšme moitiĂ© du XVe siĂšcle. Enzo Carli 1961, p. 72-73 l’attribue au Maestro dell’Universitas Aurificum, puis identifiĂ© comme le Maestro della Sant’Orsola Carli, 1974, p. 82-83, n° 80, fig. XX ; Carli, 1994, p. 101-102. [↩] Iannella, 2017 ; Iannella, 2019, p. 143-148. [↩]Sur cette question voir Camelliti, 2020, p. 200-204, avec bibliographie prĂ©cĂ©dente. [↩] Article Ă©crit par Dorian Bianco TĂ©lĂ©charger l’article au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le 20 janvier 2022. Depuis la fin du XXe siĂšcle, la notion de patrimoine culturel a subi une double redĂ©finition de son champ d’étude. D’une part elle connaĂźt un Ă©largissement de ses objets et de ses Ă©chelles ce n’est plus seulement le monument que l’on classe, mais le mobilier, le bĂąti ordinaire voire des portions de paysage dont on enquĂȘte les caractĂšres patrimoniaux, selon un panorama allant non seulement de la cathĂ©drale Ă  la petite cuillĂšre » pour reprendre le mot d’AndrĂ© Chastel1, mais plus encore au territoire. D’autre part une extension chronologique, puisque son champ d’investigation s’étend dĂ©sormais aux Ă©poques les plus rĂ©centes, comme le patrimoine du XXe siĂšcle »2 touchant les ensembles bĂątis de la pĂ©riode d’aprĂšs-guerre, voire plus contemporains. En consĂ©quence, au-delĂ  de la procĂ©dure juridique traditionnelle du classement ou de l’inscription au titre des monuments historiques, les processus de patrimonialisation se sont diversifiĂ©s vers l’inventaire et la labellisation de vastes ensembles mobiliers et immobiliers, rendant plus large, mais peut-ĂȘtre plus prĂ©caire la reconnaissance de leur caractĂšre patrimonial. Peut-on s’engouffrer dans cet Ă©largissement et faire de l’amĂ©nagement du territoire une nouvelle – et ultime – catĂ©gorie du patrimoine culturel ? Une partie des opĂ©rations d’urbanisme et d’infrastructure qui s’y rattache tombent en fait dans le domaine dĂ©jĂ  constituĂ© du patrimoine du XXe siĂšcle. Le caractĂšre patrimonial de l’amĂ©nagement du territoire suppose sa reconnaissance prĂ©alable par les historiens et les acteurs du patrimoine culturel, alors que la littĂ©rature scientifique n’a pas toujours intĂ©grĂ© de façon systĂ©matique l’échelle territoriale et spatiale Ă  l’histoire de l’architecture d’aprĂšs-guerre3. Il s’agit de doter l’amĂ©nagement du territoire d’une lĂ©gitimitĂ© nouvelle pour la faire entrer en histoire de l’art parce qu’elles ont trait Ă  la nature politique et institutionnelle de la fabrication » des espaces gĂ©ographiques que nous percevons in fine comme des paysages, les grandes rĂ©alisations historiques d’amĂ©nagement Ă©largissent le cadre originel du patrimoine monumental et architectural Ă  l’échelle du patrimoine bĂąti et paysager, une notion dĂ©jĂ  enracinĂ©e dans l’histoire sĂ©culaire de la protection des sites classĂ©s et inscrits. Il convient de rappeler la dĂ©finition et la genĂšse historique de l’amĂ©nagement du territoire pour justifier cette lecture rĂ©trospective. L’amĂ©nagement du territoire dĂ©finition et expĂ©riences historiques d’une gĂ©ographie volontaire ». L’amĂ©nagement du territoire dĂ©signe l’action d’organiser, par les moyens administratifs de la planification spatiale, les rĂ©gions et les pays selon une finalitĂ© d’ordre Ă©conomique comme la dĂ©centralisation industrielle d’aprĂšs-guerre, environnementale comme le remembrement ou l’afforestation et culturelle le tourisme, la restauration du patrimoine bĂąti. Apparue sous la plume d’ingĂ©nieurs et de hauts-fonctionnaires de la France vichyste, l’expression est reprise par Raoul Dautry, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme de 1944 Ă  1948, dans sa prĂ©face Ă  la premiĂšre Ă©dition de Paris et le dĂ©sert français 19474 Ă©crit par le gĂ©ographe Jean-François Gravier. Celui-ci la dĂ©finit comme l’élargissement Ă  l’échelle territoriale des enjeux d’amĂ©nagement posĂ©s par la naissance de l’urbanisme moderne et les maux de la sociĂ©tĂ© industrielle, faisant Ă©cho aux expĂ©riences fondatrices menĂ©es dans les pays anglo-saxons depuis les annĂ©es 1930. Aux États-Unis, la Grande DĂ©pression a frappĂ© durant la dĂ©cennie prĂ©cĂ©dente les villes industrielles et les espaces ruraux des Appalaches. Élu en 1933, le prĂ©sident Roosevelt Ă©labore avec l’aide de son Brain Trust le New Deal, un ensemble de programmes gouvernementaux visant Ă  lutter contre les effets socio-territoriaux de la crise Ă©conomique. La crĂ©ation en 1933 de l’établissement fĂ©dĂ©ral de la Tennessee Valley Authority TVA Ă©tablit les grandes lignes du planning, qui se dĂ©finit comme un modĂšle de dĂ©veloppement Ă©conomique et territorial concertĂ© par la puissance publique pour rĂ©amĂ©nager en globalitĂ© la vallĂ©e du Tennessee contrĂŽle de la navigation des eaux avec la construction de barrages hydroĂ©lectriques, maĂźtrise de l’urbanisation par l’installation de communautĂ©s planifiĂ©es, Ă©lectrification rurale, industrialisation, amĂ©lioration de la productivitĂ© agricole en luttant contre l’érosion des sols, etc5. L’amĂ©nagement du territoire se dĂ©finit comme un interventionnisme constituant le volet spatial » des politiques d’État-Providence welfare state naissantes dans les pays occidentaux dĂ©veloppĂ©s6. Au Royaume-Uni, le gouvernement de Neville Chamberlain demande en 1940 Ă  Anderson Montague-Barlow, un homme politique du parti conservateur, de prĂ©sider une commission royale pour enquĂȘter sur les rĂ©gions miniĂšres dĂ©primĂ©es par la crise Ă©conomique. Les rĂ©sultats pointent l’excĂšs de concentration urbaine et dĂ©mographique dans les grands centres urbains. La commission dĂ©fend le projet d’une dĂ©concentration planifiĂ©e de la population et des activitĂ©s, donnant naissance Ă  la doctrine du Town and country planning de l’aprĂšs-guerre qui aboutira Ă  la crĂ©ation de villes nouvelles New Towns, visant Ă  dĂ©concentrer les centres urbains britanniques London overspill7. Ces idĂ©es sont diffusĂ©es en France grĂące Ă  Jean-François Gravier, engagĂ© dĂšs 1947 par le Commissariat gĂ©nĂ©ral au Plan. Dans Paris et le dĂ©sert français, il dĂ©fend la dĂ©concentration du territoire par l’arrĂȘt de la croissance de Paris au profit d’une dĂ©centralisation industrielle et dĂ©mographique en province. Politiquement transversales, ces idĂ©es sont Ă©galement dĂ©fendues par les gĂ©ographes Pierre George, Jacques Weulersse et Gabriel Dessus dont les MatĂ©riaux pour une gĂ©ographie volontaire de l’industrie française8 1949 envisagent une distribution harmonieuse des industries sur le territoire pour Ă©viter les phĂ©nomĂšnes de congestion urbaine. La gĂ©ographie volontaire » dĂ©signe la tentative par l’État ou la puissance publique d’orienter ces implantations dans l’espace, portant en filigrane l’idĂ©e que la doctrine libĂ©rale du laisser-faire spatial, corrĂ©lat gĂ©ographique du laisser-faire Ă©conomique, est mis en Ă©chec par les crises Ă©conomiques et qu’il faut lui substituer les mĂ©thodes de l’amĂ©nagement du territoire. Dans la brochure prĂ©sentĂ©e en Conseil des ministres en 1950, intitulĂ©e Pour un plan national d’amĂ©nagement du territoire, EugĂšne Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction et de l’urbanisme 1948-1953, Ă©tend la gĂ©ographie volontaire de l’industrie Ă  la protection des ressources naturelles, Ă  l’accĂšs aux espaces verts ainsi qu’à l’habitat structurĂ© par les doctrines de l’urbanisme moderne et de l’hygiĂ©nisme. Le zonage Ă©quilibrĂ© des activitĂ©s est envisagĂ© comme un moyen pour Ă©viter que l’industrialisation ne dĂ©grade le cadre de vie des habitants. Claudius-Petit s’inspire du modĂšle amĂ©ricain de la TVA dont il visite les barrages hydroĂ©lectriques avec Le Corbusier lors d’un sĂ©jour d’études rĂ©alisĂ© aux États-Unis en 19469. Traitant l’habitat sous le prisme de la rĂ©partition gĂ©ographique et non du seul point de vue d’un plan de production et du volume de construction, peu de grands projets du second XXe siĂšcle peuvent ĂȘtre rĂ©trospectivement rattachĂ© Ă  l’entreprise d’une gĂ©ographie volontaire. Si c’est le cas de l’amĂ©nagement de la cĂŽte languedocienne par la Mission Racine et les Villes nouvelles, Ă  l’inverse les Grands ensembles ne dĂ©finissent pas Ă  proprement parler un programme d’amĂ©nagement du territoire, puisque l’implantation ad hoc des barres et tours en bordure des villes a relevĂ© strictement d’une politique du logement » par ailleurs critiquĂ©e pour son manque d’intĂ©gration spatiale et paysagĂšre10. Ainsi la notion d’amĂ©nagement acquiert une lĂ©gitimitĂ© nouvelle aux yeux de l’historien d’art en raison de sa plasticitĂ© Ă©pistĂ©mologique. Englobant les travaux d’infrastructures et d’équipement, l’amĂ©nagement du territoire renvoie bien Ă  la crĂ©ation de formes dans l’espace », au sens d’Henri Focillon11, par les trames, les courbes et les matiĂšres qui se crĂ©ent dans le dessin comme dans la rĂ©alisation. Les formes bĂąties, qui intĂ©ressent en propre l’historien d’architecture, constituent un hĂ©ritage matĂ©riel du passĂ© rĂ©cent lĂ  oĂč le concept d’amĂ©nagement du territoire dĂ©signe spĂ©cifiquement l’action de nature politique et institutionnelle visant Ă  façonner – mettre en forme – l’espace. En ce sens, l’amĂ©nagement est Ă©galement un concept technique et scientifique d’objectivation de l’espace gĂ©ographique par la planification » qui modĂ©lise la rĂ©alitĂ© physique triple nature d’un concept tout Ă  la fois d’action publique, d’opĂ©ration technique et de forme artistique. Une notion rĂ©cente, mais une histoire ancienne. Par-delĂ  l’innovation sĂ©mantique, la notion d’amĂ©nagement du territoire dĂ©signe plus spĂ©cifiquement l’approche institutionnelle et politique guidĂ©e par la puissance publique approche top-down. Cependant, l’amĂ©nagement de l’espace habitĂ© se confond avec l’histoire mĂȘme de l’humanitĂ© et du progrĂšs technique, depuis l’invention de l’agriculture elle-mĂȘme, bien avant notre Ă©poque contemporaine. Si la notion d’amĂ©nagement du territoire ne remonte qu’au milieu du XXe siĂšcle, l’organisation spatiale des sociĂ©tĂ©s constitue une rĂ©alitĂ© ancienne qui renvoie Ă  l’histoire de la maĂźtrise du territoire par les hommes12. Les historiens de l’École des Annales se sont attachĂ©s Ă  retracer la gĂ©ographie humaine de l’Europe occidentale comme l’historien Marc Bloch dĂ©crivant les paysans beaucerons essartant les terroirs de l’ancienne cette production bottom-up du territoire – ou, pour rester dans l’emprunt anglophone, d’un planning before planning, bien avant le modĂšle planificateur de la TVA – soulignons par exemple le rĂŽle amĂ©nageur des abbayes et des ordres monastiques dans les grands dĂ©frichements des XIe et XIIe siĂšcles et les progrĂšs de l’énergie hydraulique dans Le rĂȘve cistercien, l’historien LĂ©on Pressouyre14 Ă©voque le modĂšle Ă©conomique des cisterciens fondĂ©e sur l’autogestion de la communautĂ© et ses rĂšgles d’organisation spatiale. Chaque citĂ© monastique comporte ses bĂątiments rĂ©sidentiels et rituels au centre tandis que ses bĂątiments agricoles et ses granges sont implantĂ©s Ă  la façon d’ Ă©tablissements satellites » dans une distance parcourable en un temps imparti. Faut-il y voir la prĂ©figuration de la citĂ©-jardin d’Ebenezer Howard ?15 Beaucoup de ces Ă©quipements monastiques sont aujourd’hui classĂ©s ou inscrits au titre des Monuments historiques. Ainsi, les amĂ©nagements anciens appartiennent bien Ă  la catĂ©gorie du patrimoine bĂąti, l’étude des amĂ©nagements plus anciens renvoyant aux mĂ©thodes de l’archĂ©ologie. Les prĂ©mices de l’amĂ©nagement contemporain du territoire Ă  grande Ă©chelle se situent dans l’histoire moderne. Les projets d’organisation territoriale du Nouveau monde avec la colonisation de l’AmĂ©rique du Nord constituent en ce sens des tentatives prĂ©coces de planification spatiale. Le philosophe anglais John Locke avec Anthony Ashley Cooper, dont il est l’assistant personnel, Ă©tablissent une Constitution pour la province de Caroline fondĂ©e en 1663 avec sept autres lords propriĂ©taires de la colonie les Fundamental Constitutions of Carolina, adoptĂ©es en 1669. Elles prescrivent l’établissement d’un plan d’amĂ©nagement urbain et spatial et de dĂ©veloppement Ă©conomique du territoire, dont le but originel Ă©tait de distribuer 60% des terres Ă  des fermiers indĂ©pendants yeoman farmers, mĂȘme si dans les faits les articles ont finalement encouragĂ© le systĂšme esclavagiste. Les prescriptions d’amĂ©nagement comportent un tracĂ© rĂ©gulier du parcellaire urbain et rural, leur rĂ©partition, la planification orthogonale des villes, la sĂ©paration de la ville et de la campagne par une ceinture verte jusqu’à des prescriptions d’art urbain avec jardins publics et alignement des bĂątiments. L’Oglethorpe Plan de Savannah GĂ©orgie, planifiĂ© Ă  partir de 1733, constitue une survivance de ce modĂšle originel Ă  l’échelle urbaine fig. 1 ; il fait Ă©galement l’objet d’une patrimonialisation grĂące Ă  la crĂ©ation du Savannah Historic District en 1966. LĂ  encore, des amĂ©nagements anciens deviennent objets de patrimonialisation. Figure 1 Plan de la ville et du port de Savannah, État de GĂ©orgie, États-Unis, Moss Eng. Co., NY, 1818, © WikimĂ©dia commons. Le Grand model de Caroline dĂ©montre la façon dont l’amĂ©nagement du territoire procĂšde, sur le plan Ă©pistĂ©mologique, d’une dissociation entre la carte et le plan, c’est-Ă -dire entre l’histoire cartographique et l’histoire de l’amĂ©nagement la carte, prĂ©-carrĂ© de l’arpenteur et du gĂ©ographe, est une reprĂ©sentation de l’espace physique, alors que le plan, concept de nature prescriptive et prĂ©-carrĂ© de l’architecte-ingĂ©nieur venant se greffer par la suite sur la reprĂ©sentation cartographique, vise Ă  modeler et transformer l’espace prĂ©alablement reprĂ©sentĂ©. De la mĂȘme façon qu’une histoire de l’urbanisme des plans de ville n’est pas Ă  proprement parler une histoire de la ville comme milieu social, l’histoire de l’amĂ©nagement n’est pas tout Ă  fait une histoire gĂ©ographique ni une gĂ©ohistoire16. Ce n’est pas de la carte, mais du plan dont l’amĂ©nagement du territoire tire son histoire et sa dĂ©marche, d’oĂč l’approche planificatrice qui en dĂ©coulera au XXe siĂšcle. Une rĂ©novation Ă©pistĂ©mologique. Ces deux exemples tirĂ©s de l’histoire mĂ©diĂ©vale et moderne prouvent que les amĂ©nagements antĂ©rieurs Ă  l’époque contemporaine peuvent ĂȘtre objets de patrimonialisation. Qu’en est-il des amĂ©nagements plus rĂ©cents associĂ©s au planning ? Nous ne sommes parvenus au rĂŽle pleinement amĂ©nageur de l’État et de la puissance publique qu’à l’époque de l’aprĂšs-guerre, lĂ©guant au XXIe siĂšcle l’hĂ©ritage matĂ©riel de leur action planificatrice par la marque qu’ils ont posĂ©e dans les palimpsestes paysagers villes nouvelles, autoroutes, infrastructures de loisirs, etc. Élever l’amĂ©nagement du territoire Ă  la dignitĂ© d’une reconnaissance patrimoniale repose sur la possibilitĂ© de protĂ©ger de vastes portions d’espace gĂ©ographique. Or, deux problĂšmes apparaissent En premier lieu, il faut au prĂ©alable construire la valeur historique des amĂ©nagements du XXe siĂšcle comme un paysage culturel »17 alors que cette notion demeure originellement associĂ©e aux terroirs. Il faut Ă©galement en dĂ©montrer la valeur artistique et esthĂ©tique le paysage amĂ©nagĂ© doit ĂȘtre considĂ©rĂ© sous le prisme d’une reprĂ©sentation artistique dont la transformation du regard est issue du processus d’artialisation de l’espace opĂ©rĂ© Ă  partir de la Renaissance. La patrimonialisation suppose un passage du caractĂšre opĂ©ratif de l’espace amĂ©nagĂ© – ou plutĂŽt amĂ©nageable – au caractĂšre artistique du paysage perçu18 on ne peut reconnaĂźtre de formes dans l’espace » qu’en vertu de cette transformation Ă©pistĂ©mologique. En second lieu, la patrimonialisation des amĂ©nagements suppose de maĂźtriser, sur le plan juridique, des instruments capables de protĂ©ger de vastes Ă©tendues paysagĂšres. InhĂ©rente Ă  la notion rousseauiste de contrat social et puis Ă  l’élaboration jacobine du service des Monuments historiques en France, la maĂźtrise politique du territoire est consubstantielle Ă  la formation de l’État moderne et Ă  ses outils juridiques dans la mesure oĂč les lĂ©gislations patrimoniales consistent Ă  poser des servitudes d’utilitĂ© publique sur des biens immobiliers et fonciers aux dĂ©pens de leurs propriĂ©taires. L’amĂ©nagement du territoire porte Ă  son accomplissement ce que le paysagiste amĂ©ricain John Brinckerhoff Jackson19 appelle le paysage politique20, dĂ©signant la fabrication » making du territoire par la puissance publique, du plan orthogonal de la ville romaine jusqu’aux thĂ©ories de l’urbanisme moderne, si l’on veut bien y inclure mĂȘme les projets de nationalisation des sols et de planification totale envisagĂ©s par Le Corbusier. Le paysage politique s’oppose au paysage vernaculaire qui se dĂ©finit comme la production de l’espace gĂ©ographique, sans contractualisation des rapports sociaux, par le bas de la structure sociale bottom-up comme les communaux mĂ©diĂ©vaux ou l’auto-construction des annĂ©es 1970, selon une conception sociologique proche du droit Ă  la ville d’Henri LefĂšbvre. Un lien de continuitĂ© politique et juridique entre urbanisme classique, amĂ©nagement du territoire et protection du patrimoine paysager apparaĂźt rĂ©trospectivement en vertu du principe juridique de souverainetĂ© publique sur les biens fonciers les thĂ©ories modernes de l’urbanisme comme les doctrines de protection du patrimoine bĂąti et paysager reposent tout autant les uns que les autres la conquĂȘte de l’espace public initiĂ©e par l’urbanisme de la Renaissance. De la protection des sites pittoresques Ă  la prĂ©servation des paysages amĂ©nagĂ©s au 20e siĂšcle ? Si le paysage fait dĂ©jĂ  l’objet d’une catĂ©gorie bien identifiĂ©e du patrimoine par la notion de site patrimonial, l’amĂ©nagement du territoire ne peut en devenir une nouvelle catĂ©gorie qu’à la condition d’élargir l’échelle du patrimoine paysager il s’agit lĂ  encore d’une conquĂȘte juridique dont l’aboutissement se situe au XXe siĂšcle. En France, la premiĂšre initiative de classement en 1840 n’était revenue qu’à l’échelle individuelle du patrimoine monumental. Au siĂšcle suivant, la notion s’élargit des monuments isolĂ©s Ă  leurs abords au nom d’une vision d’ensemble et non fragmentaire de l’espace ce n’est plus le monument, mais le paysage, qu’il soit urbain ou rural. La loi du 2 mai 1930 crĂ©e la catĂ©gorie de site classĂ© et site inscrit » afin de prĂ©server des ensembles paysagers Ă  valeur pittoresque ou naturelle. La loi du 25 fĂ©vrier 1943 institue un cadre gĂ©ographique de protection des abords » dans une aire d’environ 500 mĂštres aux alentours du monument classĂ© tel qu’on la trouve dans la grande majoritĂ© des centres-villes et des centres-bourgs ruraux de France. AndrĂ© Malraux dĂ©clare le 23 juillet 1962 Ă  l’AssemblĂ©e nationale qu’ un chef d’Ɠuvre isolĂ© risque d’ĂȘtre un chef d’Ɠuvre mort »21, aboutissant Ă  la loi du 4 octobre suivant, dite loi Malraux, Ă©tablissant le dispositif du secteur sauvegardĂ© dans les centres-villes au sein d’un pĂ©rimĂštre Ă  l’intĂ©rieur duquel l’Architecte des bĂątiments de France se charge de restaurer le patrimoine architectural et urbain jusqu’aux Ă©lĂ©ments du second Ɠuvre garde-corps, volets, fenĂȘtres, etc. Cet Ă©largissement dilate dans le mĂȘme temps les procĂ©dures de patrimonialisation du classement ou de l’inscription, on passe aux labels comme le label Patrimoine du XXe siĂšcle » ainsi qu’à la procĂ©dure d’inventaire depuis la crĂ©ation par AndrĂ© Chastel en 1964 l’Inventaire gĂ©nĂ©ral des monuments et richesses artistiques de la France, visant Ă  recenser, Ă©tudier et faire connaĂźtre les Ă©lĂ©ments du patrimoine qui prĂ©sentent un intĂ©rĂȘt culturel, historique ou scientifique »22. Du patrimoine marquĂ© par la finitude de ses objets, nous dĂ©bouchons sur l’hĂ©ritage global d’une Ă©poque passĂ©e, fins prĂȘts pour entrevoir l’ampleur des opĂ©rations historiques d’amĂ©nagement du territoire comme un nouvel objet Ă  conquĂ©rir pour le patrimoine culturel. La Mission Racine de la DATAR un exemple français d’un programme d’amĂ©nagement du territoire patrimonialisĂ© ? Sous l’égide du premier ministre et de la DATAR DĂ©lĂ©gation interministĂ©rielle Ă  l’amĂ©nagement du territoire, la mission interministĂ©rielle d’amĂ©nagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon, dite Racine, est lancĂ©e par dĂ©cret le 18 juin 1963. Elle constitue l’une des rares tentatives de mise en Ɠuvre d’une gĂ©ographie volontaire du dĂ©veloppement Ă©conomique et de la mise en valeur du territoire littoral il s’agit de crĂ©er cinq stations balnĂ©aires le long de la cĂŽte pour diversifier l’activitĂ© d’une rĂ©gion souffrant de sous-industrialisation et d’une crise viticole chronique. Elle vise Ă©galement Ă  retenir en France les vacanciers de passage vers la Costa Brava en Espagne. Enfin, la mission cherche Ă  Ă©viter l’urbanisation incontrĂŽlĂ©e de la CĂŽte d’Azur tout en adaptant le territoire Ă  l’avĂšnement d’une sociĂ©tĂ© des loisirs et du tourisme de masse. Les stations balnĂ©aires constituent l’équivalent de villes nouvelles planifiĂ©es ex nihilo qui crĂ©ent des sites urbains sur de vastes superficies. AmĂ©nagĂ©e Ă  partir de 1965, La Grande-Motte est destinĂ©e Ă  accueillir 120 000 touristes par an avec un parc de logements en rĂ©sidence secondaire, un port de plaisance et de nombreuses infrastructures de loisirs. L’architecte Jean Balladur Ă©labore un plan-masse en rupture avec l’architecture balnĂ©aire du dĂ©but du premier XXe siĂšcle rues en peignes desservant les plages et les immeubles en forme de ziggourats, aujourd’hui noyĂ©s dans la vĂ©gĂ©tation typiquement mĂ©diterranĂ©enne d’une canopĂ©e de pins parasols23 fig. 2. Cet ensemble urbain illustre la dilatation des procĂ©dures patrimoniales les plus rĂ©centes, puisque la reconnaissance de la valeur patrimoniale n’a pas – encore – conduit Ă  la dĂ©signation d’un site classĂ© comme les secteurs sauvegardĂ©s de la loi Malraux, mais Ă  une labellisation Patrimoine du XXe siĂšcle » dĂ©livrĂ©e par le ministĂšre de la Culture en 2010, dont le caractĂšre symbolique n’ouvre aucune protection juridique formelle. Figure 2 UnitĂ© touristique de la Grande-Motte, HĂ©rault, France, © WikimĂ©dia Commons. Français d’origine grecque, Georges Candilis est l’architecte en chef de 1963 Ă  1976 de l’unitĂ© touristique de Leucate-Le BarcarĂšs. Il Ă©tablit un plan-masse fondĂ© sur la densitĂ© horizontale d’une architecture modulaire nĂ©o-mĂ©diterranĂ©enne. Le projet trahit l’influence de sa collaboration avec Shadrach Woods et Alexis Josic, mais aussi des Team X, un groupe d’architecte dissident du 9e CongrĂšs des CIAM CongrĂšs internationaux d’architecture moderne. OpposĂ© au zonage trop rigoureux des fonctions urbaines, les Team X dĂ©fendent leur intĂ©gration par le retour Ă  l’échelle de la ville, tirant le projet architectural d’une rupture avec la composition urbaine, issue de l’enseignement des Beaux-Arts, vers l’adoption d’une architecture organisationnelle »24 qui emploie la flexibilitĂ© d’assemblage des composants prĂ©fabriquĂ©s pour former des combinaisons typologiques d’habitat groupĂ©. Il en rĂ©sulte des cheminements intĂ©grĂ©s crĂ©ant un rĂ©seau complexe web et des groupements bĂątis en forme de clusters ou de tiges stems. Parmi les rĂ©alisations notables de Port-Leucate, le village des Carrats 1970 se compose de bungalows superposĂ©s en bĂ©ton blanc avec des patios privatifs et des toitures-terrasses, Ă©voquant les Kasbah du monde arabe ou les villes mĂ©sopotamiennes. Ces logements de vacances sont destinĂ©s aux classes populaires pour qu’elles puissent profiter de la mer Ă  une Ă©poque de dĂ©mocratisation d’un loisir auparavant rĂ©servĂ© Ă  la bourgeoisie25. Non seulement le village a Ă©tĂ© labellisĂ© Patrimoine du XXe siĂšcle » en 2012, mais il a fait l’objet d’une inscription partielle au titre des Monuments historiques par arrĂȘtĂ© le 23 juillet 2014 pour les façades, les toitures et les amĂ©nagements donnant sur la plage. Candilis dĂ©veloppe Ă  BarcarĂšs-Leucate une conception spatiale de l’habitat qui tire le programme rĂ©sidentiel vers une approche de gĂ©ographie volontaire26. Paradoxalement, c’est l’amĂ©nagement du territoire qui canalise les utopies architecturales des annĂ©es 1960, parfois empreintes d’idĂ©ologie libertaire. Nombre d’entre elles envisage des architectures spatiales et flexibles Ă  l’exemple du Groupe international d’architecture prospective le GIAP fondĂ© par Michel Ragon en 1965, les architectes mobiles en croissance verticale de Yona Friedman. Ces nouveaux modĂšles annoncent l’avĂšnement d’une approche en rĂ©seau », parente de l’émergence contemporaine de la thĂ©orie des systĂšmes aux États-Unis, se dĂ©tournant de l’approche planifiĂ©e » de l’espace initiĂ©e quinze ans plus tĂŽt par EugĂšne Claudius-Petit et Jean-François Gravier pour justifier la notion d’amĂ©nagement du territoire. C’est ainsi au moment oĂč elle est portĂ©e Ă  son accomplissement qu’elle accompagne l’émergence de modĂšles alternatifs d’habitat et d’amĂ©nagement. Un exemple amĂ©ricain la patrimonialisation des ouvrages de la Tennessee Valley Authority TVA. Figure 3 The downstream face of the spillway at the Tennessee Valley Authority Fort Loudon Dam, photographe inconnu, Juin 1940, National Archives and Records Administration, Franklin D. Roosevelt Library, © WikimĂ©dia commons. Figure 4 Plan du barrage hydroĂ©lectrique de Fort Loudoun, 1939, Tennessee Valley Authority, The Fort Loudoun Project A Comprehensive Report on the Planning, Design, Construction, and Initial Operations of the Fort Loudoun Project, Technical Report No. 11, © WikimĂ©dia commons. Le programme d’amĂ©nagement du territoire initiĂ© par la Tennessee Valley Authority le long du fleuve Ă©ponyme Ă  partir de 1933 fait aujourd’hui l’objet d’une patrimonialisation, notamment pour ses ouvrages hydroĂ©lectriques. Le barrage de Fort Loudoun 1940-1943 est construit en bĂ©ton armĂ© pour une hauteur maximale de 37 mĂštres et la mise Ă  disposition de quatre gĂ©nĂ©rateurs hydroĂ©lectriques fig. 3, fig. 4. SituĂ© en amont de la vallĂ©e du Tennessee, il a permis de crĂ©er 1049 km de voies navigables entre Knoxville et Paducah dans le Kentucky. Aux cĂŽtĂ©s de 26 autres barrages de la TVA, le Fort Loudon a Ă©tĂ© inscrit sur la liste du National Register of Historic Places en 2017 au regard du rĂŽle historique qu’a jouĂ© la TVA dans l’histoire environnementale amĂ©ricaine, Ă  mĂȘme de nourrir une historiographie patriotique. A nouveau, la patrimonialisation s’inscrit dans le champ des procĂ©dures Ă©largies de la reconnaissance des hĂ©ritages culturels le recensement des barrages de la TVA n’instruisent pas d’instance de classement au titre des monuments historiques. Le National Register of Historic Places est l’inventaire officiel de l’État fĂ©dĂ©ral amĂ©ricain créé en 1966 par le National Historic Preservation Act – NHPA, deux ans aprĂšs l’Inventaire français par AndrĂ© Chastel. Il vise le recensement de l’ensemble des sites paysagers, des quartiers, bĂątiments, des infrastructures et des objets mobiliers revĂȘtant un caractĂšre historique qui les qualifie pour prĂ©tendre Ă  une protection juridique. MalgrĂ© ce caractĂšre symbolique, les lois des États ou les chartes de protections locales des villes ou des townships peuvent nĂ©anmoins conduire Ă  une protection des biens inscrits au National Register Ă  la façon des secteurs sauvegardĂ©s français, mais selon une procĂ©dure diffĂ©rente de la conception centralisĂ©e Ă  la française, les États-Unis Ă©tant un pays fĂ©dĂ©ral. Reflet du caractĂšre englobant du planning anglo-saxon, la patrimonialisation Ă©largie de la TVA ne s’en tient pas aux seuls barrages hydroĂ©lectriques du Tennessee, mais s’étend Ă©galement aux opĂ©rations d’urbanisme. La communautĂ© planifiĂ©e planned community de Norris ComtĂ© d’Anderson, Tennessee est amĂ©nagĂ©e Ă  partir de 1933 directement par l’État fĂ©dĂ©ral amĂ©ricain pour loger les ouvriers bĂątisseurs du barrage Ă©ponyme27. FondĂ©e sur l’idĂ©al coopĂ©ratif et les principes urbanistiques de la citĂ©-jardin britannique et de la Regional Planning Association of America RPPA, Norris comporte des maisons individuelles implantĂ©es le long de rues courbes avec un village green et une ceinture verte d’usage commun, prĂ©figurant le plan des trois Greenbelt towns amĂ©nagĂ©es par la Resettlement Administration Ă  partir de 1935 fig. 5. En 1975, le Norris District est ajoutĂ© Ă  la liste du National Register. Comme Norris, une partie substantielle du National Register est constituĂ©e non pas de monuments seuls, mais d’aires patrimoniales qui additionnent plusieurs bĂątiments ce sont les Historic Districts, progressivement intĂ©grĂ©s Ă  l’Inventaire fĂ©dĂ©ral le premier date de 1931 avec le Historic District de Charleston en Caroline du Sud. Moins nombreux que les Historic Districts, les National Historic Landmarks NHL n’ouvrent pas de procĂ©dure de classement comme les National Monuments de propriĂ©tĂ© fĂ©dĂ©rale, mais ils revĂȘtent nĂ©anmoins une valeur historique forte au regard de l’histoire amĂ©ricaine, Ă  l’exemple du tout premier ouvrage de la TVA, le barrage hydroĂ©lectrique de Wilson Dam dans l’Alabama, qui a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© National Historic Landmark le 13 novembre 1966. Figure 5 Plan directeur de la communautĂ© planifiĂ©e de Norris, 1933-1935, Tennessee Valley Authority, The Norris Project A Comprehensive Report on the Planning, Design, Construction, and Initial Operations of the Tennessee Valley Authority’s First Water Control Project, Technical Report No. 1, WikimĂ©dia Commons. Sommes-nous lĂ  en train de perdre l’approche formaliste de l’Ɠuvre architecturale que nous avons adoptĂ©e d’Henri Focillon ? En d’autres termes, la valeur historique, pour laquelle l’on patrimonialise certaines structures bĂąties, se recoupe-t-elle toujours avec la valeur artistique, dont la reconnaissance procĂšde de l’analyse des formes ? En filigrane, cette question met en jeu l’attribution des rĂŽles entre l’architecte et l’ingĂ©nieur dans l’amĂ©nagement du territoire, en d’autres termes l’introduction d’une dĂ©marche architecturale dans des projets tombant dans le prĂ©-carrĂ© de l’ingĂ©nieur. Faut-il plutĂŽt convoquer la notion de patrimoine industriel ? L’amĂ©nagement du territoire est-il un patrimoine industriel ? Figure 6 Vue d’ensemble du barrage de GĂ©nissiat, Leroy Thierry, © RĂ©gion Auvergne-RhĂŽne-Alpes, Inventaire gĂ©nĂ©ral du patrimoine culturel. CalquĂ©e sur le modĂšle amĂ©ricain de la TVA Ă  la façon d’un New Deal Ă  la française »28, la Compagnie nationale du RhĂŽne est créée en 1933 afin de produire de l’électricitĂ© et d’amĂ©liorer la navigation et l’irrigation du fleuve Ă©ponyme. En 1937 commencent dans l’Ain les travaux du barrage de GĂ©nissiat fig. 6, le plus grand d’Europe occidentale. Les travaux s’achĂšvent en 1947 pour une mise en service l’annĂ©e suivante. Le CNR choisit deux architectes pour l’amĂ©nager, LĂ©on Bazin et Albert Laprade, ce dernier Ă©tant cĂ©lĂšbre pour ĂȘtre un ardent dĂ©fenseur du patrimoine architectural et un militant du rapprochement entre l’architecte et l’ingĂ©nieur29. Dans un paradigme francastellien30, GĂ©nissiat vise la rĂ©conciliation du caractĂšre artistique des formes du bĂ©ton avec les impĂ©ratifs techniques inhĂ©rents aux infrastructures Ă©nergĂ©tiques, rĂ©vĂ©lant l’idĂ©al d’un savoir humaniste propre Ă  l’amĂ©nagement du territoire c’est la figure de l’architecte-ingĂ©nieur, alliant la science Ă  l’art au service du progrĂšs technique et social, dans une totalitĂ© retrouvĂ©e de l’Ɠuvre contre la sĂ©paration contemporaine des connaissances et des pratiques. LabellisĂ© patrimoine du XXe siĂšcle, la valeur historique et artistique du barrage de GĂ©nissiat renvoie ainsi Ă  la notion de patrimoine industriel dĂ©veloppĂ©e par l’historien Jean-Yves Andrieux dĂšs les annĂ©es 1970 Ă  partir de l’hĂ©ritage mobilier et bĂąti laissĂ© par l’histoire de l’industrialisation filatures, forges et manufactures depuis la pĂ©riode d’Ancien RĂ©gime jusqu’à la rĂ©volution industrielle et l’époque contemporaine31. Aux cĂŽtĂ©s de l’archĂ©ologie industrielle visant l’étude des vestiges matĂ©riels des industries passĂ©es, l’amĂ©nagement du territoire renvoie Ă©galement Ă  l’histoire des techniques, une branche historiographique pendant longtemps ignorĂ©e des autres historiens. Les centrales nuclĂ©aires une forme artistique ? La participation des architectes au programme nuclĂ©aire civil de la France constitue une tentative accomplie d’introduire une dĂ©marche artistique dans l’amĂ©nagement Ă©nergĂ©tique, poursuivant les exemples initiĂ©s Ă  GĂ©nissiat et dans la vallĂ©e du Tennessee. A partir de 1974, l’architecte Claude Parent est engagĂ© par ÉlectricitĂ© de France EDF pour rĂ©aliser les dessins et les Ă©tudes prĂ©paratoires des rĂ©acteurs nuclĂ©aires destinĂ©s Ă  la production domestique de l’électricitĂ©. Il Ă©labore les plans de deux centrales nuclĂ©aires, Chooz et Cattenom, qui mettent en Ɠuvre la thĂ©orie de la fonction oblique dĂ©veloppĂ©e Ă  partir de 1963 au sein d’Architecture Principe avec Paul Virilio. En refusant les trames carrĂ©es utilisĂ©es par la construction traditionnelle au profit du plan inclinĂ©, la fonction oblique investit le bĂ©ton de formes courbes dont on perçoit l’influence dans le caractĂšre organique et sculptural des dessins des rĂ©acteurs, comme les amphores. Auparavant, Parent et Virilio avaient dĂ©jĂ  imaginĂ© Les vagues », un projet fantaisiste d’amĂ©nagement du territoire oĂč les villes sont constituĂ©es de plans inclinĂ©s. Claude Parent prend le parti de ne pas dissimuler les centrales, mais de les imposer dans les paysages Ă  la façon de repĂšres comparables aux donjons des chĂąteaux-forts du Moyen-Âge32. Chez Parent, l’amĂ©nagement du territoire effectue un retour aux formes spatiales dans la plus pure dĂ©finition qu’en donne Henri Focillon ; elles renvoient enfin, dans les termes de Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour, aux performances architectoniques du duck », dont l’idĂ©al remonte aux bĂątisseurs gothiques, contre le decorated shed » qui sĂ©pare l’ingĂ©nieur de l’architecte relĂ©guĂ© au rang de simple dĂ©corateur d’un bĂątiment dont il ne maĂźtriserait plus la construction33. La patrimonialisation de la valeur artistique des infrastructures Ă©nergĂ©tiques demeure possible dans la mesure oĂč celles-ci procĂšdent d’une dĂ©marche architecturale et formelle, comme le montre l’exemple des centrales nuclĂ©aires construites par Claude Parent ni le mouvement moderne et ni l’architecture d’aprĂšs-guerre n’ont fait disparaĂźtre les formes ; bien au contraire, elles les ont consacrĂ©es jusqu’à des catĂ©gories de bĂątiments qui en Ă©taient auparavant dĂ©pourvues. Au contraire, la marginalisation, voire la disparition des formes est liĂ©e Ă  l’émergence, dĂšs les annĂ©es 1960, de modĂšles d’habitat et d’amĂ©nagement alternatifs au mouvement moderne et fondĂ©s sur la participation habitante qui sociologise le projet architectural au dĂ©triment de sa nature formelle et compositionnelle. Cette transformation du projet architectural se situe Ă  un moment de basculement pĂ©dagogique avec la fin du systĂšme des Beaux-Arts remplacĂ©es par les unitĂ©s pĂ©dagogiques 1968 ; elle constitue paradoxalement le produit de l’ architecture organisationnelle » des Team X et des architectures spatiales comme le projet du Vaudreuil par l’Atelier de Montrouge34. Conclusion Les limites de la patrimonialisation de l’amĂ©nagement du territoire. L’adoption d’une dĂ©marche artistique pour construire des infrastructures Ă©nergĂ©tiques, comme chez Claude Parent, constitue le cas original d’un mode de projet qui tend aujourd’hui Ă  tomber en dĂ©suĂ©tude. La transition Ă©nergĂ©tique fondĂ©e sur l’énergie Ă©olienne illustre cette Ă©volution vers la marginalisation des formes dans l’amĂ©nagement du territoire, puisque la faible productivitĂ© Ă©lectrique par installation unitaire des aĂ©rogĂ©nĂ©rateurs ne peut ĂȘtre compensĂ©e qu’en multipliant ses implantations gĂ©ographiques il faut prĂ©fabriquer les composants de bĂ©ton des Ă©oliennes selon un processus sĂ©riel qui Ă©limine entiĂšrement le rĂŽle de l’architecte et banalise les paysages. A l’inverse, la haute productivitĂ© de l’énergie nuclĂ©aire permet de concentrer gĂ©ographiquement la production dans quelques sites seulement, ouvrant la possibilitĂ© de singulariser chaque projet d’infrastructure. Les centrales nuclĂ©aires illustrent ainsi un cas-limite de la patrimonialisation des opĂ©rations d’amĂ©nagement du territoire. Les procĂ©dures de sĂ©curitĂ© et la durĂ©e de vie limitĂ©e des installations ne permettent pas d’envisager la protection des centrales comme on procĂ©derait pour tout bĂątiment ordinaire. À Cattenom, le grand carĂ©nage de 2016 a allongĂ© d’au moins 15 ans la durĂ©e de vie de la centrale, mais Ă  terme elle deviendra obsolĂšte, si bien qu’il faut dĂ©jĂ  envisager la substitution des rĂ©acteurs actuels par une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’EPR35 comme Ă  Flamanville, ou alors dĂ©cider de son arrĂȘt et de sa fermeture dĂ©finitifs. Que vont devenir les rĂ©acteurs dessinĂ©s par Claude Parent dans le dĂ©mantĂšlement programmĂ© de Chooz et Cattenom ? Ces nĂ©cessitĂ©s d’ordre technique rĂ©vĂšlent la nature prospective et opĂ©rative du concept d’amĂ©nagement du territoire, instituant une diffĂ©rence essentielle avec le patrimoine culturel qui vise Ă  prĂ©server un Ă©tat existant de l’environnement bĂąti et des paysages. Les politiques de transition Ă©cologique illustrent cette tension de nombreuses mesures, comme l’adoption de certaines Ă©nergies renouvelables ou la rĂ©duction des dĂ©placements automobiles, induisent un rĂ©amĂ©nagement du territoire sans que ce lien de cause Ă  effet ne soit clairement Ă©tabli. Dans la plupart des cas, une opĂ©ration d’amĂ©nagement du territoire constitue une transformation du paysage, si bien qu’elle peut Ă  son tour menacer la protection du patrimoine culturel ou naturel. Dans le mĂȘme temps, les politiques patrimoniales, par la dĂ©marche historique et artistique qu’elles introduisent, concourent Ă  humaniser » l’amĂ©nagement du territoire pour en faire une Ɠuvre culturelle, et non seulement technicienne ou scientifique. Dorian Bianco Bibliographie Andrieux, Jean-Yves, Le patrimoine industriel, Paris Presses universitaires de France, 1992. Bellier, Corinne, Delorme, Franck, Toulier, Bernard Collectif, Tous Ă  la plage ! Villes balnĂ©aires du XVIIIe siĂšcle Ă  nos jours, Paris LiĂ©nart/CitĂ© de l’architecture et du patrimoine, 2016. Besse, Jean-Marc, Le paysage, entre le politique et le vernaculaire. RĂ©flexions Ă  partir de John Brinckerhoff Jackson. ARCHES, Association Roumaine des Chercheurs Francophones en Sciences Humaines, 2003, 6, Blain, Catherine. L’Atelier de Montrouge et le Vaudreuil », Ethnologie française, vol. 33, no. 1, 2003, pp. 41-50. Bloch, Marc, Les caractĂšres originaux de l’histoire rurale française, Oslo H. Aschehoug & Co W. Nygaard, 1931. Candilis, Georges, Recherches sur l’architecture des loisirs, Paris Éditions Eyrolles, 1973. Chaljub, BĂ©nĂ©dicte, Candilis, Josic, Woods, Paris Infolio, 2010. Culot, Maurice, Albert Laprade, 1883-1978, Paris Norma, CitĂ© de l’architecture et du patrimoine, 2007. Cupers, Kenny, GĂ©ographie Volontaire and the Territorial Logic of Architecture, Architectural Histories, 41 3, 2016 pp. 1–13. Dessus, Gabriel, George, Pierre, Weulersse, Jacques, MatĂ©riaux pour une gĂ©ographie volontaire de l’industrie française, Paris Armand Colin, 1949. Focillon, Henri, Vie des formes, Paris Presses universitaires de France, 1934. Francastel, Pierre, Art et technique aux 19e et 20e siĂšcles, Paris Gallimard, 1988 réédition. Gravier, Jean-François, L’espace vital, Paris Flammarion, 1984. Heinich, Nathalie, La fabrique du patrimoine De la cathĂ©drale Ă  la petite cuillĂšre », Paris Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009. Howard, Ebenezer, To-morrow a peaceful path to real reform, Londres Swan Sonnenschein & Co. 1898. Jackson, John Brinckerhoff, Discovering the vernacular landscape, Yale, Yale University Press, 1984. Labasse, Jean, L’organisation de l’espace. ÉlĂ©ments de gĂ©ographie volontaire, Paris Hermann, 1966. Maumi, Catherine, Thomas Jefferson et le projet du Nouveau monde, Paris Éditions de la Villette, 2007. Moindrot, Claude, L’amĂ©nagement du territoire en Grande-Bretagne, Caen FacultĂ© des lettres et sciences humaines de l’UniversitĂ© de Caen, 1967. Parent, Claude, Rencontre du site et de l’architecture nuclĂ©aire, in Revue française de l’électricitĂ©, 1978, pp. 19-20. Pressouyre, LĂ©on, Le rĂȘve cistercien, Paris Gallimard, 1990. Pouvreau, BenoĂźt. La politique d’amĂ©nagement du territoire d’EugĂšne Claudius-Petit », VingtiĂšme SiĂšcle. Revue d’histoire, vol. no 79, no. 3, 2003, pp. 43-52. Venturi, Robert, Scott Brown, Denise, Izenour, Steven Learning from Las Vegas. The Forgotten Symbolism of Architectural Forms, Cambridge MIT Press, 1972. Tables des illustrations Figure 1 Plan de la ville et du port de Savannah, État de GĂ©orgie, États-Unis, Moss Eng. Co., NY, 1818, © WikimĂ©dia commons. Figure 2 UnitĂ© touristique de la Grande-Motte, HĂ©rault, France, © WikimĂ©dia Commons. Figure 3 The downstream face of the spillway at the Tennessee Valley Authority Fort Loudon Dam, photographe inconnu, Juin 1940, National Archives and Records Administration, Franklin D. Roosevelt Library, © WikimĂ©dia commons. Figure 4 Plan du barrage hydroĂ©lectrique de Fort Loudoun, 1939, Tennessee Valley Authority, The Fort Loudoun Project A Comprehensive Report on the Planning, Design, Construction, and Initial Operations of the Fort Loudoun Project, Technical Report No. 11, © WikimĂ©dia commons. Figure 5 Plan directeur de la communautĂ© planifiĂ©e de Norris, 1933-1935, Tennessee Valley Authority, The Norris Project A Comprehensive Report on the Planning, Design, Construction, and Initial Operations of the Tennessee Valley Authority’s First Water Control Project, Technical Report No. 1, WikimĂ©dia Commons. Figure 6 Vue d’ensemble du barrage de GĂ©nissiat, Leroy Thierry, © RĂ©gion Auvergne-RhĂŽne-Alpes, Inventaire gĂ©nĂ©ral du patrimoine culturel. Nathalie, Heinich, La fabrique du patrimoine De la cathĂ©drale Ă  la petite cuillĂšre », Paris Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009. [↩]Devenu le label Architecture contemporaine remarquable. En ligne [consultĂ© le 22/03/2022]. [↩]Cupers, Kenny, GĂ©ographie Volontaire and the Territorial Logic of Architecture, Architectural Histories, 41 3, 2016 pp. 1–13. [↩]Gravier, Jean-François, Paris et le dĂ©sert français, Paris Le Portulan, 1947. [↩]Labasse, Jean, L’organisation de l’espace. ÉlĂ©ments de gĂ©ographie volontaire, Paris Hermann, 1966. [↩]ibidem [↩]Moindrot, Claude, L’amĂ©nagement du territoire en Grande-Bretagne, Caen FacultĂ© des lettres et sciences humaines de l’UniversitĂ© de Caen, 1967. [↩]Dessus Gabriel, George, Pierre, Weulersse, Jacques, MatĂ©riaux pour une gĂ©ographie volontaire de l’industrie française, Paris Armand Colin, 1949. [↩]Pouvreau, BenoĂźt. La politique d’amĂ©nagement du territoire d’EugĂšne Claudius-Petit », VingtiĂšme SiĂšcle. Revue d’histoire, vol. no 79, no. 3, 2003, pp. 43-52. [↩]Labasse, Jean, L’organisation de l’espace. ÉlĂ©ments de gĂ©ographie volontaire, Paris Hermann, 1966. [↩]Focillon, Henri, Vie des formes, Paris Presses universitaires de France, 1934. [↩]Gravier, Jean-François, L’espace vital, Paris Flammarion, 1984. [↩]Bloch, Marc, Les caractĂšres originaux de l’histoire rurale française, Oslo H. Aschehoug & Co W. Nygaard, 1931. [↩]Pressouyre, LĂ©on, Le rĂȘve cistercien, Paris Gallimard, 1990. [↩]Howard, Ebenezer, To-morrow a peaceful path to real reform, Londres Swan Sonnenschein & Co. 1898. [↩]L’historienne Catherine Maumi s’est intĂ©ressĂ© Ă  ce passage de la carte au plan dans les projets d’amĂ©nagement du Nouveau monde Ă  tra Public Land Survey System créé par l’Ordonnance de 1785 qui divise les terres Ă  l’ouest des Appalaches en parcelles rectangulaires destinĂ©es Ă  la revente, le projet de Thomas Jefferson Ă©tant d’y crĂ©er une nation de yeoman farmers Ă©gaux. Voir Maumi, Catherine, Thomas Jefferson et le projet du Nouveau monde, Paris Éditions de la Villette, 2007. [↩]L’UNESCO dĂ©finit le paysage culturel comme des ƒuvres conjuguĂ©es de l’ĂȘtre humain et de la nature, ils expriment une longue et intime relation des peuples avec leur environnement ». Au sens strict, il dĂ©signe ce que John Brinckerhoff Jackson appelle le paysage vernaculaire » comme les terroirs. En ligne, [consultĂ© le 23/03/2022] [↩]Jean-Marc Besse. Le paysage, entre le politique et le vernaculaire. RĂ©flexions Ă  partir de John Brinckerhoff Jackson. ARCHES, Association Roumaine des Chercheurs Francophones en Sciences Humaines, 2003, 6, [↩]Jackson, John Brinckerhoff, Discovering the vernacular landscape, Yale, Yale University Press, 1984. [↩]La notion de territoire se dĂ©finit comme l’exercice d’une souverainetĂ© politique sur un espace gĂ©ographique. [↩]En ligne, [consultĂ© le 28/03/2022] [↩]En ligne, [consultĂ© le 23/03/2022] [↩]Bellier, Corinne, Delorme, Franck, Toulier, Bernard Collectif, Tous Ă  la plage ! Villes balnĂ©aires du XVIIIe siĂšcle Ă  nos jours, Paris LiĂ©nart/CitĂ© de l’architecture et du patrimoine, 2016. [↩]Chaljub, BĂ©nĂ©dicte, Candilis, Josic, Woods, Paris Infolio, 2010. [↩]Candilis, Georges, Recherches sur l’architecture des loisirs, Paris Éditions Eyrolles, 1973. [↩]Cupers, Kenny, GĂ©ographie Volontaire and the Territorial Logic of Architecture, Architectural Histories, 41 3, 2016 pp. 1–13. [↩]En ligne. [consultĂ© le 23/03/2022] [↩]Maurice Culot, Albert Laprade, 1883-1978, Paris Norma, CitĂ© de l’architecture et du patrimoine, 2007. [↩]ibidem [↩]Francastel, Pierre, Art et technique aux 19e et 20e siĂšcles, Paris Gallimard, 1988 réédition. [↩]Andrieux, Jean-Yves, Le patrimoine industriel, Paris Presses universitaires de France, 1992. [↩]Parent, Claude, Rencontre du site et de l’architecture nuclĂ©aire, in Revue française de l’électricitĂ©, 1978, pp. 19-20. [↩]Venturi, Robert, Scott Brown, Denise, Izenour, Steven Learning from Las Vegas. The Forgotten Symbolism of Architectural Forms, Cambridge MIT Press, 1972. [↩]Blain, Catherine. L’Atelier de Montrouge et le Vaudreuil », Ethnologie française, vol. 33, no. 1, 2003, pp. 41-50. [↩]European Pressurized Reactor. [↩] Introduction d’Élodie Bitsindou TĂ©lĂ©charger la prĂ©sentation de la journĂ©e doctorale au format pdf. Introduction prĂ©sentĂ©e le 20 janvier 2022. Les hommes qui recouvrirent le tympan d’Autun ne le voyaient pas, du moins en tant qu’Ɠuvre d’art. Pour que l’Ɠuvre soit inventoriĂ©e, il faut qu’elle soit devenue visible MALRAUX, 1964, p. 4». AndrĂ© Malraux, 1964 La question patrimoniale se pose gĂ©nĂ©ralement Ă  un moment de toute recherche en histoire de l’art. La dĂ©finition mĂȘme de la notion ne fait pourtant pas l’objet d’un consensus dans la discipline. Cette absence de consensus en fait un sujet passionnant, mais dont l’appropriation peut s’avĂ©rer difficile. La patrimonialisation apparait souvent comme l’aboutissement d’un travail de recherche. Mais parfois, des dĂ©tours sont nĂ©cessaires dans ce processus. Parfois, la nature mĂȘme d’un objet d’étude peut pousser Ă  reconsidĂ©rer ce que reprĂ©sente le patrimoine, ou bien Ă  rĂ©inventer sa mise en Ɠuvre. Nous pensons Ă  nos propres recherches sur l’architecture pavillonnaire, oĂč la manipulation de la notion de patrimoine – et mĂȘme d’architecture – sont des exercices complexes, qui nĂ©cessitent nombre de remises en question, mais dont les rĂ©sultats sont ĂŽ combien riches d’enseignements. La question patrimoniale est le produit d’une longue Ă©volution. Au Moyen-Ăąge, si la notion de patrimoine n’existe pas encore, les artefacts associĂ©s Ă  la religion et Ă  la monarchie sont perçus comme des objets Ă  sauvegarder. À la Renaissance, l’Italie voit naĂźtre les premiĂšres collections particuliĂšres, renfermant vestiges antiques, Ɠuvres d’arts et spĂ©cimens naturels. En France, le XVIIIe siĂšcle, voit apparaĂźtre les premiĂšres initiatives publiques de protection. À l’issue de la RĂ©volution, l’État chargĂ© d’élire les biens nationaux Ă  protĂ©ger crĂ©e la Commission des monuments. Une centaine d’annĂ©es plus tard, la loi de 1913 consacre le statut des monuments historiques, tout en leur accordant une dĂ©finition adaptable aux courants de pensĂ©es successifs. Cette conception mouvante prime encore dans la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle. La notion s’est en effet Ă©largie au patrimoine culturel et naturel, et Ă©tendue Ă  l’échelle mondiale. En 1972, l’Unesco dĂ©finit le patrimoine matĂ©riel comme les monuments ou les ensembles qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art, de la science, de l’ethnologie ou de l’anthropologie1». En 2003, l’institution reconnait l’existence d’un patrimoine culturel immatĂ©riel. Selon Krzysztof Pomian, tous les objets porteurs de caractĂšres visibles susceptibles de recevoir des significations2» sont prompts Ă  devenir patrimoniaux. Aujourd’hui, le patrimoine est finalement tout ce qui fonde l’identitĂ© culturelle d’un lieu, d’un site, d’un peuple3.» Si cet Ă©largissement peut ĂȘtre perçu comme un glissement pouvant porter Ă  confusion, il rend possible l’inclusion de champs inĂ©dits et l’action de nouveaux publics. Si l’acte de patrimonialisation concerne ce qui est jugĂ© digne d’ĂȘtre conservĂ©, connu, voire cĂ©lĂ©brĂ©, et transmis aux gĂ©nĂ©rations suivantes4», alors l’intĂ©rĂȘt patrimonial n’est jamais neutre mais toujours une construction, porteuse d’une volontĂ© qu’elle soit politique, ou citoyenne. La patrimonialisation est une chaĂźne, dont la protection n’est que le dernier maillon. Les rĂ©cents labels tels qu’Architecture contemporaine et Jardins remarquables, ont su montrer l’importance de l’acte de signalement dans le processus. Dans ce vaste champ conceptuel, de nouveaux objets entrent rĂ©guliĂšrement dans ce qui est considĂ©rĂ© comme patrimoine, tandis que d’autres peinent Ă  se faire admettre ce statut. En effet, au-delĂ  des questions de dĂ©finition, chaque Ă©poque a le patrimoine qu’elle veut bien Ă©lire en tant que tel, qu’elle juge digne de protĂ©ger et transmettre. En cela, le patrimoine est avant tout un fait de l’esprit ; et ce sont les idĂ©ologies et les systĂšmes de valeurs successifs qui prĂ©sident aux diffĂ©rentes formes que le patrimoine prendra au fil du temps. Ainsi, lorsqu’on souhaite faire entrer un sujet ou un objet dans le processus patrimonial, certaines questions doivent nĂ©cessairement se poser. Pourquoi patrimonialiser, pour quels objectifs et quels usages, par quels moyens ? Et enfin, Qui fabrique le patrimoine ? Serait-ce les usagers ? les touristes ? les artistes ? les historiens et les spĂ©cialistes de la question ? Cette journĂ©e d’étude eut pour ambition de brosser un Ă©tat des lieux des perspectives patrimoniales en histoire de l’art. Cet Ă©ventail d’approches nous a invitĂ© Ă  rĂ©inventer concepts, mĂ©thodes, objectifs et Ă©chelles, pour dĂ©signer, inventorier, protĂ©ger, partager ces biens patrimoniaux. Élodie Bitsindou Bibliographie. LE HÉGARAT, 2015 LE HÉGARAT Thibault, Un historique de la notion de patrimoine, 2015. [En ligne] [consultĂ© le 12 04 2022] MALRAUX, 1978 MALRAUX AndrĂ©, PrĂ©face », in, CHASTEL AndrĂ©, L’inventaire gĂ©nĂ©ral des monuments et des richesses artistiques de la France, Paris MinistĂšre de la culture et de la communication, 1978. POMIAN, 1990 POMIAN, Krzysztof, MusĂ©e et patrimoine », in, JEUDY Henri Pierre, Patrimoines en folie, Paris Maison des sciences de l’homme, 1990. [En ligne] [consultĂ© le 12 04 2022] UNESCO, 1972 UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, 1972. [En ligne] [consultĂ© le 12 04 2022] Table des illustrations. Couverture BITSINDOU Élodie, Le patrimoine qui n’est pas regardĂ© est un patrimoine en danger. Chantier de la rĂ©sidence pĂ©riurbaine Villa Pontelloise » Ă  l’emplacement d’une ancienne maison briarde, Pontault-Combault, 2018. UNESCO, 1972, p. [↩]POMIAN, 1990, p. 181. [↩]LE HÉGARAT, 2015, p. 9. [↩]LE HÉGARAT, 2015, p. 10. [↩] Article Ă©crit par Katia Thomas TĂ©lĂ©charger l’article au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le 20 janvier 2022. SituĂ© en Himalaya, l’état du Sikkim 7107 km2 fait partie de l’Union Indienne et partage ses frontiĂšres avec l’état du Bengale-Occidental au sud, le NĂ©pal Ă  l’ouest, le Bhoutan Ă  l’est et la rĂ©gion autonome du Tibet de la RĂ©publique Populaire de Chine au nord fig. 1. Sa capitale est Gangtok et sa population compte environ 650 000 habitants. Selon la prophĂ©tie Ă©noncĂ©e par le maitre bouddhiste Padmasambhava Guru RinpochĂ© au VIIIe siĂšcle, le royaume du Sikkim a Ă©tĂ© fondĂ© au XVIIe siĂšcle par la dynastie Namgyal issue de la migration des Bhutia d’origine tibĂ©taine. Les Chogyal titre donnĂ© aux rois sikkimais ont dĂ©veloppĂ© des relations privilĂ©giĂ©es avec les souverains et les maitres religieux du Tibet et ont su prĂ©server leur indĂ©pendance jusqu’à l’arrivĂ©e des Anglais dans la rĂ©gion au XIXe siĂšcle. En 1918, libĂ©rĂ© du protectorat anglais pour les affaires intĂ©rieures, le royaume retrouve une certaine indĂ©pendance qui deviendra de plus en plus difficile Ă  maintenir dans le contexte gĂ©opolitique de la rĂ©gion himalayenne Ă  partir des annĂ©es 1950. La monarchie est abolie en 1975 et le Sikkim devient un Ă©tat indien. La crĂ©ation de l’Institut Namgyal de TibĂ©tologie Ă  Gangtok en 1958 par le roi Tashi Namgyal 1893-1963 s’envisage dans la continuitĂ© des liens religieux et politiques Ă©tablis avec le Tibet depuis des siĂšcles. Sa mission principale est la collecte et la prĂ©servation d’ouvrages bouddhistes des diffĂ©rentes Ă©coles tibĂ©taines. Si l’institut s’est donc concentrĂ© sur l’enrichissement de sa bibliothĂšque, quelques Ɠuvres d’art lui ont Ă©tĂ© offertes dans les premiĂšres annĂ©es suivant sa crĂ©ation et c’est une vĂ©ritable collection qui s’est par la suite constituĂ©e au fil des annĂ©es grĂące Ă  d’autres dons et des achats. Elle compte aujourd’hui 474 Ɠuvres, surtout bouddhistes sculptures, objets rituels, thangkas peints et brodĂ©s, manuscrits et masques mais aussi des objets non-religieux bijoux, instruments de musique, monnaies. Cet exemple d’une initiative musĂ©ale exclusivement locale et dĂ©veloppĂ©e dĂšs les annĂ©es 1960 est unique en Himalaya. Nous prĂ©sentons ici comment ce musĂ©e, qui semble si modeste au premier abord, tĂ©moigne d’une rĂ©flexion patrimoniale diffĂ©rente du modĂšle existant en Occident pour les collections himalayennes. Fig. 1. Situation gĂ©ographique du Sikkim en Inde. Bref historique de l’Institut. Le XIVe DalaĂŻ-Lama pose la premiĂšre pierre de l’institut le 10 fĂ©vrier 19571 et le Premier Ministre Nehru l’inaugure le 01 octobre 19582. Le roi du Sikkim est alors le Chogyal3 Tashi Namgyal mais son fils, le prince hĂ©riter GyelsĂ© Palden Thontup Namgyal 1923-1982 Ɠuvre Ă  ses cĂŽtĂ©s4. Ce dernier est le premier prĂ©sident de l’institut et veille Ă  son dĂ©veloppement. La charte dĂ©taillant son organisation et ses missions est rĂ©alisĂ©e le 28 octobre 1958 si les discours5 prononcĂ©s lors des premiĂšres cĂ©rĂ©monies ne mentionnaient pas la constitution d’une collection d’art, l’article viii de cette charte l’indique clairement6. Le bĂątiment principal de l’institut fig. en couverture est construit dans le style traditionnel du Sikkim et rappelle l’architecture des monastĂšres bouddhistes de la rĂ©gion. Le premier Ă©tage est rĂ©servĂ© Ă  la bibliothĂšque tibĂ©taine tandis que le rez-de-chaussĂ©e accueille aujourd’hui le musĂ©e, dans un espace se composant d’une grande salle 225m2 env. et d’une petite salle annexe consacrĂ©e Ă  une prĂ©sentation ethnographique des Lepcha, une population ancienne du Sikkim. I. Une approche pluridisciplinaire. La collection de l’institut est prĂ©sentĂ©e selon une approche pluridisciplinaire, mĂȘlant l’histoire de l’art et l’ethnographie, les arts sacrĂ© et profane. Le parcours est thĂ©matique, regroupant les Ɠuvres selon leur iconographie ou leur nature puisque le manque d’informations sur les provenances et les datations rend difficile une approche chronologique ou stylistique. Ces choix musĂ©ographiques diffĂšrent de la prĂ©sentation courante de l’art himalayen dans les musĂ©es occidentaux. Les objets tibĂ©tains, arrivĂ©s surtout au XXe siĂšcle et en nombre aprĂšs les Ă©vĂšnements de l’invasion chinoise et de la rĂ©volution culturelle, ont Ă©tĂ© rĂ©partis en deux catĂ©gories les objets considĂ©rĂ©s comme beaux et sacrĂ©s selon nos critĂšres ont Ă©tĂ© placĂ©s dans des musĂ©es d’art et ont fait l’objet d’études iconographiques et stylistiques tandis que les objets dits ethnographiques », moins esthĂ©tiques » pour les yeux occidentaux, ont Ă©tĂ© conservĂ©s dans les musĂ©es correspondant Ă  cette discipline et restent encore aujourd’hui moins documentĂ©s, moins exposĂ©s aussi en tĂ©moigne leur rĂ©partition entre le MusĂ©e Guimet et le MusĂ©e du Quai Branly hĂ©ritier des collections de l’ancien MusĂ©e de l’Homme. Ces catĂ©gories nous interrogent car l’exemple de l’institut montre qu’en contexte himalayen, elles n’existent pas et nous pouvons le constater avec les statues contemporaines de Drakar Tashiding Ă  103, fig. 2. RĂ©alisĂ©es en bois et selon une esthĂ©tique simple, celles-ci sont prĂ©sentĂ©es dans une vitrine similaire aux sculptures mĂ©talliques plus classiques, sans distinction de catĂ©gorie. Leur importance sacrĂ©e provient de leur iconographie et de leur matĂ©riau spĂ©cifique voir ci-aprĂšs. Dans un musĂ©e occidental, une apprĂ©ciation purement esthĂ©tique les aurait probablement associĂ©es plus Ă  une collection ethnographique qu’à une vitrine d’art bouddhique. Cet exemple nous montre de plus, au-delĂ  de l’aspect musĂ©ographique, Ă  quel point il est important d’aborder aussi le travail de documentation de l’art himalayen avec la mĂȘme approche pluridisciplinaire. Une analyse stylistique classique ne suffit pas pour comprendre ces sculptures seules des recherches historiques et ethnographiques renseignent sur l’importance des personnages reprĂ©sentĂ©s et le caractĂšre sacrĂ© du bois utilisĂ©. Bien sĂ»r, ces catĂ©gories ont Ă©tĂ© utiles dans un premier temps pour comprendre les objets himalayens, mais sont-elles encore pertinentes aujourd’hui ? Ne pourrait-on pas envisager, Ă  l’image de ce qui est fait Ă  l’institut et d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale dans les musĂ©es en Himalaya, de croiser davantage les regards dans leurs analyses ? Si les sources historiques, religieuses et littĂ©raires sont dĂ©jĂ  souvent utilisĂ©es pour les documenter, intĂ©grer davantage l’ethnographie pourraient enrichir notre connaissance, notamment sur leur usage. Cet aspect nous semble d’autant plus important pour des Ɠuvres conservĂ©es loin de leur contexte d’origine. Fig. 2. Ensemble de quatre sculptures en bois de Drakar Tashiding Ă  103 reprĂ©sentant de haut en bas les maitres bouddhistes Ngadag Phuntshog Rigzin 1592-1656, Kathog Kuntu Zangpo XVIIe s, dates prĂ©cises inconnues, Lhatsun Namkha Jigme 1597–1654 et le Chogyal Phuntshog Namgyal 1604-1670. H. 30 Ă  36 cm. L. 14 Ă  16 cm. ConservĂ©es Ă  l’Institut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. II. La valorisation de l’identitĂ© sikkimaise. Si l’appellation art himalayen » peut s’avĂ©rer pratique en Occident quand la provenance prĂ©cise d’un objet reste inconnue, elle est peu pertinente en Himalaya oĂč les identitĂ©s rĂ©gionales sont connues et de plus en plus valorisĂ©es. Cette dĂ©nomination fort large reflĂšte la mĂ©connaissance que nous avons eue pendant longtemps de ces spĂ©cificitĂ©s rĂ©gionales7. A l’institut, la musĂ©ographie ancre la collection dans l’environnement local et certains objets sont directement en lien avec l’identitĂ© rĂ©gionale sikkimaise8. La musĂ©ographie de la salle principale9 est au goĂ»t sikkimais fig. 3. L’espace est divisĂ© en trois par des vitrines hautes verticales accueillant des thangkas de chaque cĂŽtĂ©. D’autres vitrines, le long des murs, prĂ©sentent Ă  mi-hauteur des sculptures et des thangkas au-dessus. Le mur du fond est entiĂšrement recouvert de vitrines et au centre de la piĂšce se trouvent six vitrines triangulaires basses. Toutes ces vitrines, Ă  fond rouge, sont en bois et dĂ©corĂ©es de motifs traditionnels sikkimais fleurs, coupes d’offrandes, dragons
 On les retrouve sur les colonnes et les poutres de la salle, ce qui donne un aspect trĂšs colorĂ© Ă  l’ensemble. Cette musĂ©ographie permet au visiteur de se sentir accueilli comme dans une belle maison sikkimaise oĂč le mobilier traditionnel est dĂ©corĂ© des mĂȘmes motifs et couleurs. Fig. 3. MusĂ©ographie au goĂ»t sikkimais du musĂ©e de l’institut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. Il existe au sein de la collection de l’institut un certain nombre d’objets directement en lien avec le Sikkim, le plus souvent par leur iconographie mais quelque fois par leur matĂ©riau et/ou leur lieu de fabrication. Dans cet ensemble, les Ɠuvres les plus marquantes sont une sĂ©rie de sept thangkas qui relatent l’histoire du Sikkim Ă  35210. CommandĂ©es par le Chogyal Palden Thondup Namgyal dans les annĂ©es 1960, elles ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es par le peintre sikkimais Rinzing Lhadripa Lama 1912-1977 Ă  partir du texte historique Denjong Gyalrab. quatre sculptures en bois Ă  103, fig. 2 reprĂ©sentant le premier Chogyal du Sikkim et les trois maitres tibĂ©tains11 qui selon l’historiographie ont procĂ©dĂ© Ă  son couronnement en 1642. Elles ont Ă©tĂ© achetĂ©es Ă  M. Sangay Tenzin, un moine de Drakar Tashiding ouest du Sikkim, le 30 juin 1981 et ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es dans le bois d’un arbre sacrĂ© du site foudroyĂ© en 197512. Drakar Tashiding est important pour les Sikkimais c’est le centre sacrĂ© du Sikkim, d’oĂč Guru RinpochĂ© a bĂ©ni toute la rĂ©gion au VIIIe siĂšcle13 et le rituel du Bum Chu, qui s’y tient tous les ans depuis 1646, permet de dĂ©terminer le destin du Sikkim pour l’annĂ©e Ă  venir14. deux masques fig. 4 reprĂ©sentant Dzönga la divinitĂ© protectrice du Sikkim associĂ©e au Mont Kangchendzonga situĂ©e Ă  la frontiĂšre avec le NĂ©pal, 8 586m d’altitude, et Mahākāla-YapdĂŒ la forme locale du dieu protecteur Mahākāla. Ils apparaissent lors des danses de Pang Lhabsol, qui est le rituel national en l’honneur des divinitĂ©s du Sikkim. Ses origines remontent au XIIIe siĂšcle lorsque l’ancĂȘtre tibĂ©tain des rois sikkimais, Khe-Bhumsa, et le chef Lepcha, Thekong-Tek, se prĂȘtĂšrent serment de fraternitĂ© en invoquant Dzönga comme tĂ©moin15. Ce rituel, en plus de son importance religieuse et politique passĂ©e, joue un rĂŽle dans l’affirmation de l’identitĂ© contemporaine sikkimaise16. une piĂšce de monnaie locale fig. 5, objet unique dans la collection et rare puisqu’il n’en reste qu’une trentaine dans le monde17. Il n’existait pas de monnaie locale au Sikkim avant l’arrivĂ©e de marchands nĂ©palais nommĂ©s Pradhan » Ă  la fin du XIXe siĂšcle. Ces frĂšres achetĂšrent des terres et le droit d’y extraire du cuivre pour frapper une monnaie afin de commercer avec le NĂ©pal et la rĂ©gion de Darjeeling. Elle n’a Ă©tĂ© frappĂ©e qu’entre 1883 et 1885 car ni les Anglais, ni les NĂ©palais n’autorisĂšrent sa circulation dans leurs juridictions respectives. Fig. 4. Masques en argile reprĂ©sentant Dzönga H. 30 cm. L. 26,5 cm, la divinitĂ© protectrice du Sikkim et Mahākāla-YapdĂŒ H. 31,5 cm. L. 25 cm, la forme locale du dieu protecteur Mahākāla. ConservĂ©s Ă  l’Institut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. Tous ces objets prĂ©sentent des caractĂ©ristiques iconographiques en lien avec l’histoire et les croyances religieuses de la rĂ©gion. L’institut a donc Ă©tĂ© pionnier dans sa volontĂ© de valoriser l’identitĂ© sikkimaise mais il n’est pas restĂ© un exemple unique. Les populations himalayennes, conscientes du rĂŽle important que peut jouer un musĂ©e et la valorisation du patrimoine dans l’affirmation d’une identitĂ©, ont depuis les annĂ©es 2000 multipliĂ© les initiatives. La mise en avant de ces identitĂ©s rĂ©gionales rĂ©sonne comme une invitation Ă  mieux documenter la provenance des Ɠuvres conservĂ©es en Occident. Encore souvent prĂ©sentĂ©es sous les termes himalayen » ou tibĂ©tain », certaines pourrait ĂȘtre mieux mises en valeur si leurs spĂ©cificitĂ©s rĂ©gionales Ă©taient documentĂ©es. III. La place du sacrĂ©. Les musĂ©es en Himalaya tĂ©moignent aussi d’une rĂ©flexion musĂ©ologique diffĂ©rente du modĂšle existant en Occident Ă  propos de la place du sacrĂ© au musĂ©e. Les choix faits sur la maniĂšre de conserver le patrimoine religieux bousculent les limites posĂ©es en France entre le musĂ©e et le lieu de culte. Le dĂ©veloppement des colloques en Asie consacrĂ©s spĂ©cifiquement aux questions du patrimoine bouddhique18 a naturellement encouragĂ© cette rĂ©flexion et nourri cette volontĂ© d’adaptation. LĂ  encore, l’exemple de l’institut nous montre comment la question du rapport au sacrĂ© se pose de façons diverses. Tout d’abord, pour de nombreux visiteurs le sentiment religieux prime sur la contemplation esthĂ©tique au sein de ce musĂ©e temple » les rĂšgles de visite imposent de laisser ses chaussures sous le porche comme dans un monastĂšre et de nombreux visiteurs commencent par se prosterner devant la statue centrale de MañjuƛrÄ« avant de dĂ©buter leur visite. L’ancien directeur M. Sinha Ă©voque dĂ©jĂ  ce sentiment religieux Ă  propos des premiers dons dans les annĂ©es 1960 motivĂ©s par le fait que l’institut Ă©tait assimilĂ© Ă  un lieu de conservation sacrĂ© » selon ses termes19. De mĂȘme, le personnel du musĂ©e dĂ©pose chaque matin des offrandes devant ce mĂȘme MañjuƛrÄ« des bols d’eau et, lors de notre entretien avec le directeur Feu M. Tashi Densapa dĂ©cĂ©dĂ© en 2021, il a indiquĂ© par deux fois avec fiertĂ© que la collection avait reçu la bĂ©nĂ©diction du DalaĂŻ-Lama lors de sa visite en 2010. Cet acte religieux est considĂ©rĂ© comme un Ă©lĂ©ment protecteur participant Ă  la prĂ©servation de la collection. Nous avons aussi observĂ© sur place que certains objets pouvaient quelquefois ĂȘtre dĂ©placĂ©s temporairement de la collection pour un usage religieux. Bien sĂ»r, ces manipulations sont rares et toujours avec beaucoup de prĂ©cautions mais cela nous a Ă©tonnĂ©. Deux visions diffĂ©rentes des Ɠuvres se rencontrent ici ceux-ci sont tout autant des objets religieux que des Ɠuvres d’art et on se confronte Ă  l’éternelle difficultĂ© de concilier ces deux aspects dans ce qui touche Ă  leur conservation. Alors mĂȘme que les manipulations des objets que nous avons dĂ» faire pour les nettoyer et les photographier pendant nos recherches ont pu heurter certaines sensibilitĂ©s Ă  l’institut, cela nous questionne de voir des Ɠuvres sorties de leur vitrine ou de la rĂ©serve pour des cĂ©lĂ©brations Ă  l’institut. Si une telle situation ne pourrait aujourd’hui ĂȘtre envisagĂ©e dans un musĂ©e français, rappelons tout d’abord qu’elle a dĂ©jĂ  existĂ© lors des cĂ©rĂ©monies bouddhiques organisĂ©es par M. Guimet Ă  la fin du XIXe s par exemple et ensuite, qu’un musĂ©e situĂ© en rĂ©gion himalayenne se trouve dans son contexte culturel d’origine, oĂč naturellement le point de vue religieux sur ces objets prend le pas sur l’application stricte des rĂšgles de conservation prĂ©ventive. C’est prĂ©cisĂ©ment Ă  l’occasion d’une intervention de restauration que nous avons mesurĂ© l’importance accordĂ©e au sacrĂ© en contexte musĂ©al himalayen. Si celle-ci est nĂ©cessaire pour la prĂ©servation de l’Ɠuvre, elle est bien sĂ»r mise en Ɠuvre mais dans le respect des rites bouddhiques comme si l’objet Ă©tait conservĂ© dans un monastĂšre. En septembre 2018, Mme Pema Kesang assistante en charge de la collection Ă  cette date nettoya la statue de MañjuƛrÄ« pour la photographier elle dĂ©couvrit qu’une des fines plaques d’argent qui recouvrent cette sculpture en cuivre Ă©tait abimĂ©e Ă  l’arriĂšre fig. 6. Celle-ci a Ă©tĂ© remplacĂ©e mais, faute de moyen, simplement recouverte de peinture argentĂ©e et le rĂ©sultat est assez peu esthĂ©tique. MalgrĂ© cela, nous avons constatĂ© que pour l’équipe de l’institut, le plus important n’était pas tant la qualitĂ© visuelle de la restauration, dans la mesure oĂč il leur fallait bien s’adapter aux contraintes matĂ©rielles, que l’assurance d’avoir un moine viennent faire les priĂšres requises avant de dĂ©placer la statue et aprĂšs sa remise en Ă©tat pour qu’elle soit bien consacrĂ©e Ă  nouveau. Fig. 6. Restauration de la plaque arriĂšre de la statue de MañjuƛrÄ« cuivre et argent, H. 1m67. L. 1m15. ConservĂ©e Ă  l’Institut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. L’ensemble des Ă©lĂ©ments Ă©voquĂ©s ici nous montre bien qu’en Himalaya, le sacrĂ© n’est pas totalement exclu des musĂ©es. L’exemple de cette restauration tĂ©moigne d’une collaboration possible entre des professionnels de musĂ©es et un officiant religieux. Si nous transposions cette situation en contexte français, dans quelle mesure certains aspects religieux pourraient-ils ponctuellement trouver une place au musĂ©e ? Peut-ĂȘtre pourrait-on envisager qu’ils contribuent Ă  une conservation plus respectueuse des pratiques existant dans le contexte d’origine de l’Ɠuvre ? Il ne s’agit pas de transformer la nature laĂŻque du musĂ©e français mais, dans une dĂ©marche plus inclusive et respectueuse des communautĂ©s, de considĂ©rer l’importance de certaines pratiques pour les objets d’art sacrĂ©. Ainsi, il nous semble que l’exemple de ce musĂ©e sikkimais propose de nouvelles perspectives pour une rĂ©flexion d’ensemble sur l’art himalayen privilĂ©gier une approche pluridisciplinaire est souvent la clĂ© pour mieux documenter les Ɠuvres, distinguer les caractĂ©ristiques des identitĂ©s rĂ©gionales en est une autre, et enfin, il nous encourage Ă  envisager diffĂ©remment la place du sacrĂ©. Afin de conclure, nous pouvons rappeler que, mĂȘme si la collection de l’Institut Namgyal de TibĂ©tologie de Gangtok s’est plutĂŽt constituĂ©e Ă  la faveur des dons qu’avec une rĂ©elle volontĂ© d’acquisition, sa diversitĂ© en fait toute sa richesse. L’institut occupe une place particuliĂšre parmi les musĂ©es himalayens en tant que premiĂšre initiative purement locale. MalgrĂ© le dĂ©fi que reprĂ©sente la prĂ©servation de sa collection dans les conditions climatiques du Sikkim et le manque de ressources humaines et matĂ©rielles dont il souffre, l’institut s’attache Ă  documenter ses Ɠuvres avec rigueur. Nous avons aussi exposĂ© comment ce musĂ©e, en dĂ©veloppant sa propre vision de son patrimoine, ouvre de nouvelles perspectives quant Ă  une approche pluridisciplinaire, la valorisation des identitĂ©s rĂ©gionales et le rapport au sacrĂ© pour les collections himalayennes conservĂ©es en Occident. Mais au-delĂ  de ces aspects, il nous semble important de croiser nos regards sur ces Ɠuvres. Les recherches menĂ©es en Himalaya et en Occident, une fois rassemblĂ©es, permettraient sans doute de retracer le parcours de certains objets. SauvĂ©s du pillage ou au contraire volĂ©s, les objets tibĂ©tains ont une histoire particuliĂšre mais sans dĂ©velopper une approche mutuelle, comment retracer leurs itinĂ©raires en exil ? Cela semble difficile sans construire une alliance des savoirs. Katia Thomas Bibliographie ARDUSSI, BALIKCI-DENJONGPA et SØRENSEN, 2021 Ardussi John, Balikci-Denjongpa Anna et SĂžrensen Per K., The Royal History of Sikkim a chronicle of the House of Namgyal, as narrated in tibetan by their Highnesses Chogyal Thutob Namgyal and Gyalmo Yeshe Dolma, Based upon the Preliminary Translation by Kazi Dawasamdup, Chicago, Bangkok Serindia, 2021. 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Situation gĂ©ographique du Sikkim en Inde. © Google Maps. Fig. 2. Ensemble de quatre sculptures en bois de Drakar Tashiding Ă  103 reprĂ©sentant de gauche Ă  droite les maitres bouddhistes Ngadag Phuntshog Rigzin 1592-1656, Kathog Kuntu Zangpo XVIIe s, dates prĂ©cises inconnues, Lhatsun Namkha Jigme 1597–1654 et le Chogyal Phuntshog Namgyal 1604-1670. H. 30 Ă  36 cm. L. 14 Ă  16 cm. ConservĂ©es Ă  l’Institut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Fig. 3. MusĂ©ographie au goĂ»t sikkimais du musĂ©e de l’institut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Fig. 4. Masques en argile reprĂ©sentant Dzönga H. 30 cm. L. 26,5 cm, la divinitĂ© protectrice du Sikkim et Mahākāla-YapdĂŒ H. 31,5 cm. L. 25 cm, la forme locale du dieu protecteur Mahākāla. ConservĂ©s Ă  l’Institut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Fig. 5. Restauration de la plaque arriĂšre de la statue de MañjuƛrÄ« cuivre et argent, H. 1m67. L. 1m15. ConservĂ©e Ă  l’Institut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Il est alors autorisĂ© par Mao Zedong Ă  se rendre en Inde pour les cĂ©lĂ©brations de la Buddha Jayanti 2 500e anniversaire de la naissance du Bouddha et ne reviendra Ă  l’institut que le 21 octobre 1981. [↩] D’ROZARIO, 1973. [↩] Au Sikkim, Chogyal » est le titre signifiant roi » ; GyelsĂ© » celui du prince hĂ©ritier ». [↩] Le GyelsĂ© Palden Thontup Namgyal est veuf en 1957 suite au dĂ©cĂšs de sa premiĂšre Ă©pouse, Sangay Deki, mĂšre de ses trois premiers enfants. Il rencontre Hope Cooke 1940- en 1959 Ă  Darjeeling mais leur relation ne commence qu’en 1961 et ils se marient en mars 1963. Le roi Tashi Namgyal dĂ©cĂšde en dĂ©cembre 1963 et Palden Thontup Namgyal est couronnĂ© Chogyal en 1965. Il aura deux enfants avec Hope puis le couple se sĂ©pare en 1973. [↩] Ces discours sont citĂ©s intĂ©gralement dans DENSAPA, 2008, [↩] viii to establish and maintain a library of printed works and a museum of iconography and religious arts, access to both extending beyond the members and scholars of the Institute; ». Le texte de la charte est reproduit en partie dans DENSAPA, 2008, [↩] DOLLFUS, 1997. [↩] MULLARD, 2011 et HILTZ, 2003. [↩] La seconde salle attenante est une annexe consacrĂ©e Ă  une prĂ©sentation ethnographique de la population Lepcha, ajoutĂ©e aprĂšs que la musĂ©ographie de la salle principale ait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e. [↩] Ces peintures sont reproduites dans ARDUSSI, BALIKCI DENJONGPA et SØRENSEN, 2021, p. 582-587. [↩] Il s’agit du Chogyal Phuntshog Namgyal 1604-1670 et pour les maitres de Ngadag Phuntshog Rigzin connu aussi sous le nom de Ngadag Sempa Chenpo 1592-1656, Kathog Kuntu Zangpo ou Kathog Rigzin Chenpo dates prĂ©cises inconnues et Lhatsun Namkha Jigme ou Lhatsun Chenpo 1597–1654. Quatre sculptures mĂ©talliques contemporaines des mĂȘmes personnages Ă  99 ont Ă©tĂ© offertes Ă  l’institut en 2007. [↩] Selon la mention portĂ©e au registre d’inventaire This statue is made of sacred tree’s branch of Tashiding which broke off due to lightening in 1975. ». [↩] VANDENHELSKEN, 2006, et DOKHAMPA, 2003, [↩] En observant la clartĂ© et le niveau de l’eau dans un vase sacrĂ© consacrĂ© par Guru RinpochĂ©. [↩] BALIKCI-DENJONGPA 2002, explique l’étymologie dpang lha gsol, offering to the witness deity ». [↩] POMMARET, 1994, It is interesting to note that in Sikkim, annual dances in honour of the mountain deity Gangs chen mdzod lnga Kanchenjunga took place in front of the Royal Palace. [
] In the early 1990s, these dances were suspended temporarily by the Indian government, which saw them as a nationalist and royalist manifestation. ». [↩] BHATTACHARYYA 1984 en rĂ©pertorie 32, la plupart en mains privĂ©es et en incluant celle conservĂ©e Ă  l’institut. Une dizaine d’entre elles apparaissent aux catalogues des ventes chez Spink Londres The Nicholas Rhodes Collection of coins of north east India part I du 24 septembre 2013 et idem part II du 27 septembre 2016. Ces piĂšces sont proches de celles frappĂ©es Ă  la mĂȘme Ă©poque au NĂ©pal, seule la mention Sikkim » les distingue. [↩] WIJESURIYA et LEE, 2013. [↩] SINHA Nirmal C., 1984, A few donors were frankly poor refugees from Central and Eastern Tibet and refused any payment; they firmly asserted that they were not sellers of images and that they donated these for safe custody in a place which was to them a sacred repository of scriptures and icons; the donors, rich and poor alike, would not call this Institute a library or museum as we do. ». [↩] Article Ă©crit par StĂ©phane Gaessler TĂ©lĂ©charger l’article au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le 20 janvier 2022 I. De la protection Ă  la destruction Ă©volution de la relation au patrimoine et Ă  sa protection de LĂ©nine Ă  Staline. Dans l’histoire soviĂ©tique la question du patrimoine a connu alternativement des pĂ©riodes favorables et tragiques. Cette oscillation, l’incohĂ©rence, voire l’illogisme qui a fondamentalement caractĂ©risĂ© la relation au patrimoine, participe d’un dĂ©veloppement culturel et idĂ©ologique qui a connu en URSS plusieurs phases contradictoires. On citera Ă  titre de rĂ©fĂ©rences les travaux de Vladimir Paperny1, Svetlana Boym 1959-20152 ou encore ceux d’AlexeĂŻ Yurchak3, qui ont montrĂ© chacun Ă  leur maniĂšre, l’instabilitĂ© fondamentale et les contradictions des discours officiels et des formations discursives » successives au sein de la civilisation » soviĂ©tique. Si l’on retient souvent l’Ɠuvre destructrice du pouvoir soviĂ©tique, on ne doit pas sous-estimer son rĂŽle important dans la mise en place des premiĂšres structures et institutions de protection en Russie, et dans le dĂ©veloppement d’une science de la restauration. Il faut enfin souligner le rĂŽle de personnalitĂ©s, d’hommes et de femmes, qui ont combattu, individuellement, parfois collectivement, pour la prĂ©servation et la restitution de ce patrimoine architectural, essayant de manƓuvrer, avec plus ou moins d’efficacitĂ©, dans les interstices et les Ă©troites parcelles d’initiatives qui n’étaient pas totalement recouvertes par la machine Ă©tatique soviĂ©tique. Il faut souligner que la protection des monuments historiques reçoit avec l’arrivĂ©e au pouvoir des BolchĂ©viques sa premiĂšre organisation Ă©tatique. Le dĂ©cret du Conseil des commissaires du peuple du 5 octobre 1918 Sur l’enregistrement, l’inventaire et la protection des monuments d’art et d’histoire, se trouvant en possession de personnes privĂ©es, de sociĂ©tĂ©s ou d’institutions4» institue un premier cadre juridique et normatif pour la protection du patrimoine matĂ©riel, artistique ou architectural se trouvant encore aux mains de sociĂ©tĂ©s et de propriĂ©taires privĂ©s. Le patrimoine acquiert aussi par ce dĂ©cret une valeur d’intĂ©rĂȘt national, puisque l’Etat est sensĂ© pourvoir Ă  son entretien et Ă  sa prĂ©servation. Le dĂ©cret prĂ©voit l’établissement d’un premier inventaire de tous les monuments d’art et d’histoire ĐŸĐ°ĐŒŃŃ‚ĐœĐžĐșĐž ОсĐșусстĐČа Đž ŃŃ‚Đ°Ń€ĐžĐœŃ‹ ainsi que la mise en place d’’une politique pĂ©dagogique et de promotion du patrimoine auprĂšs de la population. Cette disposition prĂ©voyait de ne pas changer le statut de propriĂ©tĂ© des biens en question, mais bien d’octroyer une aide pour leur protection. Le dĂ©cret du 23 janvier 1918 Sur la sĂ©paration de l’église de l’Etat et des Ă©coles de l’église »5 avait dĂ©jĂ  permis de nationaliser tous les biens de l’église. Le dĂ©cret du 27 avril 1918 Sur l’abolition du droit d’hĂ©ritage », permettra de nationaliser une grande partie du patrimoine privĂ©. En dĂ©cembre 1917 avait Ă©tĂ© créé le Narkomat des propriĂ©tĂ©s de la rĂ©publique, qui remplaçait l’ancien ministĂšre de la cour impĂ©riale, gestionnaire des rĂ©sidences du Tsar. En mai 1918, un collĂšge pan-russe des affaires musĂ©ales et de protection des monuments d’art et d’histoire est créé au sein du Narkompros commissariat populaire pour l’éducation dont le ministre est alors Anatoly Lunacharski 1875-1936. Lunacharski va soutenir une politique de protection patrimoniale assez ambitieuse, il considĂšre que les monuments doivent contribuer Ă  Ă©duquer artistiquement les masses. Le 10 juin 1918 est créée la Commission pan-russe pour la restauration des monuments, qui deviendra bientĂŽt les Ateliers centraux d’Etat de restauration. Les ateliers centraux Ă©tablissent les premiĂšres listes inventoriant les monuments d’architecture, ils Ă©tablissent des passeports » pour chaque monument fiches d’inventaire. En outre un certain nombre de chantiers de restauration sont ouverts dĂšs les premiĂšres annĂ©es du rĂ©gime soviĂ©tique. Au total 244 monuments d’architecture vont ĂȘtre restaurĂ©s entre 1918 et 19276. En 1918 est créée la Commission pour la restauration du Kremlin, sous la direction des architectes Fedor Schekhtel 1859-1926, Ilya Bondarenko 1870-1947, Nikolai Markovnikov 1869-1942 et Ivan Rylskij 1876-1952, il s’agit notamment de rĂ©parer les monuments ayant souffert des Ă©vĂ©nements rĂ©volutionnaires. Sur la Place rouge, la restauration de l’église Saint-Basile le bienheureux est conduite sous la direction de l’architecte-restaurateur Dmitri Sukhov 1867-1958. A Leningrad, d’importants chantiers de restauration sont conduits au Palais d’hiver, ainsi que dans les rĂ©sidences de Pavlovsk, TsarskoĂŻe Selo, Peterhof ou Oranienbaum. Outre Moscou et Leningrad, on voit le dĂ©ploiement de nombreux chantiers de restauration principalement en RSFSR RĂ©publique socialiste soviĂ©tique de Russie, dans les villes historiques de Novgorod, Pskov, Vladimir, Souzdal, Ouglitch, Staritsa, Smolensk, Vologda ou encore Zagorsk. A Zagorsk, nouvelle dĂ©nomination soviĂ©tique de la ville de Sergiev Posad, prĂšs de Moscou, toute une communautĂ© d’intellectuels, artistes, architectes, archĂ©ologues, historiens de l’art, collectionneurs, se fĂ©dĂšre autour de la figure du thĂ©ologien orthodoxe Pavel Florenski 1882-1937, pour la prĂ©servation et la restauration de la Laure de la Sainte-TrinitĂ©-Saint-Serge. Parmi ces dĂ©fenseurs du patrimoine beaucoup furent par la suite victimes des purges dans les annĂ©es 1930. Ainsi Pavel Florenski fut exĂ©cutĂ© aux Solovki en 1937, le peintre d’icĂŽnes Vladimir Komarovski 1883-1937 fut fusillĂ© en 1937 Ă  la prison de Boutovo, le comte Iouri Olsufiev 1878-1938 le fut l’annĂ©e suivante. La question patrimoniale va toucher directement Ă  un certain nombre de problĂ©matiques liĂ©es aux politiques de restructuration et d’amĂ©nagement urbanistiques. Moscou devenue la capitale du nouvel Etat soviĂ©tique en 1918, doit subir d’importantes opĂ©rations de transformation pour rĂ©pondre Ă  ses nouvelles fonctions. C’est la tĂąche confiĂ©e Ă  l’atelier d’architecture du Soviet de Moscou, la mairie, qui de 1918 Ă  1924 Ă©labore sous la direction d’Ivan Joltovski et AlexeĂŻ Susev, le premier plan directeur de rĂ©amĂ©nagement et d’extension de la capitale soviĂ©tique qui recevra le nom de Nouveau Moscou ». Le conseil scientifique du Nouveau Moscou » va collaborer Ă©troitement avec la Commission pour la protection des monuments d’art et d’histoire de Moscou et sa section architecturale dirigĂ©e par NikolaĂŻ Vinogradov 1885-1980 qui Ă©tablit la premiĂšre liste des monuments historiques de la ville et leur classification. L’atelier d’architecture du Mossoviet fait constamment appel aux expertises et conclusions de la Commission, rĂ©alisant une synthĂšse inĂ©galĂ©e du travail conduit par les architectes et les spĂ©cialistes du patrimoine. Une enquĂȘte est conduite par deux architectes, collaborateurs de Susev, et qui sont en mĂȘme temps les architectes de la section architecturale de la Commission pour la protection des monuments d’art et d’histoire, AndreĂŻ Snigarev 1890-1955 et Nikifor Tamonkin 1881-19517. Au bout d’un an en 1921, ils auront explorĂ© les deux tiers de la ville. Susev, Kokorin, Plan du Nouveau Moscou », partie du Kremlin, des arrondissements de Khamovniki et de Zamoskvorietchie, 1924. Chaque bĂątiment Ă©tudiĂ©, fait l’objet d’une enquĂȘte et d’une fiche descriptive. L’ensemble de ces donnĂ©es sont transmises Ă  l’atelier de Susev, qui les prendra en compte dans le plan directeur et l’amĂ©nagement de chaque quartier8. Outre la prise en compte de ce patrimoine, le Nouveau Moscou propose une solution urbanistique assez radicale. L’idĂ©e principale consiste Ă  transfĂ©rer le centre administratif et Ă©conomique de Moscou vers le Nord-Ouest, sur la ChaussĂ©e de Petrograd, ce qui permettrait de sanctuariser » le centre historique autour du Kremlin. Fig. 2 Sukhov, projet de squares le long du mur de Kitay-gorod depuis la place de la Loubianka jusqu’au Kremlin et aux quais de la riviĂšre Moskva, Moscou. Dessin, 10 janvier 1922. Archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou GNIMA OF-920/627. Le plan prĂ©voit Ă©galement une dĂ©concentration de Moscou, grĂące Ă  la crĂ©ation de citĂ©s jardins satellites situĂ©es Ă  l’extĂ©rieur de la ville. Le tissu urbain ancien des quartiers centraux, doit ĂȘtre aĂ©rĂ© grĂące Ă  un programme de curetage des Ăźlots Tous les monuments religieux et civils doivent ĂȘtre restaurĂ©s, dĂ©barrassĂ©s de toutes les constructions plus rĂ©centes qui auraient pu altĂ©rer l’authenticitĂ© architecturale des bĂątiments. Les monuments doivent ĂȘtre valorisĂ©s aux visiteurs aux milieux d’espaces verts et par leur inscription au sein de perspectives urbaines dĂ©gagĂ©es9. Ces solutions rĂ©pondent de doctrines patrimoniales spĂ©cifiques Ă  cette Ă©poque, promues notamment par Piotr Baranovski, considĂ©rant qu’il fallait conserver seulement les monuments relativement anciens jusqu’au XVIIIĂšme siĂšcle quitte Ă  les restaurer en profondeur pour retrouver leur apparence originelle. Cette doctrine patrimoniale refuse les apports ultĂ©rieurs de l’histoire, elle ne prend pas en compte ni le patrimoine du XIXĂšme siĂšcle, encore moins celui du dĂ©but du XXĂšme siĂšcle comme l’Art nouveau Style Modern en russe. L’idĂ©e de la crĂ©ation du nouveau centre au Nord-Ouest de la ville est finalement abandonnĂ©e au profit de la conservation du centre politico-administratif au Kremlin. La raison en est principalement Ă©conomique, il est en effet moins couteux de rĂ©utiliser le patrimoine bĂąti existant que de crĂ©er ex nihilo un nouveau complexe gouvernemental. Cette dĂ©cision aura un impact direct sur la protection du centre historique. A partir de 1925, dans le cas de Moscou, la protection et la restauration des monuments devient la prĂ©rogative du DĂ©partement d’économie municipale du Mossoviet ĐœĐŸŃĐșĐŸĐŒĐŒŃƒĐœŃ…ĐŸĐ· – MKX, qui rĂšglemente l’urbanisme, en fixant les alignements et le cadastre. C’est dans ce contexte, que les fonctionnaires de la municipalitĂ© abandonnent rapidement le projet du Nouveau Moscou » au profit du plan Grand Moscou » proposĂ© en 1925 par l’ingĂ©nieur Sergey Chestakov 1862-1931, qui jugĂ© plus pragmatique » du point de vue Ă©conomique et industriel, dĂ©veloppe une relation trĂšs diffĂ©rente au patrimoine. Chestakov donne notamment la prioritĂ© Ă  l’élargissement du rĂ©seau viaire mĂȘme dans le centre-ville. Les chantiers de reconstruction de la capitale soviĂ©tique qui se dĂ©ploieront Ă  partir du milieu des annĂ©es 1920 vont conduire Ă  la premiĂšre vague de destructions massives de monuments historiques vers 1926-1927. Au dĂ©but des annĂ©es 1920 on dĂ©nombrait Ă  Moscou 628 Ă©glises et 687 bĂątiments civils10 inscrits sur les listes du patrimoine. On observe trĂšs vite cependant une rĂ©duction importante des monuments inscrits passant en 1926 Ă  296 Ă©glises et 438 bĂątiments civils, et finalement seulement 125 monuments au total en 193211. Si ces listes ont pu constituer d’importants documents de mise au jour et d’identification des monuments, de description et de fixation de leur Ă©tat, leur caractĂšre juridique restait trĂšs flou, et ne stipulaient aucun caractĂšre d’inaliĂ©nabilitĂ© des bĂątiments en question. Le gouvernement soviĂ©tique va progressivement affaiblir les organisations patrimoniales centralisĂ©es en donnant plus de prĂ©rogatives aux autoritĂ©s municipales. Il va progressivement fermer toutes les structures Ă©tatiques qui s’occupaient de protection du patrimoine, le collĂšge musĂ©al du Narkompros en 1928, la filiale moscovite auprĂšs du gouvernement de Moscou est supprimĂ©e en 1929, enfin les ateliers centraux de restauration sont fermĂ©s en 1934. ParallĂšlement il s’attaque aux associations qui avaient dĂ©fendu le patrimoine, comme la Commission pour l’étude du vieux Moscou et la MAO, SociĂ©tĂ© architecturale de Moscou, qui rĂ©unissait les architectes les plus engagĂ©s sur ces questions, fut liquidĂ©e dans le cadre du dĂ©cret d’avril 1932 portant sur la restructuration des organisations littĂ©raires et artistiques. Les lois adoptĂ©es en 1924 et surtout celle de 193312 font de la prĂ©servation des monuments plutĂŽt l’exception que la rĂšgle. Enfin la dĂ©cision de la prĂ©servation ou de la destruction revient le plus souvent aux pouvoirs rĂ©gionaux et municipaux, qui examinent souvent le problĂšme du point de vue des infrastructures et du dĂ©veloppement Ă©conomique, Ă  un moment oĂč la prioritĂ© Ă©tait donnĂ©e Ă  la rĂ©alisation des objectifs fixĂ©s du premier plan quinquennal. Ainsi Ă  Moscou on s’aperçoit que le principal commanditaire de ces destructions n’est pas le pouvoir central mais la mairie. Une entreprise municipale le Mosrazbor est mĂȘme spĂ©cialisĂ©e dans le dĂ©montage et le sautage des monuments. Il est significatif de souligner que si les annĂ©es 1930 sont une Ă©poque qui en thĂ©orie cĂ©lĂšbre les formes du passĂ©, avec une thĂ©orie rĂ©aliste-socialiste qui prĂŽne l’assimilation de l’hĂ©ritage architectural, elles peuvent ĂȘtre qualifiĂ©es de dĂ©cennie noire pour le patrimoine. C’est Ă  cette Ă©poque que l’on dĂ©nombre Ă  Moscou les destructions les plus importantes en termes quantitatifs et qualitatifs en 1928 les trĂšs belles portes rouges Ă©difiĂ©es au XVIIIĂšme siĂšcle par Dmitri Oukhtomski, en 1930 le monastĂšre Simonov, en 1931 la cathĂ©drale du Christ Sauveur, en 1934 la tour Soukharev en 1934, en 1936 la cathĂ©drale de Kazan sur la place rouge, pour ne citer que quelques exemples. Si ces destructions suscitent de nombreuses protestations, certains monuments en ont suscitĂ© plus que d’autres. Ainsi un certain nombre de bĂątiments qui constitueraient pour nous aujourd’hui un patrimoine remarquable, n’étaient pas considĂ©rĂ©s comme tels dans les annĂ©es 1930. C’est le cas en partie de la CathĂ©drale du Christ sauveur, construite par un architecte allemand Konstantin Ton, au milieu du XIXĂšme siĂšcle et dans un style historiciste nĂ©o-byzantin, son architecture pompeuse, qualifiĂ©e souvent d’ Ă©trangĂšre », car construite par un allemand, et perçue comme rĂ©cente, ne suscitait que trĂšs peu d’admiration parmi les architectes et dĂ©fenseurs du patrimoine. Susev, qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un de ces dĂ©fenseurs du patrimoine architectural, avait mĂȘme saluĂ© la destruction de cette verrue architecturale », dont Staline avait enfin dĂ©barrassĂ© Moscou. La reconstruction de la cathĂ©drale dans les annĂ©es 1990, comme symbole de la renaissance orthodoxe de la Russie, peut donc ĂȘtre vue comme un paradoxe historique, sa destruction l’avait transformĂ© en symbole. A l’inverse les destructions du monastĂšre Simonov ou de la tour Sukharev ont provoquĂ© des protestations, et la mobilisation assez unique des architectes, y compris ceux qui Ă©taient les plus proches du pouvoir comme Susev ou Joltovski. Si ces protestations prenaient souvent la forme de lettres envoyĂ©es aux autoritĂ©s ou Ă  Staline en personne, on assiste Ă  un intĂ©ressant phĂ©nomĂšne consistant Ă  proposer des solutions architecturales et urbanistiques alternatives Ă  la destruction partielle ou complĂšte de ces monuments. Fig. 3 D. Sukhov, Projet pour le palais de la culture de l’arrondissement de Simonov, annĂ©es 1920. GNIMA OF-4559/988 Les archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou conservent notamment l’hĂ©ritage de l’architecte Dmitri Sukhov qui fut particuliĂšrement crĂ©atif dans ce domaine. Sukhov participe par exemple au concours pour le nouveau palais de la culture du quartier Simonov, proposant de conserver une partie du monastĂšre Ă  cĂŽtĂ© du nouveau bĂątiment Quand les fortifications de Kitay-Gorod sont menacĂ©es de destruction, il propose un projet d’amĂ©nagement les transformant en promenade plantĂ©e Pour l’église de l’IcĂŽne de la MĂšre de Dieu Grebnevskaya Ă  la Loubianka, il propose d’intĂ©grer adroitement le bĂątiment dans la nouvelle trame urbaine, en crĂ©ant autour un espace vert La crĂ©ation de square autour des Ă©glises est une maniĂšre de les transformer en espaces publics. On retiendra Ă©galement le projet de Sukhov pour la transformation d’une Ă©glise en un temple civique fig. 5. Fig. 4 Sukhov, Ă©glise de l’IcĂŽne Grebnevskaya de la MĂšre de Dieu sur la Loubianka, 1472, 1585, 1685, dĂ©but du XVIIIĂšme siĂšcle. Moscou. Vue Ă  vol d’oiseau. Projet d’amĂ©nagement du quartier. 1926. Archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou GNIMA OF-1750/3. Fig. 5 Sukhov, Projet de reconstruction d’une Ă©glise en bĂątiment civil. 1927. Verres avec diffĂ©rentes phases de transformation du bĂątiment. Archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou GNIMA OF-19/5709. En ce qui concerne la Tour Suharevskaya, en aoĂ»t 1933, Grabar, Joltovski, Susev Ă©crivent Ă  Staline en personne pour le convaincre de ne pas dĂ©truire ce remarquable monument du baroque moscovite de la fin du XVIIĂšme siĂšcle. Ils accompagnent leur lettre du projet de l’architecte Ivan Fomin 1872-1936 Ă©galement signataire de la lettre, qui imagine une reconstruction de la place permettant l’organisation d’un trafic circulaire autour de la tour et mĂȘme le passage de lignes de tramway sous les arches du monument. Les architectes rĂ©itĂšrent leur supplication en 1934 pour essayer que le monument soit dĂ©placĂ©, avec un projet de dĂ©montage Ă©tabli par l’ingĂ©nieur Vladimir Obrazcov 1874-1949, mais en vain, Staline persistera Ă  voir dans la tour un obstacle au dĂ©veloppement urbain de Moscou et aux transports modernes, elle sera dĂ©finitivement rasĂ©e en juin 1934. On considĂšre que Piotr Baranovski a Ă©tĂ© dĂ©portĂ© en 1933 en SibĂ©rie suite Ă  cette affaire, libĂ©rĂ© en 1936, il Ă©tait interdit de sĂ©jour dans la capitale, relĂ©guĂ© dans la ville provinciale d’Alexandrovo. Il revint en grĂące que vers la fin de la guerre, par l’intercession de ses amis et collĂšgues, dont Susev, pour travailler Ă  la reconstruction du pays13. Fig. 6 Ivan Fomin, Leonid Poliakov, Projet de reconstruction de la place autour de la Tour Sukharevskaja, 1933-1934. Projet de concours. AxonomĂ©trie. Archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou GNIMA OF-919/495. II. Le renouveau patrimonial de la grande guerre patriotique. Fig. 7 Georgui Golts, Projet de reconstruction de la ville de Smolensk. 1945. Archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou GNIMA OF-4347/6. La guerre va conduire en mĂȘme temps qu’un renouveau du sentiment national Ă  une nouvelle prise de conscience patrimoniale. Il est significatif que la cĂ©lĂ©bration du passĂ©, ne se focalisera plus uniquement sur l’hĂ©ritage universel du classicisme, mais exprimera un nouvel engouement pour d’une part l’hĂ©ritage de la Russie mĂ©diĂ©val, d’autre part celui des diffĂ©rentes nations de l’URSS, en intĂ©grant l’architecture populaire. Les nombreuses destructions engendrĂ©es par le conflit, conduisent Ă  la remise en place d’organismes de protection et restauration centralisĂ©s. DĂšs avril 1942 est créée au sein du ComitĂ© des affaires artistiques du Conseil des Commissaires du peuple de l’URSS une commission pour la prise en compte et la protection des monuments d’art, prĂ©sidĂ©e par Igor Grabar et Dmitri Sukhov. Cette commission a en charge d’établir l’état des monuments et rĂ©pertorier les destructions subies lors de la guerre14. Cette commission donne Ă  nouveau Ă  la protection du patrimoine un organisme d’envergure nationale, bien qu’elle soit composĂ©e au dĂ©part principalement de militaires. De nombreux spĂ©cialistes, comme l’illustre restaurateur Piotr Baranovski, n’en font pas partie pour des raisons politiques. En septembre 1943 est créé le ComitĂ© des affaires architecturales auprĂšs du Conseil des commissaires du peuple, qui a pour tĂąche de coordonner et de planifier les opĂ©rations de reconstruction des villes soviĂ©tiques dĂ©truites lors du conflit. La supervision des affaires de protection et de restauration du patrimoine architectural lui est Ă©galement transfĂ©rĂ©e. Le dĂ©cret du 21 fĂ©vrier 1944 créé au sein du ComitĂ© des affaires architecturales la direction principale pour la protection des monuments d’architecture GUOP. Cet organisme est dirigĂ© par Rzjanin15. Le systĂšme Ă©tatique de protection des monuments Ă©tait rĂ©tabli et pour la premiĂšre fois l’architecture avait son propre organisme de protection dĂ©diĂ©. Le systĂšme est de plus fortement dĂ©centralisĂ©, en effet depuis le dĂ©cret du 21 dĂ©cembre 1943 ont Ă©tĂ© créées des directions des affaires d’architecture dans les rĂ©publiques Sovnarkom de la RSFSR, dans les rĂ©gions Oblastnye et Kraevye et dans les deux villes principales, Ă  Moscou et Ă  Leningrad16. Le GUOP rĂ©unit d’éminents spĂ©cialistes comme Igor Grabar, Dmitri Sukhov, Alexei Susev, Ivan Rylskij, Sergey Toropov, NikolaĂŻ Voronine, Ilya Machkov, Ilya Bondarenko. Le GUOP comptait plusieurs dĂ©partements la section d’enregistrement, celle de restauration, l’inspection d’état, un conseil d’expertise scientifique, le ComitĂ© d’Etat de restauration GKR et les ateliers de restauration d’Etat, dont la direction est confiĂ©e Ă  Piotr Baranovski. Les Ateliers centraux de restauration, qui avaient Ă©tĂ© fermĂ©s en 1934, sont recréés Le GUOP conduit un important travail pour la prĂ©paration des futures lois sur la protection du patrimoine, mais aussi pour organiser dĂšs 1944, des expĂ©ditions de spĂ©cialistes pour explorer les rĂ©gions dĂ©vastĂ©es par le conflit. L’Ukraine particuliĂšrement Ă©prouvĂ©e par le conflit, accueillit parmi les premiĂšres de ces expĂ©ditions. DĂšs le printemps 1943 un reprĂ©sentant du GUOP, l’architecte Polonski se rend Ă  Kiev. En dĂ©cembre 1943 Baranovski se rend Ă  Tchernigov. Le GUOP joue Ă©galement un rĂŽle important dans la constitution d’une nouvelle attitude de l’urbanisme envers le patrimoine. Une liste de villes ayant conservĂ© leur structure urbaine historique est Ă©tablie. Le GUOP participe Ă  l’élaboration de plans directeurs pour 132 villes, elle propose aussi de faire de Souzdal une ville-musĂ©e, ou encore de sanctuariser » en zones protĂ©gĂ©es zapovedniki » des quartiers entiers Ă  Moscou ou Ă  Pskov17. Fig. 8 Concours pour une affiche du GUOP Direction principale pour la protection des monuments d’architecture ProtĂ©gez les monuments d’architecture », 1946. Projet de concours sous la devise Nos trĂ©sors », GUOP. On observe un soutien assez massif Ă  la recherche sur l’histoire de l’urbanisme russe. On citera les travaux d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration de brillants historiens de l’art comme Viktor Lazarev 1897-1976, Mikhail Iline 1903-1981 Artemii Artcikhovski 1902-1978, Vladimir Piliavski 1910-1984, Iouri Spegalski 1909-1989 Mikhail Karger 1903-1976 ou encore NikolaĂŻ Voronine 1904-1976. En 1945 sort l’ouvrage de NikolaĂŻ Voronine Les vieilles villes russe VORONIN, 1945., sĂ©rie de portraits de villes, Kiev, Tchernigov, Smolensk, Novgorod, Pskov etc. Voronine joue un rĂŽle particuliĂšrement important en Ă©tablissant une pĂ©riodisation assez claire de l’histoire de l’architecture russe, et en Ă©tablissant pour la premiĂšre fois une typologisation des formes urbaines des villes mĂ©diĂ©vales russes. DĂšs 1942 une commission de l’AcadĂ©mie d’architecture avait Ă©tĂ© mĂȘme spĂ©cialement créée pour conduire des Ă©tudes sur l’intĂ©gration des monuments dans l’amĂ©nagement des villes reconstruites18. Voronine dĂ©fendra l’idĂ©e de ne pas reconstituer seulement les monuments, les bĂątiments, mais aussi la forme, la structure de la ville. Le projet de reconstruction de Lev Rudnev pour Voronej, celui de NikolaĂź Kolli pour Tver, ou encore celui de Georgui Golts 1893-1946 pour Smolensk s’inspireront de ce principe, pour conserver la morphologie traditionnelle de la ville prĂ©existante. Mais ces considĂ©rations, seront bientĂŽt relĂ©guĂ©es au second rang lors de la mise en Ɠuvre des chantiers de reconstruction, les aspects Ă©conomiques, les impĂ©ratifs de la reconstitution du potentiel industriel, les prioritĂ©s urbanistiques de l’administration vont soit rĂ©duire les ambitions initiales soit faire totalement disparaĂźtre. C’est le cas par exemple Ă  Novgorod, oĂč le projet de ville-musĂ©e de Lev Rudnev fut abandonnĂ© au profit du plan de Üusev et Vitaly Lavrov19. En dehors des zones protĂ©gĂ©es des monuments historiques, Susev projette une ville nouvelle organisĂ©e autour de grands axes classiques. Si l’industrie est interdite dans le centre, et si Susev est soucieux de prĂ©server et de valoriser les monuments anciens, son adjoint Lavrov propose une vision beaucoup plus Ă©conomique de la ville, en pensant Novgorod, non pas seulement comme une ville-musĂ©e, mais comme la capitale administrative et Ă©conomique de la rĂ©gion. Il faudra attendre encore quelques annĂ©es pour voire l’adoption d’une loi sur la protection des monuments d’architecture, en 1947 pour la RSFSR20, et en 1948 pour l’ensemble de l’URSS. Contrairement Ă  la prĂ©cĂ©dente loi de 1933, la loi de 1947 instaure le caractĂšre obligatoire et inaliĂ©nable de la protection des monuments historiques. Le dĂ©cret du 14 octobre 1948 du Conseil des ministres d’URSS Sur les mesures pour amĂ©liorer la protection des monuments de culture » dĂ©cret du gouvernement URSS 3898 entĂ©rine cette situation pour l’ensemble de l’Union, ainsi que la division du systĂšme de protection patrimoniale en plusieurs domaines distincts, dont celui de l’architecture. III. Les annĂ©es 1950-1960, entre nĂ©gligences, nouvelles campagnes de destruction et apparition d’une conscience civique. Cette tendance positive en faveur d’une protection des monuments historiques et de leur intĂ©gration aux plans d’urbanisme est cependant assez vite remise en cause par une nouvelle vague de fragilisation institutionnelle des organes de protection, d’abord au niveau national. Le ComitĂ© des affaires architecturales d’URSS, qui avait jouĂ© un rĂŽle particuliĂšrement dĂ©terminant, est supprimĂ© en 1949. Le GUOP est transfĂ©rĂ© au MinistĂšre de la construction urbaine, qui accorde beaucoup moins d’importance Ă  la question du patrimoine, face aux prioritĂ©s de la reconstruction des villes. Le GUOP perd de nombreuses prĂ©rogatives et de nombreux cadres, avant d’ĂȘtre dĂ©finitivement supprimĂ© en mars 1951. Il faudra attendra avril 1953, aprĂšs la mort de Staline, pour voir se reformer une Inspection d’état pour la protection des monuments d’histoire et de culture au sein du MinistĂšre de la culture d’URSS. Le patrimoine n’était plus clairement une prioritĂ© nationale, il devient le domaine des administrations rĂ©gionales ou municipales, souvent nĂ©gligentes ou hostiles, et des ateliers de restauration implantĂ©s directement sur des sites spĂ©cifiques, qui produisent un travail remarquable. Il s’ensuit entre 1955 et 1965 une nouvelle vague de destructions, certes beaucoup moins importante quantitativement que celle des annĂ©es 1930. Cela coĂŻncide avec une pĂ©riode donnant la prioritĂ© Ă  la construction de logements, Ă  la modernisation des infrastructures urbaines, notamment les transports, et Ă  l’industrialisation de la construction. Dans une idĂ©ocratie comme l’URSS le facteur idĂ©ologique restait nĂ©anmoins tout Ă  fait dĂ©terminant. Dans l’aprĂšs-guerre le patrimoine avait acquis une fonction pĂ©dagogique nouvelle en Ă©duquant les masses dans l’amour de leur patrie et de leur histoire. Avec Khrouchtchev et la dĂ©stalinisation, l’idĂ©ologie de la rĂ©volution technico-scientifique et les campagnes antireligieuses, le patrimoine est perçu de nouveau comme suspect. Le dĂ©gel Ottepel’, pĂ©riode de dĂ©mocratisation partielle, permet cependant l’émergence d’un puissant mouvement de la sociĂ©tĂ© civile en faveur de la dĂ©fense du patrimoine en danger. En 1960 NikolaĂŻ Voronine publie une brochure intitulĂ©e Aimez et conservez les monuments de l’art russe ancien », l’acadĂ©micien philologue et historien de l’art Dmitri Likhachev 1906-1999 publie en 1961 l’article Monuments de la culture- hĂ©ritage de l’ensemble d’un peuple ». Ces deux hommes contribuent Ă©galement Ă  l’apparition du VOOPIiK SociĂ©tĂ© panrusse pour la protection des monuments historiques et culturels, qui est la premiĂšre association de dĂ©fense du patrimoine en URSS, depuis que les derniĂšres sociĂ©tĂ©s indĂ©pendantes avait Ă©tĂ© fermĂ©es en 1932. A l’origine de sa crĂ©ation on trouve des personnalitĂ©s du monde intellectuel, comme l’écrivain Vladimir Soloukhine 1924-1997, les artistes Ilya Glazunov 1930-2017, Pavel Korin 1892-1967, le compositeur Georgui Sviridov 1915-1998, le directeur du musĂ©e de l’Ermitage Boris Piotrovski 1908-1990 ou encore l’acadĂ©micien et archĂ©ologue Boris Rybakov 1908-2001. Le VOOPIiK est loin d’ĂȘtre un nid de dissidence, le prĂ©sident de l’association n’est autre que le vice-prĂ©sident du Conseil des ministres de RSFSR Viatcheslav Kochemasov 1918-1998. La crĂ©ation de la sociĂ©tĂ© aurait Ă©tĂ© autorisĂ©e par l’armĂ©e, pour renforcer les sentiments patriotiques, et favorisĂ©e par les clans nationalistes qui avaient Ă  cette Ă©poque leurs entrĂ©es au cƓur du Kremlin depuis l’arrivĂ©e au pouvoir de Leonid Brejnev. Ce courant patrimonial » aboutira notamment Ă  l’adoption en mai 1966 d’un dĂ©cret du Conseil des ministres de RSFSR Sur la situation actuelle et les mesures pour amĂ©liorer la protection des monuments d’histoire et de culture de RSFSR »21. Cette loi stipule que les futurs plans d’urbanisme des sites incluant des monuments, doivent ĂȘtre obligatoirement approuvĂ©s par le MinistĂšre de la culture et le VOOPIiK. Le dĂ©cret permet Ă©galement de protĂ©ger des architectures de la pĂ©riode soviĂ©tique. L’intĂ©rĂȘt renouvelĂ© pour le patrimoine urbain couplĂ© Ă  l’engouement pour les architectures vernaculaires et les patrimoines nationaux des diffĂ©rentes rĂ©publiques est rĂ©cupĂ©rĂ© par le discours architectural officiel et s’inscrit dans une phase de rĂ©armement idĂ©ologique face Ă  l’hĂ©gĂ©monie, que mĂȘme en URSS, le style international de l’occident semble avoir acquise. Le dĂ©but des annĂ©es 1960 est marquĂ© par des dĂ©bats autour des voies possibles pour dĂ©velopper une architecture soviĂ©tique, qui doit notamment se nourrir des spĂ©cificitĂ©s et de la synthĂšse des traditions progressistes » des diffĂ©rentes rĂ©gions de l’URSS22. On assiste Ă©galement au dĂ©veloppement d’une nouvelle Ă©conomie touristique. Dans la perspective du dĂ©veloppement de ce secteur, il y a nĂ©cessitĂ© de prĂ©parer les monuments et les villes Ă  ces nouvelles conditions. On voit apparaĂźtre Ă  la fin des annĂ©es 1960 une nouvelle mode des stylisations nationales, qui selon l’historien de l’architecture Selim Han-Magomedov 1928-2011, rĂ©pond Ă  l’essor du tourisme de masse23. La nouvelle prise de conscience patrimoniale des annĂ©es 1960-1970 est par ailleurs fortement redevable de l’impact des politiques internationales. En 1964, le CongrĂšs de Venise, 2Ăšme CongrĂšs international sur la restauration des monuments d’architecture, a eu une importance dĂ©cisive pour l’intĂ©gration de l’URSS dans les normes internationales de la protection du patrimoine, et pour la prise en compte de l’urbanisme comme objet de patrimonialisation. L’URSS adopte la charte internationale sur la protection et la restauration des monuments, la fameuse Charte de Venise, qui vient remplacer de fait la Charte d’AthĂšnes de 1931, que l’URSS de Staline n’avait jamais adoptĂ©. En 1965, se tient en Pologne l’assemblĂ©e constitutive de l’ICOMOS Conseil international des monuments et des sites, dont l’URSS est l’un des membres fondateurs. La VĂšme assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de l’ICOMOS en 1978 se tiendra Ă  Moscou. La charte de Venise est un peu pour la dĂ©fense du patrimoine ce que sera l’acte final de la confĂ©rence d’Helsinki en 1975 pour les militants des droits de l’homme. Au cours des annĂ©es 1960-1970 se succĂšdent plusieurs controverses patrimoniales pour la plupart provoquĂ©es par des opĂ©rations d’amĂ©nagement Ă  Moscou. Citons par exemple le chantier de l’HĂŽtel Rossia Ă  Zaryadie juste Ă  cĂŽtĂ© du Kremlin, le BĂątiment de l’agence Tass sur le boulevard de Tver l’hĂŽtel Intourist sur la rue Gorki, le nouveau bĂątiment du siĂšge de la revue Izvestia sur la place Pouchkine Ă  l’origine de la destruction de la maison Famusov, un hĂŽtel particulier du dĂ©but du XIXĂšme siĂšcle. La construction de la Nouvelle rue Arbat, la Prospekt Kalinine, projet de l’architecte en chef de Moscou, favori du pouvoir, Mikhail Possokhine 1910-1989, suscite des controverses au cƓur mĂȘme de l’AcadĂ©mie d’architecture. En novembre 1968, AndreĂŻ Ikonnikov 1926-2001 publiait dans l’organe officiel de l’Union des architectes, Arhitektura SSSR son article L’ancien et la nouveautĂ© dans la composition de la ville »24, dans lequel il dĂ©nonçait le projet de Possokhine, qui avait introduit selon lui une rupture d’échelle, irrĂ©parable, dans le centre historique de Moscou Figure 9 Construction de la prospekt Kalinine Ă  Moscou, architecte Possokhine, 1968. Photo illustrant l’ouvrage d’AndreĂŻ Ikonnikov, L’architecture de la ville, problĂšmes esthĂ©tiques de composition de la ville. Moscou Ă©ditions de la littĂ©rature sur la construction, 1972. P. 165. Une nouvelle gĂ©nĂ©ration d’architectes, va bientĂŽt abandonner les schĂ©mas thĂ©oriques Ă©laborĂ©s aprĂšs-guerre par des architectes thĂ©oriciens comme Vitaly Lavrov 1902-198825 ou NikolaĂŻ Baranov 1909-198926, et tente sous l’influence de ces diffĂ©rents Ă©vĂ©nements, de proposer de nouvelles approches. C’est le cas par exemple d’une jeune Ă©quipe de l’institut du Plan directeur de Moscou, qui sous la conduite de leur jeune collĂšgue, l’architecte Boris Eremin 1939-1998, propose un nouveau rapport Ă  la ville ancienne dans leur projet prĂ©sentĂ© au concours pour la reconstruction du centre-ville de Moscou organisĂ© en 1965-1966 Fig. 10 Boris Eremin, Brigade des jeunes architectes de l’Institut du plan directeur de Moscou, maquette du projet prĂ©sentĂ© au concours pour la reconstruction du centre de Moscou en 1966. Archives de Eremin. Moscou. Le projet de l’équipe d’Eremin se distingua des autres en proposant pour la premiĂšre fois un important programme de prĂ©servation, de restauration et de reconstitution massive, non seulement de monuments, mais de quartiers entiers. En mĂȘme temps Eremin proposait de crĂ©er un nouveau centre culturel et administratif sous la forme d’une ville linĂ©aire parallĂšle Ă  la ville ancienne. Sur la maquette du projet de Eremin on distingue au milieu de nombreux espaces verts, les profils de dizaines d’églises et de monuments, restaurĂ©s voire reconstituĂ©s Le projet ne fut pas adoptĂ© et fut accueilli avec raillerie par l’élite architecturale moscovite. Eremin dĂ©veloppera par la suite le concept de Retrozravitie dĂ©veloppement rĂ©troactif. L’hĂ©ritage conceptuel et esthĂ©tique de Eremin et de son atelier au MArchI deviendra tout Ă  fait capital dans le dĂ©veloppement d’une Ă©cole architecturale post-moderne en URSS dans les annĂ©es 1980. Fig. 11 Couverture du roman d’Oles Hontchar, Sobor La cathĂ©drale, Ă©ditions Dnipro, 1989. Le patrimoine fut aussi un lieu d’expression de formes de dissidence, un espace de combats politiques. Le thĂšme de la destruction ou de l’abandon du patrimoine, au mĂȘme titre que les thĂ©matiques Ă©cologiques, deviennent Ă  partir des annĂ©es 1960, des lieux de contestation des actions du pouvoir. Ce type de dissidence, si elle Ă©tait impensable sous Staline, n’est cependant pas sans consĂ©quences sous Khrouchtchev et sous Brejnev. Il faut par exemple mentionner le roman Sobor La cathĂ©drale de l’écrivain ukrainien Oles Hontchar 1918-1995, publiĂ© en janvier 196827 Hontchar y dĂ©crit le destin d’un fonctionnaire communiste arriviste, Loboda, qui souhaite faire carriĂšre au sein d’une direction rĂ©gionale du Parti. Par zĂšle sans doute, il a pour projet de dĂ©truire un monument architectural du XVIIIĂšme siĂšcle, une cathĂ©drale orthodoxe. Ce roman sera condamnĂ© pour son nationalisme ukrainien » et sa critique acerbe de la rĂ©alitĂ© soviĂ©tique et interdit de publication jusqu’en 1989. Hontchar y dĂ©nonce outre la destruction du patrimoine historique et religieux, l’effacement d’une mĂ©moire ukrainienne inscrite dans l’espace. Il semble qu’aujourd’hui le roman de Hontchar soit malheureusement redevenu d’actualitĂ©, plus encore, les remarquables travaux de relevĂ© et de restauration produits par les expĂ©ditions du GUOP au cours des annĂ©es 1940, sont aujourd’hui des archives qui Ă  l’intĂ©rĂȘt qu’ils prĂ©sentaient pour l’historien, deviennent Ă  nouveau prĂ©cieuses pour le restaurateur et l’urbaniste qui travaillera Ă  la reconstruction des territoires dĂ©vastĂ©s par la guerre. StĂ©phane Gaessler Bibliographie. BARANOV, 1965 BARANOV NikolaĂŻ, Komposicjia centra goroda, Moscou 1965. BOYM 1994 BOYM Svetlana, Common Places Mythologies of Everyday Life in Russia, Harvard University Press, 1994. 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La derniĂšre gĂ©nĂ©ration soviĂ©tique], Moscou Novoe literaturnoe Obozrenie, 2014. Table des illustrations. Couverture Dmitri Sukhov, projet de reconstruction d’Okhotnyi Riad, intĂ©grant l’église Sainte ParascĂšve-Vendredi-Au marchĂ© 1687 et les Palaty Troekurov sur le passage Georguievski 1691-1696, 1928, Archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou GNIMA OF-1750/1. Susev, Kokorin, Plan du Nouveau Moscou », partie du Kremlin, des arrondissements de Khamovniki et de Zamoskvorietchie, 1924. Fig. 2 Sukhov, projet de squares le long du mur de Kitay-gorod depuis la place de la Loubianka jusqu’au Kremlin et aux quais de la riviĂšre Moskva, Moscou. Dessin, 10 janvier 1922. Archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou GNIMA OF-920/627. Fig. 3 D. P. Sukhov, Projet pour le palais de la culture de l’arrondissement de Simonov, fin des annĂ©es 1920. Archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou GNIMA OF-4559/988 Fig. 4 Sukhov, Ă©glise de l’IcĂŽne Grebnevskaya de la MĂšre de Dieu sur la Loubianka, 1472, 1585, 1685, dĂ©but du XVIIIĂšme siĂšcle. Moscou. Vue Ă  vol d’oiseau. Projet d’amĂ©nagement du quartier. 1926. Archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou GNIMA OF-1750/3. Fig. 5 Sukhov, Projet de reconstruction d’une Ă©glise en bĂątiment civil. 1927. Verres avec diffĂ©rentes phases de transformation du bĂątiment. Archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou GNIMA OF-19/5709. Fig. 6 Ivan Fomin, Leonid Poliakov, Projet de reconstruction de la place autour de la Tour Sukharevskaja, 1933-1934. Projet de concours. AxonomĂ©trie. Archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou GNIMA OF-919/495. Fig. 7 Georgui Goltz, Projet de reconstruction de la ville de Smolensk. 1945. Archives du MusĂ©e d’architecture de Moscou GNIMA OF-4347/6. Fig. 8 Concours pour une affiche du GUOP Direction principale pour la protection des monuments d’architecture ProtĂ©gez les monuments d’architecture », 1946. Projet de concours sous la devise Nos trĂ©sors », GUOP. Fig. 9 Construction de la prospekt Kalinine Ă  Moscou, architecte Possokhine, 1968. Photo illustrant l’ouvrage d’AndreĂŻ Ikonnikov, L’architecture de la ville, problĂšmes esthĂ©tiques de composition de la ville. Moscou Ă©ditions de la littĂ©rature sur la construction, 1972. P. 165. Fig. 10 Boris Eremin, Brigade des jeunes architectes de l’Institut du plan directeur de Moscou, maquette du projet prĂ©sentĂ© au concours pour la reconstruction du centre de Moscou en 1966. Archives de Eremin. Moscou. Fig. 11 Couverture du roman d’Oles Hontchar, Sobor La cathĂ©drale, Ă©ditions Dnipro, 1989. PAPERNY, 1996. [↩] BOYM, 1994. [↩] YURCHAK, 2017. [↩] ДДĐșрДт ĐĄĐŸĐČДта ĐĐ°Ń€ĐŸĐŽĐœŃ‹Ń… ĐšĐŸĐŒĐžŃŃĐ°Ń€ĐŸĐČ ĐĄĐĐš “О рДгОстрацОО, ĐżŃ€ĐžĐ”ĐŒĐ” ĐœĐ° ŃƒŃ‡Đ”Ń‚ Đž ĐŸŃ…Ń€Đ°ĐœĐ”ĐœĐžĐž ĐżĐ°ĐŒŃŃ‚ĐœĐžĐșĐŸĐČ ĐžŃĐșусстĐČа Đž ŃŃ‚Đ°Ń€ĐžĐœŃ‹, ĐœĐ°Ń…ĐŸĐŽŃŃ‰ĐžŃ…ŃŃ ĐČĐŸ ĐČĐ»Đ°ĐŽĐ”ĐœĐžĐž Ń‡Đ°ŃŃ‚ĐœŃ‹Ń… лОц, ĐŸĐ±Ń‰Đ”ŃŃ‚ĐČ Đž ŃƒŃ‡Ń€Đ”Đ¶ĐŽĐ”ĐœĐžĐč”[ DĂ©cret du Conseil des commissaires du peuple SNK Sur l’inscription, l’enregistrement et la protection des monuments d’art et d’histoire, se trouvant en propriĂ©tĂ© de personnes privĂ©es, de sociĂ©tĂ©s ou d’institutions »]. [↩] ДДĐșрДт СНК РХЀХР ĐŸŃ‚ Об ĐŸŃ‚ĐŽĐ”Đ»Đ”ĐœĐžĐž цДрĐșĐČĐž ĐŸŃ‚ ĐłĐŸŃŃƒĐŽĐ°Ń€ŃŃ‚ĐČа Đž шĐșĐŸĐ»Ń‹ ĐŸŃ‚ цДрĐșĐČО» [↩] ĐĄĐŸŃ…Ń€Đ°ĐœĐ”ĐœĐžĐ” Đž рДстаĐČрацоя ĐżĐ°ĐŒŃŃ‚ĐœĐžĐșĐŸĐČ Đ°Ń€Ń…ĐžŃ‚Đ”Đșтуры. 1917—1932». Đ’ŃĐ”ĐŸĐ±Ń‰Đ°Ń ĐžŃŃ‚ĐŸŃ€ĐžŃ архОтДĐșтуры. ĐąĐŸĐŒ 12. ĐšĐœĐžĐłĐ° пДрĐČая. АрхОтДĐșтура ХХХР» ĐżĐŸĐŽ рДЎаĐșцОДĐč Đ‘Đ°Ń€Đ°ĐœĐŸĐČа. АĐČŃ‚ĐŸŃ€Ń‹ ЊДлОĐșĐŸĐČ, ĐŻŃ€Đ°Đ»ĐŸĐČ ĐœĐŸŃĐșĐČа, ĐĄŃ‚Ń€ĐŸĐčОзЎат, 1975 [↩] OVSIANNIKOVA, 1982, p. 263-330 [↩] ОĐČŃŃĐœĐœĐžĐșĐŸĐČа Е. Б. Из ĐžŃŃ‚ĐŸŃ€ĐžĐž ĐšĐŸĐŒĐžŃŃĐžĐž ĐœĐŸŃŃĐŸĐČДта ĐżĐŸ ĐŸŃ…Ń€Đ°ĐœĐ” ĐżĐ°ĐŒŃŃ‚ĐœĐžĐșĐŸĐČ. ĐĄ. 273 Ovsiannikova, De l’histoire de la Commission du Mossoviet pour la protection des monuments. P. 273. [↩] StĂ©phane Gaessler, MĂ©moire de Master II, Susev, FacultĂ© d’études slaves, Sorbonne UniversitĂ©, 2017. [↩] ЩГАМО. Đ€. 966. Оп. 4. Д. 1029. Л. 35 Archives de l’Oblast’ de Moscou. [↩] PERESLEGIN, 2015, p. 86. [↩] Об ĐŸŃ…Ń€Đ°ĐœĐ” ĐžŃŃ‚ĐŸŃ€ĐžŃ‡Đ”ŃĐșох ĐżĐ°ĐŒŃŃ‚ĐœĐžĐșĐŸĐČ». ĐŸĐŸŃŃ‚Đ°ĐœĐŸĐČĐ»Đ”ĐœĐžĐ” ВЩИК Đž СНК РХЀХР ĐŸŃ‚ Đł. [↩] LARIONOV, 1998, p. 145. [↩] RGAE fonds 9588, Opis’ 1, delo 38, L. 101. [↩] RGAE, fonds 9588, Op. 1, delo 48, l. 11. Archives de l’organisation et de la mise en Ɠuvre des travaux de restauration et de protection des monuments d’architecture publics en RSFSR. [↩] ĐŸĐŸŃŃ‚Đ°ĐœĐŸĐČĐ»Đ”ĐœĐžĐ” СНК РХЀХР ĐŸŃ‚ N 996 // ĐĄĐŸĐ±Ń€Đ°ĐœĐžĐ” ĐżĐŸŃŃ‚Đ°ĐœĐŸĐČĐ»Đ”ĐœĐžĐč Đž Ń€Đ°ŃĐżĐŸŃ€ŃĐ¶Đ”ĐœĐžĐč праĐČĐžŃ‚Đ”Đ»ŃŒŃŃ‚ĐČа РХЀХР. – № 3. – – ĐœĐŸŃĐșĐČа ĐĐ°Ń€ĐŸĐŽĐœŃ‹Đč ĐšĐŸĐŒĐžŃŃĐ°Ń€ĐžĐ°Ń‚ юстоцоо РХЀХР. ĐĄ. 46-48. [↩] Đ”ĐŸĐșлаЎ Đ‘Đ°Ń€Đ°ĐœĐŸĐČсĐșĐŸĐłĐŸ ĐŸ ĐżŃ€ĐŸĐČĐ”ĐŽĐ”ĐœĐžĐž пДрĐČĐŸĐŸŃ‡Đ”Ń€Đ”ĐŽĐœŃ‹Ń… ĐŒĐ”Ń€ĐŸĐżŃ€ĐžŃŃ‚ĐžĐč ĐżĐŸ ŃĐŸŃ…Ń€Đ°ĐœĐ”ĐœĐžŃŽ ĐżĐŸĐČŃ€Đ”Đ¶ĐŽĐ”ĐœĐœŃ‹Ń… ĐżĐ°ĐŒŃŃ‚ĐœĐžĐșĐŸĐČ Đ°Ń€Ń…ĐžŃ‚Đ”Đșтуры, 1944. Д 12 Đ» 55 [↩] PERESLEGIN, 2015, p. 207. [↩] LAVROV, 1946, p. 5. [↩] DĂ©cret de mai 1947 du Conseil des ministres de RSFSR Sur la protection des monuments d’architecture », qui stipule que les monuments sont dĂ©clarĂ©s comme un patrimoine artistique et historique inaliĂ©nable, appartenant Ă  l’hĂ©ritage de la rĂ©publique et Ă  la culture nationale ». Le dĂ©cret confiait Ă©galement au GUOP de complĂ©ter les listes de monuments inscrits. [↩] ĐžŃ€Ń…Đ°ĐœĐ° ĐżĐ°ĐŒŃŃ‚ĐœĐžĐșĐŸĐČ ĐžŃŃ‚ĐŸŃ€ĐžĐž Đž ĐșŃƒĐ»ŃŒŃ‚ŃƒŃ€Ń‹. ДДĐșрДты, ĐżĐŸŃŃ‚Đ°ĐœĐŸĐČĐ»Đ”ĐœĐžŃ, Đ Đ°ŃĐżĐŸŃ€ŃĐ¶Đ”ĐœĐžŃ ПраĐČĐžŃ‚Đ”Đ»ŃŒŃŃ‚ĐČа ĐĄĐĄĐĄĐ  Đž ПраĐČĐžŃ‚Đ”Đ»ŃŒŃŃ‚ĐČа РХЀХР. 1917-1968. ĐœĐŸŃĐșĐČа 1968, с. 158-163. [↩] VOLODIN, 1960, p. 63. [↩] HAN-MAGOMEDOV, 1973, p. 75. [↩] IKONNIKOV, 1968. [↩] LAVROV, 1964. [↩] BARANOV, 1965. Đ‘Đ°Ń€Đ°ĐœĐŸĐČ, ĐšĐŸĐŒĐżĐŸĐ·ĐžŃ†ĐžŃ Ń†Đ”ĐœŃ‚Ń€Đ° ĐłĐŸŃ€ĐŸĐŽĐ°, ĐœĐŸŃĐșĐČа 1965. [↩] HONTCHAR, 1968. [↩] Article Ă©crit par Philippe Pauthier TĂ©lĂ©charger l’article au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le mardi 18 janvier 2022. RĂ©sumĂ© Les fouilles du chĂąteau du Haut-Barr ont exhumĂ© plus de 45 000 restes. L’utilisation d’outils statistiques a permis un traitement rapide et concis de ce corpus important afin d’en tirer des conclusions solides. L’approche mathĂ©matique a Ă©tayĂ© un raisonnement archĂ©ologique Ă  l’aide de mĂ©thodes fiables. Ces outils ont aidĂ© dans un premier Ă  comprendre l’alimentation carnĂ© d’un site privilĂ©giĂ© en dĂ©gageant des tendances de consommation Ă  partir de restes alimentaires, et d’étudier les variations chronologiques ainsi que l’élevage et l’évolution d’une meute de chien en partant de mesures ostĂ©omĂ©triques. Le but est d’étayer avec prĂ©cision les liens entre humain et animal, tant du point de vue de la consommation que de la possession. Introduction Une Ă©tude archĂ©ozoologique, aprĂšs la phase de dĂ©termination, repose sur l’analyse de ces rĂ©sultats. Or l’abondante quantitĂ© de donnĂ©es obtenues peut complexifier l’interprĂ©tation. C’est le cas de l’étude de la faune provenant du chĂąteau du Haut-Barr qui totalise 46 239 restes enregistrĂ©s, dont 36 178 dĂ©terminĂ©s 78%. S’est rapidement posĂ©e la question du traitement de donnĂ©es ; dresser efficacement les contours de l’analyse dans cette masse d’informations, sans pour autant risquer d’en dĂ©laisser une partie1. L’utilisation d’outils statistiques a Ă©tĂ© la rĂ©ponse Ă  cette question ; l’usage de l’ACP Analyse en composantes principales et de l’AFC Analyse factorielle des correspondances a guidĂ© l’analyse de cet important Ă©chantillon osseux. Deux exemples d’utilisation de ces mĂ©thodes de traitement statistique des donnĂ©es seront prĂ©sentĂ©s afin de montrer leur apport dans les Ă©tudes archĂ©ozoologiques. Ces outils ont permis dans un premier temps de mieux cerner la consommation carnĂ©e de la forteresse, de comprendre le sens de cette alimentation et son Ă©volution chronologique Ă  travers l’utilisation d’une AFC. Dans un second temps, une ACP a Ă©tĂ© effectuĂ©e afin de distinguer les caractĂ©ristiques d’une population animal donnĂ©e et de caractĂ©riser son Ă©levage par la sĂ©lection des individus. I. Cadres et mĂ©thodes. A. Contexte historique et archĂ©ologique. Les ossements animaux proviennent du chĂąteau du Haut-Barr qui surplombe la vallĂ©e de la Zarne et la ville de Saverne Bas-Rhin. ErigĂ© au dĂ©but du XIIe siĂšcle2 sur ordre des Ă©vĂȘques de Strasbourg, il surveille la plaine d’Alsace et la route de Strasbourg via Saverne par le col des Vosges. SurnommĂ© l’Ɠil d’Alsace par les Strasbourgeois, le Haut-Barr est construit sur trois Ă©perons rocheux formant une longue barre de grĂšs naturel3 au sommet plat et ourlĂ© de falaises4. Fig. 1 Photo et situation du ChĂąteau du Haut-Barr Bas-Rhin. ConstituĂ© d’un simple donjon au XIIe siĂšcle, le chĂąteau est agrandi par l’évĂȘque Rodolphe sur conseil de l’empereur FrĂ©dĂ©ric Barberousse. Il achĂšte un rocher isolĂ© au bout de la barre grĂ©seuse, alors possession de l’abbaye de Marmoutier, afin de fortifier la totalitĂ© du sommet rocheux. Au donjon originel s’adjoint une tour pentagonale, un logis et une chapelle. Cette forteresse est lieu de garnison et de surveillance avant tout, mais sert Ă©galement de rĂ©sidence secondaire pour les Ă©vĂȘques de Strasbourg jusqu’au XIVe siĂšcle, avant d’ĂȘtre confiĂ©e Ă  des Burgherren. Il s’agit de ministĂ©riaux, des vassaux des princes Ă©piscopaux, qui actent comme baillis du Haut-Barr Ă  la fin du XIVe siĂšcle5. La totalitĂ© des ossements a Ă©tĂ© exhumĂ©e dans un puits inachevĂ©. SituĂ©e sur le versant Nord, au pied du pan rocheux, cette structure a Ă©tĂ© fouillĂ©e entre 1983 et 1987 sous la direction de RenĂ© Kill. L’entiĂšretĂ© du sĂ©diment a Ă©tĂ© tamisĂ©e, et la fouille s’est dĂ©roulĂ©e par unitĂ©s stratigraphiques 20 US sĂ©quencĂ©es en passes de prĂ©lĂšvements numĂ©rotĂ©es de A Ă  AJ. Le puits a Ă©tĂ© creusĂ© dans la roche grĂ©seuse sur 25m de profondeur selon un plan en forme de fer Ă  cheval. La chronologie s’échelonne de la fin du XIe siĂšcle au XVIIe siĂšcle. B. MĂ©thodes. Les fragments osseux exhumĂ©s du puits du Haut-Barr constituent les sources de l’étude. La dĂ©termination, suivie de l’enregistrement de ces sources, permettent de distinguer des donnĂ©es. Des informations nĂ©cessaires Ă  la comprĂ©hension du dĂ©pĂŽt en seront extraites, renseignant ensuite indirectement ou non sur l’alimentation, la boucherie, l’élevage, la chasse etc
 Le but est d’établir un lien entre les informations sĂ©lectionnĂ©es, et les questions posĂ©es. Toutes sont issues de choix, orientĂ©s selon les attentes de l’étude. Le traitement des donnĂ©es n’est pas un Ă©tat purement objectif des faits, mais rĂ©sulte de la vision subjective de l’analyste. Dans cette Ă©tude, les questions qui ont orientĂ© l’analyse des donnĂ©es se concentrent sur les contours de l’alimentation en viande d’un site privilĂ©giĂ©, et le contrĂŽle d’une population canine. Pour ce faire, deux outils ont Ă©tĂ© choisis pour leur large gamme d’application l’ACP et l’AFC. Tous deux partent de la lecture de tableaux de contingences, et dĂ©crivent les relations entre individus en lignes et les variables en colonnes. L’AFC Ă©tudie ces relations de maniĂšre qualitative, en traitant individus et variables de la mĂȘme maniĂšre avant de se concentrer sur leurs ressemblances et diffĂ©rences ; l’ACP le fait de maniĂšre quantitative, en analysant les individus par le biais des variables. II. Alimentation carnĂ©e d’un site privilĂ©giĂ© synthĂšse des espĂšces et classes d’ñge consommĂ©es. La fouille du puits s’est effectuĂ©e par US, elles-mĂȘmes dĂ©coupĂ©es en passes de prĂ©lĂšvement. Ces passes forment les lignes de ce premier exemple d’outils statistique l’AFC employĂ©e considĂšre les niveaux de prĂ©lĂšvement Ă©tiquetĂ©s de A Ă  AJ comme des individus, et les espĂšces ou groupes d’espĂšces sont les variables bovidĂ©s, caprinĂ©s, poissons
.. Pour cet exemple, seules les espĂšces consommĂ©es sont prises en compte, Ă  savoir les animaux de la triade domestique bƓuf, porc, caprinĂ©s, les oiseaux sauvages ou volaille, le gros gibier cervidĂ©s et sanglier et les poissons. Fig. 2 Analyse factorielle des correspondances AFC de la consommation en viande du Haut-Barr par passe de prĂ©lĂšvement numĂ©rotĂ©es de A Ă  AJ. La distinction entre les animaux de la triade adultes ou juvĂ©niles s’est effectuĂ©e selon l’observation des stades d’épiphysation des ossements. L’AFC se prĂ©sente sous la forme d’un nuage de points rĂ©partis dans l’espace selon un axe orthonormĂ© fig. 2. Ces axes abscisses et ordonnĂ©s sont ce que l’on appelle des Dimensions » qui organisent les variables les espĂšces et les individus les passes de prĂ©lĂšvement selon leur inertie, c’est-Ă -dire selon leur importance. Les passes sont reprĂ©sentĂ©es en bleu et les espĂšces en orange. Bien que le support soit un axe orthonormĂ©, il n’est pas possible de simplement lire les valeurs des abscisses et des ordonnĂ©es comme sur un graphique x/y classique. Pour pouvoir lire cette AFC, il convient de se repĂ©rer, non aux axes, mais Ă  l’emplacement des points dans l’espace, et Ă  leur proximitĂ©. Si deux points sont proches, cela signifie que leur assemblage faunique est semblable exemple les passes A et AH, et inversement. Ainsi, les passes situĂ©es Ă  proximitĂ© d’une variable exemple BovidĂ©s adultes prĂ©sentent un fort taux de cette espĂšce dans sa composition faunique. Afin de faciliter la lecture, le regroupement des individus en sous-ensembles a Ă©tĂ© effectuĂ© parallĂšlement lors du calcul de l’AFC. Ce regroupement est appelĂ© Classification Ascendante HiĂ©rarchique CAH. De cette hiĂ©rarchisation des passes de prĂ©lĂšvement se dessinent six groupes regroupant la totalitĂ© des individus fig. 3. Fig. 3 Classification Ascendante HiĂ©rarchique CAH des passes ou individus selon la similaritĂ© de leurs compositions. Ces ensembles dĂ©gagent des tendances de consommation en viande et permettent une visualisation simple et concrĂšte de l’évolution de l’alimentation au Haut-Barr. Ce visuel est d’autant plus clair lorsqu’il est reportĂ© sur le relevĂ© de la structure du puits La principale information rĂ©vĂ©lĂ©e est la rupture dans les habitudes alimentaires entre la richesse des espĂšces prĂ©sentes jusqu’au XIIIe siĂšcle et la consommation nettement plus modeste Ă  partir du milieu du XIVe siĂšcle. Dans la premiĂšre moitiĂ© du stratigraphique, les espĂšces retrouvĂ©es rĂ©vĂšlent une domination de jeunes individus, notamment de cochons et de caprinĂ©s. La viande de jeunes individus est plus recherchĂ©e et nettement plus riche. D’autant que consommer de la viande de porc suppose un Ă©levage tournĂ© uniquement vers la viande, sans aucune plus-value, contrairement aux bovins et caprinĂ©s qui apportent laitages, laine, ou force de traction. C’est d’autant plus le cas pour la consommation d’individus juvĂ©niles. La limite d’ñge pour la distinction avec les adultes est de 18 mois6 , mais plusieurs porcelets n’avaient que quelques semaines. Il s’agit d’une consommation de viande de grande qualitĂ© la maturitĂ© pondĂ©rale, moment oĂč l’animal est le plus jeune pour un maximum de viande et donc de rentabilitĂ©, n’est pas attendue. Les animaux sont consommĂ©s uniquement pour la qualitĂ© de leur viande, et non pour la quantitĂ© qu’ils auraient pu fournir. C’est Ă©galement le cas pour les jeunes caprinĂ©s ; la consommation de viande d’agneaux ou de chevreaux est caractĂ©ristique des milieux aisĂ©s7. La totalitĂ© des restes de poissons se concentre Ă©galement dans la premiĂšre moitiĂ© du dĂ©pĂŽt. Bien qu’il ne s’agit que d’espĂšces dulçaquicoles, ce qui suggĂšre une pĂȘche locale et rĂ©fute une importation de poissons marins, la prĂ©sence de l’esturgeon est de nouveau un marqueur de richesse. L’absence totale de restes ichtyologiques durant la seconde moitiĂ© chronologique ne fait que souligner la singularitĂ© de la premiĂšre phase d’occupation. Fig. 4 Report des groupes dĂ©gagĂ©s par la CAH sur le relevĂ© de la structure du puits. RelevĂ© de la structure par R. Kill, DAO des US et groupes d’alimentation carnĂ©e Ph. Pauthier. Cette scission nette en deux consommations correspond Ă  l’histoire du site. Comme on l’a vu prĂ©cĂ©demment, le Haut-Barr a servi de rĂ©sidence secondaire aux Ă©vĂȘques de Strasbourg. À ces occupations rĂ©guliĂšres correspondent les restes fastueux des XIIe et XIIIe siĂšcles ce sont les tĂ©moins de l’alimentation des princes Ă©piscopaux. Les vestiges plus modestes sont issus de l’alimentation de leurs vassaux ou/et de la garnison Ă  partir du XIVe siĂšcle. Les dominantes caprines et bovines sont largement majoritaires fig. 4 tandis que le porc s’efface, de mĂȘme que les poissons. On remarque Ă©galement la prĂ©sence d’oiseaux sauvages, rĂ©sultant aussi de la chasse. Proportionnellement, ils sont plus reprĂ©sentĂ©s Ă  partir du XIVe siĂšcle, mais ils Ă©taient trĂšs prĂ©sents aux XIIe et XIIIe siĂšcles. D’autant que les espĂšces en question Ă©taient nettement plus prestigieuses ; le faisan est attestĂ© US 8, et surtout la grue cendrĂ©e est prĂ©sente tout au long de la premiĂšre phase d’occupation US 6-8-10-13-14-16. Cet animal est particuliĂšrement reprĂ©sentatif de la diffĂ©rence de niveau de vie il est l’un des animaux les plus recherchĂ©s pour sa chair8, et peut-ĂȘtre le plus difficile Ă  chasser car nĂ©cessitant une rĂ©elle maitrise de la chasse au vol9. De nouveau, les Ă©tats antĂ©rieurs du site montrent un luxe qui disparait par la suite. MalgrĂ© tout, il ne s’agit pas non plus d’une consommation trĂšs modeste pour les Ă©tats postĂ©rieurs, d’autant que les restes de venaison cerf, chevreuil et sanglier y sont reprĂ©sentĂ©s. Il s’agit toujours d’un milieu privilĂ©giĂ© qui par son affiliation Ă  la noblesse, a accĂšs au monopole de la chasse. III. Contours d’une meute de chiens de chasse. La caractĂ©ristique principale de la faune du Haut-Barr est la place dominante du chien qui dĂ©passe les 60% du nombre de restes dĂ©terminĂ©s. Ces ossements de canidĂ©s sont prĂ©sents sur la totalitĂ© du comblement de la structure, Ă  l’exception des niveaux de remblais les plus rĂ©cents. Au cours de l’enregistrement du matĂ©riel osseux, des prises de mesures10 ont Ă©tĂ© systĂ©matiquement rĂ©alisĂ©es sur les os longs de canidĂ©s. L’analyse a clairement fait ressortir le rejet complet des carcasses. La prĂ©sence de la majoritĂ© des os du carpe, du tarse, des sĂ©samoĂŻdes, par exemple, plaide en faveur d’un tel rejet. Malheureusement en raison des difficultĂ©s rencontrĂ©es, inhĂ©rentes Ă  la fouille de cette structure profonde, les squelettes n’ont pu ĂȘtre individualisĂ©s et prĂ©levĂ©s entiers. Un NMI a Ă©tĂ© dĂ©comptĂ©, mais l’association des os entre eux pour reconstituer les squelettes de chiens aurait Ă©tĂ© bien trop hasardeuse et arbitraire. Il ne fut pas possible de remonter les squelettes lors de la phase de dĂ©termination, mais un NMI a Ă©tĂ© dĂ©comptĂ© au moins 118 chiens ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s dans ce puits. La distinction entre les formes de chiens se fait principalement par l’étude de la morphologie crĂąnienne11. Malheureusement, trĂšs peu de crĂąnes canins ont Ă©tĂ© exhumĂ©s entiers au Haut-Barr. En effet, sur la centaine d’individus dĂ©nombrĂ©s, seuls deux crĂąnes ont Ă©tĂ© suffisamment bien conservĂ©s pour permettre de prendre les mesures adĂ©quates. Dans la mesure oĂč le puit dans lequel ces squelettes ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s est trĂšs profond, on peut supposer que les tĂȘtes furent endommagĂ©es par la chute – jusqu’à 25 mĂštres pour les niveaux les plus anciens – et par le poids des sĂ©diments. Fig. 5 Radius droits de chiens du Haut-Barr US 5, 6, 14, 15. Le choix a donc Ă©tĂ© fait de se concentrer sur l’étude d’os longs, mieux conservĂ©s. Ces informations ont Ă©tĂ© traitĂ©es, pour chaque os long, par Analyse en Composantes Principales ACP afin de pouvoir travailler rapidement et en considĂ©rant un grand nombre d’informations. L’analyse des radius est la plus intĂ©ressante car elle recense le plus d’individus, et c’est l’os le plus rĂ©vĂ©lateur de changements morphologiques12. C’est sur son ACP que repose l’étude. Fig. 6 Analyse en Composantes Principales ACP des mesures des radius de chiens du Haut-Barr Les lettres correspondent aux passes de prĂ©lĂšvement [A-AJ], les numĂ©ros servent Ă  les diffĂ©rencier. Quatre mesures ont Ă©tĂ© choisies pour l’analyse la plus grande longueur de l’os GL Greatest length, sa largeur proximale BP Breath of the proximal end, sa plus petite largeur mĂ©diale SD Smallest breath of the diaphysis et sa largeur distale BD Breath of the distal end. Tout comme pour l’AFC vue prĂ©cĂ©demment, les individus ici les radius de chiens forment un nuage de points organisĂ©s selon leurs ressemblances et diffĂ©rences. Les deux axes, appelĂ©s Dimensions » cumulent 98,82% de l’inertie. C’est-Ă -dire qu’ils contiennent la quasi-totalitĂ© des informations et des liens entre individus radius et variables mesures. Contrairement Ă  ce qu’on l’on pourrait attendre, la longueur de l’os GL n’est pas la variable principale de distinction des individus. Les autres mesures des os longs largeurs proximale, mĂ©diane et distale sont les variables les plus corrĂ©lĂ©es de l’axe F1, ce sont celles dĂ©tenant le plus d’informations. Cela signifie que ce n’est pas tant la taille des os que leurs variations morphologiques qui importent. Par extension, la hauteur au garrot des chiens du Haut-Barr est moins discriminante et rĂ©vĂ©latrice que ne l’est leur robustesse. Fig. 7 CAH des radius de chiens du Haut-Barr, obtenue Ă  partir de l’ACP ci-dessus. De nouveau, une classification ascendante hiĂ©rarchique CAH a Ă©tĂ© effectuĂ©e, et plusieurs groupes ont Ă©tĂ© obtenus Ă  partir de ces rĂ©sultats. Cependant leur interprĂ©tation est plus complexe que celle des groupes obtenus en organisant les US selon la consommation carnĂ©e. Dire des radius regroupĂ©s qu’ils sont de petites ou de grandes tailles n’est pas suffisant le croisement des sources est nĂ©cessaire. Fig. 8 Radius de chiens du Haut-Barr selon leur hauteur au garrot en cm abscisses et leur indice de gracilitĂ© ordonnĂ©es, comparaison avec des profils de chiens contemporains numĂ©rotĂ©s de 1 Ă  1213 Tout d’abord, les profils de chiens du Haut-Barr ont Ă©tĂ© comparĂ©s Ă  ceux de chiens actuels. Il ne s’agit en aucun cas de proposer une dĂ©termination des formes de chiens mĂ©diĂ©vaux Ă  partir d’espĂšces actuelles ; les races » canines n’apparaissent pour la plupart qu’au XIXe siĂšcle14, il serait donc anachronique d’en voir des reprĂ©sentants au Moyen Âge. Le but est ici d’observer la population canine du Haut-Barr selon un autre spectre de lecture, en se servant de profils moyens de races de chiens actuels comme repĂšres morphologiques visuels. La majoritĂ© des chiens, toutes pĂ©riodes confondues, se concentre sur la partie basse du graphique ; au-delĂ  de 45cm de hauteur au garrot et en-deçà de 9 en indice de gracilitĂ©. Il s’agit d’animaux Ă©lancĂ©s oĂč la taille devient le seul Ă©lĂ©ment ostĂ©ologique discriminant. Ils sont nettement plus sveltes que le profil des chiens de garde type Boxer n°8 par exemple. Leur morphologie se rapproche plus de celles du Doberman et surtout du Pointer anglais, chien de chasse par excellence. Globalement, ce groupe est encadrĂ© de part et d’autre par le Whippet et le BarzoĂŻ, formes accentuĂ©es du lĂ©vrier l’une plus petite, l’autre plus grande. Bien que nous ne disposons pas de radius de lĂ©vrier contemporain pour Ă©tablir une comparaison, il est fort probable que les chiens du Haut-Barr les plus hauts et les plus graciles s’en approchent. Le profil de lĂ©vrier, avec celui du Pointer et du berger allemand, dessinent les contours des chiens de grandes tailles du Haut-Barr. Vu les profils morphologiques dĂ©gagĂ©s, il est tout Ă  fait possible qu’il s’agisse de vĂ©nerie. Or la constitution et l’entretien d’une meute de chiens de chasse nĂ©cessite une attention particuliĂšre dans le choix des individus et dans leur reproduction, qu’il s’agisse d’une sĂ©lection postzygotique Ă©limination ou isolation des individus non dĂ©sirĂ©s sans contrĂŽle direct sur la reproduction, ou prĂ©zygotique accouplement choisi des individus pour perpĂ©trer un phĂ©notype observable15. De cette sĂ©lection d’un cheptel canin prĂ©cis dĂ©coule une meute choisie. Ce choix s’effectue selon des critĂšres dĂ©finis. Il ne s’agit pas encore de races » de chiens, mais de natures ». Ces natures » de chiens, pour reprendre les termes employĂ©s par Gaston PhĂ©bus, comte de Foix et auteur du plus ancien traitĂ© de chasse mĂ©diĂ©val connu16, se distinguent par leur sĂ©lection et l’usage que l’on en fait. Dans ce traitĂ©, l’auteur Ă©numĂšre plusieurs grands types de chiens qui sont les alanz, les levriers, les chiens d’oysel, et les mastinz. La description physique qui est faite de tels animaux peut correspondre Ă  celle de certains des chiens du Haut-Barr. Il s’agirait alors de la population d’un chenil, comprenant plusieurs types de chiens adaptĂ©s Ă  la chasse en fonction de leurs capacitĂ©s. La prise en compte de ces descriptions de chiens dans l’analyse des canidĂ©s du Haut-Barr nous permet d’affiner notre propos. En utilisant ces natures » canines comme clefs d’interprĂ©tation des donnĂ©es ostĂ©omĂ©triques, tout en croisant les sources historiques et archĂ©ologiques, nous parvenons Ă  distinguer des profils morphologiques cohĂ©rents. Nous pouvons proposer une interprĂ©tation logique de la population canine du Haut-Barr, et suivre son Ă©volution chronologique. Fig. 9 Proposition d’interprĂ©tation des types de chiens prĂ©sents au Haut-Barr d’aprĂšs leurs radius. Le choix a Ă©tĂ© fait de conserver le support du graphique XY prĂ©sentĂ© prĂ©cĂ©demment, d’y reporter les groupes de chiens dĂ©gagĂ©s par la CAH de l’ACP et de se servir des sources historiques mĂ©diĂ©vales et modernes sur la vĂšnerie pour proposer une interprĂ©tation crĂ©dible de la population canine du chĂąteau du Haut-Barr. Les chiens de plus grandes tailles entre 55cm et 70cm au garrot sont globalement regroupĂ©s. Leur hauteur va de pair avec une certaine gracilitĂ©, avec un indice qui oscille entre 7 et 9. Ces morphologies, la ressemblance avec des profils actuels Boxer, Pointer anglais, Berger allemand et BarzoĂŻ, et la consultation de sources historiques laissent supposer la prĂ©sence de lĂ©vriers et d’alanz17 , pour reprendre la terminologie de Gaston PhĂ©bus de Foix. En poussant plus loin nos suppositions, les lĂ©vriers sont vraisemblablement les chiens les plus graciles environ 7 d’indice de gracilitĂ©, et les alanz les plus robustes entre 7,5 et 8,5. Ces derniers sont les ancĂȘtres de nos dogues actuels. Moins luxueux que les lĂ©vriers, ils sont malgrĂ© tout robustes, rapides, et trĂšs recherchĂ©s par les amateurs de vĂšnerie fig. 10. Fig. 10 Livre de Chasse de Gaston PhĂ©bus, enluminure illustrant le chapitre Si devise de l’alant et de toute sa nature ». Le second groupe qui se dessine sur le nuage de points englobe des chiens de tailles mĂ©dianes entre 45 et 55cm au garrot. Toujours selon les natures de chiens dĂ©crites plus haut, ces formes correspondent aux chiens d’oysel18. Nous savons que leur morphologie varie beaucoup tout en restant de petite taille, mais leur description physique est trĂšs succincte ; nous ne nous attarderons donc pas sur cette forme canine. Les chiens courants ont Ă©galement une description physique peu prĂ©cise, et leur morphologie semble hĂ©tĂ©rogĂšne, il est donc plus difficile d’y attribuer des individus prĂ©cis du Haut-Barr, mais il est tout Ă  fait probable que ce profil de chiens se mĂ©lange Ă  celui des chiens d’oysel. Cependant, il existe une morphologie canine rĂ©pandue dans le monde de la chasse dont nous n’avons pas encore parlĂ©, et qui conviendrait tout Ă  fait Ă  la description d’un chien courant le basset. Cette espĂšce n’est pas mentionnĂ©e par Gaston PhĂ©bus, alors que cet animal est aujourd’hui iconique de la chasse Ă  courre, et est considĂ©rĂ© comme un chien courant contemporain19. Dans le Livre de chasse, la description des chiens courants peut correspondre20. L’auteur prĂ©cise que les jarrets doivent ĂȘtre droits et non courbes, mais ne prĂ©cise rien quant aux pattes antĂ©rieures de l’animal. Or c’est bien la courbure des radius, couplĂ©e Ă  la petite taille qui est caractĂ©ristique du basset21. Cette dĂ©formation est prĂ©sente sur certains individus du Haut-Barr et il est tentant d’y voir une variation de la nature de chiens courants dĂ©crite par Gaston PhĂ©bus. Le basset n’apparaĂźt dans aucun autre traitĂ© de chasse mĂ©diĂ©val, alors que cette forme canine est attestĂ©e archĂ©ologiquement depuis la fin de l’AntiquitĂ©22. Ce silence dans la littĂ©rature cynĂ©gĂ©tique, pour un animal aujourd’hui autant assimilĂ© Ă  la chasse, peut s’expliquer par la simple Ă©volution des pratiques de chasse. Cette forme canine ne rĂ©pondait alors pas aux critĂšres de la vĂ©nerie mĂ©diĂ©vale, il ne s’agit pas de la chasse noble » et digne d’ĂȘtre consignĂ©e par Ă©crit. Il faut attendre le XVIe siĂšcle pour avoir la premiĂšre mention du basset dans La VĂ©nerie et l’Adolescence par Jacques du Fouilloux23, oĂč l’animal est dĂ©signĂ© comme chien de terre ». Leurs jambes torses et leur petite taille leur permet de se faufiler dans les terriers de renards et de blaireaux tessons afin de les dĂ©nicher. Originellement, ces animaux sont atteints d’une forme de nanisme, mais ont Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©s et reproduits pour cette particularitĂ© physique. Il ne s’agit plus de chiens courants, mais bien d’un tout autre type d’auxiliaires de chasse utilisĂ©s couramment au Bas Moyen-Âge. Viennent ensuite les chiens couplant une taille modeste entre 35cm et 45cm au garrot et une robustesse importante. Ceux-lĂ  sont interprĂ©tĂ©s comme des chiens de garde, ceux que Gaston PhĂ©bus nomme des mĂątins. Il est Ă©galement possible qu’il s’agisse d’alanz de boucherie de petite taille. Quoiqu’il en soit, ces profils ne sont pas ceux d’auxiliaires de vĂ©nerie, Ă  moins qu’il ne soient utilisĂ©s comme renforts pour la chasse de proies lentes et imposantes ours ou sanglier. La seule morphologie que nous n’avons pas abordĂ©e est celle des chiens de trĂšs petites tailles, dont les profils ne s’approchent d’aucune des natures de chiens dĂ©crites dans le Livre de Chasse. Ces animaux font moins de 30cm au garrot et, de par leur faible robustesse, ne correspondent Ă  aucune nature canine prĂ©sente dans l’ouvrage. Il ne s’agit pas de chiens de chasse ni de garde, mais de compagnie. Fig. 11 DĂ©tail de la tapisserie La Dame Ă  la Licorne A mon seul dĂ©sir », reprĂ©sentation d’un chien de petite taille type spitz nain. Les chiens de type pĂ©kinois ou Ă©pagneul nain sont reprĂ©sentĂ©s sur les tapisseries de La Dame Ă  la Licorne. Ils sont dĂ©tachĂ©s de l’iconographie du monde animal ils ne sont pas dans l’herbe comme le sont les autres chiens, l’un d’eux a mĂȘme le privilĂšge de siĂ©ger sur un coussin Ă  proximitĂ© de la Dame Ă  la Licorne fig. 11. Ce sont plus des possessions d’apparat que des animaux. Les seuls autres animaux reprĂ©sentĂ©s proches de la Dame ont une fonction symbolique le lion, la licorne, l’oiseau
. Le chien miniature n’a comme fonction ou symbole que d’ĂȘtre un accessoire esthĂ©tique, et sa proximitĂ© peut montrer une certaine affection envers ces animaux. Pour en revenir aux chiens type pĂ©kinois du Haut-Barr, il est clair, vu leurs gabarits, que ces animaux n’ont pas de rĂŽle particulier, si ce n’est de tenir compagnie Ă  leurs propriĂ©taires. Leur possession ne procure aucun bĂ©nĂ©fice, n’a aucune utilitĂ© chasse, garde ou berger, mais est une fin en elle-mĂȘme. Ils sont un luxe ; par consĂ©quent c’est l’apanage ostentatoire d’une population aisĂ©e. La possession d’une meute de chasse est dĂ©jĂ  un signe de richesse et un marqueur social fort. Seule une Ă©lite aux revenus consĂ©quents peut se permettre les dĂ©penses liĂ©es Ă  l’achat des animaux, Ă  leur Ă©levage et leur entretien, Ă  la rĂ©munĂ©ration des veneurs et serviteurs nĂ©cessaires, Ă  la possession de chevaux, indispensables pour suivre les limiers et leurs proies , etc. Au coĂ»t de la chasse terrestre s’ajoute celui de la chasse au vol, Ă©galement attestĂ©e au Haut-Barr24. Ce chĂąteau a Ă©tĂ© le lieu de rĂ©sidence d’une Ă©lite fortunĂ©e, et les vestiges de meutes de chiens en sont l’un des marqueurs. De nouveau, l’élĂ©ment crucial dans la comprĂ©hension de la population canine du chĂąteau du Haut-Barr est la chronologie. La quasi-totalitĂ© des chiens de grandes tailles sont du XIIe siĂšcle, principalement des lĂ©vriers ou des dogues. Ces individus ont des profils trĂšs proches, ce qui se traduit par un nuage de points trĂšs resserrĂ©s fig. 9. Il s’agit d’une population choisie, Ă  la reproduction contrĂŽlĂ©e et Ă  l’élevage encadrĂ©. Ensuite viennent quelques chiens courants et d’oiseaux se mĂ©langeant, ainsi que deux occurrences de chiens de garde et un unique chien de petit format. La rĂ©partition des formes canines du XIIe siĂšcle montre un vrai contrĂŽle de la population par la sĂ©lection d’individus spĂ©cifiquement choisis pour la chasse, avec quelques occurrences qui sortent de ce cadre. LĂ  oĂč cette premiĂšre meute montre une rĂ©elle cohĂ©rence dans le choix des morphologies, la population canine plus tardive XIVe siĂšcle est nettement plus hĂ©tĂ©rogĂšne. La quantitĂ© de chiens de grandes tailles diminue, alors que celle de chiens de courtes tailles s’accroĂźt, aussi bien en nombre d’individus qu’en types de morphologies ; les animaux de compagnie et les chiens dits d’oiseaux fig. 11 se multiplient, et une forme proche du basset apparaĂźt alors que les dogues et lĂ©vriers disparaissent. L’occupation du site a changĂ© et la possession d’une meute de chien n’a plus la mĂȘme fonction ni la mĂȘme symbolique. La premiĂšre occupation du chĂąteau privilĂ©gie une meute de chasse dans les rĂšgles de l’art, alors que la fin de la pĂ©riode mĂ©diĂ©vale voit une transition vers une population canine rĂ©pondant Ă  d’autres attentes la dĂ©fense, la compagnie ou l’apparat, et une forme de chasse qui a Ă©voluĂ© et est moins traditionnelle. Le dĂ©busquage de renards et la rĂ©cupĂ©ration de leur fourrure prend le pas sur la poursuite des cerfs. Tout comme nous l’avons constatĂ© dans le changement d’alimentation carnĂ©e, l’évolution du chenil du Haut-Barr coĂŻncide avec le changement du type d’occupation du chĂąteau. D’abord lieu de rĂ©sidence ponctuel des Ă©vĂȘques de Strasbourg, la forteresse est peu Ă  peu dĂ©laissĂ©e par les princes Ă©piscopaux, et cantonnĂ©e Ă  son seul rĂŽle militaire Ă  la fin du XIVe siĂšcle. Il est donc plausible d’envisager un dĂ©laissement progressif du site depuis la fin du XIIIe siĂšcle par les Ă©lites, ce qui explique l’attention dĂ©croissante sur le contrĂŽle de la population canine, et la disparition des formes les plus luxueuses et nobles » de chiens lĂ©vriers/dogues. En parallĂšle apparaissent des chiens rĂ©pondant Ă  des besoins plus prosaĂŻques tels les bassets pour la chasse au lapin, blaireaux et renards afin de rĂ©cupĂ©rer leur peau. Cette optique est moins celle d’un prince de l’Eglise que d’un ministĂ©rial chargĂ© de l’entretien du chĂąteau et de sa garnison, et complĂ©tant ses revenus par des complĂ©ments ponctuels rĂ©cupĂ©ration de peaux et chasse d’appoint. Conclusion. L’utilisation d’outils statistiques n’est pas strictement indispensable Ă  l’analyse archĂ©ozoologique, mais le gain de temps et l’efficacitĂ© de rĂ©flexion ne peuvent ĂȘtre nĂ©gligĂ©s. L’AFC et l’ACP ont respectivement aidĂ© Ă  la comprĂ©hension de l’alimentation et de l’élevage dans la forteresse du Haut-Barr. Ces deux thĂ©matiques sont le centre de toute analyse archĂ©ozoologique. Le lien Ă©troit avec l’histoire du site rend ces exemples particuliĂšrement parlants. Mais comme nous l’avons vu en seconde partie, le seul recours Ă  la mĂ©thode statistique n’est pas suffisant pour l’étude de la faune, et le traitement de donnĂ©es donne une infinitĂ© d’interprĂ©tation. C’est pourquoi il est important de les manier avec discernement en choisissant les questions posĂ©es et en croisant les sources disponibles. L’objectif est de se servir Ă  la fois de la lecture mĂ©thodique d’un document par des outils mathĂ©matiques, et de la rĂ©flexion de l’archĂ©ologue. Dans le cas prĂ©sent, le traitement de l’importante quantitĂ© d’informations a permis d’isoler des groupes d’animaux, en se posant en amont la question de leur consommation alimentation en viande, et de leur utilisation vĂ©nerie. Avec ces deux seuls Ă©lĂ©ments, la comprĂ©hension globale de la faune du chĂąteau du Haut-Barr est en grande partie complĂ©tĂ©e, et le contexte Ă©litaire du site corrobore les observations archĂ©ozoologiques. Phillipe Pauthier Bibliographie. Alpak H., Mutuß R., Onar V. 2004 Correlation analysis of the skull and long bone measurements of the dog, Annals of Anatomy – Anatomischer Anzeiger, 186–4, p. 323–330. Arbogast 1993 ArchĂ©ozoologie et fouilles anciennes du chĂąteau du Haut-Koenigsbourg Haut-Rhin, Cahiers alsaciens d’archĂ©ologie, d’art et d’histoire, p. 197–206. 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Fig. 2 Analyse factorielle des correspondances AFC de la consommation en viande du Haut-Barr par passe de prĂ©lĂšvement numĂ©rotĂ©es de A Ă  AJ. Fig. 3 Classification ascendante hiĂ©rarchique CAH des passes selon la similaritĂ© de leurs compositions. Fig. 4 Report des groupes dĂ©gagĂ©s par la CAH sur le relevĂ© de la structure du puits. RelevĂ© de la structure par R. Kill, DAO des US et groupes d’alimentation carnĂ©e Ph. Pauthier. Fig. 5 Radius droits de chiens du Haut-Barr, Photo par Ph. Pauthier. Fig. 6 Analyse en Composantes Principales ACP des mesures des radius de chiens du Haut-Barr Les lettres correspondent aux passes de prĂ©lĂšvement, les numĂ©ros servent Ă  les diffĂ©rencier. Fig. 7 CAH des radius de chiens du Haut-Barr, obtenue Ă  partir de l’ACP ci-dessus. Fig. 8 Radius de chiens du Haut-Barr selon leur hauteur au garrot en cm abscisses et leur indice de gracilitĂ© ordonnĂ©es, comparaison avec des profils de chiens contemporains numĂ©rotĂ©s de 1 Ă  12, tableau d’aprĂšs Colominas 2016. Fig. 9 Proposition d’interprĂ©tation des types de chiens prĂ©sents au Haut-Barr d’aprĂšs leurs radius. Fig. 10 Livre de Chasse de Gaston PhĂ©bus, enluminure illustrant le chapitre Si devise de l’alant et de toute sa nature », numĂ©risation sur Gallica par la BNF, identifiant ark/12148/btv1b52505055c Fig. 11 DĂ©tail de la tapisserie La Dame Ă  la Licorne A mon seul dĂ©sir », reprĂ©sentation d’un chien de petite taille type spitz nain, Photo par Salix 2014 photo libre de droit. La dĂ©termination et l’analyse de ce site ont Ă©tĂ© effectuĂ©es par Ph. Pauthier dans le cadre de sa thĂšse, sous la direction de S. Balcon-Berry et la tutelle de B. Clavel. Cette thĂšse repose sur l’étude de 4 sites pour un total dĂ©passant les 90 000 restes enregistrĂ©s. [↩] Voire dĂ©but XIe siĂšcle. [↩] D’oĂč son nom le Haut-Barr Hohbarr en allemand. [↩] Haegel 1993. [↩] Haegel 1993. [↩] D’aprĂšs Marinval-Vigne 1993, p. 213. [↩] Clavel 2001, p. 84. [↩] Strubel, Saulnier 1994, p. 106. [↩] Aurell 1996. [↩] Von den Driesch A., 1976. [↩] Lepetz 1996. [↩] Colominas 2016. [↩] Von Den Driesch, Peters 2003 ; Colominas 2016. [↩] Lord . 2016. [↩] Lord 2016. [↩] Tilander 1971. [↩] Strubel, Saulnier 1994, p. 112. [↩] Tilander 1971, p. 135. [↩] D’aprĂšs le standard Ă©tabli par la FĂ©dĂ©ration cynologique internationale. [↩] Tilander 1971, p. 127. [↩] Rodet-Belarbi, Forest 2010, p. 58. [↩] Rodet-Belarbi, Forest 2010, p. 57. [↩] Du Fouilloux, Boucher, 1614, p. 71. [↩] Plusieurs oiseaux de proie, dont un squelette d’autour des palombes, ont Ă©tĂ© dĂ©couverts dans ce mĂȘme puits. [↩] Article Ă©crit par Baptiste Dumas-Piro TĂ©lĂ©charger l’article au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le jeudi 20 janvier 2022. FigĂ©e dans son asymĂ©trie, c’est inachevĂ©e que l’église Saint-Sulpice s’offre au regard. LaissĂ©e en l’état lorsqu’éclata la RĂ©volution, sa façade principale constitue une composante majeure de ce qui fut l’un des chantiers parisiens phares de la fin du Grand SiĂšcle et du XVIIIe siĂšcle. Toutefois, Saint-Sulpice est Ă©galement un monument du XIXe siĂšcle, de profondes transformations lui ayant Ă©tĂ© apportĂ©es tout au long de la pĂ©riode concordataire. C’est dans un contexte rythmĂ© par le Concordat qu’une restauration de l’ensemble du monument fut dĂ©cidĂ©e, mais qu’une ultime tentative d’achĂšvement de cette façade resta finalement un projet avortĂ©. La nature des dĂ©bats qui eurent lieu Ă  cette occasion permet d’aborder plus largement, pour la pĂ©riode de la monarchie de Juillet, la question de la perception de la ville et de ses diffĂ©rentes composantes, qu’elles soient monumentales ou modestes, publiques ou privĂ©es, et plus particuliĂšrement la perception dĂ©doublĂ©e du Paris moderne et du Paris ancien. Celle-ci n’était pas le fait du XIXe siĂšcle ; au XVIIe siĂšcle dĂ©jĂ  des publications attestent de ce processus d’évolution des mentalitĂ©s, mais un basculement s’opĂ©ra progressivement Ă  compter des annĂ©es 1830, le Paris d’antan cessant progressivement de faire l’objet d’un jugement nĂ©gatif1. Cette perception modifiĂ©e favorisa la mise en place progressive d’une sĂ©rie de mesures devant permettre de conserver des architectures anciennes jugĂ©es dignes d’intĂ©rĂȘt, ultĂ©rieurement dĂ©finies en tant que patrimoine. La restauration et l’achĂšvement de Saint-Sulpice permettent d’approcher les dĂ©bats qui portaient sur la frontiĂšre de ce Paris double. Si les Ă©difices mĂ©diĂ©vaux et ceux de la Renaissance appartenaient indubitablement au vieux Paris, un monument comme Saint-Sulpice, datant en grande partie de la pĂ©riode moderne et dont la construction se poursuivait encore dans les ultimes annĂ©es de l’Ancien rĂ©gime, Ă©tait plus complexe Ă  rattacher Ă  l’une de ces deux catĂ©gories. Il est donc proposĂ© de resituer Saint-Sulpice dans le contexte plus gĂ©nĂ©ral du Paris des annĂ©es 1830 et 1840 en s’attachant aux dĂ©marches qui l’intĂ©graient ou l’excluaient de ce qui Ă©tait en passe de devenir du patrimoine. Il s’agit pour ce faire de se fonder en grande partie sur des archives administratives qui rendent compte des diffĂ©rents argumentaires dĂ©veloppĂ©s pour mener Ă  son terme ce chantier. I. Une restauration d’envergure pour l’église Saint-Sulpice Lorsque la restauration de l’église Saint-Sulpice fut dĂ©cidĂ©e au milieu des annĂ©es 1830, tout chantier religieux en France, y compris ceux des Ă©glises paroissiales, Ă©tait encadrĂ© depuis 1802 par le Concordat. Concernant la capitale, la plupart des Ă©glises paroissiales Ă©taient la propriĂ©tĂ© de la Ville de Paris pour le compte de laquelle agissait la prĂ©fecture de la Seine. Tout au long du siĂšcle, Ă  l’exception de l’éphĂ©mĂšre IIe RĂ©publique, la capitale n’eut pas un maire pour premier magistrat, mais un prĂ©fet directement nommĂ© par le souverain2. La prĂ©fecture Ă©tait donc le principal dĂ©cisionnaire quant aux interventions Ă  mener Ă  Saint-Sulpice. La dĂ©marche de la prĂ©fecture l’amena Ă  s’intĂ©resser au monument avant l’église comme tout Ă©difice public d’importance, Saint-Sulpice Ă©tait en mesure de rehausser le prestige de la capitale Ă  une Ă©poque oĂč le regard des nations europĂ©ennes constituait une vĂ©ritable obsession. À partir de la fin des annĂ©es 1820, un phĂ©nomĂšne Ă©mergea qui devint pleinement effectif autour de 1840, Ă  savoir que les nouvelles Ă©glises paroissiales parisiennes, suivant un phĂ©nomĂšne national, gagnĂšrent davantage en visibilitĂ© au sein de leur environnement outre une monumentalitĂ© nouvelle, leurs abords furent conçus ou modifiĂ©s pour leur permettre de rester visibles Ă  de longues distances, tout en servant de centre organisationnel Ă  leur environnement. De ce fait, l’intĂ©rĂȘt de la prĂ©fecture de la Seine pour Saint-Sulpice peut s’expliquer au regard des chantiers contemporains, en particulier celui de la nouvelle Ă©glise Saint-Vincent-de-Paul dans le quartier du faubourg PoissonniĂšre. Les deux tours encadrant leur façade principale tĂ©moignent d’une filiation entre les deux monuments laquelle, bien que lointaine et partielle, atteste qu’un vocabulaire local a Ă©tĂ© employĂ© pour faire de Saint-Vincent-de-Paul une composante fĂ©dĂ©ratrice de son environnement fig. 1 et 2. Ce parti-pris esthĂ©tique constituait une rupture avec la plupart des Ă©glises paroissiales Ă©levĂ©es dans les derniĂšres dĂ©cennies de l’Ancien RĂ©gime et sous la Restauration, dont les dimensions restreintes leur faisaient garder une relative discrĂ©tion. Cette rapide comparaison permet de comprendre que la prĂ©fecture ait eu Ă  cƓur d’intervenir Ă  Saint-Sulpice et d’achever sa façade dont les tours sont les signalĂ©tiques qui affirment la prĂ©sence de l’église Ă  la fois dans son quartier, mais aussi au travers de la ville. façade principale de l’église Saint-Sulpice, XVIIe-XVIIIe siĂšcle, Paris. Fig. 2 Jacques Ignace Hittorff, Ă©glise Saint-Vincent-de-Paul, 1824-1844, Paris. La prĂ©fecture ne jouissait cependant pas d’une libertĂ© absolue dans sa gestion des Ă©difices religieux, devant composer avec d’autres intervenants. Son droit de propriĂ©tĂ© Ă©tait grevĂ© d’une servitude elle Ă©tait dans l’obligation de mettre l’église Ă  la disposition de la fabrique, tout en y garantissant le bon exercice du culte. La fabrique, Ă©tablissement public rĂ©tabli par le Concordat, Ă©tait administrĂ©e par un conseil de fabrique. Celui-ci Ă©tait composĂ© de clercs et de laĂŻcs3 ; le curĂ© en Ă©tait membre de droit, ainsi que le maire d’arrondissement4 . La fabrique Ă©tait donc affectataire des lieux et, Ă  ce titre, le conseil de fabrique Ă©tait Ă  mĂȘme de s’immiscer dans le chantier de Saint-Sulpice. Il Ă©tait habilitĂ© Ă  donner son opinion, parlementer pour faire valoir ses arguments auprĂšs de la prĂ©fecture Ă  laquelle il restait nĂ©anmoins soumis. Son rĂŽle Ă©tait Ă©galement valorisĂ© dans la mesure oĂč, Ă©tant Ă  la fois en relation directe avec la communautĂ© des fidĂšles et les services de la prĂ©fecture, il avait la capacitĂ© de se faire le lien indispensable entre la municipalitĂ© et les catholiques »5 . La dĂ©coration des Ă©glises Ă©tait en thĂ©orie Ă  la charge des fabriques6, mais la prĂ©fecture de la Seine en dĂ©cida autrement en mettant en place un ensemble de services exclusivement dĂ©diĂ©s Ă  ces questions. Les dĂ©penses affectĂ©es aux commandes d’Ɠuvres Ă©taient donc assumĂ©es par la prĂ©fecture Ă  l’aide de budgets spĂ©cialement consacrĂ©s aux beaux-arts7 , mais il Ă©tait rĂ©current dans la pratique qu’elle demandĂąt aux fabriques de concourir Ă  la dĂ©pense, amenant parfois Ă  un partage des frais engagĂ©s. C’est dans ce contexte qu’à partir de 1836 la prĂ©fecture mit sur pied un ambitieux programme de travaux visant Ă  restaurer et dĂ©corer Saint-Sulpice. Cependant, les membres du conseil de fabrique entendirent s’en faire des acteurs essentiels, allant jusqu’à affirmer que l’initiative d’un tel chantier leur revenait, assurant que ce travail si important pour la dĂ©coration de l’église et l’embellissement de la Ville a Ă©tĂ© provoquĂ© par nous depuis prĂšs de deux ans8 ». Leur assertion se vĂ©rifie dans la mesure oĂč il leur incombait de faire connaĂźtre Ă  la prĂ©fecture les besoins de l’église, mais il est toutefois Ă©vident que la prĂ©fecture aurait entrepris d’importants travaux compte tenu de l’importance d’un tel monument. Ces interventions s’inscrivent dans la politique artistique et patrimoniale que la prĂ©fecture avait gĂ©nĂ©ralisĂ©e Ă  l’ensemble des Ă©glises paroissiales parisiennes, la majoritĂ© d’entre elles ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© de travaux d’entretien, de restaurations parfois poussĂ©es, mais Ă©galement de mesures prises pour en assurer la dĂ©coration. Ce programme de travaux avait Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă  l’ensemble du monument. La premiĂšre Ă©tape concerna le grattage et le nettoyage de l’ensemble des parois intĂ©rieures dont le succĂšs fit Ă©crire que cet immense vaisseau semble, par la coquetterie de cette toilette, avoir repris un ensemble plus imposant9». Ce nettoyage fut d’autant plus apprĂ©ciĂ© qu’il Ă©tait respectueux de l’édifice Si nous approuvons le systĂšme de nettoyage qui a Ă©tĂ© employĂ© Ă  [
] Saint-Sulpice, nous nous Ă©lĂšverons toujours contre le systĂšme de grattage des Ă©difices avec le ciseau ou tout autre instrument. Dans le premier cas, la puretĂ© des lignes et la dĂ©licatesse des sculptures ne reçoivent aucune altĂ©ration. Dans le second, toute l’harmonie disparaĂźt. La main souvent maladroite de ces artistes Ă  la journĂ©e qu’on appelle des tailleurs de pierre, dĂ©nature l’Ɠuvre originale qui fait nos La chapelle de la Vierge connut quant Ă  elle une restauration poussĂ©e sous la direction de Victor Baltard, en sa qualitĂ© d’inspecteur des travaux d’art de la Ville de Paris, qui lui redonna son ancien Ă©clat » et la fit redevenir l’un des objets les plus dignes d’attirer l’admiration des Ă©trangers11 ». En parallĂšle, de nombreuses commandes furent passĂ©es en vue de complĂ©ter la dĂ©coration de l’église, essentiellement des peintures murales pour les chapelles latĂ©rales, ce qui correspondait Ă  une dĂ©marche plus gĂ©nĂ©rale de la prĂ©fecture qui recouvrait les parois de ses diffĂ©rentes Ă©glises12. D’autres commandes devaient Ă©galement permettre de complĂ©ter des ensembles restĂ©s lacunaires. Ce fut le cas pour l’ensemble sculptĂ© par Edme Bouchardon dont dix statues avaient Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©es sur les vingt-quatre initialement prĂ©vues. La prĂ©fecture en commanda deux autres aux sculpteurs Antoine Desboeufs 1793-1862 et Jules Antoine Droz 1804-1872 pour complĂ©ter l’ensemble13. Il y eut pourtant des hĂ©sitations quant Ă  la possibilitĂ© de laisser en l’état cet ensemble sculptĂ© du XVIIIe siĂšcle pour en prĂ©server l’unitĂ©, dans un souci d’harmonie et de cohĂ©rence. Le conseil de fabrique considĂ©rait qu’ il y aurait ce semble, dĂ©savantage sous le rapport de l’art Ă  y placer deux statues qui, fussent-elles de bonne exĂ©cution, viendraient nĂ©anmoins rompre l’unitĂ© qui rĂšgne dans la suite des dix statues de Bouchardon14 ». Si des commandes furent finalement passĂ©es, il convient de relever un souci, non pas thĂ©ologique mais esthĂ©tique et historique, de prĂ©server un ensemble cohĂ©rent, quand bien mĂȘme il serait lacunaire. En parallĂšle, de nombreux remaniements furent dĂ©cidĂ©s certaines tribunes furent supprimĂ©es et quelques anciennes fĂ©rures [sic] qui dĂ©paraient l’aspect du monument15 » furent ĂŽtĂ©es, ce qui dĂ©montre la volontĂ© de restaurer et complĂ©ter un monument du siĂšcle prĂ©cĂ©dent auquel il convenait de rendre son intĂ©gritĂ©. Ce chantier concerna Ă©galement les abords de l’église un Ă©clairage public fut installĂ© sur la place ainsi qu’au niveau de l’entrĂ©e de l’église et une imposante fontaine rĂ©alisĂ©e par Louis Visconti 1791-1853 fut intĂ©grĂ©e Ă  la vaste place en cours d’amĂ©nagement. La place, envisagĂ©e dĂšs le dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, Ă©tait un projet indissociable de la façade, devant permettre de la mettre en valeur, mais il avait Ă©tĂ© jusqu’alors reportĂ©. II. L’achĂšvement de la façade de Saint-Sulpice la naissance d’un dĂ©saccord et l’arbitrage du conseil des bĂątiments civils L’achĂšvement de la façade fut donc dĂ©cidĂ© dans le cadre du chantier gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă  l’ensemble du monument, de ses Ɠuvres et de ses abords. Les travaux projetĂ©s concernaient le portail et les deux tours, dites du Nord et du Midi. L’asymĂ©trie de ces tours Ă©tait d’autant plus importante puisque, comme cela a Ă©tĂ© rappelĂ©, elles constituaient des signalĂ©tiques importantes dans le paysage urbain. C’est Ă  cette occasion qu’un profond dĂ©saccord vint opposer fabrique et prĂ©fecture qui poursuivaient pourtant un objectif commun les divergences ne portaient pas sur le principe mĂȘme de l’achĂšvement des tours, mais sur les modalitĂ©s de celui-ci. Il n’était pas question d’intervenir sur la tour du Nord fig. 3 terminĂ©e par l’architecte Jean François Chalgrin 1739-1811 en 178116. En revanche, la tour du Midi fig. 4 cristallisa les dĂ©bats. La prĂ©fecture souhaitait conserver l’asymĂ©trie de la façade en la faisant achever selon le projet d’origine de l’architecte Giovanni NiccolĂČ Servandoni 1695-1766. La fabrique, elle, souhaitait que cette mĂȘme tour soit reconstruite selon les plans de Chalgrin, c’est-Ă -dire en faire la rĂ©plique exacte de la tour du Nord. Ces divergences d’opinion peuvent ĂȘtre rattachĂ©es Ă  des rĂ©flexions menĂ©es avant 1836. Les archives de la paroisse gardent trace de trois rĂ©flexions sur l’achĂšvement des tours17 Le premier [projet] consisterait Ă  Ă©lever la tour du Sud et Ă  la rendre en tout semblable Ă  celle du Nord. Le second [
] ferait terminer la sculpture de la tour du Sud, en lui conservant du reste sa forme » Ce second projet aurait Ă©tĂ© en partie liĂ© Ă  une croyance populaire » faisant obstacle Ă  la dĂ©coration de deux tours semblables, genre de dĂ©corations qui serait exclusivement rĂ©servĂ© pour les cathĂ©drales19 » Ce dernier argument ne pouvait cependant avoir cours puisqu’au mĂȘme moment des Ă©glises comme Saint-Vincent-de-Paul Ă©taient dotĂ©es de tours Ă  la symĂ©trie parfaite. Le troisiĂšme projet aurait dĂ» Ă©galement rendre les tours symĂ©triques, mais eut entraĂźnĂ© la modification de toutes deux Le troisiĂšme projet [
] consisterait 1° Ă  faire dĂ©molir dans la tour du Nord tout ce qui excĂšde les frontons surmontant le premier ordre d’architecture, 2° Ă  faire Ă©galement dĂ©molir dans la tour du Sud tout ce qui excĂ©derait la hauteur des frontons qui viennent d’ĂȘtre indiquĂ©s, 3° enfin, Ă  affecter le prix de la vente des pierres abattues, Ă  l’achĂšvement de la tour du Sud en lui donnant la forme extĂ©rieure qu’aurait alors celle du » Ce dernier projet n’eut aucune suite aprĂšs 1838, tandis que les deux premiers rĂ©sument dĂ©jĂ  les opinions divergentes de la prĂ©fecture et du conseil de fabrique. Fig. 3 Jean François Chalgrin, tour du Nord de l’église Saint-Sulpice, annĂ©es 1780, Paris La prĂ©fecture de la Seine Ă©tait en position de force, puisque le conseil de fabrique ne pouvait rendre que des avis facultatifs et consultatifs. Cependant, un arbitre intervint pour dĂ©cider de la marche Ă  suivre, en l’occurrence le conseil des bĂątiments civils. DĂ©pendant du ministĂšre de l’IntĂ©rieur, il s’agissait d’un organe permettant Ă  l’État d’exercer une forme de tutelle sur l’ensemble des chantiers publics. Plus prĂ©cisĂ©ment, la compĂ©tence de ce conseil portait sur tout chantier auquel de l’argent public Ă©tait consacrĂ©, ce qui prenait la forme d’un examen par ce conseil. En amont de la rĂ©alisation de tout projet, un rapport Ă  la forme prĂ©alablement dĂ©finie lui Ă©tait soumis, lequel Ă©tait accompagnĂ© d’un dossier graphique21. Il pouvait alors procĂ©der Ă  un examen du projet avant de rendre un avis contraignant. De ce fait, il fut en mesure d’imprimer sa marque Ă  l’ensemble des chantiers publics Ă  Paris comme dans le reste de la France jusqu’à sa dissolution en 1848 du fait d’un long dĂ©clin durant lequel son action s’était vue progressivement critiquĂ©e, puis dĂ©savouĂ©e. Il a donc joui d’un vaste champ de compĂ©tences tout au long de la premiĂšre moitiĂ© du siĂšcle, ce qui Ă©tait rĂ©sumĂ© par l’un de ses membres, Charles Gourlier, lequel affirmait, non sans lyrisme, que le conseil embrasse depuis le monument le plus somptueux jusqu’au moindre Ă©difice d’utilitĂ© publique, depuis le palais des autoritĂ©s suprĂȘmes jusqu’à l’église de village la plus modeste », avant de souligner qu’il est de l’intĂ©rĂȘt le plus Ă©levĂ©, le plus gĂ©nĂ©ral, tant au point de vue de l’art que sous le rapport administratif, je dirais mĂȘme politique22 ». Son champ de compĂ©tence Ă©tait Ă©galement Ă©tendu du fait de la nature-mĂȘme de son action, pouvant formuler une apprĂ©ciation Ă©conomique, technique et esthĂ©tique sur les projets qui lui Ă©taient soumis23 . Dans le cadre de l’achĂšvement de Saint-Sulpice, c’est la question esthĂ©tique qui Ă©tait au cƓur des prĂ©occupations des diffĂ©rentes parties en prĂ©sence. III. Servandoni ou Chalgrin ? Une dĂ©marche historienne prĂ©sidant Ă  l’achĂšvement de la façade Pour trancher la question de l’achĂšvement de la tour du Midi, le conseil des bĂątiments civils dĂ©cida de procĂ©der Ă  des recherches sur l’historique de la façade, c’est-Ă -dire de dĂ©terminer avec prĂ©cision les diffĂ©rentes phases de sa conception et les personnalitĂ©s s’y Ă©tant impliquĂ©es tout au long du XVIIIe siĂšcle. Cette dĂ©marche devait permettre de dĂ©finir le plus prĂ©cisĂ©ment possible les interventions futures afin qu’elles soient respectueuses du monument. Le premier rapport du conseil des bĂątiments civils, rendu le 16 janvier 1838, atteste qu’il a poursuivi les dĂ©marches amorcĂ©es au sein de la prĂ©fecture de la Seine, comme le laisse comprendre Hubert Rohault de Fleury 1777-1846 dans un rappel introductif [
] l’architecte des Ă©glises de Paris chargĂ© de prĂ©parer le devis du ravalement de la tour du Midi de l’église Saint-Sulpice, a prĂ©sentĂ© [
] un rapport par lequel il Ă©tablit que Servandoni fit le portail en 1733 ; que son successeur Oudot de Mac Laurin [sic] fit les deux tours en 1766 et que dix ans aprĂšs M. Chalgrin fut chargĂ© de mettre ces deux tours dans les formes projetĂ©es par Servandoni ce qu’il ne put exĂ©cuter que pour la tour du Nord ; et conclu en proposant de terminer la tour du Midi de la mĂȘme maniĂšre. [
] les faits citĂ©s n’ayant pas Ă©tĂ© trouvĂ©s d’une exactitude Ă©vidente, le conseil ajourna la dĂ©libĂ©ration afin que ses membres pussent se livrer Ă  des recherches pour Ă©clairer les » C’est donc Ă  la prĂ©fecture, et non au conseil, qu’il faut imputer la dĂ©marche consistant Ă  procĂ©der Ă  des recherches, notamment en archives, pour reconstituer la chronologie du chantier. Les trois noms d’architectes concernĂ©s ressortent Servandoni, Oudot de Maclaurin ?-aprĂšs 1772 et Chalgrin. Toutefois, le conseil jugea ces recherches insuffisantes, dĂ©cision fondĂ©e dans la mesure oĂč elles Ă©taient incomplĂštes et recĂ©laient diffĂ©rentes erreurs. AprĂšs s’ĂȘtre livrĂ©s Ă  des recherches complĂ©mentaires, les membres du conseil considĂ©rĂšrent qu’ il y a lieu de prĂ©ciser que Servandoni avait projetĂ© les tours mais ne les avait Ă©levĂ©es que jusqu’à la hauteur des premiĂšres arcades ; que son successeur Oudot de Mac Laurin [sic] les acheva sur des dessins diffĂ©rens [sic] ; et qu’enfin M. Chalgrin a enveloppĂ© la tour du Nord d’une construction qui ne reproduit pas les formes adoptĂ©es par Servandoni, mais qui fut jugĂ©e plus en harmonie avec l’architecture du portail25 ». Ces informations supplĂ©mentaires permettent d’expliquer l’une des raisons des modifications introduites par Chalgrin, Ă  savoir que les nouvelles tours projetĂ©es devaient permettre de monumentaliser davantage Saint-Sulpice en introduisant une nouvelle esthĂ©tique jugĂ©e adaptĂ©e aux proportions du reste de la façade26. Le conseil, Ă  la vue de ces Ă©lĂ©ments nouveaux, trancha temporairement en faveur du projet de Chalgrin Convient-il de terminer la tour du Midi en l’enveloppant d’une construction semblable Ă  celle de la tour du Nord. La question est rĂ©solue » Fig. 4 Giovanni NiccolĂČ Servandoni, tour du Midi de l’église Saint-Sulpice, annĂ©es 1730, Paris Le second rapport, en date du 26 mai 1838, gagne en prĂ©cision, avec davantage de dĂ©tails sur la conception de la façade et de ses deux tours. Achille Leclere 1785-1853, en sa qualitĂ© de rapporteur, revient plus en dĂ©tails sur les projets et les rĂ©alisations des diffĂ©rents architectes, tout en soulignant une nouvelle fois les raisons de l’abandon du projet de Servandoni auquel fut substituĂ© celui de Chalgrin Il est probable que lors de l’achĂšvement de ces tours, l’effet qu’elles produisaient n’ayant pas rĂ©pondu Ă  l’ensemble de cette façade, on demanda de nouveaux projets dont la dĂ©coration fut plus en harmonie avec les deux ordres infĂ©rieurs. M. Chalgrin en fut chargĂ© en 1762 [
]. La tour du Nord a seule Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e et elle en fut entiĂšrement achevĂ©e en 1780, celle du midi n’a Ă©tĂ© que commencĂ©e [
].28 » Le rapporteur conclut sa dĂ©monstration en expliquant qu’ en rĂ©sumĂ©, il me semble prouvĂ© que les tours primitives sont celles du projet de Servandoni et que Maclorain [sic] n’a Ă©tĂ© chargĂ© que de l’exĂ©cution, et quant Ă  la dĂ©coration extĂ©rieure de la tour du Nord elle est de Chalgrin29». Ces explications, plus fournies que celles contenues dans le premier rapport, ne sont en revanche pas trĂšs dĂ©taillĂ©es. La façade a connu diffĂ©rentes Ă©volutions et a Ă©tĂ© au cƓur de nombreux projets qui, pour certains, sont restĂ©s lettre morte ou n’ont Ă©tĂ© que partiellement rĂ©alisĂ©s30. Toutefois, la concision que l’on trouve dans les conclusions formulĂ©es s’explique en partie par le fait qu’il s’agissait pour le rapporteur de se fonder sur l’existant. Le conseil changea d’opinion entre le premier et le second rapport. Dans le premier, il concluait qu’il fallait rendre les deux tours symĂ©triques en faisant de la tour du Midi la copie conforme de la tour du Nord. À l’inverse, dans son second rapport il se rangea du cĂŽtĂ© de la prĂ©fecture en affirmant que l’asymĂ©trie devait ĂȘtre conservĂ©e. Cela a de quoi surprendre lorsque l’on s’attache aux thĂ©ories que le conseil entendait dĂ©fendre, ses membres Ă©tant les fervents dĂ©fenseurs des idĂ©es d’Antoine Chrysostome QuatremĂšre de Quincy 1755-1849 qui avait trouvĂ© en Chalgrin une figure Ă  mĂȘme de mettre en application ses idĂ©es. Le thĂ©oricien, qui pouvait entrer Ă  son grĂ© au Conseil des BĂątiments civils »31 , avait notamment encensĂ© son Ă©glise de Saint-Philippe-du-Roule qui rompait avec l’architecture des Ă©glises jĂ©suites hĂ©ritĂ©es de la Contre-RĂ©forme32. Il eut semblĂ© naturel que le conseil dĂ©fendisse le projet de Chalgrin, en cherchant par la mĂȘme occasion Ă  donner une symĂ©trie parfaite Ă  Saint-Sulpice. Or, il prĂ©fĂ©ra laisser la prĂ©fecture libre de concrĂ©tiser les desseins de Servandoni. Ce revirement pourrait en partie s’expliquer au regard de l’évolution plus gĂ©nĂ©rale de la politique du conseil qu’il lui fallut redĂ©finir sous la monarchie de Juillet. Le conseil des bĂątiments civils faisait l’objet de nombreuses attaques, en particulier de la part des dĂ©fenseurs des monuments anciens. Parmi eux, le comte de Montalembert 1810-1870 dĂ©criait le vandalisme constructeur »33 des diffĂ©rentes instances officielles qui condamnaient rĂ©guliĂšrement des monuments anciens en dĂ©cidant de leur reconstruction, dans l’idĂ©e de leur substituer un nouvel Ă©difice Ă©levĂ© Ă  moindres frais. Le conseil dĂ©cidait rĂ©guliĂšrement de destructions complĂštes suivies de reconstructions, comme ce fut le cas pour de nombreuses Ă©glises. Si vers 1825 il rejetait rĂ©guliĂšrement les projets d’agrandissements pour favoriser les reconstructions, il en alla diffĂ©remment une dĂ©cennie plus tard. Cette attitude dĂ©montre qu’il avait Ă©tĂ© sensibilisĂ©, de grĂ© ou de force, Ă  la valeur nouvellement donnĂ©e Ă  ces monuments34. Le revirement du conseil en faveur du projet de Servandoni peut lui aussi dĂ©couler de cette sensibilisation, l’amenant Ă  soutenir l’achĂšvement de la tour du Midi suivant une logique archĂ©ologique », d’oĂč les recherches prĂ©alables en archives pour Ă©tablir un historique. Il en allait de la survie du conseil, son action Ă©tant de plus en plus dĂ©criĂ©e. IV. L’intĂ©gration de la façade au patrimoine parisien On comprend Ă  la lumiĂšre du dernier rapport que les diffĂ©rends opposant prĂ©fecture et conseil de fabrique dĂ©passaient le seul cadre esthĂ©tique ; c’est leur perception du monument qui diffĂ©rait, ce qui dĂ©note une comprĂ©hension diffĂ©rente de ce qui Ă©tait susceptible d’intĂ©grer le patrimoine. Le rapporteur prit soin de rĂ©sumer leurs positions Deux opinions sont en prĂ©sence, dont le conseil de la Seine se fondant sur les intĂ©rĂȘts de l’art et le respect dĂ» aux Ɠuvres des maĂźtres et voudrait poursuivre les desseins originels de Servandoni en terminant la tour du Midi conformĂ©ment Ă  ce dessein, l’autre faisant passer avant tout l’ensemble du monument, et trouvant les formes de la tour du Nord exĂ©cutĂ©es sur le dessein de Chalgrin, plus en harmonie avec le style de la façade, prĂ©fĂ©rerait qu’on exĂ©cutĂąt celle du Midi sur le mĂȘme modĂšle que celle du » La prĂ©fecture s’attachait Ă  la conservation d’une composante de l’édifice, tandis que la fabrique songeait Ă  l’harmonie globale du monument. Le conseil de fabrique, face au revirement opĂ©rĂ© par le conseil des bĂątiments civils, continua Ă  plaider sa cause ; il espĂ©rait ce faisant qu’il soit procĂ©dĂ© Ă  un nouvel examen du projet suivant les dispositions d’une loi portant sur l’achĂšvement de diffĂ©rents monuments publics36. Selon lui, l’erreur du conseil des bĂątiments civils reposait sur une mauvaise apprĂ©ciation de l’anciennetĂ© de l’église L’avis adoptĂ© a Ă©tĂ© qu’il fallait conserver au monument son caractĂšre d’antiquitĂ© ! En vĂ©ritĂ©, la personne qui a Ă©mis cette opinion et qui l’a soutenue avec une persĂ©vĂ©rance remarquable, n’a sans doute pas voulu se rappeler qu’un monument qui n’a pas encore cent ans n’est pas ancien [
].37 » Les fabriciens insistaient sur le fait que l’église n’était pas suffisamment ancienne pour que lui soit appliquĂ©e une dĂ©cision davantage conforme Ă  un monument mĂ©diĂ©val, du moins antĂ©rieur au siĂšcle prĂ©cĂ©dent. [
] il n’y a pas Ă  faire application au monument moderne de l’église Saint-Sulpice, des rĂšgles qui doivent ĂȘtre religieusement observĂ©es nous le reconnaissons avec lui, pour la conservation des monumens [sic] antiques mĂȘme avec leurs imperfections, parce qu’elles portent avec elles le cachet de l’époque, et sont souvent autant de documens [sic] » Ils ne faisaient pas la critique d’une mĂ©thode se gĂ©nĂ©ralisant en faveur de la conservation et de la restauration des Ă©difices anciens ; ils ne contestaient pas non plus Ă  Saint-Sulpice sa qualitĂ© de monument, tout au contraire la revendiquaient-ils. En revanche, ils dĂ©sapprouvaient que l’église fĂ»t considĂ©rĂ©e comme un Ă©lĂ©ment patrimonial. Les fabriciens s’appuyaient sur une vision rationaliste du monument en invoquant son harmonie gĂ©nĂ©rale. Ils souhaitaient que soit poursuivi le chantier de Chalgrin qui avait Ă©tĂ© interrompu par la Terreur, donc par un Ă©vĂ©nement indĂ©pendant dudit chantier39. Ils allĂšrent jusqu’à menacer du risque d’un scandale induit par une dĂ©pense trop coĂ»teuse qui aurait attirĂ© les foudres de l’opinion publique sur la prĂ©fecture, mais Ă©galement sur l’État Cette dĂ©pense bien certainement motiverait de toute part des plaintes dont la presse serait l’organe, et la Ville se verrait en quelque sorte forcĂ©e peu de tems [sic] aprĂšs, par la force de l’opinion, de faire enfin procĂ©der au seul moyen rationnel, celui de la construction de deux tours » Les fabriciens avaient par ailleurs compris l’importance que pouvait revĂȘtir pareil chantier aux yeux de l’opinion. La presse fournissait de nombreux comptes-rendus des grand travaux parisiens et se faisait rĂ©guliĂšrement le relais des attentes du public. Des regrets portaient depuis de nombreuses annĂ©es sur des Ă©difices qui datent d’un siĂšcle et qui attendent encore la derniĂšre main de l’architecte » parmi lesquels Saint-Sulpice, avec ses ornemens [sic] Ă  peine dĂ©grossis41 ». MalgrĂ© leurs efforts, les fabriciens n’obtinrent pas gain de cause, la prĂ©fecture ne revenant pas sur sa volontĂ© de conserver l’Ɠuvre des maĂźtres » disparus, ce qui traduit donc la volontĂ© d’intĂ©grer le monument Saint-Sulpice au patrimoine parisien qui continuait d’ĂȘtre inventĂ©. Cette dĂ©marche peut sembler assez novatrice pour un Ă©difice aussi rĂ©cent l’érection de l’église avait Ă©tĂ© entamĂ©e Ă  la fin du XVIIe siĂšcle, sa consĂ©cration eut lieu en 1745, mais elle n’était toujours pas achevĂ©e lorsque la RĂ©volution Ă©clata, lĂ©gitimant les propos du conseil de fabrique affirmant que Saint-Sulpice n’avait pas encore fĂȘtĂ© son centenaire. Au mĂȘme moment, la prĂ©fecture n’hĂ©sitait pas Ă  faire dĂ©truire des monuments de la mĂȘme pĂ©riode, voire plus anciens. Aussi, la protection du Vieux Paris faisait difficilement obstacle aux besoins de la ville nouvelle. L’ancien couvent des Petits-PĂšres en atteste son double cloĂźtre superposĂ© Ă©difiĂ© en 1740 fut dĂ©truit en 1843 par dĂ©cision de la prĂ©fecture42. Des Ă©difices plus anciens disparurent Ă©galement, telles les Ă©glises Saint-CĂŽme et Saint-Pierre-aux-BƓufs qui durent cĂ©der la place Ă  de nouvelles percĂ©es. En 1840, la prĂ©fecture envisageĂąt Ă©galement la destruction d’une partie des ailes du CollĂšge des Quatre nations afin d’élargir les quais de Seine et faciliter la circulation fluviale. La Commission des monuments historiques chercha Ă  intervenir, son prĂ©sident confiant Ă  ses autres membres que le prĂ©fet paraĂźt trĂšs dĂ©terminĂ© en faveur du projet de mutilation du palais de l’Institut »43, bien qu’il s’agisse selon lui du seul ouvrage restĂ© intact de Le Vau, architecte cĂ©lĂšbre de l’époque »44. Ces quelques exemples dĂ©montrent que la prĂ©fecture n’était pas une administration conservatrice dĂ©fendant coĂ»te que coĂ»te une vision patrimoniale de la ville. La rĂ©putation d’un architecte et la renommĂ©e attachĂ©e Ă  son nom pouvaient cependant constituer un atout dĂ©cisif pour Ă©viter la destruction ou l’altĂ©ration d’un monument, la prĂ©fecture renonçant finalement Ă  la destruction partielle du bĂątiment de Louis Le Vau 1612-1670. Dans le cas de Saint-Sulpice, le nom de Servandoni semble avoir Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©ment un argument qui, aux yeux de la prĂ©fecture, rendait lĂ©gitimes ses desseins d’achĂšvement, davantage que la datation de la tour du Midi. V. L’échec du projet d’achĂšvement de la tour du Midi un ajournement devenu abandon Le projet d’achĂšvement de la façade resta finalement lettre morte ; seule la balustrade entre les deux tours fut rĂ©alisĂ©e tardivement, vers 1870. Un problĂšme de financement de l’opĂ©ration est probablement Ă  l’origine de son report, puis l’ajournement se transforma en abandon. La prioritĂ© fut donnĂ©e Ă  l’amĂ©nagement des abords, ainsi qu’à la rĂ©fection et Ă  l’embellissement de l’intĂ©rieur du monument, les commandes continuant de se succĂ©der tout au long des annĂ©es 1840. Il est encore fait mention de l’achĂšvement de la tour en 1842 les fabriciens expliquĂšrent alors que les travaux de dĂ©coration devaient toucher Ă  leur fin en 1846 et qu’ immĂ©diatement aprĂšs, on s’occupera des travaux extĂ©rieurs, notamment de l’achĂšvement de la tour [
]. Ce grand travail [
] est d’autant plus dĂ©sirable, que l’aspect de la tour [
] fait une fĂącheuse disparate avec le dĂ©veloppement imposant du grand portail45 ». Son achĂšvement eut certainement Ă©tĂ© une prioritĂ© plus pressante pour la prĂ©fecture s’il s’était agi d’un monument plus ancien, Ă  une Ă©poque oĂč l’on cherchait notamment Ă  achever » les grandes cathĂ©drales gothiques. Il est probable que les fabriciens comme les fonctionnaires de la prĂ©fecture et les membres du conseil des bĂątiments civils restĂšrent finalement assez indiffĂ©rents quant au fait de savoir si l’église Saint-Sulpice devait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un monument antique » ou moderne ». La protection de ce qui devait former le Vieux Paris relevait gĂ©nĂ©ralement d’initiatives privĂ©es ou d’actions menĂ©es par la commission des monuments historiques qui, bien que rattachĂ©e au ministĂšre de l’IntĂ©rieur, ne jouissait pas d’un grand pouvoir dĂ©cisionnaire et Ă©tait souvent dans l’obligation de se limiter Ă  des actions de sensibilisation. Il est intĂ©ressant de considĂ©rer la prĂ©sence de trois dĂ©cisionnaires amenĂ©s Ă  se prononcer sur une question patrimoniale », alors qu’ils n’avaient aucune appĂ©tence particuliĂšre pour la conservation des monuments historiques. Comme cela a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© Ă©voquĂ©, le conseil des bĂątiments civils s’était saisi de ces questions pour assurer sa propre survie. Il semble Ă©galement trĂšs probable que les ambitions des fabriciens n’allaient pas plus loin que la seule question esthĂ©tique, dans une volontĂ© de voir achever un monument devenu rationnel et symĂ©trique. Dans une logique similaire, la dĂ©termination de la prĂ©fecture a pu relever en premier lieu d’un argument financier achever la tour du Midi conformĂ©ment au projet de Servandoni eut essentiellement consistĂ© Ă  en faire exĂ©cuter l’ornementation extĂ©rieure, le gros-Ɠuvre Ă©tant dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ©. Il eut fallu augmenter les fonds Ă  consacrer Ă  ce chantier pour suivre le dessein de Chalgrin. Le coĂ»t de financement Ă©tait depuis longtemps un problĂšme de taille ; sur les trois possibilitĂ©s d’achĂšvement formulĂ©es avant 1836, deux devaient permettre de rĂ©duire la dĂ©pense, en particulier la derniĂšre portant encore plus loin les raisons d’économie46 ». Si la prĂ©fecture pouvait trouver un intĂ©rĂȘt dans la conservation des monuments anciens, elle pouvait Ă©galement prendre l’initiative de leur destruction. Elle soumettait ses dĂ©cisions de protection Ă  deux critĂšres majeurs, Ă  savoir le coĂ»t et l’utilitĂ©. Ainsi, pour la prĂ©fecture comme pour le conseil de fabrique, leurs argumentaires dĂ©coulaient du rĂ©sultat escomptĂ© et non l’inverse. Les raisonnements que tous dĂ©veloppaient restent cependant d’un grand intĂ©rĂȘt, dĂ©montrant qu’ils Ă©taient conscients des dĂ©bats et enjeux nouveaux portant sur un patrimoine qui Ă©tait en train d’ĂȘtre inventĂ© par leurs contemporains dans un contexte d’évolution des mentalitĂ©s. Il fallut attendre les derniĂšres dĂ©cennies du XIXe siĂšcle pour que la protection des monuments du XVIIIe siĂšcle rĂ©unisse des suffrages plus nombreux47. Or, le dĂ©bat portant sur l’achĂšvement de Saint-Sulpice sous la monarchie de Juillet, s’il avait dĂ» se poser Ă  nouveau, n’aurait pas portĂ© sur le fait de savoir s’il fallait achever la tour du Midi en suivant un projet plutĂŽt qu’un autre, mais davantage s’il s’agissait d’achever ou de laisser en l’état ladite tour. C’est prĂ©cisĂ©ment dans cet Ă©tat d’inachĂšvement que Saint-Sulpice est devenue une composante incontestĂ©e du patrimoine parisien. La rĂ©flexion menĂ©e sous la monarchie de Juillet quant Ă  l’achĂšvement de cette façade aura cependant Ă©tĂ© un Ă©pisode, restĂ© rare Ă  Paris, permettant de jauger l’évolution progressive de ce patrimoine et, ce faisant, de comprendre oĂč pouvait se situer la frontiĂšre qui permettait Ă  un monument d’ĂȘtre considĂ©rĂ© comme l’une de ses composantes. Baptiste Dumas-Piro Bibliographie ANONYME, 1834 [ANONYME], Paris et ses constructions », L’Artiste, 1Ăšre sĂ©rie, t. VII, 1834, p. 225-228. ANONYME, 1843 [ANONYME], ActualitĂ©s. Souvenirs », L’Artiste, 3e sĂ©rie, t. IV, 1843, p. 108-112. CHÂTEAU-DUTIER, 2016 CHÂTEAU-DUTIER Emmanuel, Le Conseil des bĂątiments civils et l’administration de l’architecture publique en France, dans la premiĂšre moitiĂ© du XIXe siĂšcle, thĂšse de doctorat, sous la direction de LÉNIAUD Jean-Michel, 4 vol., EPHE, 2016. BERCÉ, 1979 BERCÉ Françoise, Les premiers travaux de la Commission des monuments historiques 1837-1848 procĂšs-verbaux et relevĂ©s d’architecture, Paris, Editions A. et J. Picard, 1979. BOUDON, 2006 BOUDON Françoise, Les Ă©glises paroissiales et le Conseil des bĂątiments civils, 1802-1840 », in FOUCART Bruno, HAMON Françoise Ă©ds, L’architecture religieuse au XIXe siĂšcle, entre Ă©clectisme et rationalisme, actes du colloque Paris, Centre AndrĂ© Chastel, 21 et 22 septembre 2000, Paris, PUPS, 2006, p. 195-210. DELPAL, 1987 DELPAL Bernard, La construction d’église un Ă©lĂ©ment du dĂ©tachement religieux au XIXe siĂšcle », Revue d’histoire de l’Église de France, t. 73, n° 190, 1987, p. 67-74. FIORI, 2012 FIORI Ruth, L’invention du vieux Paris naissance d’une conscience patrimoniale dans la capitale, Wavre, Mardaga, 2012. GOURLIER, 1848 GOURLIER Charles, Notice historique sur le service des travaux des bĂątiments civils Ă  Paris et dans les dĂ©partements, depuis la crĂ©ation de ce service en l’an IV 1795, Paris, L. Colas, 1848. 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 lue Ă  la sĂ©ance publique samedi 5 octobre 1816, Paris, Institut royal de France, 1816. QUENTIN-BAUCHARD, 1903 QUENTIN-BAUCHARD Maurice, Conseil municipal de Paris, 1903 rapport au nom de la 4e Commission sur la rĂ©organisation du service des beaux-arts et des musĂ©es de la ville de Paris, Paris, Conseil municipal, 1903. SCHNEIDER, 1910 SCHNEIDER RenĂ©, QuatremĂšre de Quincy et son intervention dans les arts, 1788-1830, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1910. Table des illustrations Couverture Hippolyte Fizeau, L’église Saint-Sulpice Ă  Paris, vers 1841, photogravure, New York, The Metropolitan Museum of Art, cl. Wikimedia Fig. 1 façade principale de l’église Saint-Sulpice, XVIIe-XVIIIe siĂšcle, Paris, cl. B. Dumas-Piro Fig. 2 Jacques Ignace Hittorff, Ă©glise Saint-Vincent-de-Paul, 1824-1844, Paris, cl. B. Dumas-Piro Fig. 3 Jean François Chalgrin, tour du Nord de l’église Saint-Sulpice, annĂ©es 1780, Paris, cl. B. Dumas-Piro Fig. 4 Giovanni NiccolĂČ Servandoni, tour du Midi de l’église Saint-Sulpice, annĂ©es 1730, Paris, cl. B. Dumas-Piro FIORI, 2012, p. 51 et 56. [↩] Pour la pĂ©riode qui nous intĂ©resse, le prĂ©fet de la Seine Ă©tait Philibert Barthelot, comte de Rambuteau 1781-1869, nommĂ© par Louis-Philippe en 1833 et qui conserva son poste jusqu’à la chute du rĂ©gime. Ce dernier Ă©tait donc compĂ©tent tout au long de la restauration de Saint-Sulpice. [↩] LÉNIAUD, 1987, p. 53. [↩] DĂ©cret du 30 dĂ©cembre 1809. [↩] DELPAL, 1987, p. 69. [↩] LÉNIAUD, 2007, p. 33. [↩] La Ville de Paris, Ă  partir de 1834, disposa d’un budget spĂ©cial des beaux-arts qui fut rĂ©guliĂšrement augmentĂ© au fil des annĂ©es QUENTIN-BAUCHARD, 1903, p. 57. [↩] Archives historiques de l’archevĂȘchĂ© de Paris dĂ©sormais AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, VI/VII1 compte-rendu du conseil de fabrique de l’église Saint-Sulpice au sujet de l’achĂšvement des tours et du portail de l’église, 20 avril 1838. [↩] ANONYME, 1843, p. 108. [↩] Ibid., p. 109. [↩] AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, VI/VII1 brouillon d’article rĂ©digĂ© par le conseil de fabrique de l’église Saint-Sulpice au sujet des travaux d’embellissements de l’église, [ [↩] Concernant les commandes passĂ©es sous l’administration de Rambuteau, il faut retenir la chapelle Saint-Paul dĂ©corĂ©e par Martin Drolling 1786-1851 et la chapelle des Âmes du Purgatoire par Joseph Heim 1787-1865. [↩] Desboeufs fut chargĂ© de l’Ange de la prĂ©dication et Droz de l’Ange du Martyre. Elles furent achevĂ©es et installĂ©es en 1846. [↩] AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, VI/VII1 note du conseil de fabrique de l’église Saint-Sulpice sur les travaux accessoires rĂ©sultants du grattage gĂ©nĂ©ral de l’église Saint-Sulpice, 12 juin 1838. [↩] Ibid. [↩] LOURS, 2014, p. 67. [↩] Nous remercions M. Vincent ThauziĂšs AHAP pour son aide prĂ©cieuse sans laquelle nous n’aurions pu localiser ces informations. [↩] AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, registres 117 Ă  121 inventaires du mobilier procĂšs-verbal d’inventaire des objets mobiliers existant dans l’église paroissiale Saint-Sulpice de Paris au 19 juillet 1836, fol. 67. [↩] Ibid., fol. 66. [↩] Ibid., fol. 67. [↩] BOUDON, 2006, p. 195. [↩] GOURLIER, 1848, p. 7-8. [↩] Pour approfondir le rĂŽle jouĂ© par le conseil des bĂątiments civils dans le cadre de chantiers publics, nous renvoyons Ă  la thĂšse d’Emmanuel ChĂąteau-Dutier CHÂTEAU-DUTIER, 2016. [↩] Archives nationales dĂ©sormais Arch. nat., F21 2533 rapport du conseil des bĂątiments civils par Hubert Rohault de Fleury, au sujet de l’achĂšvement de la tour du Midi de l’église Saint-Sulpice Ă  Paris, dossier n° 21, 16 janvier 1838. [↩] Ibid. [↩] Le nouveau projet de Chalgrin pouvait Ă©galement rĂ©pondre Ă  des besoins liturgiques formulĂ©s par le curĂ© LOURS, 2014, p. 67. [↩] Arch. nat., F21 2533 rapport du conseil des bĂątiments civils par Hubert Rohault de Fleury, au sujet de l’achĂšvement de la tour du Midi de l’église Saint-Sulpice Ă  Paris, dossier n° 21, 16 janvier 1838. [↩] Arch. nat., F21 2533 rapport du conseil des bĂątiments civils par Achille Leclere, au sujet de l’achĂšvement de la façade de l’église Saint-Sulpice, dossier n° 253, 26 mai 1838. [↩] Ibid. [↩] Pour approfondir la question des projets successifs de la façade LOURS, 2014. [↩] SCHNEIDER, 1910, p. 76. [↩] QUATREMÈRE DE QUINCY, 1816, p. 8 Enfin on vit un portique de colonnes doriques couronnĂ©es d’un fronton, remplacer ces insipides portails en placard, et Ă  plusieurs ordres l’un sur l’autre, dont le moindre dĂ©faut est d’indiquer plusieurs Ă©tages, dans un Ă©difice qui n’en comporte aucun. » [↩] MONTALEMBERT, 1833, p. 485. [↩] BOUDON, 2006, p. 197-198. [↩] Arch. nat., F21 2533 rapport du conseil des bĂątiments civils par Achille Leclere, au sujet de l’achĂšvement de la façade de l’église Saint-Sulpice, dossier n° 253, 26 mai 1838. [↩] AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, VI/VII1 compte-rendu du conseil de fabrique de l’église Saint-Sulpice au sujet de l’achĂšvement des tours et du portail de l’église, 12 juin 1838. [↩] Ibid. [↩] Ibid. [↩] Ibid. [↩] Ibid. [↩] ANONYME, 1834, p. 227. [↩] FIORI, 2012, p. 121. [↩] BERCÉ, 1979, p. 100. [↩] Ibid., p. 94. [↩] AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, VI/VII1 projet d’article de presse du conseil de fabrique de l’église Saint-Sulpice, 15 aoĂ»t 1842. [↩] AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, registres 117 Ă  121 inventaires du mobilier procĂšs-verbal d’inventaire des objets mobiliers existant dans l’église paroissiale Saint-Sulpice de Paris au 19 juillet 1836, fol. 67. [↩] FIORI, 2012, p. 120. [↩] En cette pĂ©riode difficile, Sorbonne UniversitĂ© et sa fondation sont solidaires des Ă©tudiantes, Ă©tudiants, enseignants-chercheurs et personnels ainsi que toutes celles et ceux touchĂ©s directement ou indirectement par la guerre en Ukraine. Les actions de la Fondation Sorbonne UniversitĂ© en faveur des Ă©tudiants concernĂ©s Article Ă©crit par CĂ©cile Foussard TĂ©lĂ©charger l’article au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le mardi 18 janvier 2022. Introduction Les ressources marines aux fondements des civilisations andines La rĂ©gion andine, conçue comme une aire culturelle s’étendant sur le quart nord-ouest de l’AmĂ©rique du Sud, est peuplĂ©e dĂšs 11 000 av. comme l’avancent plusieurs chercheurs nord-amĂ©ricains1. D’aprĂšs les mĂȘmes auteurs, il semble que les premiĂšres populations arrivent d’abord sur la cĂŽte Pacifique, en se dĂ©plaçant sur la bande littorale, avant de pĂ©nĂ©trer dans la CordillĂšre des Andes. Elles arrivent alors dans une rĂ©gion contrastĂ©e, constituĂ©e par quatre principaux types d’environnement fig. 1 la cĂŽte tropicale au nord cĂŽtes colombienne et Ă©quatorienne et extrĂȘme nord du littoral pĂ©ruvien, les cĂŽtes dĂ©sertiques pĂ©ruvienne et chilienne, les rĂ©gions montagneuses de la CordillĂšre des Andes recouvrant elles-mĂȘmes une grande variĂ©tĂ© de rĂ©alitĂ©s gĂ©ographiques et le bassin amazonien Ă  l’est. Les premiers sites d’occupation sĂ©dentaire apparaissent sur la cĂŽte vers 7000-6000 av. Les donnĂ©es archĂ©ologiques attestent d’une Ă©conomie de subsistance fondĂ©e essentiellement sur l’exploitation des ressources marines. Ce processus de sĂ©dentarisation fondĂ© sur une Ă©conomie maritime et non pas agricole s’explique par l’énorme richesse biologique de l’écosystĂšme du courant de Humboldt. Ce courant froid, qui longe les cĂŽtes chilienne et pĂ©ruvienne du sud vers le nord fig. 1, produit l’un des environnements marins les plus riches du monde. Ses abondantes ressources poissons, mollusques, crustacĂ©s, oiseaux marins, mammifĂšres marins, etc. auraient suffi pour assurer la subsistance des premiĂšres populations sĂ©dentaires et auraient permis le dĂ©veloppement de sociĂ©tĂ©s complexes sans qu’elles aient besoin d’avoir recours Ă  la production agricole. Cela a menĂ© certains chercheurs comme Michael Moseley Ă  mettre en Ă©vidence les fondements maritimes des civilisations andines. MĂȘme aprĂšs la gĂ©nĂ©ralisation de l’agriculture sur la cĂŽte, qui intervient Ă  partir d’environ 2000 av. la pĂȘche et l’exploitation des ressources marines restent des pratiques trĂšs importantes au sein des sociĂ©tĂ©s cĂŽtiĂšres2. Fig. 1 Carte de la rĂ©gion andine avec les courants marins et les principaux milieux naturels. Foussard, 2021. Dans ce contexte, la navigation est un enjeu clĂ© puisqu’il s’agit d’un ensemble de techniques Ă©largissant drastiquement l’accĂšs aux environnements aquatiques et Ă  leurs ressources. L’étude de la navigation prĂ©hispanique et ses enjeux. Les sources coloniales et modernes, Ă©crites Ă  partir du XVIe siĂšcle, contiennent dĂ©jĂ  de nombreuses descriptions des techniques de navigation autochtones. Dans un premier temps, les chercheurs du XXe siĂšcle s’appuient principalement sur ces donnĂ©es ethno-historiques, ainsi que sur des reprĂ©sentations iconographiques prĂ©hispaniques et sur des objets archĂ©ologiques bien souvent sortis de leur contexte, pour Ă©tablir les premiĂšres typologies des diffĂ©rents modĂšles d’embarcation prĂ©hispaniques et formuler les premiĂšres thĂ©ories sur la possibilitĂ© d’échanges maritimes tout au long de la cĂŽte3. ParallĂšlement, depuis la fin des annĂ©es 1980 et jusqu’à aujourd’hui, le dĂ©veloppement de l’archĂ©ologie cĂŽtiĂšre met en Ă©vidence l’importance des ressources marines dans l’économie et le mode de vie des populations prĂ©hispaniques4. Actuellement, le dĂ©veloppement de l’archĂ©ologie littorale et maritime, de l’archĂ©ologie des Ăźles et de l’archĂ©ologie subaquatique ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude de la navigation prĂ©hispanique. Pourtant, il y a encore peu d’études globales sur la navigation prĂ©hispanique, sans doute du fait de la complexitĂ© de ce phĂ©nomĂšne dynamique, non fixĂ© sur un site ou sur un contexte archĂ©ologique donnĂ©. La navigation renvoie au contraire Ă  un ensemble de pratiques et de modes de circulation, qui met souvent en relation plusieurs environnements terrestres, littoraux et aquatiques et peut mettre en relation plusieurs populations, rĂ©gions ou cultures. La navigation a une diversitĂ© d’implications Ă  la fois techniques matiĂšres premiĂšres, savoir-faire techniques, conditions environnementales
 et socio-Ă©conomiques mode de dĂ©placement donnant accĂšs aux ressources aquatiques et ouvrant la possibilitĂ© Ă  des Ă©changes commerciaux et des contacts avec des populations lointaines. Pour aborder cette diversitĂ© de problĂ©matiques, il est nĂ©cessaire de recourir Ă  des types de sources et de donnĂ©es trĂšs variĂ©s et de croiser diffĂ©rentes approches. I. Une archĂ©ologie “en nĂ©gatif”. La difficultĂ© principale pour l’étude archĂ©ologique de la navigation dans le monde andin est l’absence d’embarcation prĂ©hispanique conservĂ©e. Il faut alors se tourner vers des donnĂ©es indirectes et faire ainsi une sorte d’archĂ©ologie en nĂ©gatif5 » de la navigation, que ce soit par l’étude des reprĂ©sentations qui en ont Ă©tĂ© faites, des objets associĂ©s Ă  la navigation qui ont Ă©tĂ© conservĂ©s ou encore des traces qu’elle peut laisser dans le paysage. Les premiĂšres sources utilisĂ©es par les chercheurs sont les sources ethnohistoriques, c’est Ă -dire les tĂ©moignages Ă©crits et visuels des EuropĂ©ens arrivĂ©s en AmĂ©rique du Sud Ă  partir du XVIe siĂšcle. Ces sources contiennent de nombreuses descriptions et illustrations, parfois trĂšs dĂ©taillĂ©es, des embarcations et de leur utilisation, qui permettent d’avoir une idĂ©e des pratiques de navigation employĂ©es dans la rĂ©gion andine Ă  l’époque de la conquĂȘte espagnole. Elles documentent au moins trois types d’embarcation les grandes embarcations en bois de balsa dotĂ©es de voile extrĂȘme nord du PĂ©rou et cĂŽte Ă©quatorienne fig. 2 permettant de naviguer en haute mer, elles servent au commerce maritime, Ă  la pĂȘche et au transport maritime et fluvial6 ; les embarcations en jonc dites en totora tout au long de la cĂŽte pĂ©ruvienne elles servent principalement Ă  la pĂȘche et Ă  la circulation le long de la cĂŽte ; ce type d’embarcation est aussi employĂ© pour naviguer sur le lac Titicaca7 ; les embarcations en peaux d’otarie gonflĂ©es cĂŽte nord du Chili fig. 3 elles servent pour la pĂȘche et la chasse aux otaries8. Fig. 2 ReprĂ©sentation d’embarcations de la rĂ©gion de Portoviejo cĂŽte Ă©quatorienne.Benzoni, 1572. Fig. 3 Embarcation en peau d’otarie de la cĂŽte chilienne. FrĂ©zier, 1982 [vers 1720]. Certaines de ces techniques de navigation ont survĂ©cu tout au long de la pĂ©riode coloniale et sont encore employĂ©es aujourd’hui dans certaines communautĂ©s. Ainsi, les embarcations en jonc traditionnelles sont encore utilisĂ©es par les populations vivant sur les rives du lac Titicaca, mais aussi par les pĂȘcheurs de Huanchaco et des villages cĂŽtiers de la rĂ©gion de Lambayeque, sur la cĂŽte nord du PĂ©rou. L’observation ethnographique de ces pratiques peut fournir des informations intĂ©ressantes sur les processus de fabrication et d’utilisation de ces embarcations d’origine prĂ©hispanique9. Mais quelle profondeur historique ont ces pratiques ? Depuis quand ont-elles existĂ© ? Existait-il d’autres formes de navigation qui n’ont pas persistĂ© jusqu’à l’arrivĂ©e des Espagnols ? L’iconographie prĂ©hispanique apporte des informations sur l’anciennetĂ© de certaines pratiques de navigation et sur leur rĂ©partition gĂ©ographique. Les cultures de la cĂŽte nord du PĂ©rou, notamment les Mochicas dĂ©but de notre Ăšre-Xe siĂšcle, ont produit une iconographie trĂšs abondante au sein de laquelle les thĂšmes maritimes et nautiques ont une place importante. Ces reprĂ©sentations apparaissent dans la cĂ©ramique fig. 4, mais aussi sur une diversitĂ© de supports textiles, orfĂšvrerie, objets sculptĂ©s en bois, etc. Cette iconographie de la navigation est dĂ©jĂ  prĂ©sente sur la cĂŽte nord du PĂ©rou bien avant la pĂ©riode Mochica, comme en tĂ©moigne une cĂ©ramique datant de l’Horizon Cupisnique-ChavĂ­n environ 1200-200 av. qui reprĂ©sente deux personnages en train de ramer Ă  califourchon sur une embarcation en jonc. Elle se poursuit au cours des Ă©poques postĂ©rieures sur la cĂŽte nord, notamment chez les cultures ChimĂș et Lambayeque env. 700-1400 ap. Il existe aussi quelques reprĂ©sentations d’embarcation en cĂ©ramique provenant d’autres parties de la cĂŽte pĂ©ruvienne, par exemple chez les cultures Nazca cĂŽte sud du PĂ©rou, dĂ©but de notre Ăšre-650 ap. et Lima-NieverĂ­a cĂŽte centrale du PĂ©rou, vers 600-1100 ap. fig. 5. Ces diffĂ©rentes reprĂ©sentations attestent de l’emploi d’embarcations en jonc dĂšs l’Horizon Cupisnique-ChavĂ­n sur la cĂŽte nord du PĂ©rou, et Ă  partir des premiers siĂšcles de notre Ăšre sur le reste de la cĂŽte pĂ©ruvienne. Fig. 4 CĂ©ramique Mochica cĂŽte nord du PĂ©rou, dĂ©but de n. siĂšcle reprĂ©sentant un pĂȘcheur sur son embarcation en totora. MusĂ©e Larco – Lima, PĂ©rou. Fig. 5 CĂ©ramique Lima-NieverĂ­a cĂŽte centrale du PĂ©rou, vers 600- 1100 ap. reprĂ©sentant des personnages sur des embarcations en totora, conservĂ©e au MusĂ©e Larco – Lima, PĂ©rou. Foussard, 2018. Parmi les autres objets archĂ©ologiques renseignant sur la navigation, un ensemble d’embarcations miniatures dĂ©couvertes dans des tombes tĂ©moigne de la diversitĂ© des techniques de navigation utilisĂ©es sur la cĂŽte nord du Chili et Ă  l’extrĂȘme sud du littoral pĂ©ruvien. Ces embarcations miniatures font partie du mobilier funĂ©raire de tombes datant d’environ 1000 Ă  1450 ap. qui appartiennent Ă  des groupes de population cĂŽtiers, dont le mode de vie est principalement tournĂ© vers l’exploitation du milieu marin. Il s’agit de reproductions Ă  petite Ă©chelle elles mesurent gĂ©nĂ©ralement entre une dizaine et une cinquantaine de centimĂštres de long d’embarcations en bois allant de modĂšles trĂšs simples Ă  trois poutres Ă  des assemblages plus complexes de poutres et de planches, et incluant quelques cas de canot monoxyle. Les miniatures sont souvent accompagnĂ©es de petites rames, harpons, filets et autres accessoires de pĂȘche, qui nous renseignent sur les techniques de pĂȘche11. Ces petites embarcations Ă©taient probablement dĂ©posĂ©es dans les tombes de pĂȘcheurs pour leur permettre de continuer Ă  assurer leur subsistance dans l’au-delĂ . Ces dĂ©pĂŽts funĂ©raires dĂ©notent l’importance Ă©conomique et symbolique des activitĂ©s maritimes pour ces sociĂ©tĂ©s cĂŽtiĂšres. C’est probablement cette mĂȘme idĂ©e de poursuite des activitĂ©s maritimes dans l’au-delĂ  qui prĂ©side au dĂ©pĂŽt de rames et dĂ©rives sculptĂ©es en bois dans des tombes de la culture Ica-Chincha cĂŽte sud du PĂ©rou, vers 1100-1450 ap. De nombreuses rames, plus ou moins ornementĂ©es, ont en effet Ă©tĂ© dĂ©couvertes dans plusieurs tombes Ica-Chincha. Malheureusement, Ă©tant issues de fouilles parfois peu rigoureuses des dĂ©buts du XXe siĂšcle, on dispose de peu d’informations prĂ©cises sur leur contexte de dĂ©couverte. La fonction de ces rames pose question ont-elles vraiment servi Ă  naviguer ou s’agit-il d’objets conçus spĂ©cialement pour le contexte funĂ©raire ? Certains modĂšles trĂšs ornementĂ©s ont des dĂ©cors sculptĂ©s jusque sur les poignĂ©es, ce qui aurait gĂȘnĂ© leur manipulation. D’autres sont beaucoup plus simples et paraissent tout-Ă -fait fonctionnels12. Quoi qu’il en soit, mĂȘme les moins fonctionnels sont assurĂ©ment inspirĂ©s de vraies rames, qui devaient servir non seulement Ă  ramer mais aussi probablement Ă  gouverner les embarcations Ă  la maniĂšre d’avirons. Malheureusement, nous ne savons pas Ă  bord de quel type d’embarcation elles Ă©taient utilisĂ©es. Les donnĂ©es archĂ©ologiques et ethno-historiques montrent qu’au cours de la pĂ©riode Ica-Chincha, les embarcations en jonc sont prĂ©sentes sur toute la cĂŽte pĂ©ruvienne. Cependant, les pĂȘcheurs actuels qui les utilisent et les descriptions ethno-historiques montrent que c’est plutĂŽt avec une canne fendue dans le sens de la longueur appelĂ©e canalete que l’on rame sur les embarcations en jonc13. Les rames en bois d’Ica-Chincha sont plus proches de celles associĂ©es aux grandes embarcations Ă  voile de la cĂŽte Ă©quatoriale dĂ©peintes dans les sources ethno-historiques fig. 2. Mais, Ă  ce jour, aucune donnĂ©e archĂ©ologique ou ethno-historique ne dĂ©montre la prĂ©sence de grandes embarcations en bois et Ă  voile dans la rĂ©gion d’Ica-Chincha pour les pĂ©riodes prĂ©hispaniques. Peut-ĂȘtre faut-il y voir le signe de liens culturels et/ou socio-Ă©conomiques entre les peuples de la rĂ©gion de Chincha et ceux du littoral nord-andin, possiblement par voie maritime, comme l’avancent certains d’informations archĂ©ologiques et ethno-historiques seraient nĂ©cessaires pour le confirmer. De nombreux autres objets archĂ©ologiques apportent des informations sur les techniques de pĂȘche et de navigation ancres, plombs de filet de pĂȘche, hameçons, pointes de harpon, etc. Certains chercheurs ont aussi identifiĂ© sur des sites archĂ©ologiques cĂŽtiers des objets ayant servi Ă  la fabrication des embarcations. Les copunas en sont un exemple. Il s’agit de petits tubes en os servant Ă  gonfler au souffle les flotteurs en peau d’otarie des embarcations nord-chiliennes fig. 3. Ce processus de fabrication est dĂ©crit dans plusieurs sources ethnohistoriques. Il existe quelques exemples archĂ©ologiques de copuna, d’ailleurs souvent associĂ©s Ă  des fragments de peau d’otarie, et gĂ©nĂ©ralement issus de tombes tardives vers 1000-1450 ap. de la cĂŽte nord du Chili15. Mais, parmi les restes de poissons de haute mer d’un amas coquillier trĂšs ancien de la cĂŽte chilienne le site d’Agua Dulce, datant d’environ 5000 av. un tube en os semblable a Ă©tĂ© identifiĂ© comme une possible copuna. Cela suggĂšre donc que la pĂȘche Ă  bord d’embarcations en peaux d’otarie gonflĂ©es Ă©tait dĂ©jĂ  pratiquĂ©e Ă  Agua Dulce vers 5000 av. Outre les objets et accessoires de navigation, certains contextes archĂ©ologiques apportent en eux-mĂȘmes des informations sur les pratiques de navigation prĂ©hispanique. Ainsi, la prĂ©sence en quantitĂ© significative de restes archĂ©ologiques sur les Ăźles, que ce soit le long de la cĂŽte Pacifique ou sur le lac Titicaca, implique l’emploi d’embarcations pour s’y rendre et y transporter des biens et produits. Le long de la cĂŽte pĂ©ruvienne, par exemple, se trouvent de nombreuses petites Ăźles et Ăźlots rocheux attractifs pour leurs ressources haute biodiversitĂ© marine autour des Ăźles, colonies d’otaries et d’oiseaux marins trĂšs productifs en guano fertilisant produit par les excrĂ©ments d’oiseaux marins. Ces petites Ăźles ne sont pas habitĂ©es par les hommes de maniĂšre permanente Ă  cause de l’absence de sources d’eau potable, mais les donnĂ©es archĂ©ologiques montrent qu’elles sont intensĂ©ment frĂ©quentĂ©es dans le cadre d’activitĂ©s d’extraction de leurs ressources ainsi que pour des activitĂ©s funĂ©raires et des dĂ©pĂŽts d’offrandes. La distribution des restes archĂ©ologiques sur les diffĂ©rentes Ăźles suggĂšre d’ailleurs que de longs trajets maritimes pouvaient avoir lieu, puisque des objets archĂ©ologiques identifiĂ©s comme Ă©tant de styles Mochica et ChimĂș statuettes en bois auraient Ă©tĂ© trouvĂ©s sur les Ăźles Chincha, sur la cĂŽte sud du PĂ©rou. Ceci indiquerait une circulation et/ou des Ă©changes entre la cĂŽte nord et la cĂŽte sud du PĂ©rou dĂšs l’époque Mochica17. Enfin, le littoral, cette interface entre le milieu terrestre et le monde aquatique, est un contexte clĂ© pour l’étude de la navigation. L’archĂ©ologie de la zone littorale peut permettre d’identifier des restes de structures portuaires ou d’autres amĂ©nagements de rives associĂ©s Ă  des activitĂ©s de navigation quais, embarcadĂšres, rampes d’accĂšs, etc.. Les travaux de Christophe Delaere et son Ă©quipe de l’UniversitĂ© Libre de Bruxelles sur et autour des Ăźles du lac Titicaca ont ainsi permis de mettre au jour sur l’üle du Soleil un renforcement de rive servant probablement d’embarcadĂšre au cours de l’époque Tiahuanaco vers 800-1150 ap. Il y a encore peu de fouilles de ce type de contexte dans le monde andin. De plus, les sites littoraux sont particuliĂšrement sujets Ă  l’érosion Ă  cause de l’action de l’eau et des activitĂ©s humaines. L’archĂ©ologie littorale ouvre tout de mĂȘme des perspectives trĂšs intĂ©ressantes pour la recherche sur la navigation prĂ©hispanique. II. Les apports d’une approche multidisciplinaire Outre les diffĂ©rentes approches archĂ©ologiques prĂ©sentĂ©es prĂ©cĂ©demment, l’étude de la navigation gagne Ă  avoir recours Ă  l’apport d’autres sciences ou spĂ©cialitĂ©s appliquĂ©es Ă  l’archĂ©ologie. Par exemple, les sciences environnementales et le dĂ©veloppement de la gĂ©oarchĂ©ologie apportent des donnĂ©es intĂ©ressantes, car l’étude de la navigation est indissociable de celle des milieux environnementaux dans lesquels elle est pratiquĂ©e. Pour Ă©tudier la navigation, il convient de connaĂźtre non seulement les milieux aquatiques maritimes, lacustres et fluviaux mais aussi le milieu terrestre, qui fournit les matiĂšres premiĂšres permettant de construire les embarcations, comme le bois de balsa, dans les forĂȘts tropicales des cĂŽtes Ă©quatorienne et de l’extrĂȘme nord du PĂ©rou, ou les diffĂ©rentes espĂšces de jonc, ou totora, tout au long des cĂŽtes pĂ©ruvienne et chilienne et sur les rives du lac Titicaca. Concernant les milieux aquatiques sur lesquels on navigue, les principaux facteurs qui permettent ou non la navigation sont les vents et les courants marins. La rĂ©gion andine du Pacifique fig. 1 est dominĂ©e par le systĂšme du courant froid de Humboldt caractĂ©risĂ© par des vents et courants dominants du sud vers le nord. Leur influence diminue Ă  certaines saisons, mais globalement ils rendent beaucoup plus difficile la navigation du nord vers le sud qu’en sens inverse. Plus au nord, Ă  partir de la rĂ©gion de Tumbes, agit un systĂšme complexe de courants et de contre-courants chauds, avec leurs implications propres pour la navigation19. Ces milieux ont Ă©voluĂ© au cours du temps. Si la configuration environnementale du littoral andin est restĂ©e Ă  peu prĂšs stable des Ă©poques prĂ©hispaniques Ă  aujourd’hui, il faut tout de mĂȘme mentionner un changement important qui survient Ă  la pĂ©riode de transition entre le PlĂ©istocĂšne et l’HolocĂšne. Cette pĂ©riode est marquĂ©e par un rĂ©chauffement climatique gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă  l’origine de la dĂ©glaciation, qui provoque Ă  son tour une augmentation du niveau de la mer Ă  partir d’environ 8000 av. qui atteint sa position actuelle vers 4000 av. Dans les zones oĂč le plateau continental est large et en pente douce – ce qui est le cas pour une bonne partie de la cĂŽte pĂ©ruvienne, cette augmentation du niveau de la mer a fait reculer la ligne de cĂŽte de plusieurs mĂštres voire kilomĂštres, submergeant les sites archĂ©ologiques les plus anciens qui Ă©taient situĂ©s dans la proximitĂ© immĂ©diate de la mer. La non-prise en compte de ce phĂ©nomĂšne a causĂ© d’importants biais dans l’étude archĂ©ologique des occupations les plus anciennes et menĂ© plusieurs chercheurs Ă  envisager l’absence de populations vivant dans la proximitĂ© immĂ©diate de la mer et exploitant ses ressources dans la rĂ©gion andine avant environ 4000 av. Depuis, de nombreuses recherches, notamment dans les zones oĂč le plateau continental est plus Ă©troit et abrupt et donc oĂč lignes de cĂŽte ont Ă©tĂ© prĂ©servĂ©es extrĂȘme nord et extrĂȘme sud du littoral andin, ont montrĂ© qu’il y a bien des occupations cĂŽtiĂšres dĂšs 11 000 av. dont les populations s’adonnent d’ailleurs principalement Ă  l’exploitation des ressources marines20. Les donnĂ©es les plus anciennes suggĂ©rant l’emploi de la navigation remontent quant Ă  elles Ă  environ 5000 av. sur la cĂŽte nord du Chili21. C’est cette mĂȘme prise de conscience de la variabilitĂ© des lignes de cĂŽte qui a poussĂ© l’équipe de Christophe Delaere Ă  mener des fouilles subaquatiques dans le lac Titicaca. S’appuyant sur des donnĂ©es gĂ©oarchĂ©ologiques, les chercheurs se sont rendu compte que le lac avait connu une importante augmentation du niveau de l’eau vers la fin de l’époque Tiahuanaco aprĂšs 1150 ap. Les rives d’époque Tiahuanaco sont donc aujourd’hui submergĂ©es. GrĂące Ă  des fouilles subaquatiques menĂ©es autour de l’Île du Soleil, les archĂ©ologues ont retrouvĂ© les rives d’époque Tiahuanaco. Les restes archĂ©ologiques qui y ont Ă©tĂ© mis au jour tĂ©moignent d’intenses circulations sur le lac au cours de la pĂ©riode Tiahuanaco, dans le cadre d’activitĂ©s principalement Ă©conomiques, liĂ©es Ă  l’exploitation des ressources du lac22. Malheureusement, les chercheurs n’ont pas encore dĂ©couvert de donnĂ©es archĂ©ologiques indiquant quelles techniques de navigation Ă©taient alors employĂ©es, mais il est probable qu’il s’agissait dĂ©jĂ  d’embarcations en totora, comme celles encore utilisĂ©es sur le lac aujourd’hui. Ce type de recherche montre l’intĂ©rĂȘt de l’archĂ©ologie subaquatique pour l’étude de la navigation prĂ©hispanique. Certes, il semble illusoire d’espĂ©rer retrouver une Ă©pave prĂ©hispanique, Ă©tant donnĂ©e la nature pĂ©rissable des embarcations d’alors. En revanche, elle pourrait permettre de documenter des amĂ©nagements de rive et occupations cĂŽtiĂšres submergĂ©s ou encore des biens tombĂ©s Ă  l’eau en cours de navigation ou de dĂ©chargement de produits Ă  terre ancres, instruments de navigation, Ă©lĂ©ments de cargaison, etc.. Le dĂ©veloppement de l’archĂ©ologie subaquatique dans la rĂ©gion andine est encore actuellement Ă  ses dĂ©buts, mais il y a un intĂ©rĂȘt croissant pour cette mĂ©thode. Nous pouvons ainsi mentionner les fouilles subaquatiques du lac Titicaca dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©es ou encore le projet rĂ©cent de recherches subaquatiques autour des Ăźles de Pachacamac cĂŽte centrale du PĂ©rou, dirigĂ©e par RocĂ­o Villar archĂ©ologue travaillant pour le MusĂ©e Pachacamac et le MinistĂšre de la Culture du PĂ©rou23. Enfin, l’archĂ©o-ichtyologie apporte elle aussi des donnĂ©es cruciales pour l’étude de la navigation prĂ©hispanique, en particulier dans les contextes les plus anciens pour lesquels on ne connaĂźt pas de reprĂ©sentation iconographique d’embarcation. Cette branche de l’archĂ©o-zoologie consiste Ă  Ă©tudier les restes de poissons trouvĂ©s sur les sites archĂ©ologiques, principalement dans des contextes domestiques oĂč sont mis au jour des dĂ©chets alimentaires issus de l’exploitation et la consommation de ressources marines. Parmi ces restes, certaines parties anatomiques des poissons, notamment les dents, les vertĂšbres ou encore les otolithes – petites concrĂ©tions calcaires situĂ©es dans les organes auditifs des poissons – permettent d’identifier les espĂšces pĂȘchĂ©es et la taille moyenne des individus. La connaissance du comportement et de l’habitat de ces espĂšces donne des indices sur les techniques de pĂȘche employĂ©es. Certains poissons ne peuvent a priori ĂȘtre capturĂ©s qu’à l’aide d’embarcations, comme les poissons vivant en pleine mer dits poissons pĂ©lagiques ou les gros poissons dangereux pour l’homme tels que les grands requins. Lorsqu’ils sont prĂ©sents en quantitĂ© significative et tout au long de la stratigraphie d’un site, les restes de poissons pĂ©lagiques ou de grands requins suggĂšrent donc l’emploi de techniques de navigation ayant permis leur capture et non l’appropriation opportuniste d’individus Ă©chouĂ©s ou Ă©garĂ©s prĂšs des cĂŽtes, ce qui est un Ă©vĂ©nement statistiquement assez rare24. C’est l’identification de ce type de bio-indicateur » de navigation qui a permis Ă  une Ă©quipe chilienne de documenter l’emploi d’embarcations sur la cĂŽte nord du Chili dĂšs 5000 av. Sur le site d’Agua Dulce, les chercheurs ont en effet constatĂ© de la prĂ©sence rĂ©currente de dents et vertĂšbres de diffĂ©rents poissons pĂ©lagiques espadon, marlins et certaines espĂšces de requin. C’est Ă  ce jour la preuve la plus ancienne de l’emploi de la navigation dans le monde andin25. Sur la cĂŽte pĂ©ruvienne, les preuves sont plus tardives. Les recherches de Gabriel Prieto Ă  Gramalote cĂŽte nord du PĂ©rou suggĂšrent qu’elles remontent Ă  environ 1500-1200 av. Mais cela est peut-ĂȘtre liĂ© Ă  la submersion HolocĂšne des sites cĂŽtiers prĂ©-4000 av. mentionnĂ©es prĂ©cĂ©demment, qui fait que de nombreuses donnĂ©es sont manquantes pour les occupations cĂŽtiĂšres les plus anciennes. Conclusion La nĂ©cessitĂ© d’une approche multiple. Ce panorama des enjeux et mĂ©thodes possibles pour l’étude de la navigation prĂ©hispanique montre bien la nĂ©cessitĂ© de recourir Ă  une approche multiple, que ce soit en termes thĂ©matiques, mĂ©thodologiques, ou en termes d’échelles. La navigation renvoie en effet Ă  une diversitĂ© de pratiques ayant des implications Ă  la fois techniques matiĂšres premiĂšres, techniques de fabrication, savoir-faire nautiques, possibilitĂ©s environnementales, etc. et socio-Ă©conomiques exploitation des ressources aquatiques, Ă©changes et contacts maritimes, voire parfois symboliques – comme en tĂ©moignent les diffĂ©rents dĂ©pĂŽts funĂ©raires mentionnĂ©s dans ce travail. Il s’agit donc d’étudier non seulement la navigation en tant que telle mais surtout ses apports et son rĂŽle dans le dĂ©veloppement et le fonctionnement des sociĂ©tĂ©s prĂ©hispaniques. Pour apporter le plus d’informations possibles sur cet ensemble complexe de problĂ©matiques, il est nĂ©cessaire de recourir Ă  une archĂ©ologie Ă  la fois terrestre, littorale et maritime, et de croiser les diffĂ©rents types de sources et de donnĂ©es. La diversification des mĂ©thodes archĂ©ologiques produite par l’apport d’autres disciplines scientifiques gĂ©oarchĂ©ologie, archĂ©ologie subaquatique, archĂ©o-zoologie offre alors des ressources prĂ©cieuses. Enfin, pour cette Ă©tude transversale, il convient de faire une archĂ©ologie Ă  plusieurs Ă©chelles. Il s’agit en effet de documenter d’abord les pratiques de navigation locales, pour pouvoir ensuite identifier des dynamiques rĂ©gionales, puis plus globales Ă  l’échelle du monde andin, voire de l’AmĂ©rique prĂ©hispanique en gĂ©nĂ©ral pratiques communes de navigation, routes maritimes, etc.. Seule cette dĂ©marche mĂ©thodique et Ă©chelonnĂ©e permettra d’évaluer les thĂ©ories qui traversent le monde acadĂ©mique sur l’existence de rĂ©seaux d’échanges et de contacts maritimes lointains dĂšs les Ă©poques prĂ©hispaniques. Bibliographie ACOSTA, 1894 [1590] ACOSTA JosĂ© de, Historia natural y moral de las Indias, Tome 1, Madrid Imprimeur RamĂłn AnglĂ©s, 1894 [1590]. 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Fig. 1 Carte de la rĂ©gion andine avec les courants marins et les principaux milieux naturels. Foussard, 2021. Fig. 2 ReprĂ©sentation d’embarcations de la rĂ©gion de Portoviejo cĂŽte Ă©quatorienne. Benzoni, 1572 folio 164. Fig. 3 Embarcation en peau d’otarie de la cĂŽte chilienne. FrĂ©zier, 1982 [vers 1720] Planche XVI, p. 115. Source de l’image document numĂ©risĂ© relevant du domaine public. Fig. 4 CĂ©ramique Mochica cĂŽte nord du PĂ©rou, dĂ©but de n. siĂšcle reprĂ©sentant un pĂȘcheur sur son embarcation en totora. MusĂ©e Larco – Lima, PĂ©rou Catalogue en ligne du MusĂ©e Larco Fig. 5 CĂ©ramique Lima-NieverĂ­a cĂŽte centrale du PĂ©rou, vers 600-1100 ap. reprĂ©sentant des personnages sur des embarcations en totora, conservĂ©e au MusĂ©e Larco – Lima, PĂ©rou. Foussard, 2018. RADEMAKER et al., 2013, p. 34-45 l’article prĂ©sente les rĂ©sultats d’une base de donnĂ©es rassemblant toutes les datations au carbone 14 connues pour les sites archĂ©ologiques pĂ©ruviens datant du PleistocĂšne Final Ă  l’HolocĂšne Moyen. La base de donnĂ©es prend en compte les datations issues de publications scientifiques et pour lesquelles sont documentĂ©s le matĂ©riau et la provenance des Ă©chantillons datĂ©s, les mĂ©thodes de datation et de calibration employĂ©es et le laboratoire de datation. Nous ne pouvons restituer l’ensemble de ces informations ici mais renvoyons Ă  la rĂ©fĂ©rence bibliographique. Certes, les connaissances ont dĂ» Ă©voluer depuis 2013, mais ce travail donne tout de mĂȘme une vision d’ensemble qui nous semble encore pertinente sur les donnĂ©es archĂ©ologiques les plus anciennes au PĂ©rou. [↩] BURGER, 1992, p. 11-57 ; LAVALLÉE, 1994, p. 271-273 ; MOSELEY, 1975 ; SANDWEISS, 2008, p. 145-156. [↩] BUSE DE LA GUERRA, 1977 ; EDWARDS, 1965. [↩] PRIETO, 2013, p. 39-54 ; SANDWEISS, 2008, p. 145-156. [↩] Formule de l’auteur. [↩] BENZONI, 1572, p. 164-165 ; JUAN & ULLOA, 1748, p. 261-266. [↩] ACOSTA, 1894 [1590], p. 235-236 ; ORBIGNY, 1839-1843, p. 396. [↩] FRÉZIER, 1982 [écrit vers 1720], p. 114-116 ; VIVAR, 1966 [1558], p. 10-12. [↩] PRIETO, 2016, p. 141-188 ; VILCA APAZA, 2019, p. 960-973. [↩] PRIETO, 2016, p. 172-181 dans les pages indiquĂ©es sont prĂ©sentĂ©es plusieurs piĂšces en cĂ©ramique appartenant aux cultures mentionnĂ©es dans ce travail, y compris la piĂšce datant de l’Horizon Cupisnique-ChavĂ­n dĂ©crite dans le paragraphe prĂ©cĂ©dent. [↩] NÚÑEZ ATENCIO, 1986, p. 11-35 ; ORTIZ SOTELO, 2003, p. 123-135. [↩] BUSE DE LA GUERRA, 1977, Volume 2, p. 125-477 ; HEYERDAHL,1952, p. 550-553. [↩] GARCILASO DE LA VEGA, 1918 [1609], p. 206 ; PRIETO, 2016, p. 165. [↩] BARRAZA LESCANO, 2017, p. 416-443 ; ROSTWOROWSKI, 1970, p. 135-178. [↩] NÚÑEZ ATENCIO, 1986, p. 11-35. [↩] OLGUÍN et al., 2014, p. 177-192. [↩] CORTÉZ BILLET & AUSEJO CASTILLO, 2012, p. 11-49 ; KUBLER, 1948, p. 29-50. [↩] DELAERE, 2017, p. 223-238. [↩] HOCQUENGHEM, 1993, p. 701-719 ; MONTECINO & LANGE, 2009, p. 65-79. [↩] LAVALLÉE, 1994, p. 263-265 ; SANDWEISS, 2008, p. 145-156. [↩] OLGUÍN et al., 2014, p. 177-192. [↩] DELAERE, 2017, p. 223-238. [↩] Site Internet du MusĂ©e Pachacamac [↩] LLAGOSTERA, 1990, p. 37-51 ; OLGUÍN et al., 2014, p. 177-192 ; PRIETO, 2014, p. 1-46. [↩] OLGUÍN et al., 2014, p. 177-192. [↩] PRIETO, 2014, p. 1-46. [↩] Article Ă©crit par Tara Chapron TĂ©lĂ©charger l’article au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le mercredi 16 janvier 2019 RĂ©sumĂ© D’aprĂšs les dĂ©couvertes archĂ©ologiques, la laine semble ĂȘtre une fibre beaucoup apprĂ©ciĂ©e en Europe et en Asie centrale. Toutefois est-ce qu’il existe une seule qualitĂ© de laine pour plusieurs tissus ou diffĂ©rentes qualitĂ©s pour plusieurs types de tissu ? Peut-ĂȘtre que les critĂšres de qualitĂ© varient d’une Ă©poque Ă  une autre mais pour une mĂȘme Ăšre temporelle est-ce que les critĂšres de qualitĂ©s de la laine sont perçus de la mĂȘme maniĂšre sur des aires gĂ©ographiques diffĂ©rentes ? Pour rĂ©pondre Ă  notre sujet, nous avons choisi deux sites archĂ©ologiques un provenant du parc Lyon-Saint-Georges en France et le second de Gol Mod en Mongolie. Le premier site correspond Ă  la dĂ©couverte d’épaves contenant de nombreuses fibres de laine. Le second est une nĂ©cropole princiĂšre contenant, dans les chambres funĂ©raires, des Ă©chantillons de textiles. LĂ  aussi, plusieurs fibres de laine ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© identifiĂ©es. Ces deux sites datent de la mĂȘme pĂ©riode, Ier-IIIe siĂšcle de notre Ăšre et se trouvent tout de deux de part et d’autres de la route de la Soie. Si le deuxiĂšme site comprend probablement des laines de bonne qualitĂ© puisque jugĂ©es dignes d’ĂȘtre enterrĂ©es avec le dĂ©funt, le premier site comprend des laines d’usage courant puisqu’il s’agit de bateaux de commerce dont des morceaux de textiles ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour Ă©viter Ă  ceux-ci de couler. Aussi existe-t-il des aspects communs Ă  l’utilisation de cette matiĂšre en Europe et en Asie centrale entre le Ier et le IIIe siĂšcle de notre Ăšre ? Introduction L’Histoire des textiles est d’abord l’histoire d’un matĂ©riau. On peut aussi lire en lui l’histoire du monde, des civilisations, du commerce, des accords et des Ă©changes. Le mot textile vient du latin texere signifiant tisser », tresser », ou construire »1 . Pour qu’un textile existe, il faut de quoi le construire et c’est lĂ  que les fibres entrent en jeu. Un textile n’existe pas sans des fibres. Ce sont des Ă©lĂ©ments d’aspect filamenteux susceptible d’ĂȘtre tissĂ© ou filĂ© qui vont former le textile Ă  proprement parler. Les fibres deviennent parfois un sujet de convoitise, participant de cette maniĂšre Ă  la grandeur d’une civilisation. Dans la pĂ©riode antique, le lin est associĂ© Ă  l’Égypte, au Proche et Moyen-Orient ; le coton Ă  l’Inde ; la soie Ă  la Chine et la laine aux peuples pastoraux de l’Asie centrale Ă  l’Europe2 .Ce schĂ©ma reste une vision gĂ©nĂ©rale et il ne faut pas estimer qu’il fut vrai pour toute la pĂ©riode antique. Il peut y avoir des variantes qui dĂ©pendent d’un moment et d’une aire gĂ©ographiques Ă  une autre. Les fibres sont facilement transportables et peuvent ĂȘtre Ă©changĂ©es sur des distances longues autant que courtes. C’est ainsi que des peuples vivant sous des climats tout Ă  fait opposĂ©s Ă  celui sous lesquels les fibres peuvent grandir, sont suceptibles de les dĂ©couvrir. Parce qu’elles sont rares et/ou parce qu’elles ont une qualitĂ© particuliĂšre, elles sont prĂ©cieusement gardĂ©es ou au contraire sont exportĂ©es sous forme de produits bruts ou de produits finis. Et c’est de cette maniĂšre que certaines cultures vont acquĂ©rir une renommĂ©e marchande en lien avec cette fibre. L’une des fibres qui nous intĂ©resse tout particuliĂšrement est la laine. D’aprĂšs les dĂ©couvertes archĂ©ologiques, on sait que cette fibre est beaucoup apprĂ©ciĂ©e en Europe et en Asie centrale, ce qui est une trĂšs large limite gĂ©ographique. Donc plusieurs interrogations dĂ©coulent de cette observation. Existe-t-il une seule qualitĂ© de laine pour plusieurs tissus ou diffĂ©rentes qualitĂ©s pour plusieurs types de tissu ? Peut-ĂȘtre que les critĂšres de qualitĂ© varient d’une Ă©poque Ă  une autre, mais pour une mĂȘme Ăšre temporelle est-ce que les critĂšres de qualitĂ©s de la laine sont perçus de la mĂȘme maniĂšre sur des aires gĂ©ographiques diffĂ©rentes ? Pour tenter de rĂ©pondre Ă  ces questions, on choisit deux sites archĂ©ologiques de rĂ©gions diffĂ©rentes, mais contemporains, offrant un large Ă©chantillon de textiles en laine. Ensuite, nous comparons les fibres par ce qui permet gĂ©nĂ©ralement de dĂ©finir les qualitĂ©s de la laine afin d’observer les ressemblances et les diffĂ©rences. Les deux sites archĂ©ologiques que nous avons choisis sont d’une part le parc Lyon-Saint-Georges en France et d’autre part Gol Mod en Mongolie. Le premier site correspond Ă  la dĂ©couverte d’épaves contenant de nombreuses fibres de laine. Le second est une nĂ©cropole princiĂšre contenant dans les chambres funĂ©raires des Ă©chantillons de laine. Certes, ces deux sites sont gĂ©ographiquement opposĂ©s, mais datent tous deux de la mĂȘme pĂ©riode, Ier-IIIe siĂšcle de notre Ăšre. À travers les deux corpus contemporains de laines, peut-on dĂ©cocter l’existence d’aspects communs Ă  l’utilisation de cette matiĂšre en Europe et en Asie centrale entre le Ier et le IIIe siĂšcle de notre Ăšre ? I. De la laine au fil Sont appelĂ©s laine les poils Ă©pais, doux et frisĂ©s des animaux Ă  toison aptes Ă  ĂȘtre filĂ©s. La toison est l’ensemble des poils sĂ©crĂ©tĂ©s par le bulbe pileux de la peau d’un animal. C’est donc une fibre d’origine animale. GrĂące aux dĂ©couvertes archĂ©ologiques, il est attestĂ© que de nombreuses espĂšces domestiquĂ©es et non domestiquĂ©es ont servi Ă  la fabrication de fibres animales en Europe protohistorique chameau, la vache, cheval, la chĂšvre et le mouton par exemple. La laine possĂšde de nombreuses qualitĂ©s elle protĂšge du froid, de l’humiditĂ© et est Ă©lastique et solide. La domestication du mouton et plus largement des ovicaprinĂ©s remonte au nĂ©olithique. La domestication des animaux reprĂ©sente un intĂ©rĂȘt multiple puisqu’elle produit viande, cuir, lait et toison. Avec le lin, la laine fournit la majoritĂ© de la production des fibres textiles de l’Europe jusqu’en Haute Asie pendant de nombreux siĂšcles3 . La toison d’un animal dĂ©veloppe des poils hĂ©tĂ©rogĂšnes selon la partie du corps. En fonction des poils sĂ©lectionnĂ©s, les qualitĂ©s de laine varient et certaines peuvent mĂȘme valoir des prix d’or. Le mouton est un bon exemple pour expliquer ces diffĂ©rences de qualitĂ©. Sa toison se compose d’une double robe une composĂ©e de poils courts, fins et ondulĂ©s la laine et le crin et une autre de poils durs et grossiers les jarres. Les laines au niveau de la gorge, du dessous du ventre et des autres endroits susceptibles d’avoir des crottes attachĂ©es sont appelĂ©es crotons » ou crotins ». Elles sont gĂ©nĂ©ralement mises au rebut ou rĂ©servĂ©es au tissage d’étoffes plus grossiĂšres. Celles du niveau de la queue et des cuisses sont aussi considĂ©rĂ©es comme de mauvaises qualitĂ©s. À l’inverse, les meilleures laines, appelĂ©es mĂšre-laine », sont sur le dos du mouton, au niveau du cou et sur les Ă©paules4. Les mammifĂšres Ă  poils et les moutons en particulier, dĂ©veloppent leur toison en fonction de l’environnement dans lequel ils Ă©voluent. Ainsi dans les pays au climat humide, la toison des moutons est constituĂ©e de longues mĂšches lisses afin que l’eau ruisselle. A l’inverse dans les pays au climat plus chaud, leur toison est plus dense et les fibres de laine sont trĂšs serrĂ©es. Mais le climat n’est pas un des seuls critĂšres de modifications des toisons, l’action de l’homme y est aussi pour beaucoup, car celui-ci a cherchĂ© au cours du temps Ă  obtenir des toisons uniformes, faciles Ă  utiliser pour la fabrication de textile et efficaces contre le chaud et le froid5. Un chercheur, Micael Ryder a, depuis les annĂ©es 1950, tentĂ© de dresser un schĂ©ma de l’évolution des espĂšces de moutons dans l’AntiquitĂ©. Il a utilisĂ© diffĂ©rentes sources les vestiges archĂ©ologiques sont les plus nombreux, mais il existe aussi des reprĂ©sentations de mouton dans l’AntiquitĂ© et quelques races primitives existent encore soit parce qu’elles ont fui la captivitĂ© pour rester sauvages soit parce qu’elles sont Ă©levĂ©es dans des rĂ©gions isolĂ©es6. L’espĂšce actuelle la plus proche de celle de la pĂ©riode nĂ©olithique est le mouflon sauvage qui survit encore en Corse et en Sardaigne. À cette pĂ©riode des premiĂšres sĂ©lections, la fourrure des moutons Ă©tait de couleur marron foncĂ© et Ă©tait constituĂ©e Ă  l’extĂ©rieur de jarres grossiers qui tombaient chaque annĂ©e et une sous toison fine et laineuse que le mouton perdait Ă©galement. Ces moutons sont appelĂ©s moutons primitifs ils ne dĂ©veloppent pas encore de laine et leur toison est appelĂ©e toison crineuse. Si au NĂ©olithique final, les fibres vĂ©gĂ©tales restent la premiĂšre matiĂšre textile utilisĂ©e dans certaines rĂ©gions du nord de l’Europe, l’élevage du mouton s’est accru. C’est ainsi qu’à force de sĂ©lection, les jarres externes s’affinent et perdent de leur rudesse. À l’inverse, le duvet s’épaissit et devient plus laineux surement en raison d’une rĂ©action biologique concomitante. Deux types de moutons primitifs apparaissent au dĂ©but de l’ñge du Bronze un au Moyen-Orient vers 3000 av. et un autre dans les pays du nord de l’Europe, vers 1600-1500 av. Leur toison est nommĂ©e moyennement crineuse. Un autre type de toison apparaĂźt Ă©galement, dĂ» Ă  une rĂ©duction supplĂ©mentaire du diamĂštre des jarres, la toison de finesse moyenne. La laine est en effet moyennement fine et se confond avec le duvet. Il existe encore un type de mouton semblable Ă  ceux de l’ñge du Bronze, apportĂ© par les premiers occupants des Ăźles de Saint-Kilda le mouton de Soay. Celui-ci est le descendant direct des espĂšces sauvages apportĂ©es sur l’üle par les occupants d’oĂč leur squelette est trĂšs proche comparativement. Les diamĂštres de leurs fibres correspondent Ă  la fois aux toisons moyennement crineuses et aux toisons de finesse moyenne de l’ñge du Bronze. Au premier Ăąge du Fer, la laine se diffuse largement, en Europe notamment. Les deux types de toisons vues prĂ©cĂ©demment existent toujours, mais deux changements apparaissent. La palette de couleurs s’élargit vers le marron, le noir et le blanc. Par ailleurs, certaines races de moutons ont cessĂ© de muer. L’introduction des forces ciseaux de tonte peut ĂȘtre une explication Ă  ces phĂ©nomĂšnes. A la fin de l’ñge du Fer, l’élevage sĂ©lectionnĂ© afin d’obtenir une croissance continue du pelage entraine une nouvelle Ă©tape dans l’évolution des moutons Ă  toison moyennement crineuse. Chez certaines espĂšces de cette catĂ©gorie, les jarres grossiers sont devenus de vĂ©ritables poils. On parle alors de toison crineuse. Les derniĂšres transformations de la toison des moutons sont observables sous l’Empire Romain. AprĂšs l’introduction de nouvelles espĂšces, la toison de finesse moyenne Ă©volue en trois directions. Les fibres fines ont grossi et forment une toison de finesse moyenne. Les fibres moyennes des jarres s’affinent encore et donnent une toison fine. Enfin, les diamĂštres extrĂȘmes des fibres de la toison de finesse moyenne ont convergĂ© pour donner la toison semi-fine. C’est Ă  cette pĂ©riode que s’effectuent les derniĂšres transformations des moutons. Le mĂ©rinos correspond Ă  cette derniĂšre Ă©tape bien qu’il soit apparu en Espagne au Moyen-Age. Il est aujourd’hui le premier producteur de laine au monde. Il porte une toison de laine uniformĂ©ment fine et blanche et ne mue pas. Les besoins textiles ont au cour du temps influĂ© sur l’obtention de diffĂ©rentes qualitĂ©s de toison des fibres fines et homogĂšnes, grossiĂšres, une laine forte
 Les exigences ont Ă©voluĂ© en parallĂšle avec les moyens de perfectionnement technologiques influençant les toisons. Par cela, il faut entendre, par exemple, les techniques de rĂ©cupĂ©ration de la toison arrachage, tonte. Et aussi l’importation d’un savoir-faire » pour amĂ©liorer les troupeaux d’origine, ou l’importation de troupeaux d’autres rĂ©gions, ou encore l’introduction de reproducteurs qui sont croisĂ©s avec le cheptel indigĂšne7. II. Protocole expĂ©rimental Nous avons vu les espĂšces de moutons les plus prĂ©sentes dans l’AntiquitĂ©, il s’agit maintenant de les reconnaĂźtre. L’observation des fibres n’est pas toujours trĂšs simple et la facilitĂ© Ă  les identifier dĂ©pend de l’état de conservation de celles-ci. Plusieurs outils technologiques existent pour amoindrir cette difficultĂ©. Loupe binoculaire Pour une premiĂšre Ă©tude, la loupe binoculaire est idĂ©ale. Afin de nous rendre compte de l’état de conservation des Ă©chantillons et pour Ă©tablir une premiĂšre identification, nous souhaitons les observer en vue longitudinale. Les Ă©chantillons sont d’abord examinĂ©s dans leur ensemble avant de prĂ©lever quelques fibres qui sont ensuite dĂ©posĂ©es dans un liquide d’immersion baume du Canada ou de l’eau, entre une lame et une lamelle. Les lames prĂȘtes sont ensuite placĂ©es sous la loupe et observĂ©es sous un grossissement qui est en moyenne Ă  200 et Ă  l’aide d’une lumiĂšre polarisĂ©e. Nous alternons notre observation en lumiĂšre rĂ©flĂ©chie fond clair pour dĂ©celer la forme de la fibre et en lumiĂšre diffusĂ©e fond noir pour mesurer le diamĂštre des fibres. Figure 1 Loupe binoculaire. Source photographie de Tara Chapron. Pour complĂ©ter cette premiĂšre approche, nous avons rĂ©alisĂ© des coupes transversales avec l’aide d’un microtome. La prĂ©paration scientifique est diffĂ©rente de celle vue prĂ©cĂ©demment. Le fil qui doit ĂȘtre Ă©tudiĂ©, est insĂ©rĂ© dans une gaine de TĂ©flon qui contient une solution translucide mĂ©langeant une rĂ©sine polyester, un catalyseur et un accĂ©lĂ©rateur de polymĂ©risation. Il faut attendre 24 heures Ă  tempĂ©rature ambiante ou 30 minutes Ă  l’intĂ©rieur d’une Ă©tuve portĂ©e Ă  une tempĂ©rature de 60° C pour que le fil soit solidifiĂ©8. Cette Ă©tape une fois accomplie, la gaine est retirĂ©e et le fil est glissĂ© grĂące Ă  une pince dans une gouttiĂšre porte-Ă©chantillon du fibrotome qui le maintient dans un axe alors que la lame de rasoir Ă©paisse et rigide coupe les fibres successivement. Les coupes sont finalement disposĂ©es sur une lame et maintenues Ă  la lamelle par un liquide d’immersion baume du Canada. Les coupes transversales de 15 Ă  20 ”m sont observĂ©es sous un grossissement de 500 Ă  la loupe binoculaire et cette mĂ©thode nous permet de dĂ©cider plus prĂ©cisĂ©ment l’espĂšce de fibre et mĂȘme diffĂ©rencier les types de laines notamment par leur finesse. Figure 2 – Gaine de TĂ©flon et lame, Source photographie par Tara Chapron Figure 3 – Une rĂ©sine polyester, un catalyseur et un accĂ©lĂ©rateur de polymĂ©risation, Source photographie par Tara Chapron Figure 4 – Insertion de la fibre dans la gaine de tĂ©flon, Source photographie de Tara Chapron Figure 5 – Les fibres sont prĂȘtes Ă  ĂȘtre solidifiĂ©es, Source photographie de Tara Chapron Figure 6 – Une flasque mobile tronconique assure le serrage, Source photographie de Tara Chapron Figure 7 – Les coupes sont dĂ©posĂ©es sur une lame et retenues par une lamelle grĂące Ă  une goutte de baume de Canada, Source photographie de Tara Chapron Figure 8 – Observation des coupes au microscope, Source Photographie de Tara Chapron Le microscope Ă©lectronique Ă  balayage La difficultĂ© de reconnaissance des fibres est parfois trop importante pour se contenter de la seule utilisation de la loupe binoculaire. C’est pourquoi nous avons utilisĂ© le microscope Ă©lectronique Ă  balayage. Certes, il ne permet pas de voir la couleur des fibres, mais dejouer sur la nettetĂ© des vues longitudinales grĂące Ă  une grande profondeur de champ et un grossissement beaucoup plus important que le microscope optique. Nous l’avons utilisĂ© pour faire des images Ă  x12 000 notamment, mais il peut atteindre jusque x300 000. La prĂ©paration des fibres consiste Ă  d’abord prĂ©lever un Ă©chantillon pas plus grand de 5 mm. Ensuite, il est dĂ©posĂ© sur un porte-objet plat recouvert d’un adhĂ©sif pour ĂȘtre sĂ»r que l’échantillon reste immobile pendant l’observation. Pour rendre la surface conductrice, l’ensemble est recouvert d’une fine couche d’or avant d’ĂȘtre placĂ© dans l’appareil9. Le microscope numĂ©rique 3D Un autre appareil que nous avons utilisĂ© est l’Hirox. Ce microscope Ă©lectronique 3D offre une grande profondeur de champ ce qui est idĂ©al pour l’observation des fibres 50-800x. Sa tĂȘte rotative est composĂ©e de miroirs, ce qui permet de rĂ©aliser des vues en 3D et mĂȘme des captures vidĂ©o. Les captures sont de trĂšs bonnes qualitĂ©s 1200×1600 pixels, ce qui n’est pas non plus nĂ©gligeable. Cet outil nous a Ă©tĂ© de grande utilitĂ© Ă©galement pour les mesures des fibres. La prĂ©paration de ces derniĂšres est la mĂȘme que pour la loupe binoculaire10. Protocole d’identification Les fibres animales soulĂšvent le mĂȘme problĂšme d’identification que les fibres vĂ©gĂ©tales leurs ressemblances. Aussi nous avons cherchĂ© ce qui est propre aux fibres de laine de mouton les Ă©cailles des fibres dont la taille dĂ©passe les 0,5 ”m. Nous avons aussi mesurĂ© les diamĂštres afin de dĂ©finir la race11. III. Deux sites, deux aires gĂ©ographiques, une pĂ©riode L’objectif, nous le rappelons, n’est pas de dĂ©finir si les laines sont les mĂȘmes en Europe et en Asie centrale, mais si les critĂšres de qualitĂ© sont semblables d’une aire gĂ©ographique Ă  une autre. III. A. Les textiles du Parc Saint-Georges Le premier corpus sur lequel nous avons travaillĂ©, provient du quartier Saint-George de la ville de Lyon en France. Le quartier se situe dans le Vieux-Lyon », surnom donnĂ© Ă  l’association des quartiers Saint-Georges, Saint-Jean et Saint-Paul. Depuis 1965, ces anciens quartiers, qui devaient ĂȘtre dĂ©truits, font finalement l’objet de restauration visant Ă  faire revivre l’économie et le commerce. C’est donc en construisant un parc de stationnement souterrain et un immeuble que plusieurs Ă©paves ont Ă©tĂ© dĂ©couvertes sur la rive droite de la SaĂŽne en bordure du quartier Saint-Georges et prĂšs de la cathĂ©drale Saint-Jean. Plus prĂ©cisĂ©ment, le site archĂ©ologique couvre une superficie totale de 3750 m2 et atteint une altitude de surface de 165,50 m avec Ă  l’ouest le plateau de FourviĂšre culminant Ă  300 m d’altitude, et Ă  l’est la berge12. Ces Ă©paves sont des chalands, c’est-Ă -dire, des bateaux Ă  fond plat, rĂ©servĂ©s aux transports de marchandises. Ces embarcations sont idĂ©ales pour l’acheminement des charges de plusieurs tonnes dans des eaux parfois peu profondes. Elles sont munies d’une voile et peuvent ĂȘtre dĂ©placĂ©es Ă  la rame, par halage ou par simple dĂ©rive. Concernant la pĂ©riode antique, cinq embarcations ont Ă©tĂ© retrouvĂ©es sur la rive droite. La plus ancienne est l’épave n°8, puis les n°4, 3, 2 et 7. Leur prĂ©sence est liĂ©e aux anciens ports situĂ©s Ă  proximitĂ© des Ă©paves. Notamment celui construit au dĂ©but du IIe siĂšcle, juste avant la confluence de l’ancien lit de la riviĂšre et du nouveau qui correspond aussi au nord du site du parc Saint-Georges. En effet, Ă  la fin du Ier siĂšcle au dĂ©but du IIe siĂšcle, le RhĂŽne se dĂ©place sur sa rive orientale libĂ©rant ainsi la SaĂŽne qui se crĂ©e un nouveau lit plus Ă  l’est dans la plaine alluviale SaĂŽne nouvelle tout continuant Ă  occuper son ancien tracĂ© au pied de la colline de FourviĂšre Ancienne SaĂŽne ou SaĂŽne primitive13. C’est ce milieu alluvial qui a permis la conservation des Ă©paves et des textiles retrouvĂ©s entre les planches de ces bateaux. Les textiles sont tous imprĂ©gnĂ©s de poix et trĂšs tassĂ©s en raison de leur emplacement, aussi la lecture des Ă©chantillons n’a pas toujours Ă©tĂ© trĂšs simple. Les textiles ont Ă©tĂ© placĂ©s au moment de l’assemblage, il s’agit donc de lutage et non de calfatage qui suggĂ©rerait que les textiles aient Ă©tĂ© placĂ©s aprĂšs l’assemblage. Les textiles utilisĂ©s pour ce genre de fonction sont souvent des textiles de rĂ©emploi qui ne sont pas assez usĂ©s pour ĂȘtre mis au rebut, mais trop abimĂ©s pour les rĂ©utiliser sur des vĂȘtements ou sur des tentures14. L’épave qui nous a particuliĂšrement intĂ©ressĂ©s est la n°4 puisqu’elle est la plus complĂšte 4 m de largeur sur 18m de longueur. Celle-ci a plusieurs plaques de plomb et de nombreuses chevilles, ce qui indique qu’elles ont subi quelques rĂ©parations ou consolidations15. Cela suppose donc qu’elle a endurĂ© une longue pĂ©riode d’utilisation, les textiles peuvent ĂȘtre donc plus anciens que les bois de l’épave. Ces tissus sont non seulement intĂ©ressants pour la quantitĂ© conservĂ©e sur un mĂȘme site, parce qu’ils sont des tissus de rĂ©emploi non prĂ©vus pour le lutage et donc de contexte utilitaire, mais aussi parce qu’ils proviennent d’un lieu d’échanges intensifs dont l’épave garde le souvenir. DĂšs la fin du Ier siĂšcle la Gaule est rĂ©organisĂ©e par CĂ©sar puis par Auguste pour entrer dans le cadre de l’Empire Romain. De nouvelles provinces sont créées la Lyonnaise, l’Aquitaine, la Gaule Belgique et la Narbonnaise. Lyon ou Lugdunum fondĂ©e en 43 av. est le centre de culte de Rome et d’Auguste et la capitale des Trois Gaules Lyonnaise, Aquitaine, Gaule belge. Lyon a une position gĂ©ographique stratĂ©gique qui en fait un centre commercial des plus actifs. Elle est depuis Agrippa, le point de dĂ©part de trois axes routiers principaux. L’un se dirige vers le sud en longeant le RhĂŽne et rejoint la Via Domitia, un autre va vers le Rhin et le dernier continu jusqu’à Saintes dans l’ouest de la Gaule. Par ailleurs, elle est aussi situĂ©e Ă  un croisement de plusieurs cours d’eau comme la SaĂŽne et le RhĂŽne. La Gaule a, en effet, cet avantage d’ĂȘtre traversĂ©e par de nombreux axes maritimes et leurs dispositions servent d’axes de circulation qui reviennent moins chers que les axes terrestres. Lyon sert donc Ă  la fois de port fluvial pour les bateaux de haute mer remontant le RhĂŽne, et se trouvant au centre d’un nƓud routier et de routes maritimes, peut accueillir des marchandises de toutes parts dans ses entrepĂŽts. Dans l’AntiquitĂ©, l’activitĂ© du commerce est plutĂŽt rĂ©servĂ©e Ă  la ville. On y Ă©change des Ă©lĂ©ments dĂ©coratifs, du vin, de l’huile, des cĂ©rĂ©ales, du bois, des minerais, des pierres, des matĂ©riaux de construction, des animaux, des esclaves et des produits La ville devait ĂȘtre une plateforme commerciale fort dynamique dans l’AntiquitĂ© ce qui explique, sans doute, la prĂ©sence de ces Ă©paves qui s’intĂšgrent toute dans une Ă©chelle chronologique large Ier siĂšcle au XVIe siĂšcle. Il ne faut donc pas estimer que, puisque ces textiles sont retrouvĂ©s sur ce site, ils sont nĂ©cessairement en provenance et conçus Ă  Lyon. La lecture des textiles a parfois Ă©tĂ© difficile en raison de la poix qui recouvrait les Ă©chantillons. Les restaurateurs ont Ă©tĂ© contraints de se dĂ©barrasser de cette rĂ©sine afin de permettre la manipulation des Ă©chantillons et les fibres n’ont pas toujours supportĂ© cette manipulation. Certaines Ă©cailles ont toutefois pu ĂȘtre conservĂ©es et permettre ainsi l’identification des textiles en laine. Les fibres sont trĂšs hĂ©tĂ©rogĂšnes il n’y a en effet pas de trace de coloration, mais les fibres sont parfois de toison pigmentĂ©e brune, chĂątain et surtout les diamĂštres sont trĂšs variĂ©s. Il n’est pas Ă©vident de dĂ©finir une fourchette de diamĂštres rĂ©currents. Une rĂ©gularitĂ© de diamĂštres autour de 20 Ă  40 ÎŒm est toutefois notable. Si les diamĂštres sont variĂ©s alors cela peut signifier que les laines proviennent de diffĂ©rentes toisons, peut-ĂȘtre mĂȘme d’espĂšces de rĂ©gions diffĂ©rentes. Si l’on compare les rĂ©sultats des diamĂštres au grafique de Ryder alors, les fibres peuvent provenir de toisons des deux derniĂšres gĂ©nĂ©rations. Figure 9 – Vue transversale de l’échantillon les fibres sont pigmentĂ©es, Source photographie de Tara Chapron Figure 10 – Vue transversale de l’échantillon les fibres ne sont pas pigmentĂ©es, Source photographie de Tara Chapron Figure 11 – Graphique des diamĂštres des fibres de laine des Ă©chantillons de l’épave 4 du parc Lyon-Saint-Geogres, Source Tara Chapron III-B. Les textiles de la nĂ©cropole de Gol Mod Le deuxiĂšme site de notre corpus se trouve en Mongolie et plus prĂ©cisĂ©ment Ă  Gol Mod Ă  quelques 400 km Ă  vol d’oiseau Ă  l’ouest d’Oulan-Bator, dans la province d’Arkhangai et Ă  30 km au nord-ouest de Khai-khan. La dĂ©couverte de celui-ci dĂ©pend de la Mission ArchĂ©ologique Française en Mongolie fondĂ©e en 1993. Elle est la premiĂšre mission occidentale installĂ©e en Mongolie. À partir de 2000, la mission s’installe sur la nĂ©cropole aristocratique Xiongnu de Gol Mod n°1. Actuellement la nĂ©cropole s’étend sur environ 400 hectares, entre 1490 m et 1570 m d’altitude, adossĂ©e au nord, Ă  l’est et au sud Ă  un massif culminant Ă  1800 m. Elle est limitĂ©e Ă  l’ouest par la vallĂ©e de la riviĂšre Khunian Gol. La vallĂ©e est composĂ©e de dunes dont les forĂȘts de mĂ©lĂšzes en amont attĂ©nuent les effets du vent. C’est probablement pour cette raison que ce site en Ă©tagement protĂ©gĂ© par la vĂ©gĂ©tation a plu aux constructeurs des tombes17. Le paysage de Gol Mod est constituĂ© de plusieurs tertres et, au sud de chacun, d’alignements trapĂ©zoĂŻdaux de pierres. La plus vaste de toutes les tombes est la T1, de 70 mĂštres de longueur. Elle date du dĂ©but de notre Ăšre, autrement dit, peu avant le dĂ©clin de la civilisation des Xiongnu. C’est en 2000 que les relevĂ©s de la superstructure de la tombe T1 sont pris, en 2001 la sĂ©pulture est fouillĂ©e et le 17 aoĂ»t la chambre funĂ©raire est atteinte. OrientĂ©e nord-sud, Ă  10 degrĂ©s est, la tombe 1 est au cƓur de la nĂ©cropole. La superstructure du monument 850 m2 est composĂ©e d’une terrasse trapĂ©zoĂŻdale et d’une allĂ©e funĂ©raire trapĂ©zoĂŻdale. Au centre de la terrasse, une dĂ©pression profonde de 4,2 m indique un effondrement de la chambre funĂ©raire. Cela n’est pas rare Ă  Gol mod, tout comme dans les autres grandes nĂ©cropoles Xiongnu, qu’à la suite de pillages les structures des chambres s’effondrent. Toutefois, la profondeur est accentuĂ©e par le sondage au centre de la sĂ©pulture rĂ©alisĂ© par les prĂ©cĂ©dents archĂ©ologues18. À 17 mĂštres sous la terrasse se trouve la chambre funĂ©raire. Son accĂšs est protĂ©gĂ© probablement pour dĂ©courager les Ă©ventuels pilleurs et renforcer l’assise du monument. Effectivement, aprĂšs avoir creusĂ© 4 mĂštres dans le sol, les archĂ©ologues se sont retrouvĂ©s face Ă  de gros blocs de pierres et de sable disposĂ©s en plusieurs couches successives formant une protection au caisson de la chambre situĂ©e en dessus. Cela n’a tout de fois pas suffi Ă  protĂ©ger la tombe des voleurs puisqu’un bois de Maral laissĂ© dans la tombe, a servi de pic pour ouvrir la chambre environ un siĂšcle et demi aprĂšs l’inhumation. Plusieurs objets ont Ă©tĂ© emportĂ©s par les pilleurs et le corps n’est plus dans la tombe. La chambre est de forme rectangulaire et se compose de deux coffres parallĂ©lĂ©pipĂ©diques emboĂźtĂ©s l’un dans l’autre couvrant une surface totale de 20 m. Les quelques textiles conservĂ©s dans la tombe ont Ă©tĂ© gardĂ©s grĂące Ă  la profondeur de celle-ci qui les a protĂ©gĂ©s de la lumiĂšre et n’a pas laissĂ© l’air arriver jusqu’à eux et donc empĂȘcher les bactĂ©ries et insectes de dĂ©composer les fibres19. La monumentalitĂ© de l’édifice et le contenu de la tombe laissent penser qu’elle devait contenir la dĂ©pouille d’un personnage de haut rang. Les premiers tests de radiocarbone indiquent que la tombe appartient Ă  une pĂ©riode comprise entre 20 et 50 de notre Ăšre. Étant donnĂ© la profondeur de la chambre et du char, la tombe peut appartenir Ă  un des tout derniers shanyu dirigeant de l’empire Xiongnu. Des piĂšces mĂ©talliques de char et la prĂ©sence de trois aiguilles de mors appartenant probablement Ă  deux chevaux sont des Ă©lĂ©ments reprĂ©sentatifs du pouvoir. Ils sont associĂ©es Ă  des piĂšces d’importations comme des turquoises venant de gisements d’Asie centrale et encore une alĂȘne en jade datant de la pĂ©riode des Royaumes Combattants 475-221, donc des jades de rĂ©emploi de crĂ©ations chinoises et adaptĂ©es ensuite par les orfĂšvres Xiongnu, prouvent le vaste rĂ©seau commercial mis en place par les Xiongnu. Mais ce qui nous intĂ©resse tout particuliĂšrement c’est les centaines de fragments de tissus retrouvĂ©s dans la tombe. Il y a de la laine, de la soie, des gazes, des taffetas et des fourrures. Certains de ces morceaux de tissus tĂ©moignent d’éventuels Ă©changes avec la Chine20. Les Xiongnu sont majoritairement connus par les textes chinois, qui ne les dĂ©peignent pas de maniĂšre tout Ă  fait objective. De la fin du IVe siĂšcle av. au milieu du IIe siĂšcle, ils sont constamment mentionnĂ©s dans les Annales historiques chinoises comme des incultes nuisant Ă  la Chine. RĂ©putĂ©s Ă©galement comme peuple barbare par les Chinois, les Xiongnu sont des cavaliers semi-nomades, maĂźtres du Premier Empire des steppes depuis 220 av. environ, s’étendant de l’AltaĂŻ Ă  la Mandchourie, de la TransbaĂŻkalie jusqu’au-delĂ  de la muraille de Chine. Leur appellation “Xiongnu” dĂ©signe Ă  la fois leur empire ainsi que leur qualitĂ© de nomades pastoraux. Ce sont eux qui pour la premiĂšre fois ont unifiĂ© les peuples nomades septentrionaux de l’Asie centrale entre le IIIe siĂšcle av. et le Ier siĂšcle ap. La structure interne de l’Empire Xiongnu est encore inconnue, mais par les diffĂ©rentes tombes dĂ©couvertes, il semble que les cultures non-Xiongnu ne seraient pas entiĂšrement remplacĂ©es par la culture Xiongnu. Il faut donc les voir davantage comme une entitĂ© non chinoise vivant au nord des Hans et unie Ă  eux par une mĂȘme politique. Leurs rapports avec l’Empire de la dynastie des Han 206 av. notre Ăšre – 220 ne cessent d’ĂȘtre conflictuels. Ils Ă©tablissent tout de mĂȘme un traitĂ©, le traitĂ© Heqin, Ă  l’époque des Royaumes Combattants 475-221av stipulant que la Chine doit chaque annĂ©e aux Xiongnus une certaine quantitĂ© de produits chinois denrĂ©es alimentaires et produits de luxe et d’otages. En contrepartie, les Xiongnus leur garantissent la paix Ă  la frontiĂšre septentrionale de la Chine. Il n’est donc pas surprenant de trouver dans la tombe des objets d’inspiration ou d’importation chinoise et peut-ĂȘtre mĂȘme que certains des Ă©chantillons de tissus retrouvĂ©s proviennent eux aussi de tissus d’importation chinoise. S’ils sont de crĂ©ation Xiongnu, cela veut dire que les fibres que nous pouvons identifier peuvent ĂȘtre variĂ©es. À l’inverse, la steppe est un royaume de troupeaux. LĂ  oĂč l’herbe est rase, il y a des moutons, des chĂšvres, des bovins, et lĂ  oĂč l’herbe est haute se trouvent les chevaux et les chameaux. Toutefois, les textes chinois mentionnent qu’ils n’avaient pas de villes ou d’habitats fixes donc ils ne pouvaient semer et ne pratiquaient que la chasse21. Peu de dĂ©couvertes textiles ont Ă©tĂ© faites concernant ce peuple aussi nous ne possĂ©dons pas beaucoup d’informations concernant leurs ressources en matiĂšre de fibres. C’est pourquoi Gol Mod est d’un si grand intĂ©rĂȘt, car il peut probablement nous donner des pistes de rĂ©flexion sur les fibres qu’ils utilisaient et la valeur qu’elles avaient pour eux. Ce corpus est diffĂ©rent de celui de Lyon, car les fibres sont beaucoup plus homogĂšnes. Les mesures rĂ©alisĂ©es pour le site de Gol Mod montrent que les fibres de laine ont Ă©tĂ© triĂ©es selon leur Ă©paisseur. En moyenne elles se concentrent entre 20 et 35 ÎŒm. Ainsi un critĂšre de qualitĂ© prĂ©cis a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© dĂ©fini lors du choix des fibres de laine. Les toisons sont toutefois de plusieurs espĂšces, possiblement de diffĂ©rentes rĂ©gions. On note toutefois une prĂ©fĂ©rence pour les toisons non pigmentĂ©es, ou du moins faiblement, des espĂšces de derniĂšre gĂ©nĂ©ration, c’est-Ă -dire des espĂšces Ă  toison uniforme. Figure 12 – Vue transversale de l’échantillon I, les fibres ne sont pas pigmentĂ©es, Source photographie de Tara Chapron Figure 12 – Vue transversale de l’échantillon 12, les fibres ne sont pas pigmentĂ©es, Source photographie de Tara Chapron Figure 14 – Graphique des diamĂštres des fibres de laine des Ă©chantillons de la tombe 1 du site Gol Mod, Source Tara Chapron Conclusion La laine est donc une fibre complexe, car elle peut avoir de multiples origines animales. Elle apporte aussi des qualitĂ©s diffĂ©rentes selon l’animal ou la race choisie. AprĂšs avoir dĂ©taillĂ© les espĂšces de moutons de l’AntiquitĂ©, nous avons pu observer la diversitĂ© des toisons possibles. Et les observer plus concrĂštement sur notre corpus un contexte gallo-romain avec de nombreux Ă©chantillons d’usage quotidien et un site xiongnu, dont les Ă©chantillons rĂ©pondent Ă  un usage plus noble. Nous pouvons interprĂ©ter les rĂ©sultats en terme de continuitĂ© et de rupture. ContinuitĂ©, car nous pouvons dĂ©jĂ  affirmer que parmi les espĂšces choisies le mouton est la principale source animale dans les deux sites. Les choix de race de mouton sont tout aussi variĂ©s pour ces deux contextes de dĂ©couvertes. Les espĂšces qui ont cessĂ© de muer sont prĂ©fĂ©rĂ©es, il s’agit donc d’espĂšces de 2e et 3e gĂ©nĂ©ration. Rupture puisque sur un site qu’il soit riche ou pauvre, en Europe ou en Haute Asie, le soin apportĂ© au choix des fibres n’est pas soumis Ă  la mĂȘme exigence. Le site de Gol mod compte davantage des fibres de dimensions Ă©gales et marque une prĂ©fĂ©rence pour les fibres des toisons de derniĂšre gĂ©nĂ©ration donc de qualitĂ© uniforme. Tandis que le site de Lyon prĂ©sente des fibres de diamĂštres beaucoup plus variĂ©s, ce qui indique peut-ĂȘtre une sĂ©lection moins fine au dĂ©but du tri des poils et une plus large sĂ©lection de moutons. Au terme de cette analyse, il est donc fort probable qu’il ait existĂ© des critĂšres de qualitĂ© diffĂšrent entre le 1er et le 3e siĂšcle de notre Ăšre non seulement selon les aires gĂ©ographiques, mais aussi selon le contexte noble ou pauvre. Il faudrait cependant approfondir cette Ă©tude pour dĂ©finir si cette diffĂ©rence de qualitĂ© a pu correspondre Ă  une fonction prĂ©cise. Tara Chapron Bibliographie Ouvrages ANQUETIL J., 2001 ANQUETIL J., Les routes de la Laine, Paris Jean-Claude LattĂšs, 2001, p 11-394. BECK F. et CHEW H., 1989 BECK F. et CHEW H., Quand les Gaulois Ă©taient romains, Paris Gallimard, 1989, p 1-165. BRUN 2012 BRUN Techniques et Ă©conomie de la MĂ©diterranĂ©e antique, Paris CollĂšge de France/Fayard, 2012, p 1-88. 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Consultation en ligne {en ligne} electronique-balayage-7783/ dernière consultation 7/09/2018 {en ligne} dernière consultation 7/09/2018 Table des illustrations – Figure 1- Loupe binoculaire, Source photographie de Tara Chapron – Figure 2 – Gaine de Téflon et lame, Source photographie par Tara Chapron – Figure 3 – Une résine polyester, un catalyseur et un accélérateur de polymérisation, Source photographie par Tara Chapron – Figure 4 – Insertion de la fibre dans la gaine de téflon, Source photographie de Tara Chapron – Figure 5 – Les fibres sont prêtes à être solidifiées, Source photographie de Tara Chapron – Figure 6 – Une flasque mobile tronconique assure le serrage, Source photographie de Tara Chapron. – Figure 7 – Les coupes sont déposées sur une lame et retenues par une lamelle grâce à une goutte de baume de Canada, Source photographie de Tara Chapron. – Figure 8 – Observation des coupes au microscope, Source Photographie de Tara Chapron. – Figure 9 – Vue transversale de l’échantillon les fibres sont pigmentées, Source photographie de Tara Chapron. – Figure 10 – Vue transversale de l’échantillon les fibres ne sont pas pigmentées, Source photographie de Tara Chapron. – Figure 11 – Graphique des diamètres des fibres de laine des échantillons de l’épave 4 du parc Lyon-Saint-Geogres, Source Tara Chapron. – Figure 12 – Vue transversale de l’échantillon I, les fibres ne sont pas pigmentées, Source photographie de Tara Chapron. – Figure 13 – Vue transversale de l’échantillon 12, les fibres ne sont pas pigmentées, Source photographie de Tara Chapron. – Figure 14 – Graphique des diamètres des fibres de laine des échantillons de la tombe 1 du site Gol Mod, Source Tara Chapron. GILLOW J. et SENTANCE B., 2000, p 10. [↩]FAUQUE C. et FLEURENT C., 1997, p 186. [↩]FERDIERE A. ET ROCHE-BERNARD G., 1993, p 54. [↩]FAU A., 2015, p 10. [↩]RYDER M., 1987. [↩]RYDER M., 1987, p 56. [↩]YERNAUX G. et UDRESCU M., 1994, p 55-67. [↩]KASSENBECK P., JACQUEMART J. et MONROCQ R., 1965, p 213. [↩] derniĂšre consultation 7/09/2018 [↩] derniĂšre consultation 7/09/2018 [↩]BUNSELL 2018, 1052p. [↩]AYALA G., 2007, p 154. [↩]AYALA G., 2007, p159. [↩]MEDARD F., 2010, p 136-146. [↩]AYALA G., 2007, p163. [↩]BECK F. et CHEW H., 1989, p 90-91. [↩]GUILHEM A. et DESROCHES J-P., 2002, p 194. [↩]GUILHEM A. et DESROCHES J-P., 2002, p 195. [↩]GUILHEM A. et DESROCHES J-P., 2002, p 195. [↩]GUILHEM A. et DESROCHES J-P., , 2002, p 195. [↩]PSARRAS S-K., 1990, p 162. [↩] TĂ©lĂ©charger l’article au format pdf. Article Ă©crit par Liu Chiaomei, professeur d’art contemporain et d’historiographie de l’art Ă  la National Taiwan University. RĂ©sumĂ© Il s’agit d’abord de mettre en lumiĂšre la spĂ©cificitĂ© du point de vue moderniste de Marden, puis d’aborder la singularitĂ© des traductions des poĂšmes de Du Fu par Kenneth Rexroth. On remarquera l’utilisation de la calligraphie et de la poĂ©sie chinoises dans certaines Ɠuvres de Marden. Analyser le point de vue de la critique amĂ©ricaine moderniste sur l’art chinois traditionnel permet de montrer les aspects hĂ©tĂ©rogĂšnes de l’art de Marden qui s’opposent au discours puriste au sein du modernisme amĂ©ricain. Au fur et Ă  mesure, on montrera comment la dĂ©marche de Brice Marden a pu reconstruire une expĂ©rience de vie qui dĂ©passe les limites culturelles et les catĂ©gories artistiques de son temps. Abstract I will first highlight the specificity of Marden’s modernism and then discuss the uniqueness of Kenneth Rexroth’s translations of Du Fu’s poems. Note the use of Chinese calligraphy and poetry in some of Marden’s work. By analysing the American modernist critic’s view of traditional Chinese art, the heterogeneous aspects of Marden’s art that oppose the purist discourse within American modernism are shown. In the process, it will be shown how Brice Marden’s approach was able to reconstruct a life experience that transcended the cultural boundaries and artistic categories of his time. Connu pour ses premiĂšres Ɠuvres minimalistes, Brice Marden s’est inspirĂ© de la poĂ©sie et de la calligraphie chinoises, mĂ©tamorphosant les caractĂšres chinois en dessins de traits aux couleurs Sa premiĂšre sĂ©rie d’Ɠuvres chinoises », intitulĂ©e Etchings to Rexroth Eaux-fortes en rĂ©ponse Ă  Rexroth, 1986, explore l’univers poĂ©tique de Du Fu 712–770 ainsi que l’art calligraphique chinois Fig. 1, 2. Par la suite, il consacre plusieurs annĂ©es Ă  la sĂ©rie Cold Mountain 1988-1991 Fig. 3, intĂ©grant de façon syncrĂ©tique poĂ©sie, calligraphie et peinture. Par l’entremise de la calligraphie et de la poĂ©sie chinoises, il s’est engagĂ© dans une rĂ©flexion sur la nature du modernisme qui devait durer une trentaine d’annĂ©es. Dans cet article, j’étudie le transfert s’opĂ©rant Ă  deux niveaux au sein des Ɠuvres chinoises – d’une langue Ă  l’autre et de l’écrit au langage pictural. La premiĂšre partie mettra en lumiĂšre la spĂ©cificitĂ© du point de vue moderniste de Marden tel que perçu Ă  travers le thĂšme de la quotidiennetĂ© dans ses premiĂšres Ɠuvres. Dans la deuxiĂšme section, la singularitĂ© des traductions des poĂšmes de Du Fu par Kenneth Rexroth sera abordĂ©e. En troisiĂšme lieu, je traiterai de l’utilisation, chez Marden, de la calligraphie et de la poĂ©sie chinoises, principalement au sein de Etchings to Rexroth, et du rapport interactif qu’il Ă©tablit entre elles. Enfin, je mettrai en parallĂšle quelques traits particuliers de la critique moderniste de l’art chinois afin de montrer la relation d’intertextualitĂ© existant entre cette critique et l’art chinois, afin de cerner les aspects hĂ©tĂ©rogĂšnes de Marden contre le discours puriste au sein du modernisme. L’indubitabilitĂ© du plan pictural Les Ɠuvres de Marden antĂ©rieures Ă  1985, d’un caractĂšre plat et solide, se distinguent par leur recherche d’une sensibilitĂ© littĂ©raire et spirituelle dans la quotidiennetĂ©. Les panneaux monochromes de Marden de la fin des annĂ©es 1960 aux annĂ©es 1970, dĂ©pourvus d’ornement, donnent l’impression de n’ĂȘtre qu’objets, ce qui facilite le libre dĂ©ploiement de l’imaginaire du Jusqu’au milieu des annĂ©es 1980, Marden affectionnait les plans aux couleurs sombres, et ses panneaux avaient souvent la taille d’un ĂȘtre humain. À ses peintures Ă  l’huile, il ajoutait de la cire d’abeille afin de rĂ©duire la luminositĂ© des couleurs, une technique hĂ©ritĂ©e de Johns et qui, Ă  l’origine, servait Ă  accĂ©lĂ©rer la vitesse de sĂ©chage de la peinture Ă  l’huile, permettant de ce fait l’ajout d’une nouvelle couche de peinture sans que la prĂ©cĂ©dente ne soit À partir du milieu des annĂ©es 1970, alors que Marden passe ses Ă©tĂ©s avec sa famille sur l’üle d’Hydra, dans la mer ÉgĂ©e, il commence Ă  s’inspirer de l’architecture et de la mythologie Dans The Grove Group I 1972-1973, Museum of Modern Art, New York, une toile gris-vert montĂ©e sur un cadre d’environ sept centimĂštres de profondeur, l’épaisse texture des couleurs Ă©voque la terre, la mer et le ciel de la MĂ©diterranĂ©e, ou l’amalgame de tons caractĂ©ristique d’une oliveraie situĂ©e sur une terre aride. Une impression d’épaisseur est produite par les couches de fond apparaissant au bas de la peinture. L’opinion de Marden selon laquelle l’art a pour objet non pas la sociologie ou la critique, mais bien la vie elle-mĂȘme, et qu’il devrait donc emprunter ses formes Ă  la nature, s’apparente Ă  l’esthĂ©tique essentialiste de Harold Osborne, dont les thĂ©ories artistiques furent trĂšs influentes dans le domaine de l’éducation de l’art entre les annĂ©es 1950 et Osborne scinde l’art occidental en trois catĂ©gories – les arts utilitaire, naturaliste et formaliste –, et prĂ©sente les six principes de peinture dĂ©veloppĂ©s par Xie He c. 479-502. Selon lui, la recherche de lois structurelles de Mondrian se rapproche conceptuellement de la peinture Osborne adhĂšre aux thĂ©ories formalistes de Clive Bell et de Roger Fry, qui s’attachent aux principes formels de la peinture et Ă  l’expĂ©rience esthĂ©tique. Or, selon Fry, les arts chinois prĂȘtent particuliĂšrement attention Ă  l’équilibre de la composition. Il identifie trois caractĂ©ristiques de l’art chinois la linĂ©aritĂ© du rythme, la continuitĂ© du rythme et la rotonditĂ© des L’accent que Fry met sur le caractĂšre primitif de l’art chinois s’inscrit dans la continuitĂ© de ses thĂ©ories artistiques symbolistes. RĂ©guliĂšrement, Marden joignait plusieurs panneaux de bois dans le but de reprĂ©senter des thĂšmes grecs, crĂ©ant des espaces architecturaux rĂ©els ou imaginaires grĂące aux transformations des tonalitĂ©s. Une de ses peintures en forme de montants et linteau post and lintel paintings ayant suscitĂ© beaucoup d’intĂ©rĂȘt, Thira 1979-1980, MusĂ©e national d’art moderne, Paris est composĂ©e de dix-huit panneaux de bois monochromes Ă©voquant le mythe grec de la victoire de ThĂ©sĂ©e sur le Minotaure de CrĂšte. Plusieurs aspects formels de cette Ɠuvre proviennent du palais minoen de Cnossos et du style architectural dorique Fait intĂ©ressant, Thira est homonyme de thyra, qui signifie porte » en grec. Or, chaque panneau de bois colorĂ©, une fois joint aux autres, provoque une altĂ©ration de l’espace visuel au sein duquel l’intĂ©rieur et l’extĂ©rieur semblent interchangeables. Marden affirme que l’effet produit par les couleurs et les espaces de Thira est une rĂ©action au dogme moderniste La peinture moderniste a trait Ă  la façon dont les couleurs surgissent plus prĂšs de la surface et Ă  la maniĂšre dont cette technique affecte l’observateur ».9 Dans les Ɠuvres grecques » de Marden, l’architecture et l’espace forment les deux thĂšmes Dans ses peintures en forme de montants et linteau, Marden arrive Ă  crĂ©er, grĂące Ă  des mĂ©langes de tons, un sentiment d’espace et de corporalitĂ© de la muraille stimulant l’imagination du spectateur, ce qui met en Ă©vidence le caractĂšre indubitable du plan pictural. La quotidiennetĂ©, l’expĂ©rience visuelle, les allusions littĂ©raires, l’imaginaire, voire la quĂȘte spirituelle, sont des thĂšmes que Marden tente d’expliciter dans les Ɠuvres dĂ©crites plus haut. Marden lui-mĂȘme admet qu’il ne s’est jamais rĂ©ellement intĂ©ressĂ© au purisme. Ainsi son image plane » peut-elle ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme une relation Ă  plusieurs niveaux entre le plan et l’image, incorporant Ă  la fois temporalitĂ© et spatialitĂ©. Afin d’insuffler de la vie Ă  l’art pictural, il transcende les frontiĂšres spatio-temporelles et cherche une solution au sein des cultures asiatiques, entamant une exploration de l’univers poĂ©tique et calligraphique chinois. La transposition empathique des poĂšmes classiques de la Chine Des premiĂšres Ɠuvres chinoises » de Marden, inspirĂ©es de la poĂ©sie de Du Fu 杜甫710-770 et de Han Shan 毒汱 627-649, se dĂ©gage une sensibilitĂ© littĂ©raire L’album Etchings to Rexroth comporte les traductions anglaises de trente-six poĂšmes de Du Fu, et vingt-cinq gravures Ă  l’eau-forte. Chaque gravure, mesurant 49,5 par 41 centimĂštres, peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e une Ɠuvre Ă  part entiĂšre d’elle-mĂȘme. Fig. 1, 2.12 Les aspects figuratifs de ces gravures abstraites se rapprochent aux toiles de Jackson NĂ©anmoins, le rapport entre les gravures de cette sĂ©rie et les traductions des poĂšmes de Du Fu produisent un effet d’intertextualitĂ© aux degrĂ©s multiples. Rexroth, une des personnalitĂ©s phares de la renaissance littĂ©raire de San Francisco des annĂ©es 1950, est aussi considĂ©rĂ© comme l’un des pionniers de la beat generation. Ses Ɠuvres Ă©voquent un amalgame entre les poĂ©sies de Du Fu, de D. H. Lawrence et de StĂ©phane Au dĂ©but des annĂ©es 1920, il participe activement au mouvement littĂ©raire d’avant-garde de Des annĂ©es 1920 aux annĂ©es 1930, il se lance activement dans les mouvements littĂ©raires et politiques de gauche de San Francisco, formant un groupe bohĂšme composĂ© d’artistes À travers ses traductions, Rexroth s’efforçait d’offrir un abrĂ©gĂ© des classiques littĂ©raires provenant de langues diverses. À l’instar d’Ezra Pound, ce sont les haĂŻkus japonais qui lui ouvrent une porte d’entrĂ©e dans l’univers poĂ©tique chinois, mais contrairement Ă  Pound, Rexroth prĂ©fĂšre Du Fu et Li Qingzhao 1084-1156 Ă  Li Po 701-762. Par l’entremise de Witter Bynner, Rexroth fit la connaissance d’un Ă©tudiant chinois de l’universitĂ© de Chicago qui l’assista dans ses projets de traduction pendant l’hiver de 1926. Les traductions de Rexroth n’avaient certes pas pour objectif de restituer fidĂšlement le style et le contenu du texte original, mais bien de transposer son essence, telle que ressentie par le traducteur, au sein du contexte de l’époque. Rexroth, pour qui les poĂšmes de Du Fu forment un modĂšle de vie et d’art, soutient que les Ɠuvres poĂ©tiques de Du Fu sont Ă  mĂȘme de rĂ©pondre Ă  la question quel est la raison d’ĂȘtre de l’art »?17 Les traductions vernaculaires de Rexroth transposent un langage chinois apparaissant aux premiers abords obscur en un anglais dĂ©pouillĂ©, accentue ainsi la vivacitĂ© de la langue chinoise plutĂŽt que l’ornementation de sa forme. Afin d’opposer les valeurs dominantes de la sociĂ©tĂ© industrielle, les poĂštes san-franciscains du milieu des annĂ©es 1950 mettent plutĂŽt l’accent sur le cĂŽtĂ© performatif de la poĂ©sie ainsi que sur la participation du public. La lecture de poĂ©sie en public, florissante dans le San Francisco du milieu des annĂ©es 1950, se veut un retour en direction d’une vision tribale de la poĂ©sie tentant de restituer la relation du poĂšte et de son audience d’avant l’avĂšnement de l’ Lors de ces rĂ©citations, les poĂštes utilisent diverses techniques de lecture, telles que l’emploi de la tonalitĂ© propre au prophĂšte, d’une rhĂ©torique intensifiĂ©e, d’un accompagnement musical ou d’une alternance entre pause et transition. Par comparaison, les lectures offertes par les poĂštes de la cĂŽte est sont trĂšs accomplies, mais leur style de rĂ©citation s’avĂšre gĂ©nĂ©ralement plus conservateur. Le concept de distanciation » Ă©laborĂ© par le courant du New Criticism avait jadis poussĂ© le poĂšte Ă  s’exiler hors du poĂšme, alors qu’à travers la performance, le poĂšte rĂ©apparaĂźt de façon concrĂšte au sein de Pour Rexroth, la traduction de poĂšmes chinois Ă©tait, dans le contexte de l’époque, une question de vie ou de mort. Il apprĂ©cie l’ouvrage Science and Civilisation in China 1954, 1959 de Joseph Needham, selon qui la science chinoise aborde le naturel par empathie la nature y est perçue comme une non-intervention outrepassant le domaine des lois scientifiques, alors que l’univers se veut un rĂ©seau de corrĂ©lation au sein duquel l’homme et ses dĂ©sirs ne reprĂ©sentent qu’un des nombreux Rexroth dĂ©plore que le systĂšme juridique de l’Occident moderne ne garantisse pas nĂ©cessairement une libre pensĂ©e politique. Rexroth faisait rĂ©fĂ©rence certainement Ă  la situation des immigrants d’origine chinoise et japonaise de l’AmĂ©rique d’aprĂšs-guerre. La Loi sur les origines nationales National Origins Act de 1924 dĂ©finie toute personne de descendance asiatique Ă  l’intĂ©rieur des frontiĂšres amĂ©ricaines comme un Ă©tranger. Le Conseil de contrĂŽle d’État State Board of Control de la Californie Ă©voque pour sa part la logique des diffĂ©renciations raciales et l’impossibilitĂ© d’une assimilation rĂ©elle pour exclure les immigrants Le 19 fĂ©vrier 1942, soit un peu plus de deux mois aprĂšs l’attaque sur Pearl Harbor de dĂ©cembre 1941, le prĂ©sident Franklin Roosevelt rend public le DĂ©cret prĂ©sidentiel 9066 autorisant les commandants militaires locaux Ă  dĂ©signer des zones d’exclusion », dĂ©portant ainsi toute personne d’origine japonaise de la cĂŽte pacifique – ce qui inclue l’État de Californie dans son entier et la majeure partie des États d’Oregon et de Washington – vers des camps de Participant activement dans le milieu politique, Rexroth fonde, avec quelques amis, le ComitĂ© amĂ©ricain pour la protection des droits civiques des citoyens amĂ©ricains d’origine orientale American Committee to Protect the Civil Rights of American Citizens of Oriental Ancestry. Or, c’est prĂ©cisĂ©ment Ă  cette Ă©poque qu’il entreprend la traduction de poĂšmes japonais et À partir de 1943, avec l’abrogation de la Loi d’exclusion des Chinois Chinese Exclusion Act, 1882, les restrictions contre l’immigration asiatique appliquĂ©es par le gouvernement fĂ©dĂ©ral se relĂąchent sensiblement pour ce qui est des immigrants chinois, philippins et indiens, et ce jusqu’à ce que la Loi de McCarran-Walter McCarran-Walter Act de 1952 ouvre la porte, sous certaines conditions, Ă  l’immigration asiatique, dĂ©veloppant par le fait mĂȘme une politique ayant pour but d’intĂ©grer les nouveaux arrivants asiatiques et africains au sein de la vie politique et sociale des L’hostilitĂ© du gouvernement fĂ©dĂ©ral et du peuple amĂ©ricain envers les citoyens d’origine japonaise ne se dissipĂšrent que graduellement aprĂšs la guerre. Certaines traductions de poĂšmes de Du Fu par Rexroth sont imprĂ©gnĂ©es du contexte socio-politque de l’époque. Travelling Northward, par exemple, est une traduction d’un court extrait du poĂšme ExpĂ©dition vers le nord ćŒ—ćŸ, ici traduit du chinois de façon plus littĂ©rale Otus criant dans le mĂ»rier jaune, mulots creusant en dĂ©sordre une cavitĂ©; passant par un champ de bataille au cƓur de la nuit, une lune froide Ă©claire les os blanchis » Screech owls moan in the yellowing / Mulberry trees. Field mice scurry, / Preparing their holes for winter. / Midnight, we cross an old battlefield. / The moonlight shines cold on white bones ». À la lecture, la traduction semble plutĂŽt faire rĂ©fĂ©rence au contexte de la guerre froide en Asie, Ă©voquant chez le lecteur l’image d’os blanchis de soldats morts pendant la guerre de CorĂ©e 1950-1953, ou alors celle d’un massacre d’une population civile. Le nous » de la traduction anglais fait peut-ĂȘtre rĂ©fĂ©rence au poĂšte-guerrier ou Ă  tout autre voyageur brossant un tableau des images et sonoritĂ©s fragmentĂ©es d’un champ de bataille septentrional. En rĂ©sumĂ©, les traductions de poĂšmes chinois et japonais par Rexroth se veulent une recherche de l’universalitĂ© des cultures de l’Asie de l’Est. À travers la diversitĂ© ethnique particuliĂšre Ă  la cĂŽte ouest amĂ©ricaine, Rexroth parvient Ă  explorer un peu plus en profondeur la vigueur de la littĂ©rature chinoise, et, faisant appel Ă  la sensibilitĂ© du lecteur contemporain, il arrive Ă  faire ressortir le cĂŽtĂ© fonciĂšrement crĂ©atif du processus de traduction. L’écriture transculturelle glyphe, graffiti et lettres La plupart des gravures dans Etchings to Rexroth s’apparente Ă  des formes abstraites d’écriture, de figures et de paysages. Or, la mĂ©thode employĂ©e par Marden pour reprĂ©senter les poĂšmes traduits se rapproche des techniques de traduction dĂ©veloppĂ©es par Rexroth c’est-Ă -dire que dans le processus crĂ©atif, l’interprĂšte se doit de s’identifier Ă  son sujet. L’origine de l’intĂ©rĂȘt professĂ© par Marden pour la calligraphie chinoise se situe au carrefour de la vie et de la crĂ©ation. Son Ă©pouse Helen Ă©tant Ă©prise des cultures de l’Asie, Marden fait durant l’étĂ© 1984 un tour de l’Asie d’une durĂ©e de deux Ă  trois mois avec elle et ses deux filles, et se dĂ©couvre un intĂ©rĂȘt marquĂ© pour la calligraphie orientale. Vers la fin de 1984, il s’inspire plutĂŽt de la calligraphie japonaise, aprĂšs avoir vu l’exposition organisĂ©e par la Asia Society de New York et par la Japan House Le catalogue de cette exposition aborde Ă©galement le sujet de l’art calligraphique chinois, notamment dans un texte de John Hay faisant remarquer que la vitalitĂ© d’une Ɠuvre calligraphique prend corps par l’entremise du pinceau et des traces d’ Pour Marden, l’art calligraphique d’Asie se veut une pure expression de formes Ă©voquant vitalitĂ© et N’ayant jamais Ă©tudiĂ© le mandarin, il s’en remet aux vues d’Ezra Pound, selon qui il est possible de saisir l’essence de la langue chinoise en gardant un esprit Suivant la tendance de l’art amĂ©ricain postĂ©rieure aux annĂ©es 1960, Marden perçoit essentiellement la crĂ©ation artistique comme un acte Il est toutefois fascinĂ© par les poĂšmes chinois traduits par Il apprĂ©cie Ă©galement l’ouvrage de Georges Rowley sur la peinture chinoise, qui avance l’idĂ©e que les Chinois ont une attitude face Ă  la vie plus artistique que religieuse, philosophique ou scientifique. Selon Rowley, l’écriture chinoise est une langue idĂ©ographique dĂ©fiant toute dĂ©finition prĂ©cise; une Ă©criture de l’imaginaire » plutĂŽt qu’un outil InfluencĂ© par la mode des graffitis dans le mĂ©tro new-yorkais, il commencer Ă  partir de 1986 Ă  fonder ses dessins au trait sur des glyphes, ajoutant graduellement diffĂ©rentes couches de couleur aux tons variĂ©s. Alors qu’entre 1985 et 1987, Marden perçoit essentiellement la calligraphie comme une forme de peinture plutĂŽt que d’écriture, il s’efforce graduellement de saisir la composition des caractĂšres chinois en suivant l’ordre de leurs traits, et acquiert une comprĂ©hension nouvelle de l’art calligraphique qui se rapproche beaucoup plus, selon lui, de l’énergie rĂ©elle de l’écriture Dans ses Ɠuvres composĂ©es de glyphes de 1986, et tout particuliĂšrement dans Etchings to Rexroth, Marden consolide ses liens avec l’expressionisme Selon lui, les traits de ces Ɠuvres s’apparentent aux ossatures de ses premiĂšres Ce nouveau type de dessin au trait, qui laisse transparaitre Ă  la fois ce qui Ă©tait et ce qui n’était pas envisagĂ© par l’artiste, ressemble Ă  des idĂ©ogrammes car Ă  mi-chemin entre spontanĂ©itĂ© et contrĂŽle. ComparĂ© Ă  ses toiles prĂ©cĂ©dentes, peintures Ă  huile plus massives, elles Ă©voquent plutĂŽt une anatomie de la peinture. Dans son album Etchings to Rexroth, Marden s’inspire Ă  la fois de l’architecture grecque classique, de l’alchimie ainsi que de la poĂ©sie et de la calligraphie chinoises afin de relier symboliquement l’ĂȘtre humain Ă  la nature, la personne Ă  son destin et le monde laĂŻque au spirituel. Les gravures des premiĂšre et deuxiĂšme pages de l’album simulent une forme d’écriture ou de calligraphie dont chaque caractĂšre se veut indĂ©pendant des autres au niveau spatial. Ces deux gravures, aspirant Ă  reproduire l’acte d’écriture d’un poĂšme chinois et le flot d’énergie qui lui est propre Fig. 1, 2, correspondent peut-ĂȘtre aux deux premiers poĂšmes de l’album ayant pour thĂšme l’écriture. Dans sa traduction du premier poĂšme, intitulĂ© Banquet au manoir de la famille Zuo ć€œćźŽć·Šæ°èŽŠ, Rexroth compare la crĂ©ation poĂ©tique Ă  l’escrime, Ă  une rivalitĂ© entre deux hommes de l’aristocratie, tout en associant le poĂšme au style de vie d’un La traduction anglaise du poĂšme fait rĂ©fĂ©rence Ă  un concours poĂ©tique, ce qui fait Ă©cho Ă  la rĂ©citation performatif de poĂšmes par Rexroth Ă  San Francisco. La relation entre Etchings to Rexroth et les graffitis mĂ©rite d’ĂȘtre Ă©tudiĂ©e en profondeur. En effet, les dessins au trait de Marden possĂšdent une valeur rituelle pouvant s’apparenter Ă  celle du graffiti. Marden admet lui-mĂȘme s’identifier Ă  l’art new-yorkais, ce qui dĂ©montre le lien Ă©troit qu’il entretient avec le thĂšme de l’espace urbain. Les graffitis du mĂ©tro new-yorkais se veulent, depuis le dĂ©but des annĂ©es 1970, l’expression d’une sous-culture de jeunes artistes se qualifiant eux-mĂȘmes d’ Ă©crivains » writers. Dans un premier temps, leur art se concentre sur des dessins au trait, et ce n’est que plus tard que des tons de couleur y sont La forme des graffitis varie du tag cursif Ă  la piĂšce piece multicolore. Mais diffĂ©rents styles de graffiti peuvent Ă©galement se rĂ©fĂ©rer Ă  des groupes ethniques distincts, ce qui reflĂšte le caractĂšre interculturel propre Ă  une sociĂ©tĂ© d’immigration. À partir du milieu des annĂ©es 1980, le dĂ©bat ayant trait au graffiti dans la rĂ©gion de la baie de San Francisco s’est axĂ© sur le droit d’usage de l’espace public par des groupes dĂ©favorisĂ©s, ainsi que sur le conflit entre propriĂ©tĂ©s publique et Dans le contexte new-yorkais, les traces simulant l’écriture chinoise que Marden abandonne sur les pages s’apparentent Ă  un vestige d’une reprĂ©sentation théùtrale intime. Une marque est laissĂ©e par le corps en mouvance de l’artiste, tel un graffiti d’adolescent, en rĂ©ponse Ă  la mode des critiques d’art de l’époque s’opposant Ă  la peinture. L’album Etchings to Rexroth semble faire rĂ©fĂ©rence Ă©galement Ă  l’histoire de l’écriture poĂ©tique en Californie. Marden avait lu les traductions des poĂšmes de Han Shan par Gary Son intĂ©rĂȘt pour la calligraphie est-asiatique vient de Helen, qui a grandi en Californie. Dans sa carte 13 Helen’s Valentine 1986, Marden s’inspire de la calligraphie chinoise pour cĂ©lĂ©brer son union avec Helen, crĂ©ant deux silhouettes dansantes Ă  partir de formes d’écriture rudimentaires. Évoquant une gamme de sentiments complexes, ces traces calligraphiques indistinctes, telle une confession saccadĂ©e ou tel un ancien poĂšme mural éĄŒćŁè©©, ne se laissent interprĂ©ter aisĂ©ment. Au sein de la poĂ©sie de la dynastie Tang, la tradition chinoise de poĂ©sie murale se veut principalement la trace d’une visite Ă  un ermite. Le deuxiĂšme poĂšme de l’album, intitulĂ© Écrit sur le mur de l’ermitage de Zhang Written on the Wall at Chang’s Hermitage, éĄŒćŒ”æ°éš±ć±…, est prĂ©cisĂ©ment un poĂšme mural comparant la retraite libre d’un ami au dĂ©senchantement du poĂšte. Au dix-septiĂšme siĂšcle, en Chine, la poĂ©sie murale devient un moyen d’exprimer la mĂ©lancolie du poĂšte et d’offrir aux gĂ©nĂ©rations futures la possibilitĂ© de lui rendre hommage Ă  travers le partage d’une peine transcendant les frontiĂšres En Californie, les vestiges de poĂšmes muraux dĂ©couverts en 1970 tĂ©moignent de la mĂ©moire de la communautĂ© chinoise. Entre 1910 et 1940, suite Ă  la mise en Ɠuvre de la Loi d’exclusion des Chinois, environ 175 000 immigrants d’origine chinoise furent dĂ©tenus pour interrogation Ă  Angel Island dans la rĂ©gion de San Francisco. Bon nombre d’entre eux gravĂšrent des poĂšmes dans les casernes de bois afin d’exprimer leur affliction ou leur mĂ©contentement envers le gouvernement amĂ©ricain. Cependant, ces poĂšmes muraux Ă©taient perçus par les reprĂ©sentants gouvernementaux comme un dommage causĂ© de façon illĂ©gale Ă  la propriĂ©tĂ© publique. En 1983, sous la pression de groupes d’immigrants d’origine asiatique, la Station d’immigration d’Angel Island fut dĂ©signĂ©e Site historique national ».40 Suite Ă  la publication des poĂšmes muraux du lieu, une sĂ©rie de dĂ©bats publics reliĂ©s aux communautĂ©s d’origine asiatique L’écriture chinoise dans le contexte amĂ©ricain acquiert alors un sens de tragĂ©die transculturelle, plus visuelle que verbale. À travers les Ɠuvres d’une grande théùtralitĂ© de Rexroth et Marden, l’engagement du spectateur-lecteur est sollicitĂ©. Face Ă  la neige Dui xue 氍é›Ș dĂ©peint une situation semblable Ă  celle de l’impuissance du dĂ©tenu mentionnĂ©e plus haut En provenance de nombreuses prĂ©fectures, les nouvelles ont cessĂ© ; je m’assieds, soucieux, Ă©crivant dans le vide » æ•žć·žæ¶ˆæŻæ–·ïŒŒæ„ćæ­Łæ›žç©șShu zhou xiaoxi duan, chou zuo zheng shu kong. La traduction de Rexroth semble faire rĂ©fĂ©rence Ă  un lieu oĂč la libertĂ© d’expression serait absente Partout, les hommes parlent Ă  voix basse; / Je rumine sur la futilitĂ© des lettres » Everywhere men speak in whispers / I brood on the uselessness of letters ». ConfrontĂ©s Ă  un mĂȘme rapport au tragique transcendant les frontiĂšres spatio-temporelles, l’affinitĂ© empathique ressentie par le poĂšte et le peintre met en valeur la libertĂ© d’expression et suggĂšre une rĂ©interprĂ©tation du concept d’autonomie artistique. En partant d’une fascination singuliĂšre pour les caractĂšres chinois, Marden s’inspire graduellement de l’écriture ossĂ©caille, des inscriptions sur tablette, des gravures et des impressions chinoises. Or, sa tendance Ă  mettre l’accent sur l’aspect visuel des caractĂšres chinois se veut en continuitĂ© avec la tradition orientaliste de l’Europe du dix-neuviĂšme siĂšcle. Les sinologues de cette Ă©poque percevaient l’écriture alphabĂ©tique comme le produit d’une culture ayant atteint un niveau civilisationnel Ă©levĂ©, alors que la nature intrinsĂšquement visuelle des idĂ©ogrammes chinois dĂ©montrait, selon eux, comment ces derniers demeurent prĂšs de l’origine des choses. L’écrivain amĂ©ricain Ralph Waldo Emerson voyait par exemple dans l’écriture chinoise une langue naturelle aux prĂ©dispositions Mais la particularitĂ© de Marden se situe au niveau de son apprĂ©ciation profonde de l’universalitĂ© des poĂšmes de Du Fu en tant que sujet parlant. Par consĂ©quent, il tente de transposer visuellement les poĂšmes de Du Fu par l’entremise d’un art abstrait et contemporain, qui ne se limite guĂšre Ă  une description d’un exotisme et incorpore certains Ă©lĂ©ments distinctifs de la peinture figurative. Marden produit, entre 1987 et 1991, une sĂ©rie de six peintures Ă  l’huile intitulĂ©e Han Shan, dont les caractĂšres simulĂ©s s’apparentent Ă  la calligraphie cursive dite sauvage » de l’Autobiographie du moine Chan Huaisu 懷玠 725-785. Alors que les caractĂšres des deux premiĂšres toiles Ă©voquent des figures humaines dansantes, les quatre toiles suivantes tentent plutĂŽt de rĂ©vĂ©ler le rapport entre les traits sinueux et le fond pictural, et de mettre ainsi en lumiĂšre le processus de rĂ©flexion – de l’épuisement Ă  l’ouverture – propre Ă  la mĂ©ditation de type Chan zen pratiquĂ©e de façon assise devant un mur Fig. 3.43 Il est possible que Marden ait utilisĂ© le pouvoir Ă©mancipateur de l’écriture chinoise afin de communiquer la libertĂ© de l’artiste. L’écriture chinoise et l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© du modernisme Pour la critique d’art amĂ©ricaine d’aprĂšs-guerre, la sensibilitĂ© littĂ©raire de la poĂ©sie et de la calligraphie chinoises, dans leur rapport Ă  l’avant-garde, se trouvent en position d’altĂ©ritĂ© ou alors d’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©. Ici, l’altĂ©ritĂ© se rĂ©fĂšre Ă  un autre inassimilable, alors que l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© est en lien avec la diversitĂ© culturelle propre au mode de vie moderne. En fait, certains critiques d’art contemporains perçoivent les Ɠuvres de Marden comme une rĂ©fĂ©rence passagĂšre Ă  la poĂ©sie et Ă  la calligraphie chinoises. Selon Yve-Alain Bois, la technique sĂ©quentielle de ses peintures comme basĂ©e sur une temporalitĂ© fragmentĂ©e plutĂŽt qu’un processus d’écriture ou de croquis allant rĂ©ellement de l’avant, et les effets picturaux produits par les symboles textuels de ces Ɠuvres seront analogues Ă  la structure interne du corps Ces arguments se veulent en continuitĂ© avec les vues de Clement Greenberg. Pour ce dernier, chez Franz Klein et Mark Tobey le rapport entre les dessins au trait purs et la calligraphie chinoise est dĂ» Ă  un concours de circonstances, car l’expressionisme abstrait se veut un produit interne Ă  la tradition artistique Dans les annĂ©es d’aprĂšs-guerre, Greenberg Ă©labore un formalisme accentuant le cloisonnement entre les genres artistiques et l’exclusivitĂ© de leurs moyens matĂ©riels En revanche, l’historien de l’art Meyer Schapiro estime que l’art moderne est nĂ© dans les annĂ©es 1830 et que les Ɠuvres relevant de cette catĂ©gorie se caractĂ©risent par leur capacitĂ© Ă  relever le dĂ©fi d’accueillir toute nouvelle possibilitĂ© et Ă  intĂ©grer l’expĂ©rience, les connaissances et les concepts particuliers Ă  leur Peter BĂŒrger tient Ă  distinguer entre modernitĂ© et avant-garde, affirmant que l’esthĂ©tisme de la fin du XIXe siĂšcle a su dĂ©velopper une indĂ©pendance artistique, et qu’ainsi, il a suscitĂ© la rĂ©action de l’avant-garde du dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle qui s’est efforcĂ©e de renouveler la recherche d’un rapport entre art et Depuis le milieu des annĂ©es 1970, le postmodernisme amĂ©ricain, dans son maintien d’une sensibilitĂ© futuriste caractĂ©ristique de l’avant-garde, se rapproche des diffĂ©rents mouvements, des personnalitĂ©s phares et des intentions de l’avant-garde europĂ©enne du dĂ©but du vingtiĂšme Le postmodernisme amĂ©ricain des annĂ©es 1970 se trouve en fait Ă  reprĂ©senter une sous-catĂ©gorie du modernisme, alors que jusqu’au milieu des annĂ©es 1980, le postmodernisme devient, grĂące Ă  la participation d’intellectuels europĂ©ens, la face la plus contestatrice de la En rĂ©sumĂ©, la structure ouverte de l’art d’avant-garde entraĂźne l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© de l’Ɠuvre, que ce soit au niveau de sa forme ou de son contenu. Du fait, l’usage d’élĂ©ments artistiques provenant de cultures diverses, qu’il s’appuie sur la quĂȘte de l’hĂ©tĂ©rogĂšne du modernisme ou non, laisse transparaĂźtre un examen de soi chez l’artiste. De la fin de la Seconde Guerre mondiale aux Ă©checs subis par les troupes amĂ©ricaines lors de la Guerre du Vietnam en 1961, l’orientalisme devient un problĂšme social et artistique majeur. Durant cette pĂ©riode, dans le but de promouvoir l’expansion amĂ©ricaine Ă  travers le monde, les leaders amĂ©ricains d’une certaine idĂ©ologie propre Ă  la guerre-froide supportent le multi-ethnisme et le multi-culturisme. Tout particuliĂšrement durant l’époque post-McCarthy, la politique Ă©trangĂšre des États-Unis passe, de 1953 Ă  1959, d’un certain isolationnisme Ă  une politique d’intĂ©gration culturelle mettant l’accent sur l’Asie et s’inspirant du Front populaire de l’Union soviĂ©tique afin d’établir une communautĂ© La politique de la guerre-froide a pour mission d’exporter la culture populaire amĂ©ricaine plutĂŽt que d’assimiler les cultures d’Asie au sein de la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine. InfluencĂ©s par la poĂ©sie moderne, les artistes euro-amĂ©ricains commencent, aprĂšs le milieu du vingtiĂšme siĂšcle, Ă  apprĂ©cier le caractĂšre visuel des idĂ©ogrammes chinois et Ă  s’inspirer de la poĂ©sie et de la calligraphie Franz Klein s’approprie le trait blanc volant, il passe d’une dĂ©monstration de la puissance de l’action unique Ă  des plans picturaux noirs et Ă  des espaces expansifs et ouverts. D’un cĂŽtĂ©, la diversitĂ© des mĂ©diums artistiques s’amplifie, alors que d’un autre cĂŽtĂ©, l’écart formel entre les traits et le plan pictural permet une variĂ©tĂ© encore plus grande d’interprĂ©tations des Ɠuvres, ce qui les dĂ©livre des limites intrinsĂšques d’une perception unique et homogĂšne. Pour Rexroth, les connotations humaines chez Tobey ont su absorber l’influence des traits calligraphiques chinois, mais le manque de profondeur de cette influence les empĂȘche d’atteindre la sĂ©rĂ©nitĂ© des peintures de paysage de la dynastie Song et des Ɠuvres zen En 1957, Rexroth recommande, dans le magazine The Nation, un ouvrage de Mai-mai Sze intitulĂ© Le Tao de la peinture,54 qu’il voit comme un excellent ouvrage d’initiation. Cependant, il regrette que le second volume, Le manuel de peinture du jardin de graines de moutarde, ne propose que des formes de base Dans son ouvrage d’introduction Ă  l’art, Osborne consacre un chapitre Ă  la peinture chinoise qui d’emblĂ©e Ă©voque le concept confucĂ©en de ren la vertu d’humanitĂ©, et explique que le tao la voie fait rĂ©fĂ©rence Ă  l’ordre quasi-moral de l’univers. Il cite Ă©galement l’introduction du Tao de la peinture de Sze, qui fait remarquer que la peinture ne se veut pas une profession en Chine, mais bien un art de Les traductions de poĂšmes chinois ayant pour thĂ©matique la vie d’ermite par les poĂštes de San Francisco visent Ă  s’opposer Ă  l’idĂ©ologie dominante. Les poĂšmes de Han Shan traduits par Gary Snyder, qui ont pour thĂšme la force de la nature et l’introspection, sont particuliĂšrement populaires parmi les auteurs de la beat generation. Vers 1955, Rexroth et Snyder deviennent les principaux reprĂ©sentants de l’introduction de la poĂ©sie classique chinoise au sein de la population amĂ©ricaine. Leur mĂ©thode de traduction se fonde donc sur une intĂ©gration culturelle Ă  double-sens. Quoique les poĂštes du San Francisco retiennent surtout l’intĂ©gration de l’individu au sein de son environnement, chacun d’entre eux aborde diffĂ©rents aspects de la relation entre humain et nature. Les poĂštes de paysages naturels tels que Rexroth et Snyder explorent les rĂ©gions sauvages de diverses maniĂšres. Rexroth aime Ă  intĂ©grer certains Ă©lĂ©ments historiques Ă  ses biographies, et excelle tout particuliĂšrement dans son interprĂ©tation historique des paysages. Il joue ainsi le rĂŽle du philosophe errant, percevant la façon avec laquelle le monde naturel reflĂšte le monde Pour sa part, Snyder pense que la poĂ©sie doit ĂȘtre ancrĂ©e dans la vie culturelle d’une communautĂ© et que cette vie culturelle encourage – et fait Ă©cho Ă  – la prise de conscience, parmi la communautĂ©, de sa propre assise au sein de l’environnement naturel. Pour cette raison, le poĂšte doit observer la nature du point de vue de la politique et de la culture. Le traducteur-poĂšte devient ainsi mĂ©diateur de l’altĂ©ritĂ© de la En d’autres termes, pour les poĂštes san-franciscains, la ville, la nature ainsi que les cultures de l’Asie sont toutes Ă  l’origine d’une culture plurielle ainsi que d’une certaine hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©. Et l’artiste doit ajuster sa crĂ©ation Ă  l’origine de son inspiration. Dans le contexte orientaliste des États-Unis d’aprĂšs-guerre, les discours se voulant plus comprĂ©hensifs ont tendance Ă  attirer davantage l’attention des admirateurs d’art chinois au sein du grand public amĂ©ricain. George Rowley s’oppose au dĂ©veloppement artistique occidental qu’il perçoit comme Ă  sens unique, ce qui le pousse Ă  explorer les formes et les thĂ©matiques de l’art chinois. Selon lui, les deux plus grandes influences sur la peinture chinoise furent les pensĂ©es taoĂŻstes et confucĂ©ennes. La premiĂšre inspira le contenu dynamique de l’art visuel chinois, ce qui rĂ©sulta dans une recherche, au sein des formes, d’une certaine abstraction rythmique. Pour lui, l’art chinois met l’emphase plutĂŽt sur le qi le souffle ou le jingshen l’esprit, et sa beautĂ© formelle se situe au niveau de l’intĂ©gritĂ© de son En employant un vocabulaire faisant consensus dans le monde des arts visuels modernes, la peinture chinoise dĂ©crite d’un point de vue empathique par Rowley passe donc d’une altĂ©ritĂ© inassimilable Ă  un modĂšle artistique universel et concret. Les expositions rĂ©centes tĂ©moignent d’un point de vue nouveau sur l’interculturalisme. En 2002, la galerie d’art de l’UniversitĂ© de Boston prĂ©sentait l’exposition Looking East Brice Marden, Michael Mazur, Pat Steir. Cette exposition rĂ©unit trois peintres vivant dans la rĂ©gion du grand New York afin de souligner combien, en comparaison avec la gĂ©nĂ©ration d’expressionnistes abstraits d’aprĂšs-guerre, l’hybriditĂ© de leurs mĂ©thodes laisse transparaĂźtre certains Ă©lĂ©ments de calligraphie chinoise tels qu’ils ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©s au modernisme amĂ©ricain du dĂ©but du vingtiĂšme En 2009, le Guggenheim organisait une rare exposition Ă  grande Ă©chelle, The Third Mind American Artists Contemplate Asia, qui valorise l’esprit tiers nĂ© de l’interaction culturelle entre Orient et Occident, tout en portant une attention particuliĂšre Ă  l’art japonais. Le peintre new-yorkais Ad Reinhardt, Ă  titre d’exemple, s’efforce de rĂ©duire Ă  l’extrĂȘme ses plans picturaux de façon Ă  ce que le contenu se transforme d’une vision momentanĂ©e en une temporalitĂ© continue gĂ©nĂ©ralement associĂ©e Ă  la phĂ©nomĂ©nologie. Il tĂąche de cette maniĂšre Ă  rendre compte de la pĂ©rennitĂ© des cultures asiatiques, en se rĂ©fĂ©rant notamment aux vues du moine trappiste Thomas Pat Steir participe activement aux dĂ©bats thĂ©oriques, d’abord en rĂ©action contre le minimalisme dans les annĂ©es 1970, et ensuite Ă  travers une rĂ©flexion sur le Elle excelle dans la production d’images formĂ©es Ă  partir d’une manipulation de l’écoulement naturel de la peinture qu’elle combine avec les gestes et mouvements propre Ă  l’acte de peindre lui-mĂȘme. Elle apprĂ©cie tout particuliĂšrement les paysages mĂȘlant eau et lumiĂšre. En 1985, ses Ɠuvres commencent Ă  mĂ©langer le rĂ©alisme europĂ©en Ă  l’imaginaire romantique de la Chine dans une Ɠuvre intitulĂ©e Autumn The Wave after Courbet as though Painted by Turner with the Chinese in Mind Automne la vague d’aprĂšs Courbet et comme si peinte par Turner avec un esprit chinois. Steir, s’approprie le thĂšme des chutes d’eau chinoises, mais sans que la toile, dans son ensemble, ne sombre dans l’hĂ©roĂŻsme De surcroĂźt, Steir emprunte la mĂ©thode de Pollock et suspend frĂ©quement de grandes toiles au mur, n’appliquant des coups de pinceau qu’aprĂšs avoir Ă©claboussĂ© la toile de peinture. Elle admet avoir Ă©tĂ© profondĂ©ment inspirĂ©e par Derrida, et perçoit l’art visuel comme composĂ© de deux aspects, l’un abstrait et l’autre narratif. Elle considĂšre le titre de l’Ɠuvre comme un des meilleurs moyens d’exprimer le cĂŽtĂ© littĂ©raire de l’Ɠuvre. Sa lecture des peintures de paysage chinois et japonais met l’accent sur l’expĂ©rience concrĂšte de l’existence et du corps. Elle s’intĂ©resse Ă©galement Ă  la poĂ©sie et perçoit la calligraphie comme Ă©tant Ă  la fois Ă©criture et forme, une thĂ©orie qui est en accord avec ses propres crĂ©ations Pour sa part, Marden s’efforce plutĂŽt de saisir le contenu figuratif et l’unicitĂ© de l’art chinois, tout en gardant un intĂ©rĂȘt particulier pour les objets quotidiens. En dĂ©veloppant la technique de transposition empathique dĂ©jĂ  prĂ©sente chez Rexroth, Marden intĂšgre certains Ă©lĂ©ments de calligraphie chinoise Ă  des formes situĂ©es Ă  mi-chemin entre l’abstrait et le figuratif, et manifeste une acceptation de l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© propre au processus d’intĂ©gration culturelle. De cette maniĂšre, Marden a su s’affranchir du discours moderniste orthodoxe de la cĂŽte Est et, grĂące Ă  l’alternative que prĂ©sentaient l’art et le style de vie de la cĂŽte Ouest, il s’est engagĂ© dans une exploration de l’univers de la poĂ©sie et de la calligraphie chinoises dans Etchings to Rexroth. Par une fusion complexe de divers Ă©lĂ©ments, Marden invite le lecteur ou le spectateur de cette sĂ©rie d’Ɠuvres Ă  faire l’expĂ©rience de l’instantanĂ©itĂ©. Faisant Ă©cho Ă  Rexroth, Marden s’appuie sur les poĂšmes de Du Fu pour en faire son porte-parole » artistique. Marden ne cesse de puiser son inspiration dans les diffĂ©rentes facettes de l’art chinois, notamment dans sa sĂ©rie Han Shan, et s’inspire, dans les annĂ©es 1990, des fresques de Dunhuang, des Ă©pitaphes de la dynastie Tang ainsi que des jardins de Suzhou, explorant de façon concrĂšte les univers particuliers de diffĂ©rents poĂštes et diverses Ɠuvres, y puisant certains Ă©lĂ©ments picturaux et les intĂ©grant au thĂšme grecque de The Muses 1991-1993, Collection Daros. De 2006 Ă  2007, il parcourt le monde, faisant sa premiĂšre Ă©tape au MusĂ©e national du palais Ă  Taipei, oĂč il lui fut possible d’admirer, entre autres, les poĂšmes heptasyllabiques de Huang Tingjian 1045-1105. Dans sa sĂ©rie d’Ɠuvres intitulĂ©e Letters, les traits Ă©tablissent un rapport double entre forme et Dans la Second Letter Zen Spring, les traits entrelacĂ©s semblent former un cadre Ă  maintes reprises, donnant ainsi une sensation de fuite et de rĂ©sistance, en rĂ©ponse au premier vers le parfum de fleur risque de bouleverser la contemplation du Chan » èŠ±æ°Łè–°äșșæŹČç ŽçŠȘFig. 4. Ainsi, Marden continue Ă  rechercher une transformation de l’espace et des mouvements corporels Ă  travers l’écriture et la calligraphie chinoises. Cette mĂ©thode a l’avantage de transcender les stĂ©rĂ©otypes orientalistes prĂ©sents au sein de la critique d’art amĂ©ricaine et de proposer une interprĂ©tation des cultures asiatiques beaucoup plus ouverte Ă  la diversitĂ©. Dans l’album Etchings to Rexroth, Marden reproduit l’acte d’écriture et de lecture d’un poĂšme et redĂ©couvre ainsi les multiples connotations du modernisme. Une fois les symboles abstraits de l’album rĂ©unis, une multitude d’images imprĂ©cises se manifeste et interagit avec les poĂšmes, ce qui a pour effet de tisser des liens entre des poĂšmes originellement indĂ©pendants. Il semblerait qu’au sein de traductions de poĂšmes anciens dont le langage se veut limitrophe, ainsi qu’à l’intĂ©rieur d’une transposition d’images imitant l’écriture chinoise en marge du courant dominant de l’art euro-amĂ©ricain, se dĂ©gage un territoire au sein duquel le modernisme parvient Ă  s’autocritiquer, notamment Ă  travers une ouverture de son Ă©pistĂ©mĂš lui permettant de ne plus se limiter aux rĂšgles strictes des catĂ©gorisations artistiques. Marden met l’accent sur la relation d’entrelacs qui unie la lecture des poĂšmes Ă  l’observation des Ɠuvres d’art, et arrive Ă  transformer le rapport entre les deux en une force crĂ©atrice hĂ©tĂ©rogĂšne. Dans Cold Mountain V et Second Letter Zen Spring, le thĂšme de la contemplation se prĂ©sente comme une clĂŽture imaginaire du champ pictural, alors que les traits calligraphiques composent des figures dansantes au rythme variĂ©. Le transfert pictural de Marden acquiert ainsi une signification universelle en comblant le fossĂ© entre histoire et contemporanĂ©itĂ©. Ceci lui permet Ă©galement de faire obstacle Ă  toute domination d’une thĂ©orie artistique particuliĂšre, de dissiper le mythe de l’homogĂ©nĂ©itĂ© culturelle prĂ©supposĂ©e par l’orientalisme, et enfin de reconstruire une expĂ©rience de vie qui puisse transcender les limites culturelles et les catĂ©gories artistiques. Liu Chiaomei Brice Marden, Cold Mountain V Open, 1989-91. Oil on linen, x cm. Robert and Jane Meyerhoff Collection, Phoenix, Maryland. Courtesy of the artist. Fig. 4 Brice Marden, Second Letter Zen Spring, 2006-2009. Oil on linen, 244 x 366 Marks Gallery, New York. Courtesy of the artist. 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[↩]Brenda Richardson, Brice Marden Cold Mountain, New York, 1992. [↩]Brice Marden et Kenneth Rexroth, Thirty-six Poems by Tu Fu Translated by Kenneth Rexroth, with Twenty-five Etchings by Brice Marden, New York, 1987 Thirty-six Poems by Tu Fu ci-aprĂšs. Kenneth Rexroth, One Hundred Poems from the Chinese, New York, 1956, p. 3-38, 1-35; Love and the Turning Year One Hundred More Poems from the Chinese, New York, 1970, p. 62, 57. [↩]Jeremy Lewison, The Quest for Content Anselm Stalder, Helmut Federle, Terry Winters, and Brice Marden », dans Singular Multiples The Peter Blum Edition Archive, 1980-1994, Ă©d. Barry Walker, Houston, 2006, p. 165-166. [↩]Donald Hall, Review », dans New York Times Book Section, 23 novembre 1980, p. 9. [↩]Kenneth Rexroth, An Autobiographical Novel, New York, 1964, p. 143-171; Leslie Fiedler, Review », in New York Herald Tribune Book Section, 6 mars 1966, p. 10; Modern American Literature, Ă©d. 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[↩]Bradford Morrow, Introduction to the Poems », dans Brice Marden et Kenneth Rexroth, Thirty-six Poems by Tu Fu, [↩]Roger Daniels, Asian America Chinese and Japanese in the United States since 1850, Seattle, 1988. [↩]Brenda Richardson, Brice Marden Cold Mountain, p. 49, 51. [↩]John Hay, The Human Body as a Microcosmic Source of Macrocosmic Values in Calligraphy », in Theories of the Arts in China, Ă©d. Susan Bush et Christian Murck, Princeton, 1983, p. 89; Yoshiaki Shimizu et John M. Rosenfield, Masters of Japanese Calligraphy 8th to 19th Century, New York, 1984, p. 33. [↩]Paul Gardner, Call It a Mid-Life Crisis », Art News, 934, avril 1994, p. 140-143. [↩]Lilly Wei, Talking Abstract », Art in America, 757, p. 83. [↩]Pat Steir, Brice Marden An Interview », in Brice Marden et Pat Steir, Brice Marden Recent Drawings and Etchings, New York, 1991; citĂ© dans Richard Shiff, Force of Myself Looking », dans Plane Image A Brice Marden Retrospective, New York, 2006, p. 54. [↩]John Yau, An Interview with Brice Marden », dans Brice Marden, p. 54. [↩]George Rowley, Principles of Chinese Painting, Princeton, 1947; 1959, 2e Ă©d., p. 3, 33. [↩]Jonathan Hay, An Interview with Brice Marden », dans Brice Marden Chinese Work, New York, 1998, p. 24-25. [↩]Klaus Kertess, Plane Image The Painting and Drawing of Brice Marden », dans Brice Marden Paintings and Drawings, p. 42-44. [↩]Paul Gardner, Call It a Mid-Life Crisis », Art News, 934, p. 142. [↩] As we write the candles burn short. / Our wits grow sharp as swords while / The wine goes round. When the poem / Contest is ended, someone / Sings a song of the South. And / I think of my little boat, / And long to be on my way ». Kenneth Rexroth, One Hundred Poems, p. 3, 1. Voici la traduction de Marquis dHervey-Saint-Denys Il craint que les flambeaux ne s’éteignent avant que le papier les ait reçus. / Chacun regarde sa large Ă©pĂ©e, et la verve s’accroĂźt encore; / Les coupes se vident et se remplissent bien avant dans la nuit. / Enfin l’air du pays de Ou se fait entendre; on chante ce qu’on a composĂ©; / Puis chacun regagne en bateau sa demeure, emportant un long souvenir ». Marquis d’Hervey-Saint-Denys, PoĂ©sies de l’époque des Thang, p. 118-119. [↩]Gregory J. Snyder, Graffiti Lives Beyond the Tag in New York’s Urban Underground, New York, 2009, p. 23-45; Jack Stewart et Regina Stewart, Ă©d., Graffiti Kings New York City Mass Transit Art of the 1970s, New York, 2009. [↩]Nic Hill, Piece by Piece the History of San Francisco Graffiti, Documented [enregistrement vidĂ©o], [États-Unis,] 2006. [↩]Gary Snyder, Cold Mountain Poems », Evergreen Review, aoĂ»t 1956; rĂ©imprimĂ© dans Riprap and Cold Mountain Poems, Washington, 1958, p. 35-67. Ling Chung, Whose Mountain is This?—Gary Snyder’s Translation of Hanshan », Renditions VII, 1977, p. 93-102. [↩]Judith T. Zeitlin, Disappearing Verses. Writing on Walls and Anxieties of Loss », dans Writing and Materiality in China. Essays in Honor of Patrick Hanan, Ă©d. Judith T. Zeitlin et Lydia H. Liu, Cambridge, Mass., 2003, p. 73-125. [↩]Gareth Hoskins, Poetic Landscapes of Exclusion Chinese Immigration at Angel Island, San Francisco », in Landscape and Race in the United States, Ă©d. Richard H. Schein, New York, 2006, p. 95-111. [↩]Him Mark Lai, Ă©diteur, Island Poetry and History of Chinese Immigrants on Angel Island, 1910-1940, Seattle, 1980. [↩]Robert Kern, Orientalism, Modernism, and the American Poem, New York, 1996, p. 62. [↩]Liu Chiao-mei, Writing on the Wall Brice Marden’s Chinese Work and Modernism », in Chinese Walls in Time and Space A Multidisciplinary Perspective, Ithaca, 2009, p. 413-420. [↩]Yve-Alain Bois, Marden’s Doubt », in Yve-Alain Bois et Ulrich Loock, Brice Marden Paintings 1985-1993, Berne, 1993, p. 19, 35, 37. [↩]Clement Greenberg, “American Type” Painting 1955», dans The Collected Essays and Criticism, vol. 3, Affirmations and Refusals, 1950-1956, Ă©d. John O’Brien, Chicago, 1993, p. 227. [↩]Clement Greenberg, Towards a Newer Laocoon » 1940, in The Collected Essays and Criticism, vol. 1 Perceptions and Judgments, 1939-1944, editĂ© par John O’Brian, Chicago, 1985, p. 23-38; Clement Greenberg, Modernist Painting » 1960, dans The Collected Essays and Criticism, vol. 4 Modernism with a Vengeance, 1957-1969, editĂ© par John O’Brian, Chicago, 1993, p. 85-87. [↩]Meyer Schapiro, Recent Abstract Painting » 1957, in Modern Art 19th and 20th Centuries, New York, 1979, p. 213-232. [↩]Peter BĂŒrger, The Significance of the Avant-Garde for Contemporary Aesthetics A Reply to JĂŒrgen Habermas », tr. 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[↩]Harold Osborne, Aesthetics and Art Theory, p. 65. [↩]Michael Davidson, The San Francisco Renaissance, p. 14-17, p. 41-43. [↩]Robert Kern, Orientalism, Modernism, and the American Poem, p. 256-257. [↩]George Rowley, Principles of Chinese Painting, p. 4-8, 32. [↩]John Stomberg, Re-Orienting Modernism Brice Marden, Michael Mazur, Pat Steir », in Looking East Brice Marden, Michael Mazur, Pat Steir, Boston, 2002, p. 38-55, p. 71-74 [↩]Alexandra Munroe, Art of Perceptual Experience Pure Abstraction and Ecstatic Minimalism », in The Third Mind American Artists Contemplate Asia, 1860-1989, New York, 2009, p. 287-311. [↩]Thomas McEvilley, Pat Steir, New York, 1995, p. 16; Barbara Weidle, Interview with Pat Steir », in Pat Steir and John Yau, Dazzling Water, Dazzling Light, Seattle, 2000, p. 70-71. [↩]John Yau, Dazzling Water, Dazzling Light », dans Dazzling Water, Dazzling Light, p. 55-67. [↩]Doris von Drathen, Studio Conversations Pat Steir and Doris von Drathen; What do I see— What can I see? » dans Pat Steir Paintings, Milan, 2007, p. 29-44. [↩]Jeffrey Weiss, Correspondence », dans Brice Marden Letters, New York, 2010, p. 40-47. [↩] TĂ©lĂ©charger l’article au format pdf. Article Ă©crit par Nicola Foster, Senior Researcher en art visuel Ă  l’UniversitĂ© de Southampton Solent RĂ©sumĂ© Le NĂŒshu Ă©criture fĂ©minine Ă©tait pratiquĂ© par les femmes d’une rĂ©gion reculĂ©e de la Chine avant la rĂ©volution communiste chinoise. Il s’agit d’une tradition littĂ©raire et artistique dĂ©veloppĂ©e par les femmes pour les femmes. Lo Yuenyi, artiste basĂ©e Ă  Hong Kong, a produit une sĂ©rie d’Ɠuvres dans lesquelles elle commĂ©more les femmes qui pratiquaient autrefois le NĂŒshu. Ce faisant, elle reconnaĂźt leur travail comme un art Ă  part entiĂšre et relie sa propre crĂ©ation Ă  la fois Ă  cette tradition fĂ©minine chinoise et Ă  la tradition de l’art occidental. Abstract NĂŒshu women’s script was practiced by women in a remote part of China prior to the Chinese Communist Revolution. It was a literary and artistic tradition developed by the women for the women. The Hong Kong based artist Lo Yuenyi produced a series of works in which she commemorates the women who once practiced NĂŒshu. In so doing she acknowledges their work as art and connects her own work to both a Chinese women tradition and the tradition of Western art. PremiĂšre rencontre avec l’Ɠuvre de Lo Yuen-yi En 1998, je fus invitĂ©e Ă  donner un sĂ©minaire dans le cadre de ce qui Ă©tait Ă  l’époque un nouveau cours de dessin de niveau maĂźtrise Ă  l’école d’art de Wimbledon, Ă  Londres. Alors que le dessin Ă©tait depuis bien longtemps perçu tout juste comme une esquisse dans le discours occidental, lequel posait que seule l’Ɠuvre d’art achevĂ©e Ă©tait considĂ©rĂ©e comme accomplie, une nouvelle approche du dessin est nĂ©e durant les annĂ©es 1990 dans l’art occidental ». De grandes expositions ont eu lieu une sĂ©rie de prĂ©sentations de dessins organisĂ©es par le musĂ©e du Louvre Ă  Paris et une exposition plus modeste Ă  Londres et Ă  Gand. Elles ont tentĂ© de repenser et de réévaluer le dessin dans divers contextes et selon diffĂ©rentes perspectives. L’objectif Ă©tait de dĂ©montrer que la collection de dessins du Louvre – d’ordinaire accessible au public que sur demande – pouvait ĂȘtre montrĂ©e diffĂ©remment en Ă©tant prĂ©sentĂ©e comme contemporaine », parce que contribuant au dĂ©bat contemporain sur l’art et au-delĂ . Ainsi, des philosophes et des thĂ©oriciens de renom, plutĂŽt que des historiens d’art, ont Ă©tĂ© invitĂ©s Ă  ĂȘtre commissaires de ces expositions d’Ɠuvres provenant des collections permanentes. La raison pour laquelle on fit appel Ă  des philosophes Ă©tait d’éviter les approches prĂ©sentant le dessin comme un simple travail prĂ©paratoire en vue d’une peinture, sculpture ou architecture achevĂ©e ». C’est pourquoi les expositions recherchaient ce que nous considĂ©rons aujourd’hui comme contemporain » dans une collection de dessins existante et presque oubliĂ©e. L’autre Ă©vĂ©nement a Ă©tĂ© une exposition de dessins contemporains par des artistes femmes organisĂ©e par Catherine de Zegher et intitulĂ©e Inside the Visible [À l’intĂ©rieur du visible] 1994-1996. L’exposition dĂ©fendait le point de vue selon lequel le dessin Ă©tait une pratique choisie par les femmes prĂ©cisĂ©ment parce qu’elle est axĂ©e sur le processus plutĂŽt que sur le produit fini. L’idĂ©e Ă©tait nĂ©e d’un double dĂ©bat la critique de la prĂ©fĂ©rence accordĂ©e Ă  l’Ɠuvre finale » par rapport au processus de la pratique artistique et l’accent mis sur l’instant de l’exĂ©cution de l’Ɠuvre plutĂŽt que sur l’objet » d’art. Le sĂ©minaire a apportĂ© une perspective fĂ©ministe aux deux expositions suivantes l’exposition du Louvre organisĂ©e par Derrida, intitulĂ©e MĂ©moires d’aveugle 1990 et Inside The Visible, de Catherine de Zegher, en dĂ©veloppant plus avant le point de vue selon lequel le dessin peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le mĂ©dium prĂ©fĂ©rĂ© de certaines artistes fĂ©ministes, au moins au XXe siĂšcle. Fig. 1 Mapping [Configuration] de Lo Yuen-yi, graphite sur toile encollĂ©e, 183 × 244 cm, 1998. AprĂšs le sĂ©minaire, des Ă©tudiants qui y avaient assistĂ© m’ont montrĂ© plusieurs de leurs Ɠuvres. J’ai Ă©tĂ© intriguĂ©e par l’une d’entre elles, de grandes dimensions 183 x 244 cm, au format triptyque. Le centre du panneau central avait Ă©tĂ© laissĂ© blanc, comme si on avait voulu reprĂ©senter le vide. De l’autre cĂŽtĂ© Ă©taient dessinĂ©es deux mains en mouvement qui semblaient vouloir se rejoindre. Les deux Ă©troits panneaux latĂ©raux semblaient ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des marges sur lesquelles Ă©taient tracĂ©s verticalement ce qui me parut des caractĂšres chinois, que je ne pouvais lire. Un examen plus attentif m’a rĂ©vĂ©lĂ© que le dessin et les caractĂšres chinois avaient Ă©tĂ© effectuĂ©s au crayon graphite sur toile vierge. L’Ɠuvre s’intitulait Mapping [Configuration] 1998 et l’artiste se nommait Lo Yuenyi. Il Ă©tait clair que de nombreuses heures d’un travail laborieux avaient Ă©tĂ© nĂ©cessaires pour dessiner sur la toile, qui ne se prĂȘte guĂšre au dessin au crayon. La toile a Ă©tĂ© conçue en Europe comme le support de la peinture Ă  l’huile. Le dessin est plus appropriĂ© au papier et a Ă©tĂ© utilisĂ© dĂšs la Renaissance, bien que le papier soit Ă  l’origine une invention chinoise. Alors que le dessin sur papier est connu en Chine, la plupart des dessins chinois sur papier sont effectuĂ©s Ă  l’encre et au pinceau et sont souvent associĂ©s Ă  la calligraphie. Nombreux sont les exemples de dessins chinois sur textile, le plus souvent sur gaze de soie. La toile introduisait donc une contradiction entre l’instrument Ă  dessin et son support. Elle nĂ©cessitait un travail assidu pour amener instrument et support Ă  rĂ©agir et Ă  produire un rĂ©sultat. MalgrĂ© cette tension dĂ©concertante, ou peut-ĂȘtre Ă  cause de la tension pĂ©nible ainsi créée, l’Ɠuvre semblait raffinĂ©e pour une Ă©tudiante de maĂźtrise Ăšs arts. Elle faisait rĂ©fĂ©rence Ă  la fois Ă  un triptyque europĂ©en, mais Ă©galement au genre de dessins chinois que j’avais vus au musĂ©e Victoria & Albert et au British Museum, gĂ©nĂ©ralement sur papier, bien qu’il y ait eu aussi des rouleaux verticaux sur soie. Les deux mains du triptyque me prĂ©occupaient, car il Ă©tait difficile de dire si elles tĂątonnaient ou caressaient ce que je ne pouvais voir, ou essayaient de se rejoindre en un point invisible, ou cherchaient aveuglĂ©ment l’invisible. Juste aprĂšs avoir animĂ© un sĂ©minaire sur MĂ©moires d’aveugle de Derrida, je rĂ©flĂ©chissais Ă  une interprĂ©tation possible de cette Ɠuvre frappante Ă  l’aide du catalogue de l’exposition de Derrida au Louvre en 1992. Les deux mains fouineuses de Mapping de Lo Ă©voquaient une quĂȘte aveugle prĂ©sente dans plusieurs Ɠuvres de l’exposition de Derrida, comme par exemple les mains d’aveugle des Ă©tudes de Coypel. Fig. 2 Attempt [La tentative] de Lo Yuen-yi, dimensions inconnues, 1998 ? Selon Derrida, le dessin prĂ©sente deux moments paradoxaux d’une part l’invisible condition de la possibilitĂ© du dessin » et d’autre part 
 l’évĂ©nement sacrificiel, ce qui arrive aux yeux, le rĂ©cit, le spectacle ou la reprĂ©sentation des aveugles, disons qu’il rĂ©flĂ©chirait cette impossibilitĂ© Derrida, 1990, 46. L’idĂ©e de Derrida est que c’est une forme d’ aveuglement », et non de vision, comme on le pense gĂ©nĂ©ralement, qui fonde la pratique du dessin. Le dessin visible naĂźt du sacrifice d’une scĂšne vue mais qui n’est plus visible. Ainsi, poursuit-il, il reprĂ©senterait cet irreprĂ©sentable. Entre les deux, dans le pli des deux, l’un rĂ©pĂ©tant l’autre sans s’y rĂ©duire, l’évĂ©nement peut donner lieu Ă  la parole du rĂ©cit, au mythe, Ă  la prophĂ©tie, au messianisme, au roman familial ou Ă  la scĂšne de la vie quotidienne, fournissant ainsi au dessin ses objets ou spectacles thĂ©matiques, ses figures, ses hĂ©ros, ses tableaux d’aveugles. Derrida, 1990, 46 L’Ɠuvre rĂ©clamait une explication de la relation entre les deux mains et le texte. Je ne pouvais dĂ©chiffrer les caractĂšres des deux cĂŽtĂ©s, tout ce que voyais Ă©tait les deux mains cherchant aveuglĂ©ment, et, entre les deux, la toile vierge, flanquĂ©e des deux panneaux verticaux montrant des caractĂšres chinois, dont certains Ă©taient effacĂ©s et n’étaient guĂšre visibles. Dans un autre essai, Geschlecht II la main de Heidegger », Derrida se focalise sur les mains. Le terme allemand Geschlecht revĂȘt une signification complexe. Il peut Ă  la fois se traduire par sexe, race, espĂšce, gĂ©nie, genre, origine, famille, gĂ©nĂ©ration ou gĂ©nĂ©alogie, communautĂ©. Selon le point de vue de Derrida, les deux mains pourraient bien reprĂ©senter une distinction de genre, de culture, de race, de gĂ©nĂ©ration ou de gĂ©nĂ©alogie. Cependant, elles pourraient Ă©galement signifier la distinction entre montrer et signifier l’invisible, qui est la condition de la possibilitĂ© du dessin. La discussion de Heidegger sur les mains » est une tentative de repenser la dualitĂ© mĂ©taphysique entre corps et esprit, art et artisanat, naturellement pertinente pour toutes les autres distinctions dĂ©rivĂ©es comme masculin et fĂ©minin bien que Heidegger fasse de cette derniĂšre une distinction plus tardive et non fondamentale. L’approche du problĂšme par Heidegger par le biais des mains humaines est stratĂ©gique il tente une critique des distinctions ci-dessus mais pas de la distinction masculin-fĂ©minin. Il suggĂšre que la pensĂ©e est peut ressembler Ă  l’artisanat dans la maniĂšre d’interroger la distinction corps-esprit. La main ne fait pas que saisir et attraper, ne fait pas que serrer et pousser. La main offre et reçoit, et non seulement des choses, car elle-mĂȘme elle s’offre et se reçoit dans l’autre. La main garde, la main porte. La main trace des signes, elle montre, probablement parce que l’homme est un monstre. 
 Mais les gestes de la main transparaissent partout dans le langage, et cela avec la plus grande puretĂ© lorsque l’homme parle en se taisant. Cependant ce n’est qu’autant que l’homme parle qu’il pense 
 Toute Ɠuvre de la main repose dans la pensĂ©e. Heidegger, 1959, 90 Le propos de Heidegger ci-dessus Ă©voque Mapping 1998 de Lo. Les deux mains s’étendent pour atteindre ; certainement elles gesticulent, attirent l’attention sur une langue que je ne puis lire ni comprendre ; elles signent quelque chose. Chez Heidegger, langage et pensĂ©e sont liĂ©s aux mains, Ă  l’expression corporelle, et ne sont pas seulement une activitĂ© cĂ©rĂ©brale, abstraite. Cependant langage est nĂ©cessaire Ă  la pensĂ©e et rĂ©ciproquement, nous tournons dans un cercle d’oĂč nulle nouvelle langue ni pensĂ©e ne peut Ă©merger. La position de l’ouvrage de Heidegger est qu’à travers l’art et le geste des mains celui qui produit des Ɠuvres d’art, qui invite, porte et accueille les autres, de nouveaux signes et par consĂ©quent un nouveau langage et une nouvelle pensĂ©e peuvent commencer d’exister. Les gestes des mains peuvent communiquer ce qui n’est pas encore articulĂ© dans un langage constituĂ©. Ils peuvent cependant rĂ©vĂ©ler des maniĂšres de dire qu’une langue structurĂ©e n’exprime pas encore. Le rapport des mains Ă  la fois au corps, Ă  l’art et Ă  la poĂ©sie est crucial pour l’expression de la pensĂ©e selon Heidegger. Dans l’Ɠuvre de Lo, les mains sont immobiles et dĂ©tiennent en tant que telles un instant de silence, qui serait condition d’une nouvelle pensĂ©e et/ou d’un nouveau langage. De plus, elles sont flanquĂ©es de caractĂšres chinois, dont certains sont effacĂ©s. Elles ont bien pu tracer la calligraphie et ajoutent lĂ  une tension supplĂ©mentaire se rĂ©fĂ©rant Ă  elles-mĂȘmes. Elles se figent dans leur mouvement, mais l’énergie qu’elles ont emmagasinĂ©e porte d’autres gestes, d’autres actions. On a lĂ  un dessin de l’action, le tracĂ© du processus du dessin. C’est Ă  ce moment-lĂ  que Lo me fournit l’explication du texte ornant les deux cĂŽtĂ©s de l’Ɠuvre. Elle me dit que les quatorze caractĂšres sept de chaque cĂŽtĂ© fonctionnent par la combinaison de deux idĂ©ogrammes. Ceux tracĂ©s sur les marges sont constituĂ©s de l’élĂ©ment femme » Ă  gauche, associĂ© Ă  un autre caractĂšre qui lui donne son sens gĂ©nĂ©ral, mais il est nĂ©cessairement fĂ©minisĂ©. En tant que tel, ce signe fĂ©minin donne au terme un stĂ©rĂ©otype genrĂ©. Lo a effacĂ© cette clĂ© de chaque caractĂšre tracĂ© sur les bords de l’Ɠuvre, faisant ainsi perdre son sens au caractĂšre complet. Cette explication m’aida beaucoup, bien que je ne sache lire l’écriture ni produire une explication satisfaisante de l’Ɠuvre dans son ensemble. Je n’avais eu Ă  l’époque qu’un contact bien superficiel avec l’art et la culture chinoises. J’étais encore consciente du fait que l’Ɠuvre impliquait son intĂ©gration Ă  des dĂ©bats qui ne m’étaient guĂšre familiers et oĂč je me sentais un peu perdue, des dĂ©bats chinois, au moins Ă  l’époque, se plaçant dans la sociĂ©tĂ© sinisante et les pratiques du pays. Par Chine, il faut entendre de nombreuses entitĂ©s politiques et communautĂ©s au-delĂ , qualifiĂ©es de chinoises. DĂšs ma petite enfance, j’avais passĂ© bien des heures de bonheur dans de nombreuses collections publiques d’art chinois » du musĂ©e Victoria & Albert, du British Museum, d’Europe et d’AmĂ©rique. J’avais quelque familiaritĂ© avec l’impact visuel de la poĂ©sie et des paysages chinois sur papier et sur soie, sans parler d’une variĂ©tĂ© d’autres objets d’art. J’ai vu maintes Ɠuvres calligraphiques et connaissais certaines prĂ©sentations europĂ©ennes de la calligraphie chinoise, de son rĂŽle dans la culture ancienne, dans la vie sociale et politique. J’avais encore approchĂ© la Chine comme autre perspective, de par mes Ă©tudes de philosophie et d’histoire de l’art. Fig. 3 Attempt 8 [Tentative 8] de Lo Yuen-yi, graphite sur toile encollĂ©e, 240 x 180 cm, 1998. L’intĂ©rĂȘt de Lo pour les mains se prolongea avec la sĂ©rie d’Ɠuvres intitulĂ©e Tentative. Tentative 8 1998 donne une premiĂšre impression de grande tension. Cependant, les deux mains y coopĂšrent, mais on se demande si elles tentent de froisser le papier ou la toile portant le dessin ou si elles veulent en façonner un objet. Le dessin de Lo devient autocentrĂ© les mains dessinant la scĂšne forment encore le dessin rĂ©alisĂ©. Cependant, on y trouve enchĂąssĂ©e l’énergie des mains maniant le support, comme si elles voulaient en presser un jus. Je pourrais continuer Ă  spĂ©culer Ă  partir d’autres sources europĂ©ennes. Mais il vaudrait mieux Ă  ce point de lire les chinoises pour comprendre plus avant les Ɠuvres. Roger Ames, qui a publiĂ© une interprĂ©tation d’un des classiques chinois La rĂ©gulation Ă  usage ordinaire äž­ćșžy dĂ©fend le point de vue que, dans la cosmologie chinoise Produire du sens est radicalement intĂ©grĂ© ; cela provient des rapports changeants dans le monde de nos expĂ©riences dans la continuitĂ© de notre prĂ©sent » Ames, in Tsao and Ames, 2011, p. 40. L’auteur poursuit en suggĂ©rant que c’est parfaitement exprimĂ© dans le mot chinois tiyong 體甚, qu’il fait remonter Ă  Wang Bi çŽ‹ćŒŒ 226-249 laissant entendre que c’est devenu un terme omniprĂ©sent Ă  partir de lĂ  dans les rĂ©flexions philosophiques des confucianistes. En termes simples, il dit Toute crĂ©ativitĂ© est conçue comme situĂ©e et absolument intĂ©grĂ©e une co-crĂ©ativitĂ© en collaboration. Se crĂ©er et crĂ©er son monde est un processus visant au mĂȘme but et mutuellement dĂ©pendant Ames in Tsao and Ames, 2011, p. 40. Si l’on applique ceci Ă  Tentative 8, on s’expliquera mieux pourquoi les mains et l’acte de dessiner dĂ©peint semblent contenir tant d’énergie contenue, retenant un mouvement qui doit Ă©clater en dessins et pourquoi l’Ɠuvre est intitulĂ©e Tentative. L’action de dessiner est ainsi Ă©galement le dĂ©roulement de ce qui est tracĂ© et, ce faisant, le processus de l’artiste se modelant en artiste. Cette interprĂ©tation vaudrait aussi pour l’ensemble de la sĂ©rie, en particulier pour Tentative 6, dans laquelle les deux mains façonnent la clĂ© de la femme. C’est dans le contexte de la cosmologie chinoise que ce dessin prend tout son sens. Car c’est en traçant et en effaçant l’idĂ©ogramme radicalement fĂ©minin et les mains qui le tracĂšrent que l’artiste tente de se constituer en tant qu’artiste femme dans un environnement culturel oĂč ceci est difficile, voire impossible pour elles. Lo Yuen-yi naquit et grandit Ă  Hong Kong, alors sous administration britannique, mais cependant dans une ambiance chinoise. Elle poursuivit ses Ă©tudes de beaux-arts Ă  Florence, puis Ă  Londres, oĂč elle acquit une meilleure connaissance des approches europĂ©ennes de l’art, de sa thĂ©orie et de son esthĂ©tique, y compris de la perception de la Chine et de sa pensĂ©e, de sa culture et de ses pratiques par les EuropĂ©ens. Cependant, son Ɠuvre aussi reflĂšte en mĂȘme temps les dĂ©bats particuliers Ă  Hong Kong et ses conditions sociales spĂ©cifiques, alors que la ville conservait quelque autonomie vis Ă  vis de la Chine tout en se rattachant davantage au Continent. Dans la mesure oĂč le dessin-Ă©criture – et donc l’art – restent enracinĂ©s dans les valeurs confucĂ©ennes, de telles pratiques restent peu ouvertes aux femmes. L’apparence d’occidentalisation » de Hong Kong, son approche du dessin-Ă©criture l’art de l’encre est perçu dans une optique confucĂ©enne et reste de ce fait d’un accĂšs difficile aux femmes artistes. Le confucianisme Le mot confucianisme » est une invention europĂ©enne. Le rĂŽle de mĂ©diation jouĂ© par les missionnaires, jĂ©suites en particulier, entre le christianisme et ce qu’ils percevaient comme religions locales, en tentant de montrer leurs similitudes, est souvent sous-estimĂ© ou oubliĂ©. Dans son ouvrage Confucianism and Women 2006, Li-Hsiang Rosenlee soutient que Le terme de confucianisme [
] est une invention » des jĂ©suites de la fin du XVIIIe siĂšcle, une invention plus qu’une traduction littĂ©rale ou une image de la culture lettrĂ©e de la fin de la Chine impĂ©riale. En effet, il n’existe aucun Ă©quivalent littĂ©ral ou conceptuel de confucianisme » en chinois. Par contre, ce que les jĂ©suites voulurent exprimer par le mot confucianisme » est le concept de ru, dont le sens [
] ne dĂ©rive ni ne dĂ©pend de Confucius, puisqu’il remonte avant le Confucius historique. Autrement, il serait absurde de parler de vies de confucianistes » ru avant Confucius Rosenlee, 2006, 17. Elle dĂ©clare aussi que le confucianisme est un concept perçu comme rĂ©gissant la pensĂ©e, les usages sociaux et tous les niveaux de la vie morale; un concept irrĂ©ductible aux seules Ɠuvres de Confucius. Rosenlee remonte donc Ă  l’origine du mot ru, et dĂ©montre qu’on le retrouve dĂšs l’origine des documents Ă©crits. Ce qui donne son unitĂ© au concept au fil du temps est son rapport aux lettrĂ©s et aux gens de lettres. Venu le temps de Confucius, il avait pris une dimension expressĂ©ment morale, fondant son existence sur la vĂ©nĂ©ration du passĂ© pour le le bien du prĂ©sent. [
] La rĂ©vĂ©rence des ru pour la tradition, y compris littĂ©raire et rituelle en une Ă©poque d’invasions Ă©trangĂšres, devenait alors la meilleur garantie de la culture de l’élite chinoise, un synonyme de la sinitude » Rosenlee, 2006, 24. Selon Rosenlee, le confucianisme tel que dĂ©fini ci-dessus comporte une vĂ©nĂ©ration tant pour un passĂ© fondant nĂ©cessairement des hiĂ©rarchies familiales, sociales, politiques que pour la tradition lettrĂ©e de l’érudit artiste. Le confucianisme en tant que ru est associĂ© Ă  la culture de l’élite en Chine ; c’était la base sur laquelle un raffinement culturel privilĂ©giant la littĂ©rature se dĂ©veloppa et fleurit pour au moins deux mille ans. Savoir lire Ă©tait une marque de statut social, recherchĂ© en tant que tel mĂȘme par ceux qui pouvaient tout juste se le permettre. Cependant, cela encouragea l’alphabĂ©tisation et la culture. Selon Dieter Kuhn, les candidats aux concours de la fonction publique sous les Song se comptaient par centaines de milliers plutĂŽt que par centaines sous les Tang » Kuhn, 2009, p. 121. Ce qui dĂ©montre combien nombreuse Ă©tait l’élite Ă©duquĂ©e, combien elle dĂ©veloppait une hiĂ©rarchie propre, alors qu’elle en excluait encore la grande majoritĂ© qui ne pouvait consacrer les ressources et le temps exigĂ©s par la prĂ©paration des concours. Savoir lire n’était cependant pas simplement la capacitĂ© Ă  lire ; elle impliquait la connaissance et la frĂ©quentation de textes classiques » de Confucius ou Ă  lui attribuĂ©s, des interprĂ©tations tardives ou des ouvrages antĂ©rieurs intĂ©grĂ©s par des commentateurs ultĂ©rieurs. D’oĂč la constante fluiditĂ© de ce qui fut considĂ©rĂ© au fil des Ăąges comme liĂ© Ă  ou attribuĂ© Ă  Confucius. C’est ce corpus de textes et de pratiques qui fut compris comme le confucianisme ». La connaissance de ce canon Ă©tait mise Ă  l’épreuve par le systĂšme de concours donnant l’accĂšs aux charges publiques et ainsi un Ă©lĂ©ment essentiel de l’éducation recherchĂ©e par l’élite. Mais les concours ne faisaient pas qu’encourager l’érudition, elle Ă©tait associĂ©e de prĂšs Ă  la formation du caractĂšre et Ă  la conduite morale. Comme je l’ai montrĂ© plus haut, les anciens classiques chinois comme La rĂ©gulation Ă  usage ordinaire äž­ćșž associent la pratique de l’écriture au comportement Ă©thique. Ainsi, Craig Clunas observe que, dĂšs le IIe siĂšcle, la calligraphie d’un texte rĂ©vĂšle le caractĂšre et la force morale Clunas, 1997, 135. Les liens entre Ă©criture, poĂ©sie, dessin et moralitĂ© remontent certainement au Classique des mutations 易經et autres anciens ouvrages canoniques. Cela explique encore la pratique de la copie de textes calligraphiĂ©s particuliĂšrement estimĂ©s. Non seulement l’exercice permet de dĂ©velopper sa technique dans cet art, mais il permet encore de se conformer au caractĂšre et Ă  l’éthique du maĂźtre qu’on copie. Dans son article NĂ©gocier avec le passĂ©, l’art de la calligraphie dans la Chine post-maoĂŻste » 2012 Ying Lihua observe que la calligraphie chinoise combine langue, art, philosophie/pensĂ©e et poĂ©sie, et qu’elle Ă©tait considĂ©rĂ©e comme la forme d’art la plus accomplie dans la Chine traditionnelle. Cependant, malgrĂ© la rĂ©volution communiste visant Ă  l’établissement d’une nouvelle organisation sociale et politique, la calligraphie a continuĂ© d’exercer un grand rĂŽle dans la Chine moderne. De plus, dit-elle, les mĂȘmes critĂšres d’apprĂ©ciation esthĂ©tique demeurent jusqu’à nos jours, Ă  trois niveaux la forme » xing comprenant le tracĂ© des traits, la structure et la composition de l’Ɠuvre, le rythme » lĂŒdong ou jiezou maĂźtrise du mouvement et de l’énergie appliquĂ©e, et enfin, l’esprit » ou le style » jingshen ou fengge les qualitĂ©s personnelles infusant l’Ɠuvre de l’artiste Ying Lihua, 2012, 37. L’intĂ©rĂȘt persistant pour la calligraphie l’art de l’encre expliquerait, au moins Ă  un niveau d’analyse, pourquoi tant d’artistes chinois contemporains la pratiquent. Peut-ĂȘtre que l’Ɠuvre qui se rĂ©fĂšre le plus explicitement Ă  la pratique calligraphique est-elle L’Écrit cĂ©leste Tianshu ć€©æ›ž par Xu Bing 1988. Xu imagina quelques 4 000 caractĂšres inexistants. L’Écrit se fit un nom hors de Chine aprĂšs son exposition Ă  la 45e biennale de Venise en 1993, oĂč il fut interprĂ©tĂ© comme critique de l’absurde gĂ©nĂ©rĂ© par la RĂ©volution culturelle. D’autre artistes connus intĂ©grant la calligraphie dans leur Ɠuvre sont Qiu Zhijie, avec son Copier mille fois le Liminaire aux PoĂšmes composĂ©s au kiosque aux OrchidĂ©es 1992-1995, oĂč il copia mille fois le classique de la calligraphie chinoise sur le mĂȘme feuillet, au point de voiler tout caractĂšre en noircissant complĂštement le papier. Zhang Huan recourut Ă  une semblable approche consistant Ă  copier sur une mĂȘme surface jusqu’à la noircir complĂštement dans son Arbre gĂ©nĂ©alogique 2000. Il employa des calligraphes Ă  copier son arbre gĂ©nĂ©alogique sur son visage pendant trois jours. Les trois artistes ci-dessus expliquĂšrent leur Ɠuvre comme une tentative de se façonner et de retrouver un lien avec le passĂ©, personnel ou social et familial. Leur travail fut interprĂ©tĂ© comme tentatives de continuation de la longue tradition de l’écriture et de la calligraphie. Dieter Kuhn soutient dans son livre L’ñge du gouvernement confucĂ©en [The Age of Confucian Rule] 2009 que l’éthique confucĂ©enne rĂ©gissait la vie des individus du berceau Ă  la tombe tout autant qu’elle fondait l’art de gouverner et l’administration. Un aspect fondamental des croyances confucĂ©ennes, observe Kuhn, est que l’individu n’est qu’un maillon dans la chaĂźne joignant ancĂȘtres et futurs descendants. La mort concluait la vie, l’individu reposait en paix, mais le trĂ©pas n’interrompait pas les relations entre dĂ©funts et vivants. L’ñme du cadavre dans son sĂ©pulcre pouvait apporter du bien aux vivants quand les rites Ă©taient convenablement observĂ©s Kuhn, 2009, p. 112. On peut affirmer que des artistes comme Xu Bing, d’une famille de lettrĂ©s et d’universitaires, envoyĂ© Ă  la campagne pendant la RĂ©volution culturelle, chercha le moyen de relier Ă  nouveau son Ɠuvre Ă  celle des maĂźtres du passĂ© et des auteurs de slogans rĂ©volutionnaires. Il fut en effet rĂ©duit Ă  l’époque Ă  tracer des slogans et Ă©crire des rapports. Il ressentit probablement le besoin de replacer son Ɠuvre dans la succession des artistes passĂ©s et futurs. En tant qu’hommes, tant Xu Bing que Gu Wenda bĂ©nĂ©ficiĂšrent d’une bonne Ă©ducation et d’ancĂȘtres cultivĂ©s, leur permettant de s’intĂ©grer dans cette tradition de lettrĂ©s-artistes relativement facilement. La situation faite aux femmes artistes en Chine est plus complexe, vu qu’elles ne peuvent facilement se relier Ă  cette tradition trĂšs phallocentrique et patriarcale. Les concours mandarinaux ne furent jamais ouverts aux femmes. Certaines Chinoises ont pu recevoir une excellente Ă©ducation littĂ©raire, mais elles n’étaient pas admises Ă  concourir ou exercer de charges publiques dans la Chine impĂ©riale. Il existe certes de bien rares exemples de femmes trĂšs cultivĂ©es, comme le prouvent certains poĂšmes, dessins et peintures qui nous sont parvenus, de tels tĂ©moignages demeurent bien exceptionnels. La plupart des femmes, y compris de l’élite, Ă©taient illettrĂ©es. La sociĂ©tĂ© chinoise Ă©tait, et beaucoup soutiendront qu’elle le reste, patriarcale. Alors, qu’une artiste puisse exister et que ses Ɠuvres soient vues comme contemporaines pose d’autant plus problĂšme. Lo ne pouvait que difficilement prĂ©senter son Ɠuvre artistique comme un chaĂźnon entre ancĂȘtre et postĂ©ritĂ©. Ayant grandi Ă  Hong Kong, elle subit l’influence des cultures chinoise comme occidentale, mais ne pouvait placer son art dans aucune. C’est ainsi qu’elle fut attirĂ©e par l’écriture des femmes » nĂŒshu, tradition de dessin-Ă©criture, parallĂšle en quelque sorte Ă  celle des hommes lettrĂ©s, mais pratiquĂ©e par des paysannes. La pratique de l’écriture des femmes prit place dans une sociĂ©tĂ© profondĂ©ment confucĂ©enne dans ses observances et ses valeurs. La piĂ©tĂ© filiale rĂ©gissait toutes les pratiques quotidiennes et le dessin-Ă©criture fut interprĂ©tĂ© de maniĂšre bien similaire Ă  sa pratique par les lettrĂ©s, quoique ceci le fĂ»t par des gens de stature sociale infĂ©rieure des paysannes. Une autre tradition scripturaire celles qui pratiquĂšrent l’écriture des femmes Dans ses Ɠuvres antĂ©rieures, Lo prĂ©sentait l’écriture chinoise comme un systĂšme imposant des stĂ©rĂ©otypes de genre, questionnant par lĂ  sa propre place dans cette tradition. Dans des crĂ©ations plus tardives, elle considĂšre le nĂŒshu ć„łæ›žcomme une tradition littĂ©raire et artistique alternative dĂ©veloppĂ©e par les femmes. Par lĂ , elle replace son Ɠuvre Ă  elle au cƓur d’un autre rĂ©cit des origines et d’une suite culturelle littĂ©raire, d’oĂč elle n’est pas exclue en tant que femme celles Ă©duquĂ©es dans l’écriture des femmes. En outre, quand la tradition des lettrĂ©s artistes excluait, en tant que marque d’appartenance Ă  l’élite, le nĂŒshu intĂ©grait, n’excluant pas celles qui l’ignoraient, mais cherchait au contraire Ă  les intĂ©grer. Fig. 4 Chanson en Ă©criture nĂŒshu, Ă©crite par Hu Ci-zhu 1905–1976 au milieu des annĂ©es 1950,retranscrite par Lo Yuen-yi. Fig. 5 He Jing-kui 1930~, village de Zhaxia, canton de Shangjiangxu, 2000, photo prise par Lo Yuen-yi. L’intĂ©rĂȘt de Lo pour la tradition calligraphique et les caractĂšres chinois comme symboles de la discrimination fondĂ©e sur le genre, l’amena Ă  explorer une autre forme d’écriture, dite nĂŒshu littĂ©ralement Ă©criture fĂ©minine » pratiquĂ©e par les femmes de la campagne de l’arrondissement reculĂ© de Jiangyong æ±Ÿæ°žçžŁ, province du Hunan. Cette Ă©criture diffĂšre beaucoup des quelques dizaines de milliers de caractĂšres chinois hanzi æŒąć­—d’usage officiel. L’écriture des femmes est phonĂ©tique, et on a identifiĂ© jusqu’ici deux mille caractĂšres transcrivant la langue locale, le parler de Chengguan 柎關. Contrairement aux caractĂšres chinois inscrits dans un carrĂ©, ceux du nĂŒshu prennent la forme de losanges. L’écriture fĂ©minine allait toujours de pair avec les nĂŒge ć„łæ­Œ littĂ©ralement chants des femmes » ; tous deux Ă©taient pratiquĂ©s presque exclusivement par les femmes et trouvaient place dans un ensemble de pratiques rituelles et traditionnelles accomplies par elles. Comme l’observe Lo, on trouve le nĂŒshu sur des notes, des Ă©ventails de papier et des carnets. D’autres textes sont Ă©crits ou brodĂ©s sur des tissus. Les documents comprennent la narration d’évĂ©nements historiques, des priĂšres, des chansons populaires, de la correspondance avec des amies, des exhortations Ă  la future, des biographies et des autobiographies. Mais peu d’entre eux seulement nous sont parvenus. Non seulement les matĂ©riaux des documents papier et textiles sont fragiles, mais l’usage de les brĂ»ler ou de les enterrer Ă  la mort de leur propriĂ©taire, de maniĂšre qu’elle puisse continuer Ă  chanter et Ă  Ă©crire dans l’au-delĂ  signifie que bien peu d’entre eux nous soient parvenus Lo, 2014, 398-399. Fig. 6 Écriture nĂŒshu sur tissu rĂ©alisĂ©e par Yang Huanyi 1905–2004, ferme de Tongshanling,canton de Shangjiangxu, photo prise par Lo Yuen-yi. Les paysannes de la rĂ©gion se mariaient hors de leur village ; les distances et leurs nouvelles responsabilitĂ©s d’épouses signifiaient qu’il leur Ă©tait malaisĂ©, voire impossible, de retourner dans leur village natal. Dans une structure sociale oĂč les devoirs filiaux mettaient la femme dans la situation d’avoir Ă  prendre soin exclusivement de son mari et de ses beaux-parents, au moins jusqu’à la naissance d’un fils, tout en devant se fier Ă  leur soutien, la vie n’était pas toujours facile. La pratique de l’écriture et du chant des femmes leur permettait de dĂ©velopper des relations de sororitĂ© » dans leur village natal, qui pouvaient Ă©voluer vers des Ă©changes entre bourgades. Liu Feiwen suggĂšre que les pratiques du nĂŒshu Ă©taient intimement liĂ©es aux Ă©vĂ©nements majeurs de la vie des femmes. Avant le mariage, les jeunes filles se liaient de sororitĂ© jurĂ©e et s’écrivaient en nĂŒshu. Quand approchaient leurs noces, les promises jouaient des lamentations avec sanglots alors qu’elles allaient quitter village natal, famille et amis. Leurs compagnes et parentes prĂ©paraient des lettres Ă  l’épousĂ©e en nĂŒshu sanzhaoshu䞉朝曞 Ă  offrir en cadeaux Ă  la mariĂ©e. AprĂšs leur mariage, les femmes comptaient sur le nĂŒshu comme source d’encouragement personnel en cas de crise ou en l’absence de soutien de la part des hommes Liu Feiwen, 2004, 253. Les textes disponibles suggĂšrent encore qu’il Ă©tait portĂ© une grande attention Ă  la longueur des textes et qu’une tradition dĂ©finissait les possibilitĂ©s et les rĂšgles de rĂ©daction de diffĂ©rents genres littĂ©raires. Alors que ces documents ne sont pas toujours considĂ©rĂ©s comme littĂ©rature, ils en prĂ©sentent bien des caractĂ©ristiques, quoique Ă©tant composĂ©s par des femmes en une Ă©criture autre que celle de l’élite officielle. Quand le fait d’ĂȘtre versĂ© dans l’écriture chinoise et les classiques distinguait l’élite, les limites entre savoir lire et illettrisme sont moins tranchĂ©es en nĂŒshu. Comme le remarque Liu Feiwen, le nĂŒshu, bien que forme Ă©crite, entend d’ĂȘtre reprĂ©sentĂ© par le chant ou la psalmodie, le rendant ainsi accessible aux illettrĂ©es. De mĂȘme, le chant des femmes sous sa forme orale nĂŒge peut ĂȘtre transcrit en nĂŒshu Liu Feiwen, 2001, 1052. Comme le note Liu Feiwen, on sait que des femmes demandaient Ă  leurs compagnes sachant Ă©crire le nĂŒshu de transcrire leurs biographies chantĂ©es nĂŒge. On sait encore que les Lettres Ă  l’épousĂ©e » sanzhaoshu prĂ©sentĂ©es Ă  la mariĂ©e, devaient ĂȘtre rĂ©digĂ©es par les compagnes de son village natal, chantĂ©es par sa parentĂšle fĂ©minine et transcrites en nĂŒshu pour ĂȘtre offertes sous forme Ă©crite. Celles qui n’en Ă©taient pas capables demandaient l’aide d’une experte en la matiĂšre. On peut encore affirmer que les spĂ©cialistes de cette Ă©criture Ă©taient connues dans leur entourage et qu’elles aidaient les autres femmes Ă  mettre les chants des femmes par Ă©crit en nĂŒshu. En soi, l’écriture des femmes n’est pas Ă©litiste comme pouvaient l’ĂȘtre la lecture et la pratique de la calligraphie dans la Chine impĂ©riale. On sait que le nĂŒshu Ă©tait connu hors de sa rĂ©gion dans les annĂ©es 1950, aprĂšs la rĂ©volution communiste de 1949. Cependant, malgrĂ© sa pratique par des paysannes et son caractĂšre intĂ©grateur, Liu Feiwen remarque que sa pratique fut taxĂ©e pendant la RĂ©volution culturelle 1966-1976 d’ Ă©criture de sorciĂšres » et ses utilisatrices prĂ©sentĂ©es comme magiciennes. Les caractĂšres chinois furent simplifiĂ©s et largement enseignĂ©s. Alors que les usages villageois changeaient sous le rĂ©gime communiste et que l’éducation devenait accessible Ă  tous hommes comme femmes l’écriture comme le chant des femmes furent abandonnĂ©s. Rosenlee soutient dans son Confucianism and Women a Philosophical Interpretation 2006 que cette doctrine ru devrait ĂȘtre rĂ©examinĂ©e au regard des pratiques des Ăąges passĂ©s, tentant d’expliquer l’écart entre l’enseignement moral confucĂ©en et la rĂ©alitĂ© historique de l’oppression genrĂ©e dans la Chine impĂ©riale et ses implications dans les traditions culturelles qui rĂ©gissent aujourd’hui encore la vie sociale et politique chinoise. Pour Rosenlee, la hiĂ©rarchie pĂšre-fils fait partie intĂ©grante du confucianisme comme instrument de gouvernement. Mais les relations filiales ne peuvent ĂȘtre justifiĂ©es que par une approche morale. Elle fait donc remonter dans le passĂ© le sens de confucianisme comme ru. Ce faisant, elle montre que, si le confucianisme comme ru fut dĂ©veloppĂ© par divers souverains dans des sens lĂ©gĂšrement diffĂ©rents, les devoirs filiaux instituĂšrent une hiĂ©rarchie patriarcale, familiale et sociale qui n’a jamais radicalement changĂ© dans le temps. Mais, soutient-elle Le confucianisme ne devrait point ĂȘtre rĂ©duit Ă  un ensemble de parentĂ© hiĂ©rarchisĂ©e et de rĂŽles fixĂ©s pour chacun des genres. Si l’on se tient Ă  cette vision rĂ©ductrice, on nĂ©glige l’aspect dynamique du confucianisme, dont la thĂ©orie morale de la bienveillance ren 仁 tout comme son insistance sur le but d’une vie qu’est la culture de soi et le maintien de relations sociales convenables, correspondent Ă  l’éthique fĂ©ministe, au moins en thĂ©orie 
 et sa personnalitĂ© sociale construite comme un rĂ©seau de relations Rosenlee, 2006, 16. Elle dĂ©montre les changements du sens de ru dans son analyse historique. Cependant, le rapport Ă  la sĂ©pulture et aux rites du deuil chez une classe de savants n’est qu’un aspect de sa signification historique. Un autre est l’idĂ©al civil de gouvernement bienveillant, insistant sur des relations d’obligations rĂ©ciproques, notamment dans le clan et entre souverain et sujet. Rosenlee soutient que ru est genrĂ© quand ren ne l’est pas. Le concept de personne ren äșș, soutient-elle est une catĂ©gorie morale dĂ©finie par des actes concrets, plutĂŽt que par des traits du genre masculin. Cependant, elle poursuit Le confucianisme ne considĂšre jamais l’individu comme isolĂ©, autonome, dont les qualitĂ©s essentielles et les capacitĂ©s intellectuelles seraient octroyĂ©es de l’extĂ©rieur et dĂ©tenues uniquement en son intĂ©rieur. Au lieu de cela, une personne est toujours situĂ©e dans un contexte social. Une persona qua persona est une individualitĂ© en relations, car une personne sans relations est encore sans humanitĂ© Rosenlee, 2006, 39. Rosenlee cherche un moyen qui lui permettrait de sĂ©parer ce qui pose problĂšme Ă  la pensĂ©e occidentale aujourd’hui de ce qui se met facilement d’accord avec les valeurs occidentales. Aussi problĂ©matique que ça puisse paraĂźtre, il ne fait aucun doute qu’un concept similaire Ă  l’humanisme occidental est ancrĂ© dans le confucianisme et que l’humanisme comprend une attente morale. Le jĂ©suite italien Matteo Ricci 1552-1610 tenta de dĂ©peindre le confucianisme comme une forme d’humanisme de la renaissance Ă  la fin du XVIe siĂšcle. Bien que Roselee de tire pas toutes les implications du rapport entre relation enfants-parents et le concept de ren, la thĂšse qu’elle dĂ©fend y tend. L’Ɠuvre de Lo les met en parallĂšle pour surmonter les problĂšmes des femmes artistes chinoises, qui autrement resteraient invisibles. Lo visita trois fois la rĂ©gion de l’écriture des femmes entre 1998 et 2003. Ce fut l’occasion de passer son temps avec les femmes du lieu et en particulier avec les survivantes ĂągĂ©es dĂ©sireuses de partager avec elle leurs souvenirs des jours oĂč l’écriture comme le chant des femmes Ă©taient pratiquĂ©s. Elle les photographia, tenant souvent quelque Ă©chantillon d’écriture des femmes et enregistra leurs mĂ©lopĂ©es nĂŒge. Sa photo de Yang Huanyi sortant de la maison avec un fascicule de nĂŒshu dans la main droite fait partie d’une sĂ©rie de photos et de vidĂ©os, tĂ©moignages sur les femmes du pays pratiquant tant l’écriture que les chants des femmes. Fig. 7 Yang Huanyi sortant de la maison avec un livret dans la main droite, village de Yangjia,canton de Shangjiangxu 1998, photo prise par Lo Yuen-yi Le tableau de Lo Lettre invisible 2013 revient aux quatorze caractĂšres chinois de Configuration 1998 oĂč la clĂ© de la femme fonde la signification du caractĂšre. Nous avons ici quatorze lettres personnelles dĂ©diĂ©es Ă  celles qui pratiquaient autrefois l’écriture et le chant des femmes. Chaque caractĂšre chinois donne le titre d’une lettre intime et son sens est employĂ© dans la lettre qui suit. L’Ɠuvre consiste en lettres adressĂ©es Ă  la plus ĂągĂ©e des femmes de la rĂ©gion Ă  se rappeler le nĂŒshu et Ă  savoir rĂ©citer des chants des femmes que Lo ait rencontrĂ©e. Son mĂ©dium ne se limite pas au visuel, ni mĂȘme Ă  l’oral, c’est un dessin, mais qui intĂšgre l’écriture, non sans ressembler Ă  ceux des lettrĂ©s chinois traditionnels, comportant souvent un poĂšme. À lire des textes en nĂŒshu traduits, il apparaĂźt souvent qu’ils se conforment Ă  une structure littĂ©raire propre et sont rimĂ©s. La plupart Ă©taient Ă©crits Ă  la premiĂšre personne et le rĂ©cit semble remĂ©morer des jours rĂ©volus ou des Ă©vĂ©nements qui ne sont plus. Langueur et plaintes sont courants. Bien des lettres de Lo sont accompagnĂ©es d’un document iconographique photo d’une personne, objet ou Ɠuvre d’art en trois dimensions commĂ©morant les femmes et le nĂŒshu. La premiĂšre lettre de Lettre invisible 2013 dĂ©bute par le caractĂšre yan 橍 , traduit par charmant, fascinant, captivant, le sourire captivant d’une femme, cramoisi gĂ©nĂ©reux et vert tendre » Lo, 2013, 689. La lettre est adressĂ©e Ă  la vĂ©nĂ©rable MĂ©mĂ© Yang » ; la photo l’accompagnant est de Yang Huanyi 1905-2004. Cette femme est portraiturĂ©e souriante, portant un tablier brodĂ© d’écriture des femmes. La lettre remĂ©more leur rencontre et mentionne sa voix devenue rauque et un accompagnement de bruits de pompe Ă  eau. Fig. 8 Yang Huanyi 1905–2004, village de Yangjia, canton de Shangjiangxu, 1998,photo prise par Lo Yuen-yi. Je reproduis ici un court extrait de la lettre de Lo Tu es toujours dans mes pensĂ©es. Je t’ai Ă©voquĂ©e dans mes Ă©crits, je me suis appropriĂ© tes artefacts dans mes dessins et tout mon travail de crĂ©ation. J’ai partagĂ© tes chants avec beaucoup de gens, vieux ou jeunes, hommes ou femmes, Ă  travers cultures et disciplines Lo, 2013, 689. Voici un exemple de texte en nĂŒshu traduit En tenant un stylo, j’écris avec une double traĂźnĂ©e de larmes J’écris pour rĂ©conforter ma sƓur, anxieusement Liu Feiwen, 2004, 263 On peut voir que le texte de Lo cherche Ă  conserver partiellement la forme de certains textes en nĂŒshu et, ce faisant, Ă  maintenir la continuitĂ© des relations filiales. Une autre lettre de Lo est placĂ©e sous le caractĂšre di 暣 traduit par sƓur cadette, Ă©pouse d’un frĂšre cadet ». Lo Ă©crit Vous savez, grand-mĂšre, un nom est essentiel. On nous donnĂ© un nom Ă  la naissance. Il reprĂ©sente une personnalité  Lo, 2013, 690. Cette lettre est accompagnĂ©e d’une photo du dessin de Lo intitulĂ© ÉnoncĂ©s 1999. Fig. 9 Utterances [ÉnoncĂ©s] 1999 de Lo Yuen-yi, graphite sur toile encollĂ©e, 244 x 105 cm, 1998. La derniĂšre lettre renvoie Ă  la premiĂšre. Elle figure sous le caractĂšre yuan ćȘ›, traduit par une beautĂ©, beau, votre fille, une beautĂ© cĂ©lĂšbre, talentueuse et belle ». Ici, Lo ajoute MĂ©mĂ©, j’ai fait plusieurs dessins depuis ma derniĂšre visite. GrĂące Ă  la comprĂ©hension de votre pratique de l’écriture des femmes
 Lo, 2013, p. 704. Lo cite alors un chant des femmes transcrit, sans doute basĂ© sur sa dĂ©clamation par Yang En toi, je prends forme graduellement Quelle forme, demandĂ©-je L’eau qui coule M’entraĂźne au loin J’ai pensĂ© un jour que j’étais l’eau L’eau qui m’entraĂźne au loin N’est plus pure Mais n’est jamais calme Lo, 2013, p. 704 Cette citation dans la derniĂšre lettre retourne Ă  la mention de l’eau dans la premiĂšre, oĂč le bruit de la pompe Ă  eau faisait Ă©cho Ă  la voix rauque de la femme dĂ©clamant du nĂŒshu. Le temps s’est Ă©coulĂ© comme le flot
 La lettre se conclut par ces mots Respectueusement vĂŽtre, votre humble enfant » Lo, 2013, 704. J’ai soutenu plus haut que le confucianisme, surtout dans des classiques tels que La grande Ă©tude Daxue et La rĂ©gulation Ă  usage ordinaire Zhongyong l’élaboration du sens Ă©tait posĂ©e de maniĂšre radicale. Ames fait usage du mot crĂ©ativitĂ© » dans la traduction qu’il propose du passage suivant du Zhongyong. D’autres versions plus kantiennes insistent sur la capacitĂ© Ă  l’action. Sa traduction du chapitre 25 dit La crĂ©ativitĂ© chen gèȘ  entend sa propre prise de conscience zicheng è‡Ș成, et la voie dao 道 qui y mĂšne procĂšde d’elle-mĂȘme zidao è‡Ș道. La crĂ©ativitĂ© » englobe quoi que ce soit wu 物 considĂ©rĂ© de son commencement Ă  sa fin ; sans elle, ni ĂȘtres, ni Ă©vĂ©nements. Ainsi les gens d’exception junzi 搛歐 prisent la crĂ©ativitĂ©. Mais ce n’est pas la simple prise de conscience de son individualitĂ©, c’est tout autant ce qui accomplit les autres ĂȘtres. Prendre conscience de soi entend accomplir sa propre moralitĂ© ren仁 ; prendre conscience des autres ĂȘtres revient Ă  faire preuve de sapience dans la prise de conscience de son propre monde zhi 矄. Ames, in Tsao et Ames, 2011, 41. èŻšè€…è‡Ș成äčŸïŒŒè€Œé“è‡Ș道äčŸă€‚èŻšè€…ïŒŒç‰©äč‹ç»ˆć§‹ă€‚äžèŻšæ— ç‰©ă€‚æ˜Żæ•…ć›ć­èŻšäč‹äžșèŽ”ă€‚èŻšè€…ïŒŒéžè‡Șæˆć·±è€Œć·ČäčŸă€‚所仄成物äčŸă€‚æˆć·±ä»äčŸă€‚成物矄äčŸă€‚性äč‹ćŸ·äčŸïŒŒćˆć€–憅äč‹é“äčŸă€‚æ•…æ—¶æŽȘäč‹ćźœäčŸă€‚ MĂȘme dans cette version, le passage est quelque peu opaque, mais on peut montrer, en se rĂ©fĂ©rant Ă  d’autres textes et en l’appliquant Ă  l’Ɠuvre de Lo, que le confucianisme pose toute crĂ©ativitĂ© comme situĂ©e et fondamentalement intĂ©grĂ©e se crĂ©er et crĂ©er son environnement ont un mĂȘme objet. Cependant, il y a lĂ  plus que se rĂ©aliser » et son monde ». Comme le souligne Ames, la bontĂ© n’est pas la puretĂ© d’une Ăąme individuelle, mais surgit par-dessous tout de l’accomplissement particulier d’une conduite sociale dans son rĂŽle de telle fille, de tel frĂšre ou sƓur, de telle Ă©pouse. Ce n’est que par dĂ©rivation et abstraction qu’elle a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e comme qualitĂ© personnelle Ames, 2011, 43. Dans ses lettres Ă  des femmes particuliĂšres pratiquant l’écriture des femmes, Lo est passĂ©e d’une pratique et d’une tradition au concept plus abstrait de l’art. Ce faisant, elle prĂ©sente le travail de ces femmes comme de l’art, et, continuant dans cette voie, elle en fait aussi une tradition vivante, s’en constituant en hĂ©ritiĂšre et en praticienne de cette tradition. Elle se fait artiste chinoise pouvant prendre sa place dans cet hĂ©ritage. En mĂȘme temps, elle pratique encore la morale confucĂ©enne sous-tendant la tradition de l’écriture des femmes. Cette derniĂšre est rĂ©gie par l’éthique de la piĂ©tĂ© filiale. L’écriture des femmes naquit » en rĂ©action aux limites imposĂ©es aux femmes par la piĂ©tĂ© filiale, tout en leur permettant de communiquer grĂące Ă  ce systĂšme graphique. Contrairement Ă  l’humanisme occidental, qui mena au dĂ©veloppement de concepts comme l’autonomie, l’humanisme confucĂ©en se fonde sur les rapports humains et est, en soi, insĂ©parable de la relation parents enfants. Lo se concentre, dans son Ɠuvre tardif, non Ă  une Ă©criture cultivĂ©e par les grands artistes calligraphes, mais Ă  une forme toute particuliĂšre, pratiquĂ©e par des paysannes hunanaises. A l’opposĂ© de l’Ɠuvre de lettrĂ©s, devenant trĂšs prisĂ©e et prenant davantage encore de valeurs Ă  mesure qu’elle circule, celle des femmes de la rĂ©gion du nĂŒshu tomba presque dans l’oubli. Chunas note que les cinq relations » canoniques dans le confucianisme sont souverain-ministre, pĂšre-fils, frĂšres aĂźnĂ© et cadet, mari-femme et amis entre eux. L’Ɠuvre des femmes pratiquant le nĂŒshu circulait entre amies, en soi, hors du domaine des cinq catĂ©gories prĂ©cĂ©dentes. Comme elles ne pouvaient prĂ©tendre Ă  une plus grande visibilitĂ©, leurs Ɠuvres n’étaient comprises qu’appartenant Ă  l’intime, et Ă©taient donc brĂ»lĂ©es ou enterrĂ©es avec la dĂ©funte. Le travail de Lo cherche Ă  mettre ce patrimoine sous le projecteur et, par la mĂȘme occasion, Ă  repositionner sa propre identitĂ© de femme artiste active. Mais ceci ne peut gagner la place de patrimoine et ĂȘtre reconnu que s’il peut circuler au-delĂ  des praticiennes de l’écriture des femmes. Son activitĂ© artistique pourrait bien donner une voix audible aux femmes, qui, mĂȘme quand elles pouvaient Ă©crire et communiquer, ne pouvaient le faire que dans des circonstances rendant leurs voix muettes. Comme Judith Butler et Gayatri Chakravorty le soulignent Nous ne sommes pas loin de la politique quand nous sommes dĂ©pouillĂ©es. » Butler & Chakravorty, 2007, 5. La voix des dĂ©possĂ©dĂ©s n’est entendue que quand elle on lui permet de, qu’on accepte de l’entendre. Et cette voix doit ĂȘtre Ă©coutĂ©e comme celle d’un ĂȘtre humain, celle d’une communautĂ© humaine. La thĂšse de Heidegger dans Qu’appelle-t-on penser ? conclut en affirmant que la pensĂ©e est liĂ© au remerciement, la pensĂ©e apparaissant comme un cadeau. Derrida dĂ©veloppe cette thĂšse en soulignant le rapport entre cadeau et obligation. Il prend Ă  son compte l’interprĂ©tation par LĂ©vinas du rapport entre cadeau, obligation et Ă©thique. D’aprĂšs ma maniĂšre de voir, certains aspects du confucianisme pourraient ĂȘtre Ă©troitement associĂ©s Ă  la pensĂ©e et Ă  la morale, tant de Heidegger que de Derrida. Le ton moral de certaines interprĂ©tations du confucianisme insiste toujours sur les relations et les obligations sociales, rĂ©vĂ©lĂ©es dans l’Ɠuvre de Lo par maniĂšre de manƓuvrer entre cultures et Ă©thiques. L’Ɠuvre de Lo Dessiner l’écriture s’ouvre sur un dialogue avec l’artiste Joseph-BenoĂźt SuvĂ©e 1743-1807. La raison du choix de ce titre vient de celui de la toile de SuvĂ©e L’origine du dessin, encore connue sous le titre de Dibutade ou L’Origine du Dessin 1791. Le tableau fut peint selon les rĂšgles et les critĂšres esthĂ©tiques de l’AcadĂ©mie de peinture française. Comme tel, c’est une huile sur toile de grandes dimensions reprenant un rĂ©cit classique figurant chez Pline l’Ancien et d’autres sur l’origine du dessin ». La peinture de SuvĂ©e s’inspire du rĂ©cit de la fille de Dibutade qui traça sur le mur le dessin de l’ombre de la tĂȘte de son amant sur le dĂ©part. Jacques Derrida l’évoque dans son catalogue d’exposition MĂ©moire d’aveugle 1992 Comme si voir Ă©tait interdit pour dessiner, comme si on ne dessinait qu’à la condition de ne pas voir, comme si le dessin Ă©tait une dĂ©claration d’amour destinĂ©e ou ordonnĂ©e Ă  l’invisibilitĂ© de l’autre, Ă  moins qu’elle ne naisse de voir l’autre soustrait au voir. Derrida, 1993, 54 Le rĂ©cit prĂ©sentĂ© comme Ă©manant de SuvĂ©e semble placer l’Ɠuvre dans une continuitĂ© d’artistes et Ă©crivains hommes, dans un enchaĂźnement d’Ɠuvres plastiques ou Ă©crites. Sous son nom de plume, Lo rĂ©pond Ă  Derrida en empruntant Ă  l’histoire selon Cixous. Lo adopte la perspective de Cixous, qui applique la citation ci-dessus tant au dessin qu’à l’écriture. Cixous soutient que dessin et Ă©criture sont deux aventuriers partis chercher dans les tĂ©nĂšbres » Cixous, 1998, p21. RĂ©pondant par la voix de Cixous, Lo reconstitue non seulement son propre hĂ©ritage artistique, mais aussi celui de l’esthĂ©tique et de l’histoire de l’art. Dans le contexte chinois et de Hong Kong cependant, elle Ă©largit encore les possibilitĂ©s du dessin et de l’écriture, donc de l’art comme activitĂ© fĂ©minine. Bien que toute son Ɠuvre insiste sur son positionnement en tant que fille de la piĂ©tĂ© filiale soumise aux gens de statut plus Ă©levĂ©, elle Ă©labore encore de nouvelles successions artistiques, devenant ainsi un dirigeant » dans l’ouverture de nouvelles perspectives en dessin/Ă©criture1. Traduit de l’anglais par Marie Laureillard et Laurent Long. Nicola Foster Bibliographie Ames, Roger T., & David L. Hall, Focusing the familiar a translation and philosophical interpretation of the Zhongyong. University of Hawaii Press, 2001. Butler, Judith, & Spivak, Gayatri Chakravorty, Who sings the Nation-State? Language, Politics, belonging. Seagull Books, 2007. 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Ying, Lihua, Negotiating with the past the Art of Calligraphy in post-Mao China. ASIANetwork exchange A journal for Asian studies in the Liberal Arts, 192, 2012, p. 32-41. Plusieurs parties de ce chapitre ont Ă©tĂ© publiĂ©es dans le Journal of contemporary Chinese Art, n°1 et 2 dans un article intitulĂ© Chineseness the work of Lo Yuen-yi in memory of the women of nĂŒshu » [Sinitude, l’Ɠuvre de Lo Yuen-yi Ă  la mĂ©moire des femmes pratiquant le nĂŒshu]. [↩] TĂ©lĂ©charger l’article au format pdf. Article Ă©crit par Ye Xin MaĂźtre de confĂ©rences Ă  l’universitĂ© Paris 8. Peintre, graveur et calligraphe RĂ©sumĂ© Les jeux de texte-image pratiquĂ©s par les lettrĂ©s chinois tels Shitao, Ni Zan, Zhu Da et les artistes occidentaux moderne et contemporains comme Kandinsky, Matisse, Duchamp, Boltanski, Sophie Calle seront examinĂ©s ici en proposant de voir une concordance entre le jeu de texte-image de Matisse et la pratique picturale chinoise du lettrĂ©. Le caractĂšre chinois porte Ă  la fois la signification du texte et celle de l’image et que le trait de pinceau est essentiel autant dans la peinture que dans la calligraphie depuis le VIe siĂšcle – ce qui n’est pas le cas en Occident. Entre l’écriture de l’image et l’image de l’écriture, nous envisagerons les diffĂ©rents rapports entre Ă©criture et image conçus dans les deux mondes. Nous aborderons Ă©galement le rapport image/texte Ă  travers l’autobiographie, l’autofiction et le livre d’artiste et nous rĂ©flĂ©chirons sur leurs diffĂ©rents statuts. Le livre d’artiste nous semble parfaitement reprĂ©sentatif d’une symbiose rĂ©ussie entre image et Ă©criture, voire entre Orient et Occident. Abstract The text-image games practiced by Chinese scholars such as Shitao, Ni Zan, Zhu Da and modern and contemporary Western artists such as Kandinsky, Matisse, Duchamp, Boltanski, Sophie Calle will be examined here by proposing to see a concordance between Matisse’s text-image game and the Chinese pictorial practice of the scholar. The Chinese character carries both the meaning of the text and that of the image, and the brushstroke has been essential in both painting and calligraphy since the 6th century – which is not the case in the West. Between the writing of the image and the image of the writing, we will consider the different relationships between writing and image conceived in the two worlds. We will also look at the relationship between image and text through autobiography, autofiction and the artist’s book and reflect on their different statuses. The artist’s book seems to us to be perfectly representative of a successful symbiosis between image and writing, or even between East and West. La langue du peintre Pourquoi aprĂšs avoir Ă©crit Qui veut se donner Ă  la peinture doit commencer par se faire couper la langue ’, ai-je besoin d’employer d’autres moyens que ceux qui me sont propres ? »1 En 1947, Henri Matisse posait cette question dans l’introduction de son livre d’artiste Jazz fig. 1.2 Dans ce texte manuscrit d’environ quatre-vingts pages, qui accompagne les vingt images de ses papiers dĂ©coupĂ©s, Matisse justifie le rĂŽle d’image que l’écriture peut jouer en tant que fond sonore » de tableaux en couleur. Il livre dans le contenu de ce texte ses propres propos sur l’art mais aussi sur la vie d’un artiste. Fig. 1 Henri Matisse, Jazz, Paris, Édition TĂ©riade, 1947. Cet excellent jeu de texte-image » conceptuel, Ă  la fois intime et ouvert au public, peut ĂȘtre rapprochĂ© d’une ancienne pratique picturale chinoise, la peinture lettrĂ©e », caractĂ©risĂ©e par l’association de la poĂ©sie, de la calligraphie et de la peinture dans une mĂȘme Ɠuvre rĂ©alisĂ©e par un mĂȘme peintre. Cette tradition qui commence, selon les textes historiques, dĂšs la dynastie des Tang vers le VIIIe siĂšcle, s’épanouit sous les Song et se formalise comme langage courant sous les Yuan Ă  partir du XIVe siĂšcle. DĂšs lors, la peinture est figurative, elle reprĂ©sente des paysages et ĂȘtres vivants mais elle est fortement codifiĂ©e et allĂ©gorisĂ©e, tout comme des signes d’écriture. Ces codes, une fois appris par cƓur par copie, permettent une peinture rĂ©alisĂ©e de maniĂšre spontanĂ©e. De plus, sur l’espace laissĂ© vide dans la peinture, le peintre improvise son texte. Il note souvent les circonstances de la rĂ©alisation de l’Ɠuvre, une poĂ©sie ou un commentaire technique ou esthĂ©tique personnel. La dĂ©marche du peintre lettrĂ© qui associe peinture et Ă©criture peut ĂȘtre rapprochĂ©e de celle de Matisse lorsqu’il rĂ©alise Jazz. Selon une Ă©tymologie ancienne, le mot image devrait ĂȘtre rattachĂ© Ă  la racine de imitari. Nous voici tout de suite au cƓur du problĂšme le plus important qui puisse se poser Ă  la sĂ©miologie des images ». Dans RhĂ©torique de l’image, Roland Barthes pose la question La reprĂ©sentation analogique la copie peut-elle produire de vĂ©ritables systĂšmes de signes et non plus seulement de simples agglutinations de symboles ? »3 Sa rĂ©ponse est non. Le message linguistique est-il constant ? Y a-t-il toujours du texte dans, sous ou alentour l’image ? » Sa rĂ©ponse est oui4 . Pour Barthes, toute image est polysĂ©mique », c’est le message linguistique qui sert d’ancrage et de relais ». Si la peinture, comme d’autres images, peut ĂȘtre un langage visuel », c’est la langue parlĂ©e ou Ă©crite qui ancrerait ou relaierait un point de vue » Ă  l’image vue, lui donnerait un sens5 Le mot idĂ©e » vient de chose visible », n’est-ce pas pour dire que sans vue on ne pense pas, mais que sans un cerveau avec une mĂ©moire de l’expĂ©rience visuelle qui pense, les yeux regardent mais ne voient rien ? Comme les Ă©crits sur la peinture ont besoin de la peinture pour exister, la peinture a besoin de l’écriture pour identifier son existence, ne serait-ce que la signature des artistes, le titre des Ɠuvres, la technique, la dimension, la date de crĂ©ation, le lieu oĂč elle se trouve, l’histoire, la critique, la lĂ©gende. L’Unique Trait de Pinceau Matisse avait dĂ©jĂ  avancĂ© l’idĂ©e de se couper la langue » Vous voulez faire de la peinture ? Commencez alors par vous couper la langue, car dĂ©sormais vous ne devez vous exprimer qu’avec vos pinceaux. »6 Si en Europe, ne s’exprimer qu’avec son pinceau » signifie uniquement peindre », ce n’est pas le cas en Chine, oĂč depuis plus de trois mille ans, les Chinois peignent et Ă©crivent avec un instrument unique le pinceau. Le caractĂšre pinceau » en chinois vient d’un pictogramme composĂ© de la main, qui tient une tige verticalement, la tige s’ouvre en trois poils qui symbolisent la tĂȘte de pinceau. Le caractĂšre Ă©voluera et s’écrira plus tard èż yu. C’est avec le mĂȘme signe pinceau » qu’on compose le caractĂšre 畫 hua trait de pinceau, tracĂ© de la limite, dessiner, dessin, peindre, peinture et 曞 shu Ă©crire, Ă©criture , lettre, livre, calligraphie. Des verbes aux noms, le signe pinceau » signifie en Chine Ă  la fois le texte et l’image. Cet instrument unique a donnĂ© naissance Ă  une esthĂ©tique commune Ă  l’écriture et la peinture. Au dĂ©but du IIe siĂšcle, avec la calligraphie en style cursif apparaissent les premiers textes sur la beautĂ© du trait de pinceau. Sur une image fixe de l’écriture, on admire un souffle vital » gestuel et Trois siĂšcles plus tard, Xie He considĂšre cette vitalitĂ© du tracĂ© du pinceau, propre Ă  la calligraphie, comme les deux premiers des six canons de la Depuis, le trait du pinceau, Ă©lĂ©ment abstrait » de l’esthĂ©tique, est ancrĂ© dans la peinture comme dans la calligraphie. A la fin du XVIIe siĂšcle, l’EncyclopĂ©die de la peinture chinoise – Enseignements de la Peinture du Jardin grand comme un grain de moutarde de Wang Gai a rĂ©uni l’histoire, l’esthĂ©tique et les techniques d’expression propres au pinceau pour reprĂ©senter le En mĂȘme temps, Shitao a publiĂ© ses Propos sur la peinture de Moine Citrouille amĂšre oĂč il affirme sa thĂ©orie l’Unique Trait de Pinceau embrasse-t-il tout, jusqu’au lointain le plus inaccessible et sur dix mille millions de coups de pinceau, il n’en est pas un, dont le commencement et l’achĂšvement ne rĂ©sident finalement dans cet Unique Trait de Pinceau dont le contrĂŽle n’appartient qu’à l’homme »10. Le coup de pinceau fixe un geste de l’homme vivant, pour toujours. La facture du tracĂ© La morale’ du dessin n’est pas celle de la photographie. » Dans RhĂ©torique de l’image, Roland Barthes distingue la reprĂ©sentation figurative du dessin et de la photographie. Il accorde beaucoup d’importance Ă  la facture » du dessin qui selon lui, constitue dĂ©jĂ  une connotation »11. Fang Erping, le traducteur de Barthes en chinois, utilise pour facture » le mot chinois bifa ç­†æł• littĂ©ralement maniĂšre mĂ©thode du pinceau ou crayon, plume ». Comme dans l’Unique Trait de Pinceau » de Shitao, Kandinsky s’intĂ©resse aux diffĂ©rents Ă©lĂ©ments de la peinture », il les rĂ©sume en Point et ligne sur plan. Selon lui, la ligne est la trace du point en mouvement, donc son produit »12 La peinture en Europe renonce peu Ă  peu Ă  son savoir-faire sur la perspective centrale, l’anatomie et l’effet clair-obscur. AprĂšs l’invention de la photographie, elle accentue de plus en plus le trait, la touche et la tache du pinceau. De l’impressionnisme au pointillisme, de CĂ©zanne Ă  Matisse, le coup pinceau l’emporte. S’exprimer avec le pinceau porte dĂ©sormais aussi ce sens il ne s’agit plus d’une reprĂ©sentation exacte de la vision rĂ©elle illusoire en trompe-l’Ɠil, mais d’une expression gestuelle oĂč le coup de pinceau est en lui mĂȘme signe plastique13. L’arrivĂ©e du stylo et du crayon au XXe siĂšcle rompt en Chine cette culture de l’unique trait de pinceau », mais l’esprit graphologique » qui permet de sentir la personnalitĂ©, l’état d’esprit du calligraphe fonctionne toujours avec un stylo ou un crayon. Les mauvaises habitudes » ou les dĂ©fauts » de l’écriture font le style d’un calligraphe, surtout quand il avance en Ăąge. Certaines expressions anciennes reflĂštent cette idĂ©e, comme le texte c’est l’homme » wen ru qi ren æ–‡ćŠ‚ć…¶äșș, l’écriture, c’est l’homme » zi ru qi ren歗抂慶äșș, la peinture, c’est l’homme » hua ru qi ren畫抂慶äșș et l’écriture vieillit avec l’homme » renshu julao äșșæ›žäż±è€. Si cet unique trait de pinceau » n’appartient qu’à l’homme », il reprĂ©sente aussi l’homme. Chaque tracĂ© scriptural ou pictural a sa facture », c’est la facture » de chacun qui laisse son empreinte personnelle. Quand Ni Zan peint Les six Gentilshommes alors que l’empire subit la domination mongole en 1345, il utilise les arbres comme une allĂ©gorie pour exprimer sa dignitĂ© fig. 2. Trois cents ans plus tard, Zhu Da reprend le sujet sous la domination mandchoue en nommant son Ɠuvre Les six Gentilshommes d’aprĂšs Ni Zan en 1694, et grĂące Ă  une facture qui lui est propre, il rĂ©alise une une interprĂ©tation personnelle rĂ©ussie fig. 314. Fig. 2 Ni Zan, Les six Gentilshommes, 1345. MusĂ©e de Shanghai. Fig. 3 Zhu Da, Les six Gentilshommes d’aprĂšs Ni Zan, 1694. MusĂ©e Guimet. L’écriture de l’image Wang Genyan a dit On me demande qu’est ce qu’une peinture lettrĂ©e shifu hua? Ma rĂ©ponse est un seul mot pour tout dire, c’est Ă©crire xie. ’ Cette parole est trĂšs juste. Le caractĂšre doit ĂȘtre Ă©crit et non dĂ©crit, il en est de mĂȘme pour la peinture. Une fois tombĂ©e dans la description, la peinture devient une manƓuvre vulgaire. »15 Ainsi Wang Xuehao çŽ‹ć­žæ”© 1754-1832 dĂ©finit la peinture lettrĂ©e comme shifu hua 棫怫畫», que l’on peut traduire par peinture rĂ©alisĂ©e par un mandarin ». Certains historiens ont compris ces propos sous l’angle social la peinture lettrĂ©e est celle rĂ©alisĂ©e par l’élite de la sociĂ©tĂ©, en opposition Ă  la peinture des professionnels qui vivent de leur peinture. D’autres critiques les ont compris sous un angle plus technique il s’agit du style expressif xieyi ćŻ«æ„, opposĂ© au style minutieux gongbić·„ç­†. Ces deux approches ne reflĂštent pas la rĂ©alitĂ©, car le style expressif n’est pas l’apanage du lettrĂ© et inversement les peintres dit lettrĂ©s » ont parfois prĂ©fĂ©rĂ© utiliser le style minutieux. De mĂȘme, si on examine les chefs-d’Ɠuvres de la peinture lettrĂ©e, on se rend compte que leurs auteurs ont souvent vĂ©cu de leur peinture, soit parce qu’ils n’ont jamais eu de fonction de mandarin, soit parce qu’ils l’ont perdue et doivent vivre de leur art16. Mais, Ă  la diffĂ©rence des peintres officiels de la Cour ou des peintres artisans, ils cultivent une peinture personnelle, acquiĂšrent une notoriĂ©tĂ©, mĂȘme s’ils ne sont ni fonctionnaires, ni Ă©crivains il en est ainsi de Zhu Da, Shitao ou Qi Baishi. Quand on parle de peinture Ă©crite », quel est le rapport rĂ©el entre l’acte de peindre et celui d’écrire ? Peinture traditionnelle et calligraphie utilisent toutes les deux des signes appris par cƓur, sans modĂšle, ni crayonnĂ©. Au dĂ©but du VIIIe siĂšcle, Wang Wei affirmait sur la voie de la peinture, la mĂ©thode de l’eau et de l’encre est suprĂȘme »17. Cette peinture monochrome permet aux hommes de lettres d’exploiter pleinement leur expĂ©rience de la calligraphie. Elle s’inspire de la codification de la calligraphie, du coup de pinceau et de la rapiditĂ© du tracĂ© des fresques artisanales. Fortement liĂ©e Ă  la pensĂ©e de la nature, cette peinture monochrome est fondĂ©e sur la reprĂ©sentation du paysage, mais aussi des fleurs, des oiseaux, des animaux et des personnages. À partir de l’observation de la nature, les peintres transforment leur vision rĂ©elle en signes picturaux » qui forment un langage codifiĂ©, mĂ©morisĂ© suite Ă  un entraĂźnement rĂ©pĂ©titif, comme pour l’apprentissage de l’écriture des caractĂšres. AprĂšs la phase d’apprentissage de ce langage pictural codifiĂ©, la rĂ©alisation peut ĂȘtre instantanĂ©e et expressive. C’est le souffle vital » du tracĂ© qui est alors apprĂ©ciĂ© a travers les figures. L’EncyclopĂ©die de la peinture chinoise – Enseignements de la Peinture du Jardin grand comme un grain de moutarde de Wang Gai, traduit et commentĂ© en français par RaphaĂ«l Petrucci, permet d’apprĂ©cier l’importance ce dictionnaire » de vocabulaire du langage de la peinture lettrĂ©e. Dans sa prĂ©face, Petrucci Ă©crit L’abondance des renseignements qu’il apporte, philosophiques, historiques ou techniques en font un instrument de travail de premier ordre. » L’image de l’écriture Cette fois j’ai Ă  prĂ©senter des planches de couleur dans des conditions qui leur soient les plus favorables. Pour cela, je dois les sĂ©parer par des intervalles d’un caractĂšre diffĂ©rent. J’ai jugĂ© que l’écriture manuscrite convenait le mieux Ă  cet usage. La dimension exceptionnelle de l’écriture me semble obligatoire pour ĂȘtre en rapport dĂ©coratif avec le caractĂšre des planches de couleur. 
 Ces pages ne servent donc que d’accompagnement Ă  mes couleurs comme des asters aident dans la composition d’un bouquet de fleurs d’une plus grande importance. »18 Sur l’écriture qui accompagne l’image dans Jazz, Louis Aragon Ă©crit dans Matisse, roman Peut-ĂȘtre jamais n’a-t-on mieux fait sentir la pauvretĂ© de l’écriture, le caractĂšre purement dĂ©coratif des mots
 Et Ă  chaque fois qu’éclatent les couleurs, j’éprouve, Ă  les y comparer, la supĂ©rioritĂ© de la peinture comme langage sur toute autre expression de l’homme. »19 Aragon applaudit chez Matisse la supĂ©rioritĂ© de la peinture comme langage ». Cette bienveillance de l’écrivain envers son ami peintre, est touchante mais pas forcĂ©ment convaincante si le texte de Jazz Ă©tait Ă©crit en couleur et si les papiers dĂ©coupĂ©s Ă©taient en noir et blanc, le rapport texte/image serait dĂ©jĂ  diffĂ©rent. Il est vrai qu’avant d’ĂȘtre lue, l’écriture n’est qu’une image, une image abstraite ». En Chine, on considĂšre que l’écriture est image de connaissance » ou reconnaissance » tushi ćœ–è­˜, entre image de raison » tuli 朖理, comme les hexagrammes, signes symboliques du Yijing ou Livre des Mutations et image figurative » tuxing ćœ–ćœą, comme peinture.20 GrĂące a sa dimension linguistique, l’image de l’écriture est non seulement capable d’expliquer et donner un ancrage» au sens prĂ©cis Ă  l’image de raison » comme une formule de mathĂ©matiques par exemple et Ă  l’image figurative » comme la peinture ou la photographie. De plus, l’écriture est capable de crĂ©er des images mentales » on dit en chinois image du cƓur » xinhuaćżƒç•« , de dĂ©crire une scĂšne, un sentiment
 Mais si on ne connaĂźt pas cette image de la langue, si on ne reconnaĂźt pas cette Ă©criture, on peut en rester au niveau visuel de l’image, se contenter d’en admirer l’allure du tracĂ©, chercher la facture de tel ou tel Ă©crivain comme pour la calligraphie ou beautĂ© ou laideur pour la typographie. Matisse Ă©crit dans la postface de Jazz J’ai fait ces pages d’écritures pour apaiser les rĂ©actions simultanĂ©es de mes improvisations chromatiques et rythmĂ©es, pages formant comme un fond sonore’ qui les porte, les entoure et protĂšge ainsi leurs particularitĂ©s. »21 Selon Aragon, il a bien rĂ©ussi sur ce plan le texte manuscrit joue son rĂŽle de fond sonore » entre les signes plastiques » allĂ©goriques de Jazz. De mĂȘme, les inscriptions sur les peintures figuratives des lettrĂ©s, si on les ne traduisait pas deviendraient un fond sonore, mais le sens Ă©chapperait au lecteur. Autobiographie Que puis-je Ă©crire ? se demande Matisse pour Jazz. Je ne puis pourtant pas remplir ces pages avec des fables de La Fontaine, comme je le faisais, lorsque j’étais clerc d’avouĂ©, pour les conclusions grossoyĂ©es’, que personne ne lit jamais, mĂȘme pas le juge et qui ne se font que pour user quantitĂ© de papier timbrĂ© en rapport avec l’importance du procĂšs. » Matisse renonce ici au rĂŽle d’illustrateur et Ă©galement au livre de peintre traditionnel » Il ne me reste donc qu’à rapporter des remarques des notes prises au cours de mon existence de peintre. Je demande pour elles, Ă  ceux qui auront la patience de les lire, l’indulgence que l’on accorde en gĂ©nĂ©ral aux Ă©crits des peintres. »22 Si le livre d’artiste se distingue du livre de peintre », c’est parce que le livre d’artiste doit concevoir un texte/image original ». Au contraire, dans un livre de peintre » oĂč le peintre illustre un texte dĂ©jĂ  Ă©crit avec sa langue coupĂ©e ! comme Matisse l’avait fait pour les PoĂ©sies de StĂ©phane MallarmĂ© 1932 ou les PoĂšmes de Charles d’OrlĂ©ans 1950 avant et aprĂšs Jazz. De Jazz de Matisse aux Mots pour Rire 1974 de Christian Boltanski23, en passant par le Journal intime 1979-1992 de Sophie Calle24 , le livre d’artiste en France est souvent un jeu Ă  la premiĂšre personne » – autobiographie ou autofiction, associant textes et dessins ou textes et photographies. Contrairement aux notes intimes des textes-images de LĂ©onard de Vinci qui retracent ses idĂ©es sur la crĂ©ation, ses Ă©tudes artistiques ou scientifiques publiĂ©es seulement aprĂšs sa mort, le livre d’artiste est conçu pour entendre la voix de l’artiste publiquement et raconter son histoire aux spectateurs, les toucher Ă  travers une sorte de performance » intime ». C’est aussi ce qui caractĂ©rise les inscriptions des peintres lettrĂ©s chinois sur leurs peintures ils cultivaient, dĂšs le XIVe siĂšcle, des textes personnels », notaient le contexte de rĂ©alisation du tableau, des propos sur la peinture ou des poĂ©sies improvisĂ©es. GrĂące Ă  Jonathan Hay, nous disposons d’une intĂ©ressante biographie de Shitao, tirĂ©e notamment de l’analyse de prĂšs de deux cents textes de Shitao inscrits sur ses peintures. Sur chacune d’elles, Shitao a laissĂ© des traces de sa vie et de sa vision du monde en textes et en images. Ces rouleaux et albums forment une sorte de livre d’artiste » dans lequel Shitao livre des fragments autobiographiques ». Hay les a rassemblĂ©s avec des repĂšres historiques et des tĂ©moignages de ses contemporains pour reconstruire un Shitao en chair et en os », conscient que cet autoportrait comportait sans doute une part d’ autofiction » fig. 4. Il explique notamment comment un orphelin autodidacte, sans diplĂŽme, ni salaire de fonctionnaire, a pu vivre de sa peinture lettrĂ©e. Hay dĂ©voile Ă  travers cette Ă©tude la modernitĂ© » de la peinture lettrĂ©e de la fin du XVIIe siĂšcle25. Fig. 4 Shitao, Scruter les monts merveilleux pour trouver mon esquisse, 1691. MusĂ©e de la CitĂ© Interdite, PĂ©kin. D’aprĂšs l’étude de Hay, Shitao avait demandĂ© Ă  des portraitistes anonymes de rĂ©aliser son portrait pour des peintures qu’il a qualifiĂ©es d’ autoportraits ». Dans ce cas, seuls les textes manuscrits de Shitao, oĂč se retrouve sa facture graphologique, peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme d’authentiques autoportraits ». Ce sont d’ailleurs ses calligraphies, considĂ©rĂ©es en Chine comme l’art suprĂȘme du pinceau car elles expriment l’intimitĂ© d’un artiste. Les plus grands chef-d’Ɠuvres sont ainsi souvent des brouillons, comme la PrĂ©face du Lanting de Wang Xizhi, l’Éloge funĂšbre de Yan Zhenqing ou le Repas froid de Su Shi. Ils touchent par l’authenticitĂ© du premier jet et l’intimitĂ© du contenu souvent autobiographique. Les manuscrits de grandes personnalitĂ©s peuvent aussi devenir des chef-d’Ɠuvres tant par la calligraphie que par le contenu du texte. Ainsi pourrait-on considĂ©rer la DerniĂšre lettre de Fu Lei, rĂ©alisĂ©e la nuit du 2 septembre 1966 avant son suicide avec son Ă©pouse, comme un des plus grands chef-d’Ɠuvres calligraphique du XXe siĂšcle fig. 5, 6, 726. Fig. 5, 6, 7 Fu Lei, Lettre ultime Ă  Renxiu, manuscrit au pinceau, 1966. Collection privĂ©e. Du rouleau au livre Les Ɠuvres calligraphiques et picturales en Chine se prĂ©sentent et se transmettent sous forme de livre principalement en rouleau horizontal ou vertical ou album pliĂ© en accordĂ©on », ce qui permet Ă©galement de les rapprocher du livre d’artiste » tel qu’il est conçu en Occident. Comme les Égyptiens, les Grecs et les Romains utilisaient le papyrus pour leur premiers livres, les Chinois ont commencĂ© par adopter des tablettes de bambou ou de bois tressĂ© pour crĂ©er des livres en forme de rouleaux. DĂšs le dĂ©but du IIe siĂšcle, la dĂ©couverte et le dĂ©veloppement du papier permet l’apparition d’un nouveau support d’écriture et de peinture. La technique du montage sur rouleaux en papier et en soie apparaĂźt au Ve siĂšcle. AmĂ©liorĂ©e sous les Tang 618-907, cette technique atteint son apogĂ©e sous les Song 907-1279. En tant que rouleau pliĂ©, l’album en accordĂ©on permet une transition vers les livres reliĂ©s. GrĂące Ă  cette forme mobile » d’Ɠuvre d’art, de trĂšs anciennes traces picturales ont pu ĂȘtre prĂ©servĂ©es, Ă  la diffĂ©rence des grandes fresques, qui ont disparu. Chaque rouleau ou album pliĂ© ancien est Ɠuvre et archive historique de lui-mĂȘme car il comporte le texte de son auteur, mais aussi des inscriptions et des sceaux des collectionneurs successifs, des critiques, des experts
 Il peut Ă©galement ĂȘtre remontĂ© avec l’ajout d’une prĂ©face ou postface rĂ©digĂ©es postĂ©rieurement. Contrairement Ă  l’habitude prise aujourd’hui dans les musĂ©es d’exposer les rouleaux horizontaux entiĂšrement dĂ©roulĂ©s, les rouleaux Ă  main », Ă©taient conçus pour une lecture de droite Ă  gauche selon l’hĂ©ritage de la lecture sur rouleau de tablettes Ă  mesure qu’on dĂ©roule l’Ɠuvre avec la main gauche, on la ferme avec la main droite. Lorsque le rouleau devient album pliĂ©, la lecture se fait en feuilletant les doubles pages. Une ouverture complĂšte est Ă©galement possible, l’album pliĂ© peut ĂȘtre exposĂ© comme un paravent, forme adoptĂ©e aujourd’hui pour les crĂ©ateurs du livre d’artiste. BĂȘte comme un peintre » Je pensais qu’en tant que peintre, dĂ©clare Marcel Duchamp, il valait mieux que je sois influencĂ© par un Ă©crivain plutĂŽt que par un autre peintre
, j’en ai assez de l’expression bĂȘte comme un peintre’. »27 Duchamp joue volontiers avec les mots. Dans L’aventure de l’art au XXe siĂšcle, une page est consacrĂ©e au scandale de 1917 avec une photo de l’Ɠuvre de Duchamp intitulĂ©e Fontaine. Cette Ɠuvre ne peut ĂȘtre comprise que par l’écriture qui l’accompagne Ă  la fois l’inscription notĂ©e sur l’Ɠuvre R. Mutt » qui indique le nom du fabricant new-yorkais d’articles sanitaires, les lĂ©gendes, le nom de l’artiste, le titre de l’Ɠuvre, la date de crĂ©ation, le lieu de conservation mais aussi le texte de l’artiste Le cas Richard Mutt – Lettre ouverte aux AmĂ©ricains qui permettent de comprendre son art conceptuel. Matisse, lui, ne joue pas avec les mots, il est restĂ© peintre, mais a gardĂ© sa langue il a beaucoup parlĂ© et Ă©crit sur son travail. MĂȘme si l’écrivain AndrĂ© Breton estime en 1928 qu’il fait parties des vieux lions dĂ©couragĂ©s et dĂ©courageants », il continue sa recherche de signes plastique » en peinture, sculpture, gravure ou papiers dĂ©coupĂ©s, tout en s’exprimant par Ă©crit et en parole tout au long de son carriĂšre28 En Occident comme Chine, l’histoire et la thĂ©orie de la peinture ont commencĂ© par ĂȘtre Ă©crites par des peintres, puis les thĂ©oriciens, historiens et critiques d’art ont pris le pouvoir sur le discours. Delacroix s’est ainsi insurgĂ© Le pauvre artiste, exposĂ© tout nu avec son ouvra­ge, attend donc avec une vive anxiĂ©tĂ© les arrĂȘts de ce peuple qui a la fureur de juger. »29. D’autres artistes, tel Picasso, pensent que le rĂŽle du peintre est avant tout de se consacrer Ă  sa peinture Il est vrai qu’on publie des anthologies de pensĂ©es d’Ingres et de Delacroix ; cela donne des frissons. Quelle pensĂ©e de Delacroix peut ĂȘtre mise en balance avec son Sardanapale ? »30 Les autres parlent, moi je travaille ! ».31 Pourtant Picasso a bien compris la valeur de l’écriture, un tableau n’existe que par sa lĂ©gende et pas par autre chose », dira-t-il32. Au dĂ©but du XXe siĂšcle, la peinture lettrĂ©e est fortement critiquĂ©e en Chine par les artistes et Ă©ducateurs progressistes comme Xu Beihong. Ils remettent en cause le systĂšme d’une peinture trop codifiĂ©e, avec ses signes allĂ©goriques et rĂ©pĂ©titifs, et surtout la mĂ©thode d’apprentissage par la copie, jugĂ©e trop Ă©loignĂ©e de la rĂ©alitĂ©. Issu de cette tradition lettrĂ©e, Xu Beihong, aprĂšs des Ă©tudes en Europe, notamment en France, est devenu un fervent dĂ©fenseur en Chine du dessin rĂ©aliste occidental d’aprĂšs nature. La peinture europĂ©enne avait dĂ©jĂ  dĂ©passĂ© le dĂ©fi de la reprĂ©sentation de la vision rĂ©elle quand Xu Beihong la dĂ©couvrit en Europe. Matisse a Ă©tĂ© vivement critiquĂ© par Xu Beihong en 1929 pour sa trahison » Ă  la tradition picturale occidentale issue de la Paradoxalement, Xu Beihong n’a jamais abandonnĂ© lui-mĂȘme sa pratique de la peinture lettrĂ©e. Il a gardĂ© toute sa vie cet hĂ©ritage traditionnel mais en l’adaptant Ă  ses propres allĂ©gories, en crĂ©ant ses propres signes picturaux issus du dessin d’aprĂšs nature, en essayant d’introduire des notions d’anatomie, de perspective et des effets d’ombre et lumiĂšre dans ses encres comme dans ses huiles sur toile. Parmi les artistes choisis pour enseigner Ă  l’École des beaux-arts qu’il a fondĂ©e Ă  PĂ©kin, on trouve les plus grands noms des peintres et dessinateurs qui ont expĂ©rimentĂ© l’association du texte et de l’image, tel que Qi Baishi ou Ye Qianyu. Le retour Ă  la maison À partir de la deuxiĂšme moitiĂ© du XXe siĂšcle, la Chine limite la libertĂ© de parole individuelle pour privilĂ©gier la parole officielle et la pensĂ©e unique ». La RĂ©volution culturelle a poussĂ© cette idĂ©ologie totalitaire Ă  l’extrĂȘme, laissant des sĂ©quelles jusqu’à aujourd’hui. Des examens de thĂ©orie politique sont ainsi encore obligatoires aujourd’hui Ă  l’universitĂ© et aux Beaux-Arts. Les Ă©tudiants ne croient pas aux bonnes rĂ©ponses » qu’ils doivent apporter, mais ils jouent le jeu pour passer l’examen. Pourtant, la forme d’expression issue de la peinture lettrĂ©e reste prĂ©sente. Ironiquement, dans un livre d’artiste, Liu Chunjie ćŠ‰æ˜„æ°a inventĂ© un jeu de mots en pensant individuellement » sixiangzhe ç§æƒłç€ qui se prononce de la mĂȘme maniĂšre que le mot penseur » sixiangzhe æ€æƒłè€… pour s’élever contre la pensĂ©e unique et la langue du bois34 fig. 8. Fig. 8 Liu Chunjie, En pensant individuellement, livre d’artiste, Shanghai, Éditions Huadong shifandaxue, 2008. Un vieux proverbe chinois dit Quand on a un vieux balai utile Ă  la maison, il vaut de l’or. » æ•ćžšćƒé‡‘ bi zhou qian jin Dans son essai Retour Ă  la maison » Shuo hui jiaèŻŽć›žćź¶1947, Qian Zhongshu dĂ©montre comment cette mĂ©taphore du retour aux origines se trouve Ă  la fois chez les taoĂŻstes, les bouddhistes, chez Platon et Pascal Nos nouvelles dĂ©couvertes, aprĂšs des difficultĂ©s et des souffrances inouĂŻes, nous donnent souvent une impression de dĂ©jĂ -vu, on croit rencontrer de nouveau une chose ancienne. Cela ne peut que nous Ă©merveiller Ah c’est donc cela ! C’est ce que voulait dire la phrase sophiste de Pascal tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas dĂ©jĂ  trouvé’»35. Que l’on envisage la peinture lettrĂ©e comme un livre d’artiste avant l’heure » ou non, peu importe. Cet hĂ©ritage est lĂ , cette forme d’expression en texte-image est essentielle en Chine, elle peut sauver de la langue de bois de la pensĂ©e unique. Ye Xin Bibliographie Aragon, Louis, Matisse, roman, Paris, Gallimard, 1971. Barthes, Roland, ƒuvres complĂštes, tome II, 1962-1967, Paris, Seuil, 2002. Cahill, James, The Painter’s Practice How Artists Lived and Worked in Traditional China, New York, Columbia University Press, 1994. Calle, Bob, Christian Boltanski, Livres d’artiste 1969-2007, Paris, Éditions 591, 2008. Cauquelin, Anne, L’art contemporain, Paris, PUF, 2009. Damisch, Hubert, TraitĂ© du trait, Paris, RĂ©union des MusĂ©es Nationaux, 1995. Delacroix, EugĂšne, ƒuvres littĂ©raires, I. Etudes esthĂ©tique 1829-1863, Paris, G. CrĂšs & Cie, BibliothĂšque dionysienne, 1923. Flam, Jack, Conversations entre Matisse et TĂ©riade », dans Matisse et TĂ©riade, Arcueil, AnthĂšse, 2002, p. 19. Hay, Jonathan Painting and Modernity in Early Qing China, Press Syndicate of the University of Cambridge, Cambridge, UK, 2001. Kandinsky, Wassily, Point et ligne sur plan, Paris, Gallimard, 1991. Liu, Chunjie ćŠ‰æ˜„æ°, ă€Šç§æƒłç€ă€‹En pensant individuellement , Shanghai, Huadong shifan daxue chubanshećŽäžœćžˆèŒƒć€§ć­Šć‡ș版瀟2008. Matisse, Henri, Écrits et propos sur l’art, texte, notes et index Ă©tablis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972. Matisse, Henri, Jazz, Paris, Édition TĂ©riade, 1947. Picasso, Pablo, Propos sur l’art, Ă©dition de Marie-Laure Bernadac et Androula Michael, Paris, Gallimard, 1998. Ryckmans, Pierre, Les propos sur la peinture du Moine Citrouille – AmĂšre, Traduction et commentaire de Shitao, Paris, Plon, 2007. Sophie Calle, M’as-tu vue catalogue de l’exposition, Paris, Centre Pompidou, 2003. Zhang YanyuanćŒ”ćœ„é , dans Lidai minghua ji æ­·ä»Łćç•«èš˜ MĂ©moires sur les peintres cĂ©lĂšbres au cours des dynasties successives, Chap. I., Beijing, Renmin meishu chubanshe, 1983. . Henri Matisse, Écrits et propos sur l’art, texte, notes et index Ă©tablis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 235. [↩]Album format 42 x 32,5 cm, grand in-folio, 152 pages, tirĂ© en 270 exemplaires, 250 exemplaires sur vĂ©lin d’Arches numĂ©rotĂ©s de 1 Ă  250 ; 20 exemplaires non commercialisĂ©s numĂ©rotĂ©s de I Ă  XX. Tous les exemplaires sont signĂ©s par l’artiste. [↩]Roland Barthes, ƒuvres complĂštes, tome II, 1962-1967, Paris, Seuil, 2002, p. 573. [↩] Aujourd’hui, au niveau des communications de masse, il semble bien que le message linguistique soit prĂ©sent dans toutes les images comme titre, comme lĂ©gende, comme article de presse, comme dialogue de film, comme fumetto ; on voit par lĂ  qu’il n’est pas trĂšs juste de parler d’une civilisation de l’image nous sommes encore et plus que jamais une civilisation de l’écriture l’image sans parole se rencontre sans doute, mais Ă  titre paradoxal, dans certains dessins humoristiques ; l’absence de parole recouvre toujours une intention Ă©nigmatique., parce que l’écriture et la parole sont toujours des termes pleins de la structure informationnelle. Ibid., p. 577-578. [↩] L’ancrage est la fonction la plus frĂ©quente du message linguistique ; on la retrouve communĂ©ment dans la photographie de presse et la publicitĂ©. La fonction de relais est plus rare du moins en ce qui concerne l’image fixe ; on la trouve surtout dans les dessins humoristiques et les bandes dessinĂ©es. » Ibid. p. 580. [↩]L’ancrage est la fonction la plus frĂ©quente du message linguistique ; on la retrouve communĂ©ment dans la photographie de presse et la publicitĂ©. La fonction de relais est plus rare du moins en ce qui concerne l’image fixe ; on la trouve surtout dans les dessins humoristiques et les bandes dessinĂ©es. » Ibid. p. 580. [↩]Deux textes sur l’écriture cursive sont considĂ©rĂ©s comme fondateurs pour la thĂ©orie et l’histoire de la calligraphie chinoise La force de l’écriture cursive Caoshu shi,ă€Šè‰äčŠćŠżă€‹ de Cui Yuan 殔瑗 78-143 et Contre l’écriture cursive Fei caoshu ă€Šéžè‰æ›žă€‹ de Zhao Yi è””ćŁč, 122-196. [↩]L’histoire et l’esthĂ©tique de la peinture a commencĂ© avec le Catalogue des peintres anciens classĂ©s par catĂ©gories Guhua pinlu, ă€Šć€ç”»ć“ćœ•ă€‹, Ă©crit par le peintre Xie He è°ąè”« Ă  la fin du Ve /dĂ©but du VIe siĂšcles. Il Ă©nonce les Six canons » de la peinture. Les deux premiers viennent de l’esthĂ©tique de la calligraphie dans l’harmonie du souffle, le mouvement de la vie » qiyun shengdong æ°”éŸ”ç”ŸćŠš et dans le mode de l’os, employer le pinceau » gufa yongbi éȘšæł•ç”šçŹ”. Les quatre suivants sont plus techniques conformĂ©ment aux objets, reprĂ©senter les formes ; conformĂ©ment Ă  la nature des objets, appliquer les couleurs ; disposition dans l’amĂ©nagement de l’Ɠuvre ; transmettre les modĂšles par la copie. » Traduction en français de Paul Pelliot [↩]ă€ŠèŠ„ć­ćœ’ç•«ć‚łă€‹L’ouvrage publiĂ© par Li Yu 李持 et Shen Xinyou æČˆćżƒć‹, Ă©crit et illustrĂ© par Wang Gai 王抂, rĂ©unit vers la fin du XVIIe siĂšcle ce systĂšme des signes picturaux » dans un manuel d’apprentissage. [↩]â€œæ­€äž€ç”»æ”¶ć°œéžżè’™äč‹ć€–ïŒŒćłäșżäž‡äž‡çŹ”ćąšïŒŒæœȘæœ‰äžć§‹äșŽæ­€è€Œç»ˆäșŽæ­€ïŒŒæƒŸćŹäșșä苿Ąć–äč‹è€łă€‚” Pierre Ryckmans, Traduction et commentaire de Shitao, Les propos sur la peinture du Moine Citrouille – AmĂšre, Paris, Plon, 2007, [↩] La nature codĂ©e du dessin apparaĂźt Ă  trois niveaux d’abord, reproduire un objet ou une scĂšne par le dessin oblige Ă  un ensemble de transpositions rĂ©glĂ©es ; il n’existe pas une nature de la copie picturale, et les codes de transposition sont historiques notamment en ce qui concerne la perspective ; ensuite, l’opĂ©ration du dessin le codage oblige tout de suite Ă  un certain partage entre le signifiant et l’insignifiant le dessin ne reproduit pas tout, et souvent mĂȘme fort peu de choses, sans cesser cependant d’ĂȘtre un message fort, alors que la photographie, si elle peut choisir son sujet, son cadre et son angle, ne peut intervenir Ă  l’intĂ©rieur de l’objet sauf trucage ; autrement dit, la dĂ©notation du dessin est moins pure que la dĂ©notation photographique, car il n’y a jamais de dessin sans style ; enfin, comme tous les codes, le dessin exige un apprentissage Saussure attribuait une grande importance Ă  ce fait sĂ©miologique. » Roland Barthes, ƒuvres complĂštes, tome II, 1962-1967, Paris, Seuil, p. 582. [↩] Elle est nĂ©e du mouvement – et cela par l’anĂ©antissement de l’immobilitĂ© suprĂȘme du point. Ici se produit le bond du statique vers le dynamique. », Wassily Kandinsky, Point et ligne sur plan, Paris, Gallimard, 1991, p. 67. [↩] L’importance de l’artiste se mesure Ă  la quantitĂ© de nouveaux signes qu’il aura introduits dans le langage plastique. » Henri Matisse, Écrits et propos sur l’art, Texte, notes et index Ă©tablis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 172. [↩]Une Ă©tude de Jacques GiĂšs citĂ©e par Hubert Damisch dans TraitĂ© du trait, Paris, RĂ©union des MusĂ©es Nationaux, 1995, p. 191. [↩]Wang Xuehao çŽ‹ć­žæ”© 1754-1832, Propos sur la peinture Au Sud de la Montagne ć±±ć—è«–ç•« » 王耕煙äș‘ 有äșșć•ćŠ‚äœ•æ˜ŻćŁ«ć€§ć€«ç•«ïŒŸæ›°ïŒšćȘ侀 毫 » 歗盡äč‹ă€‚æ­€èŻ­æœ€äžșäž­è‚Żă€‚ć­—èŠć†™ïŒŒäžèŠæïŒŒç”»äșŠćŠ‚äč‹ă€‚äž€ć…„æç”»ïŒŒäŸżäžșäż—ć·„çŸŁă€‚Wang Genyan est le surnom de Wang Hui 王翬 1632-1717, un des Quatre Wang » des Qing cĂ©lĂšbres pour la peinture lettrĂ©e de paysage. [↩]Voir James Cahill, The Painter’s Practice How Artists Lived and Worked in Traditional China, New York, Columbia University Press, 1994, p. 35-74. [↩]Wang Wei, MĂ©thode de la peinture de montagne et d’eau, çŽ‹ç¶­ă€Šć±±æ°ŽèšŁă€‹ïŒšć€«ç•«é“äč‹äž­ïŒŒæ°Žćąšæœ€ç‚ș侊。 [↩]Henri Matisse, Écrits et propos sur l’art, texte, notes et index Ă©tablis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 235. [↩]Louis Aragon, Matisse, roman, Paris, Gallimard, 1971, p. 795. [↩]éĄć…‰ç„żäș‘ïŒšćœ–èŒ‰ä苿„æœ‰äž‰ïŒŒäž€æ›°ćœ–ç†ïŒŒćŠè±Ąæ˜ŻäčŸïŒ›äșŒæ›°ćœ–è­˜ïŒŒć­—ć­žæ˜ŻäčŸïŒ›äž‰æ›°ćœ–ćœąïŒŒçčȘç•«æ˜ŻäčŸă€‚ Yan Yanzhi éĄć»¶äč‹ 384-456 citĂ© de par Zhang YanyuanćŒ”ćœ„é , dans Lidai minghua ji æ­·ä»Łćç•«èš˜ MĂ©moires sur les peintres cĂ©lĂšbres au cours des dynasties successives, Chap. I., Beijing, Renmin meishu chubanshe, 1983, p. 2. [↩]Henri Matisse, Écrits et propos sur l’art, texte, notes et index Ă©tablis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 240. [↩]Ibid. p. 235. [↩]Bob Calle, Christian Boltanski, Livres d’artiste 1969-2007, Paris, Éditions 591, 2008, p. 40-41. [↩]Sophie Calle, M’as-tu vue catalogue de l’exposition, Paris, Centre Pompidou, 2003, p. 41-54. [↩]Jonathan Hay, Painting and Modernity in Early Qing China, Press Syndicate of the University of Cambridge, Cambridge, UK, 2001. Édition chinoise äč”èż…ïŒšă€ŠçŸłæ¶›ïŒšæž…ćˆäž­ć›œçš„ç»˜ç”»äžŽçŽ°ä»Łæ€§ă€‹ïŒŒé‚±ćŁ«ćŽç­‰èŻ‘ïŒŒäž‰è”äčŠćș—ïŒŒćŒ—äșŹïŒŒ2010. [↩]Fu Lei ć‚…é›·, 1908-1966, Ă©crivain, historien d’art, est l’un des plus grands traducteurs de littĂ©rature française. La nuit du 2 septembre 1966, aprĂšs trois jours de torture et d’humiliation, il Ă©crit cette lettre Ă  son beau frĂšre pour rĂ©gler ses affaires de famille avant de mettre fin Ă  ses jours. ă€Šć‚…é›·ćź¶æ›žæ‰‹çšżéžèƒă€‹ïŒŒHangzhou, Zhejiang guji chubansheæ”™æ±Ÿć€ç±ć‡ș版瀟2008, p. 123-125. [↩]CitĂ© par Anne Cauquelin, L’art contemporain, Paris, PUF, 2009, p. 76. [↩] Matisse utilise un subterfuge subtil et surprenant dans le contexte de l’époque il se sert de certaines personnes pour s’obliger Ă  livrer le fond de sa pensĂ©e par des entretiens ; il replace ses idĂ©es dans un cadre de travail par rapport auquel il peut prendre du recul, Ă  tel point que l’intervieweur apparaĂźt parfois Ă  nos yeux comme un intermĂ©diaire Ă  travers lequel Matisse consent Ă  s’exprimer sans risquer de trop s’exposer. Parmi ces intermĂ©diaires, l’un s’est rĂ©vĂ©lĂ© particuliĂšrement Ă©loquent ; il porte le nom de E. TĂ©riade. », Jack Flam, Conversations entre Matisse et TĂ©riade », dans Matisse et TĂ©riade, Arcueil, AnthĂšse, 2002, p. 19. [↩]EugĂšne Delacroix, ƒuvres littĂ©raires, I. Etudes esthĂ©tique 1829-1863, Paris, G. CrĂšs & Cie, BibliothĂšque dionysienne, 1923. [↩]Picasso, Propos sur l’art, Ă©dition de Marie-Laure Bernadac et Androula Michael, Paris, Gallimard, 1998, [↩]Ibid., [↩]Ibid., p. 169. [↩]Dans une polĂ©mique avec le critique d’art Xu Zhimo en 1929, Xu Beihong a attaquĂ© CĂ©zanne et Matisse pour leur impudente » trahison Ă  la tradition picturale de la Renaissance, qu’il considĂšre comme le sommet de l’art et de l’humanisme. [↩]Liu Chunjie ćŠ‰æ˜„æ°, ă€Šç§æƒłç€ă€‹En pensant individuellement , Shanghai, Huadong shifan daxue chubanshećŽäžœćžˆèŒƒć€§ć­Šć‡ș版瀟 2008. [↩]Voir â€œèŻŽć›žćź¶â€ïŒŒă€Šé’±é”șäčŠé›†ïŒšć†™ćœšäșș生èŸč侊äșș生èŸč侊的èŸčäžŠçŸłèŻ­ă€‹ïŒŒćŒ—äșŹïŒŒäž‰è”äčŠćș— 2002, p. 42-45. [↩] TĂ©lĂ©charger l’article au format pdf. Article Ă©crit par Li Shiyan, Chercheuse Ă  Langarts Langages artistiques Asie-Occident RĂ©sumĂ© Cet article traite essentiellement de la maniĂšre dont les artistes chinois, au lendemain de la RĂ©volution culturelle, stimulĂ©s par l’art occidental dans ses formes les plus contemporaines, interrogent et renouvellent les formes traditionnelles de la peinture et de la calligraphie. On pourra y trouver une analyse d’un processus d’éclatement des pratiques scripturales et calligraphiques du lettrĂ© sous diffĂ©rents aspects le dĂ©membrement de l’écriture et ses inventions, la dĂ©composition de la technique calligraphique et la dissociation de l’ensemble des quatre trĂ©sors du lettrĂ©. Ces pratiques sont accompagnĂ©es d’emprunts Ă  des formes d’expressions occidentales apparaissant comme des catalyseurs que les artistes chinois utilisent comme des moyens de transformer les expressions traditionnelles sans reprendre forcement avec elles le fil d’une histoire de l’art occidental et le sens singulier de son dĂ©veloppement dans son contexte propre. Abstract This article mainly deals with the way in which Chinese artists, in the aftermath of the Cultural Revolution, stimulated by Western art in its most contemporary forms, question and renew the traditional forms of painting and calligraphy. The book analyses the process of breaking up the scriptural and calligraphic practices of the scholar in various ways the dismemberment of writing and its inventions, the decomposition of calligraphic technique and the dissociation of the “four treasures of the scholar”. These practices are accompanied by borrowings from Western forms of expression, which appear as catalysts that Chinese artists use as a means of transforming traditional expressions without necessarily taking up with them the thread of a Western art history and the singular meaning of its development in its own context. Lorsque l’article de Li Xiaoshan æŽć°ć±±intitulĂ© Mon avis sur la peinture chinoise contemporaine » est publiĂ© dans le Zhongguo meishubao äž­ć›œçŸŽæœŻæŠ„Journal des beaux-arts de Chine en 1985, l’ensemble des discussions autour de la phrase La peinture traditionnelle chinoise est Ă  bout de ressources Zhongguohua yijing daole qiongtu molu de shihouäž­ć›œç”»ć·Čç»ćˆ°äș†ç©·é€”æœ«è·Żçš„æ—¶ć€™ soulĂšve une tempĂȘte dans le milieu artistique et culturel. Le texte de Li Xiaoshan Ă©voque non seulement un Ă©puisement de la peinture traditionnelle chinoise face Ă  l’arrivĂ©e massive de l’art moderne et contemporain de l’Occident, mais interroge ouvertement la culture chinoise lettrĂ©e qui semblait avoir su retrouver une renaissance » aprĂšs la RĂ©volution culturelle. Le propos de Li Xiaoshan, on le sait, n’est pas nouveau, puisque la culture lettrĂ©e a Ă©tĂ© radicalement mise en cause dĂšs la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle lorsque la relation avec l’Occident devint conflictuelle. Rééquilibrer le rapport de force entre la Chine et l’Occident pour que la pensĂ©e chinoise millĂ©naire puisse trouver un nouveau souffle a toujours Ă©tĂ© la principale prĂ©occupation des Ă©lites intellectuelles. Lorsque la RĂ©volution culturelle touche Ă  sa fin, l’ambition de restaurer et de faire revivre cette pensĂ©e devient une nĂ©cessitĂ© nationale ardente rĂ©pondant Ă  son effacement forcĂ© et sa condamnation dĂ©sastreuse. Cependant, cette renaissance » de la pensĂ©e lettrĂ©e doit se confronter Ă  nouveau au monde occidental. Ainsi, le problĂšme le plus urgent Ă  rĂ©soudre consiste Ă  savoir comment construire une pensĂ©e nouvelle et efficace, capable de rĂ©pondre Ă  la force inĂ©luctable de l’Occident qui, avec son systĂšme de pensĂ©e philosophique, son dĂ©veloppement technique considĂ©rable, son projet d’une Ă©conomie globale, etc. prĂ©tend dĂ©sormais imposer son modĂšle au monde. En tout Ă©tat de cause, l’art, en tant que pratique Ă©clairĂ©e, ne peut Ă©chapper Ă  ce problĂšme lancinant. AprĂšs la RĂ©volution culturelle, le style rĂ©aliste et la peinture traditionnelle chinoise dominent l’ensemble de la scĂšne picturale acadĂ©mique. Mais plutĂŽt que d’évoquer le style rĂ©aliste critiquĂ© pour la premiĂšre fois par le peintre Wu Guanzhong搮憠侭 1919-2010 qui propose de rechercher une beautĂ© abstraite » chouxiangmeiæŠœè±ĄçŸŽ , je voudrais parler ici du problĂšme de la peinture traditionnelle chinoise soulevĂ© par Li Xiaoshan. Ce dernier, dans son article, esquisse Ă  grand trait l’histoire de cette peinture en concluant qu’aujourd’hui, la mission des artistes ne consiste plus Ă  reprendre l’hĂ©ritage des peintres modernes comme Liu Haisućˆ˜æ”·çȟ 1896-1994ou Lin Fengmianæž—éŁŽçœ  1900-1991, mais de mener un mouvement novateur, capable de faire Ă©poque » huashidaićˆ’æ—¶ä»Ł. Il s’agit, en effet, d’un moment oĂč les jeunes artistes font connaissance avec l’art contemporain occidental et certains aspects, jusque-lĂ  ignorĂ©s, de la modernitĂ© du XXe siĂšcle. On imagine aisĂ©ment le bouleversement, le choc Ă©prouvĂ©s par ces artistes. Ce choc est un catalyseur pour ceux qui aspirent profondĂ©ment Ă  combler le vide dĂ» Ă  la rupture causĂ©e par la RĂ©volution, Ă  rattraper le temps perdu pour rĂ©duire l’écart avec l’Occident. Si l’histoire de l’art occidental moderne et contemporain a elle-mĂȘme subi des changements radicaux Ă  cause de sa logique propre, on pense alors inĂ©vitablement que la Chine va rejoindre cette logique occidentale, puisque depuis les annĂ©es 1910 les artistes ne cessent de s’approprier les dĂ©couvertes de l’art occidental, qu’il soit classique ou moderne Xu Beihong a pu concrĂ©tiser l’union de l’art et la science dans sa peinture, le fauvisme a pu ĂȘtre repris Ă  travers la peinture de Liu Haisu, la nĂ©cessitĂ© intĂ©rieure » de Kandinsky a Ă©tĂ© analysĂ©e et comparĂ©e avec le souffle rĂ©sonnance » qiyun shengdongæ°”éŸ”ç”ŸćŠš par Feng Zikai
 Un changement radical prolongeant cette longue histoire et n’ignorant cependant pas l’hĂ©ritage de la peinture traditionnelle chinoise est devenu une nĂ©cessitĂ© qui pourrait, selon certains artistes, permettre de rejoindre l’art contemporain occidental pour fonder, en mĂȘme temps, un art chinois inscrit dans l’ñge contemporain. Je pense que c’est dans ce sens que l’on doit comprendre l’expression faire Ă©poque », qui manifeste une volontĂ© d’ĂȘtre acteurs Ă  part entiĂšre de la scĂšne artistique, capables d’inventer de nouvelles formes, et de rivaliser avec l’art occidental. Les artistes chinois ont deux atouts en main, d’un cĂŽtĂ© la richesse de la culture traditionnelle lettrĂ©e, de l’autre cĂŽtĂ© l’étude de l’hĂ©ritage avant tout formel peinture, sculpture de l’art occidental et ses dĂ©passements sous toutes les formes collage, installation, performance, happening, photographie, vidĂ©o
 qui, aux yeux des artistes chinois, pourraient donner des moyens formidables pour interroger et renouveler les forme traditionnelles de la peinture et de la calligraphie. Mais avant d’aborder cette aventure, je dois rappeler l’un des traits essentiels de la modernitĂ© occidentale. On sait que dans l’évolution de l’histoire de l’art moderne occidental, il y a eu un Ă©clatement » de la forme la couleur, le dessin, la surface, la matiĂšre, chacun de ces Ă©lĂ©ments a revendiquĂ© la premiĂšre place dans des dĂ©marches diverses. De mĂȘme, l’ñge contemporain a proposĂ© un champ Ă©largi de l’art aux frontiĂšres indĂ©cises. Toutes ces problĂ©matiques historiques sont bien vues, je pense, par les artistes chinois. Dans le dĂ©veloppement des divers courants repris par ces derniers, l’art conceptuel guannian yishu è§‚ćż”è‰șæœŻ, l’abstraction au lavis shuimo chouxiangæ°ŽćąšæŠœè±Ą, le Maximalisme jiduozhuyiæžć€šäž»äč‰, le Calligraphisme shufazhuyiäčŠæł•äž»äč‰1, on peut constater qu’il existe aussi un Ă©clatement » notable de la pratique du lettrĂ©, dont certains aspects viennent nourrir des expressions diverses peinture, installation, performance, photographie, etc. on pourrait nommer ce phĂ©nomĂšne le dĂ©membrement » de l’écriture, la dĂ©composition » de la technique calligraphique et la dissociation » de l’ensemble des quatre trĂ©sors du lettrĂ© wenfangsibaoæ–‡æˆżć››ćź, qui peuvent ĂȘtre repris sĂ©parĂ©ment dans certains gestes artistiques. Le dĂ©membrement de l’écriture et ses inventions Le dĂ©membrement Dans les annĂ©es 1980 de nombreux artistes introduisent l’écriture chinoise dans leurs Ɠuvres. Cette dĂ©marche nous fait penser au courant de l’art conceptuel amĂ©ricain dans lequel les artistes font intervenir des signes et des mots censĂ©s prĂ©senter un rĂ©el rĂ©duit Ă  la seule rĂ©alitĂ© du langage. Or, dans les Ɠuvres des artistes chinois que j’évoque ici, les Ă©critures sont comme considĂ©rĂ©es comme des tromperies vouĂ©es Ă  l’absurditĂ©. Autrement dit ces artistes, classĂ©s aujourd’hui par certains critiques d’art chinois dans le courant de l’art conceptuel chinois zhongguo guannian yishu äž­ć›œè§‚ćż”è‰șæœŻ, n’ont pas, en fait, grand-chose Ă  voir avec les artistes amĂ©ricains mettant l’accent sur la littĂ©ralitĂ© autorĂ©fĂ©rentielle. TrĂšs probablement, les artistes chinois ont interprĂ©tĂ© les Ɠuvres conceptuelles amĂ©ricaines Ă  leur maniĂšre, aucun d’entre eux n’a revendiquĂ© une Ă©tude approfondie consacrĂ©e aux artistes conceptuels. Les artistes chinois empruntent juste la forme l’apparence de cet art en injectant » un contenu vouĂ© Ă  une situation culturelle spĂ©cifiquement chinoise. L’un des premiers artistes ayant entrepris de dĂ©membrer l’écriture est Gu Wenda谷文蟟 nĂ© en 1955. Dans les annĂ©es 1980, il poursuit des Ă©tudes de peinture traditionnelle chinoise Ă  la China Academy of Art. Comme l’énonce la formule trĂšs connue shuhua tongyuanäčŠç”»ćŒæș la peinture et la calligraphie ont la mĂȘme origine », on peut imaginer qu’il est Ă©galement trĂšs habile Ă  la calligraphie. En s’inspirant de la philosophie du langage de Wittgenstein, de l’étude de l’écriture sigillaire et des nombreuses fautes dans l’emploi des caractĂšres sur lesDazibaoć€§ć­—æŠ„Journaux Ă  grands caractĂšres pendant la RĂ©volution culturelle, l’artiste, dans une sĂ©rie d’Ɠuvres intitulĂ©e Yishi de wangchao é—ć€±çš„çŽ‹æœ, Mythos Of Lost Dynasties Mythes des dynasties perdues, 1983-862, Ă©crit volontairement des caractĂšres erronĂ©s et fautifs3. Quelques Ɠuvres de cette sĂ©rie peuvent ĂȘtre citĂ©es ici Wei zhuanshu linmo benshiäŒȘ篆äčŠäžŽæ‘čæœŹćŒ, Pseudo-seal Scripture in Calligraphic Copybook Format Pseudo-Ă©criture sigillaire dans le format du cahier d’écriture dans laquelle l’artiste introduit des caractĂšres fautifs du style sigillaire en les juxtaposant Ă  des vrais caractĂšres du mĂȘme style ; Jingguan de shijie静观的䞖界, Tranquillity Comes From Meditation Un monde de contemplation silencieuse, selon le titre en chinois dans laquelle l’artiste introduit des caractĂšres fautifs cuobiezi é”™ćˆ«ć­—en renversant l’orientation de tout ou partie des sinogrammes, en retournant l’écriture en miroir ou bien en faisant des erreurs dans l’écriture ; Wopiyue sannansannĂŒ shuxiede jingzi我æ‰čé˜…äž‰ç”·äž‰ć„łäčŠć†™çš„é™ć­—, Fake Characters Written By Three Men And Three Women Le caractĂšre silence » Ă©crit respectivement par trois femmes et trois homme, corrigĂ© par moi dans laquelle l’artiste se comporte en maĂźtre de calligraphie il corrige en mettant une croix ou un cercle rouges sur les caractĂšres 静 Ă©crits de diverses maniĂšres fautives par les spectateurs Ă  qui il avait demandĂ© d’écrire ces mots. Toutes les Ă©critures altĂ©rĂ©es dans ces Ɠuvres sont magnifiquement calligraphiĂ©es sur des papiers de Xuan xuanzhi柣çșž de trĂšs grandes dimensions. Il existe une sorte d’incohĂ©rence entre les caractĂšres erronĂ©s et fautifs et la pratique raffinĂ©e et Ă©rudite du lettrĂ©. Cependant, le caractĂšre fautif du style sigillaire reste beaucoup plus problĂ©matique parce que trĂšs peu de Chinois parviennent Ă  lire l’écriture sigillaire. Le fait de mĂ©langer les caractĂšres fautifs Ă  de vrais caractĂšres peut tromper le spectateur. Une dĂ©fiance envers l’écriture et la culture est ainsi exprimĂ©e. Quant aux caractĂšres fautifs du style rĂ©gulier, ils sont souvent inscrits sur des fonds rĂ©alisĂ©s par l’utilisation en alternance des techniques des encres superposĂ©es jimofaç§Żćąšæł•, de l’encre brisĂ©e pomofaç Žćąšæł• ou de l’encre Ă©claboussĂ©e pomofaæłŒćąšæł•, qui donnent l’aspect d’une nappe. Ces fonds peuvent revĂȘtir des qualitĂ©s rĂ©pondant aux six couleurs » liucaić…­ćœ© de la tradition, allant du blanc bai癜 jusqu’au noir hei 黑 en passant par le sec ganćčČ, le mouillĂ© ou fluide shi æčż, l’épais nong攓, le pĂąle danæ·Ą. Aux yeux de l’artiste, les Ă©critures erronĂ©es superposĂ©es Ă  un fond rĂ©alisĂ© au lavis offrent la possibilitĂ© de conduire la calligraphie traditionnelle vers la peinture abstraite au lavis shuimo chouxianghuaæ°ŽćąšæŠœè±Ąç”»4 puisqu’on peut considĂ©rer que le caractĂšre erronĂ© n’est plus un caractĂšre mais simplement une image abstraite5 . Ce glissement de la calligraphie vers la peinture abstraite chouxiang huihuaæŠœè±Ąç»˜ç”» – terme occidental introduit en Chine dans les annĂ©es 1910 – tend Ă  dĂ©passer notre façon habituelle de concevoir [dans le sens de goĂ»ter » pin擁] une Ɠuvre calligraphique. Notre perception est ainsi conduite Ă  la frontiĂšre entre une Ɠuvre calligraphique au sens traditionnel et une peinture moderne » dite abstraite » au sens occidental. La peinture abstraite » de Gu Wenda nous donne ainsi Ă  voir une des possibilitĂ©s de fonder un art abstrait »6 proprement chinois avec les sources traditionnelles. Le caractĂšre erronĂ© est aussi employĂ© par Wu Shanzhuan搎汱䞓 nĂ© en 1960. Dans les annĂ©es 1980 cet artiste rĂ©alise une sĂ©rie intitulĂ©e Hongse youmoçșąè‰Čćčœé»˜ Humour rouge, 1987-88 contenant quatre parties Dazibaoć€§ć­—æŠ„ Journaux Ă  grands caractĂšres, Hongyin çșąć° Sceau rouge, Hongqipiaopiao çșąæ——éŁ˜éŁ˜Drapeau rouge flottant et Dashengyić€§ç”Ÿæ„ Grand business. Dans la partie Drapeau rouge flottant », on trouve des caractĂšres erronĂ©s Ă©crits en gros traits noirs cadrĂ©s par des papiers blancs en forme de losange collĂ©s rĂ©guliĂšrement sur un drapeau rouge. Devant ce drapeau affichĂ© sur un mur, l’artiste fait le geste de prĂȘter serment avec son bras gauche. EnregistrĂ©e sous forme de photographie, l’Ɠuvre est aussi nommĂ©e Cuobiezi qizhi de xuanyané”™ćˆ«ć­—æ——ćžœć‰çš„ćźŁèȘ“ PrĂȘter serment devant un drapeau avec des caractĂšres erronĂ©s, 1988. Elle nous offre une scĂšne Ă  la fois familiĂšre et ridicule. FamiliĂšre, parce que la majoritĂ© des spectateurs reconnaĂźt cette expĂ©rience solennelle de prĂȘter serment » ; ridicule, parce que jamais on ne prĂȘte serment en levant le bras gauche devant des caractĂšres erronĂ©s. Mais c’est bien cette expĂ©rience ridicule que l’on a vĂ©cue pendant la RĂ©volution culturelle les caractĂšres erronĂ©s apparaissaient souvent dans les Journaux Ă  grands caractĂšres, considĂ©rĂ©s cependant comme des mots d’ordre que l’on devait respecter scrupuleusement. L’Ɠuvre rend dĂ©risoire la politique dictatoriale de la RĂ©volution. On peut aussi Ă©voquer les installations rĂ©alisĂ©es dans la mĂȘme sĂ©rie imitant tout Ă  fait l’atmosphĂšre de la RĂ©volution, mais au lieu d’y trouver les mots d’ordres attendus, on lit Cet aprĂšs-midi il y a une coupure d’eau », Trois centimes pour un demi-kilo de chou blanc », Je suis rentrĂ© Ă  la maison »  Ces phrases renvoyant au quotidien placĂ©es dans un contexte visuellement imposant offrent tout Ă  coup une lĂ©gĂšretĂ© rendant le credo d’une dĂ©cennie invalide. Les caractĂšres fautifs cuobiezi é”™ćˆ«ć­— de Gu Wenda et de Wu Shanzhuan restent encore lisibles et prononçables, tandis que ceux de Xu Bing ćŸć†° nĂ© en 1955 sont entiĂšrement illisibles. Ils se trouvent dans l’Ɠuvre intitulĂ©e 怩äčŠtianshu, Book From the Sky Livre du ciel, 1987-19917. L’Ɠuvre comporte trois Ă©lĂ©ments rouleaux, codex et panneaux muraux. Les trois Ă©lĂ©ments imitant respectivement le rouleau des Han, le codex des Tang et le rouleau suspendu de la calligraphie, sont soigneusement fabriquĂ©s de la main de l’artiste8. L’ensemble des livres a Ă©tĂ© imprimĂ© Ă  l’aide d’un rĂ©pertoire de 4000 caractĂšres, rĂ©alisĂ©s Ă©galement par l’artiste lui-mĂȘme Ă  l’aide de la technique des caractĂšres mobiles de l’imprimerie, faits de bois, cĂ©lĂšbre invention chinoise. Jusqu’ici, on peut constater un travail minutieux et laborieux qui prĂ©tend revisiter une culture millĂ©naire. Si l’on s’approche des textes pour les lire, on s’aperçoit que tous les caractĂšres ayant l’apparence de l’écriture chinoise sont illisibles, y compris pour les Chinois eux-mĂȘmes9. En effet, pour rĂ©ussir Ă  tromper le spectateur, l’artiste dĂ©compose les radicaux pianpangbushoućæ—éƒšéŠ– de sinogrammes existants afin de dĂ©manteler les deux systĂšmes fondamentaux de la composition du caractĂšre celui de la rĂ©union sĂ©mantique huiyi䌚意 et celui de l’association de la forme et du son xingshengćœąćŁ°. C’est ainsi que chaque caractĂšre inventĂ©, malgrĂ© ses traits Ă©lĂ©gants, malgrĂ© sa structure respectant strictement la rĂšgle de la composition graphique, est illisible en raison de l’incohĂ©rence de la combinaison des divers Ă©lĂ©ments. La stratĂ©gie de l’artiste est de faire basculer la culture savante dans l’absurditĂ©. Cette absurditĂ© se manifeste Ă  travers une installation, trĂšs probablement inspirĂ©e de celles de l’Occident. On peut trĂšs bien la considĂ©rer comme un environnement » puisque durant la visite, le corps du spectateur peut entrer dans l’espace de l’Ɠuvre et il est totalement entourĂ© par l’Ɠuvre. En ce sens le spectateur est entiĂšrement immergĂ© dans l’absurditĂ© lorsqu’il tente de dĂ©chiffrer le contenu des livres et sa participation devient aussi partie prenante de l’Ɠuvre. Celle-ci pourrait, en quelque sorte, refroidir l’enthousiasme de certains intellectuels qui, au sortir de la RĂ©volution culturelle, voulaient tout au contraire rĂ©habiliter la culture savante. Le message de l’artiste est clair, son but n’est pas de dĂ©membrer seulement l’écriture mais aussi la pensĂ©e millĂ©naire, reprĂ©sentĂ©e ici sous la forme de livres classiques rĂ©alisĂ©s par la technique de l’imprimerie dont le peuple chinois est si fier. Wang Nanming王捗æșŸ nĂ© en 1962, quant Ă  lui, dĂ©membre ses Ă©critures d’une maniĂšre totalement diffĂ©rente. Il calligraphie d’abord ses Ă©critures sur du papier de Xuan, ensuite il froisse chaque feuille en boule, puis il rassemble toutes les boules pour former tantĂŽt un cube, tantĂŽt un parallĂ©lĂ©pipĂšde rectangle, un ballon, un canapĂ©, une toile accrochĂ©e au mur avec une grande fantaisie. Enfin, l’artiste dispose toutes ces formes en papier dans une piĂšce vide pour que le visiteur puisse les contempler. L’Ɠuvre est intitulĂ©e Ziqiu xilieć­—çƒçł»ćˆ— La sĂ©rie des Ă©critures en boule, 1993. Les Ă©critures calligraphiques ne sont plus bidimensionnelles mais s’inscrivent dans un espace Ă  trois dimensions. On ne peut plus contempler les traits de chaque caractĂšre puisqu’ils sont corrompus par le froissement des boules. Les traits calligraphiques sont devenus une sorte de motif abstrait qui domine l’ensemble de l’installation. L’invention AprĂšs avoir dĂ©membrĂ© l’écriture commune, certains artistes inventent de nouvelles rĂšgles pour crĂ©er de nouvelles Ă©critures. La dĂ©marche de Xu Bing et celle de Gu Wenda en sont deux exemples. L’Ɠuvre Xin yingwen shufa新英文äčŠæł•, New English Calligraphy Nouvelle calligraphie anglaise, 1994-1998 de Xu Bing prĂ©sente un nouveau systĂšme d’écriture oĂč chaque lettre de l’alphabet anglais ou latin a sa contrepartie formelle d’esprit chinois ; les lettres anglaises sont arrangĂ©es dans une matrice carrĂ©e pour ressembler aux caractĂšres chinois, cependant elles restent lisibles en anglais. Par une schĂ©matisation des traits, Xu Bing transforme d’abord les traits de l’alphabet en reprenant les huit traits fondamentaux chinois trait horizontal ; trait vertical ; point ; crochet ; trait relevĂ© ; trait jetĂ© ; trait jetĂ© court et trait appuyĂ©. Par exemple la lettre I » se compose de deux traits horizontaux et un trait vertical, et Ă©quivaut au caractĂšre chinois ć·„ » ; O » est devenue une forme carrĂ©e 揣 » ; T » est devenue le caractĂšre chinois 䞁 ». Ici on peut parler de pictogrammes. Les lettres sont transformĂ©es en traits de caractĂšres chinois mais restent toujours des figurations de lettres. Ensuite, l’artiste construit chaque mot anglais en suivant les structures de combinaison dans une forme carrĂ©e afin de ressembler encore Ă  l’écriture chinoise. Par exemple, le mot ART est rangĂ© en shangxia jiegou䞊䞋结构 structure de haut en bas » et tracĂ© en suivant l’ordre des lettres et l’ordre des traits du caractĂšre chinois. Un autre exemple simple est celui du mot THE dont l’ordre des lettres donne d’abord T, ensuite H et E. Dans la nouvelle calligraphie de Xu Bing, il est Ă©crit HTE. Mais le T attire beaucoup plus notre regard que H et E. Et on commence notre saisie par le T du milieu qui sert de pivot sur lequel s’équilibrent le H Ă  gauche, puis le E Ă  droite – le mĂȘme ordre que celui de l’anglais, et on garde en mĂȘme temps une des rĂšgles de composition des traits du caractĂšre chinois xian zhongjian hou liangbianć…ˆäž­é—ŽćŽäž€èŸč d’abord le milieu, puis les deux cĂŽtĂ©s ». La New English Calligraphy est ainsi vĂ©ritablement enracinĂ©e dans la calligraphie chinoise. Xu Bing a prĂ©parĂ© une paire de livres. L’un est intitulĂ© Introduction to Square Word Calligraphy Introduction Ă  la calligraphie cadrĂ©e, l’autre est nommĂ© Square Word Calligraphy Red Line Tracing Book Le cahier de la calligraphie cadrĂ©e prĂ©-tracĂ©e de ligne rouge. Ces deux livres sont des manuels d’enseignement de la calligraphie anglaise mais Ă  la façon de la calligraphie chinoise. Dans le premier, les lettres anglaises sont arrangĂ©es dans une matrice carrĂ©e. Sa mise en forme des calligraphies blanches sur noir est inspirĂ©e de la reproduction de l’estampage prĂ©levĂ© d’aprĂšs des originaux du style rĂ©gulier10 des anciens grands maĂźtres de calligraphie11. Dans le mĂȘme manuel, l’artiste introduit Ă©galement les principes traditionnels pour l’apprentissage12 et l’étude des huit traits fondamentaux en prenant le mot anglais Lag au lieu du sinogramme æ°ž yong constant, dans lequel les jeunes Ă©lĂšves chinois rencontrent tous les traits fondamentaux Ă©xigĂ©s. Pour l’élĂšve, savoir exĂ©cuter les traits ne suffit pas, il faut aussi apprendre Ă  centrer le caractĂšre. C’est pour cette raison que l’artiste a prĂ©parĂ© ce deuxiĂšme manuel Square Word Calligraphy Red Line Tracing Book pour que les lecteurs puissent apprendre d’une maniĂšre orthodoxe ». Dans l’Ɠuvre participative intitulĂ©e Classroom Calligraphy Salle de classe de calligraphie, 1995, l’artiste transforme une salle d’exposition de l’Institut of Contemporary Art Ă  Londres en salle de classe des bureaux sont disposĂ©s dont chacun possĂšde les quatre trĂ©sors du lettrĂ© et les deux manuels mentionnĂ©s ci-dessus. Une vidĂ©o nommĂ©e Elementary Square Word Calligraphy Instruction Instruction de la calligraphie cadrĂ©e Ă©lĂ©mentaire est Ă©galement projetĂ©e pendant l’exposition. L’ensemble de l’installation invite les spectateurs Ă  apprendre ce nouveau systĂšme d’écriture anglaise. L’ambiance de cette exposition ressemble Ă  celle d’une classe d’école primaire chinoise qui propose aux Ă©lĂšves de reproduire des Ă©critures calligraphiques dans leur cahier en se servant des modĂšles d’un maĂźtre. Les spectateurs occidentaux peuvent ainsi faire connaissance avec la calligraphie chinoise restant cependant dans des mots anglais lisibles. Mais ils trouvent immanquablement que c’est un dĂ©fi quand ils essayent d’identifier chaque mot prĂ©sentĂ© dans le manuel de l’artiste. En effet, l’écriture anglaise comme systĂšme linĂ©aire est dĂ©jĂ  enracinĂ©e dans leur pensĂ©e et brusquement ils doivent apprendre un autre systĂšme, celui du sinogramme vu de face » pour dĂ©chiffrer les mots. La dĂ©marche de Gu Wenda intitulĂ©e Gushi jianci è°·æ°çź€èŻou Zhongguojianci äž­ć›œçź€èŻ, Gu’s Phrase Stone StĂšles Expressions simplifiĂ©es de Gu ou Expressions chinoises simplifiĂ©es, 2004 – traduction fidĂšle au chinois et diffĂ©rente, comme on le voit, de l’anglais consiste Ă©galement Ă  inventer un nouveau systĂšme d’écriture. L’artiste combine deux caractĂšres dans un seul ou simplifie les proverbes ayant quatre caractĂšres en deux. Le binĂŽme yin yang阎阳par exemple, ayant la mĂȘme clĂ©, l’ oreille gauche », est disposĂ© dans un seul caractĂšre dont la partie gauche garde l’ oreille gauche » et la partie droite est composĂ©e de la lune et du soleil. La mĂȘme mĂ©thode est aussi utilisĂ©e pour les binĂŽmes comme jianghu江æč– riviĂšres et lacs, chenfuæČ‰æ”źsombrant et flottant, etc. L’intention de l’artiste cette fois-ci n’est pas de dĂ©membrer l’écriture mais de crĂ©er un systĂšme d’écriture plus facile Ă  reconnaĂźtre, comprendre, mĂ©moriser et utiliser13. Les mots sont prĂ©sentĂ©s soit sous forme d’estampage rĂ©ellement prĂ©levĂ© sur pierre soit sous forme de papier de Xuan au lavis. Les deux artistes ont connu un grand succĂšs aux États-Unis, car selon les critiques et les historiens, leurs Ɠuvres sont comparables Ă  celles des artistes conceptuels, pour qui seul le texte peut nous faire rĂ©ellement prendre connaissance du contenu d’une Ɠuvre. L’art est ainsi une Ă©nonciation dont le prĂ©dicat ne dit rien de plus que le sujet et qui reste vrai en vertu de sa forme seule, quelle que soit la valeur de vĂ©ritĂ© des Ă©noncĂ©s qui la composent14 
 » En ce sens, le spectateur se trouve non seulement privĂ© de tout recours Ă  l’imagination, mais aussi de toute possibilitĂ© de se rĂ©fĂ©rer Ă  une approche esthĂ©tisante. Pourtant, Ă  la diffĂ©rence de cette lecture rĂ©ductrice lĂ©gitime inspirĂ©e par l’art conceptuel, les Ă©critures de Xu Bing et de Gu Wenda peuvent ĂȘtre vues comme transgressant la frontiĂšre entre lisible et illisible, perturbant notre logique habituelle et stimulant notre esprit. De plus, on peut apprĂ©cier la dĂ©licatesse de la reliure et l’élĂ©gance de la mise en page des livres anciens Book From the Sky, savourer le rythme de la calligraphie chinoise dĂ» Ă  la pression exercĂ©e sur le pinceau et Ă  la vitesse de rĂ©alisation du tracĂ© Ă©manant du souffle de l’auteur New English Calligraphy, Gu’s Phrase Stone StĂšles. La pratique traditionnelle du lettrĂ© est ainsi subtilement corrompue. Cependant, il ne faut pas oublier que le spectateur est obligĂ© d’entrer dans les systĂšmes dialoguants proposĂ©s par les artistes et cela demande beaucoup de concentration de sa part. En ce sens aussi, on peut dire que les Ɠuvres des deux artistes font seulement partiellement rĂ©fĂ©rence Ă  l’art conceptuel occidental. Parmi les nombreuses Ɠuvres de ces deux artistes prĂ©sentant l’écriture comme matĂ©riau, on peut aussi Ă©voquer une sĂ©rie des peintures intitulĂ©e Wenzi shanshuiæ–‡ć­—ć±±æ°ŽLandscript Écriture de montagne-eau, 2001 de Xu Bing. Pour cette Ɠuvre, l’artiste entreprend de xie fengjingć†™éŁŽæ™ŻĂ©crire d’aprĂšs nature en introduisant les sinogrammes草 cao herbe, 朚 mu bois, ć±± shan montagne, 石 shi pierre, 㜟tu terre, æ°Žshui eau, 龟 niao oiseau, etc. dans son Ɠuvre. Sur le papier, l’image de la montagne est ainsi saturĂ©e du caractĂšreć±± d’une maniĂšre rĂ©pĂ©titive, celle de l’arbre est remplacĂ©e par le caractĂšre朚, tandis que celle de l’oiseau est remplacĂ©e par le caractĂšre龟 envolé  De loin, la peinture reste plus au moins une peinture de paysage au sens traditionnel ; de prĂšs, elle apparaĂźt comme une transcription des sinogrammes. Cette dĂ©marche qui renvoie Ă  l’écriture pictographique xiangxingwenziè±Ąćœąæ–‡ć­— voudrait dĂ©manteler la notion de calligraphie shufa äčŠæł• qui se traduit littĂ©ralement par la rĂšgle d’écrire »15. Car le fait d’écrire rapidement les sinogrammes dans une volontĂ© de reprĂ©sentation d’aprĂšs nature permet Ă  l’artiste d’oublier toutes les rĂšgles faæł•fa Ă©tablies par les lettrĂ©s Ă  l’époque Tang16. Devant une telle Ɠuvre, le spectateur ne peut ni contempler la cohĂ©rence d’une peinture de montagne-eau ni scruter le souffle de l’écriture. La peinture et la calligraphie du lettrĂ© sont transgressĂ©es et deviennent des expressions reprenant un aspect de l’art conceptuel occidental, celui de la littĂ©ralitĂ© autorĂ©fĂ©rentielle. La dĂ©composition de la technique de la calligraphie Qiu Zhijieé‚±ćż—æ° nĂ© en 1969 dans son Ɠuvre intitulĂ©e Zuoye yihao chongfu shuxie lantingxu yiqianbian äœœäžšäž€ć· é‡ć€äčŠć†™ć…°äș­ćșâ€™â€™äž€ćƒé Devoir n° 1 copier 1000 fois la PrĂ©face du recueil du Pavillon des OrchidĂ©es17 non seulement dissout l’écriture mais dĂ©compose la technique de la calligraphie. Entre 1990 et 1995, tous les jours, l’artiste copie le texte classique du fameux calligraphe Wang Xizhi王çŸČäč‹ env. 303-361 sur le mĂȘme papier de Xuan. À la fin de la rĂ©alisation, on ne distingue plus l’écriture car le papier est saturĂ© d’une masse textuelle Ă©crite Ă  l’encre de Chine de forme rectangulaire. Le geste quotidien inlassable de l’artiste, reprenant celui de l’élĂšve copiant son maĂźtre, rend hommage au texte du maĂźtre. Mais le fait d’écrire sans relĂąche sur un seul papier dissout la pensĂ©e orthodoxe selon laquelle il faut d’abord s’ĂȘtre rempli la vue des chefs-d’Ɠuvre anciens avant de prendre soi-mĂȘme le pinceau » mubao qiandai qiji fangke xiabiç›źé„±ć‰ä»Łć„‡èżčæ–č揯例笔 18. L’artiste conserve l’ensemble de la connaissance traditionnelle de la calligraphie dans le processus de sa rĂ©alisation, mais le rĂ©sultat ultime de l’Ɠuvre efface cette connaissance. Car on ne peut ni apprĂ©cier les traits Ă©manant du souffle de l’artiste, ni contempler le rapport du vide/plein nĂ© de l’union de l’encre et du papier du Xuan immaculĂ©, ni apprĂ©cier la technique du maniement du pinceau yongbi 甹笔 de l’artiste. L’astuce de l’artiste consiste Ă  utiliser cette connaissance et Ă  la faire se dissoudre elle-mĂȘme. Ainsi, toutes les techniques ont disparu dans une masse noire Ă  l’encre de Chine. Une fois ce but atteint, il naĂźt ainsi une nouvelle forme d’art susceptible de dĂ©passer l’hĂ©ritage traditionnel. DĂšs lors, on n’est plus orientĂ© vers le jugement lettrĂ© traditionnel, mais conduit vers un nouvel Ă©pisode dans lequel l’artiste dialogue volontiers avec l’histoire de l’art occidental moderne et contemporain. L’aspect de l’Ɠuvre nous ferait sans doute penser Ă  celle de Malevitch intitulĂ©e CarrĂ© noir sur fond blanc. La technique du maniement du pinceau se dilue dans l’Ɠuvre de Qiu Zhijie, tandis que chez Li HuashengæŽćŽç”Ÿ nĂ© en 1944, elle se dĂ©compose. Dans les annĂ©es 1980, Li Huasheng Ă©tait reconnu dans le milieu artistique grĂące Ă  ses peintures Ă  l’encre de Chine. Ensuite il part aux États-Unis et Ă©prouve un grand choc face Ă  l’art occidental. Pendant dix ans, il s’isole et rĂ©flĂ©chit sur sa propre dĂ©marche. Il pense que la peinture traditionnelle chinoise a atteint son sommet aux Ă©poques Tang 618-907 et Song 960-1279 et a poursuivi ensuite son chemin jusqu’à l’époque de Huang Binhong é»„ćźŸè™č 1865-1955 Ă  partir de qui elle ne pouvait plus Ă©voluer. En tant qu’artiste, devant cette impasse, il ne peut rien proposer d’autre que de commencer Ă  Ă©liminer les sujets principaux de la peinture traditionnelle chinoise19. L’Ɠuvre intitulĂ©e – est le rĂ©sultat de cette dĂ©marche ultime. Le papier de Xuan est entiĂšrement couvert par une sorte de grille trĂšs fine. En regardant de prĂšs, on constate que l’artiste a dĂ» tracer et retracer plusieurs fois le dessin des veines particuliĂšres au papier de Xuan qui absorbe dĂ©licatement et graduellement l’encre. Ici l’artiste emploie la technique nommĂ©e wulouhenć±‹æŒç—• ce qui signifie comme de l’eau qui coule sur un mur » pour que chaque ligne s’élançant du dĂ©but Ă  la fin soit d’une seule venue sans reprise, sans souffle interrompu. Li Huasheng est dĂ©sormais classĂ© dans le courant du Maximalisme jiduozhuyiæžć€šäž»äč‰20, concept proposĂ© en 2001 par le critique d’art Gao Minglué«˜ćæœž nĂ© en 1949. Le terme Maximalisme » fait implicitement rĂ©fĂ©rence, par antiphrase, au Minimalisme occidental et souligne ainsi une diffĂ©rence malgrĂ©, parfois, une affinitĂ© visuelle avec le Minimalisme. Selon Gao Minglu, la dĂ©marche de Li Huasheng, Qiu Zhijie ainsi que Xu Bing rejoignent l’école bouddhiste du Nord dite du gradualisme jianwu析悟 dont le fondateur fut Shenxiu焞秀 606-70621. Au contraire de Huineng 慧胜 638-713, maĂźtre du subitisme dunwu éĄżæ‚Ÿ, Shenxiu propose une ascĂšse rĂ©pĂ©titive et mĂ©ditative et nous invite Ă  essuyer sans cesse le miroir de notre esprit pour qu’il soit sans poussiĂšre et pour que nous puissions atteindre le vide spirituel. Aux yeux de Gao Minglu, ces trois artistes peuvent justement trouver cette dimension du vide bouddhique par leurs gestes rĂ©pĂ©titifs et inlassables22. En suivant cette logique, on constate que montrer la trace du pinceau pour elle-mĂȘme ou montrer l’usage du support dans ses possibilitĂ©s ne sont pas les premiĂšres prĂ©occupations des artistes, comme cela fut le cas pour ceux de l’Occident. Autrement dit, le but recherchĂ© des artistes chinois n’est pas celui d’une analyse critique des conditions de l’art, mais un pur hommage Ă  la forme dans un travail effectif qui porte lui-mĂȘme une signification d’ascĂšse et de mĂ©ditation. En effet, le processus mĂ©ditatif rĂ©pĂ©tĂ© qui peut aller jusqu’à l’infini s’oppose aux dĂ©chaĂźnements des forces de production nouvelles dĂšs la fin des annĂ©es 1980 en Chine. Le geste rĂ©pĂ©titif qui pourrait atteindre le vide bouddhique suscite finalement un regard critique sur l’exigence de productivitĂ© imposĂ©e Ă  la sociĂ©tĂ© chinoise. La dissociation des matĂ©riaux des quatre trĂ©sors Auparavant, les quatre trĂ©sors Ă©taient indispensables Ă  la pratique lettrĂ©e. Avec l’introduction de l’art contemporain occidental, les artistes ne se contentent plus d’exploiter encre, pinceau, papier, pierre Ă  encre, ces quatre trĂ©sors de toujours. Ils s’approprient en particulier la performance, l’installation, la calligraphie comme des modes d’expressions majeurs, oĂč ils trouvent une autre libertĂ©. L’artiste Song Dong 漋憬 nĂ© en 1966, Ă  partir de 1995, commence Ă  Ă©crire son journal Ă  l’aide d’un pinceau sur une pierre qu’il a trouvĂ©e dans la nature. Au lieu d’utiliser l’encre et le papier de Xuan, il Ă©crit avec de l’eau sur la pierre. La trace du pinceau ne reste visible que quelques minutes, les Ă©critures s’évaporent dans l’air. Seule la pierre connaĂźt l’intimitĂ© de l’auteur. L’artiste Ă©crit son journal de cette maniĂšre pendant trois ans et il l’a nommĂ© Shuixie rijiæ°Žć†™æ—„èź° Journal Ă©crit avec de l’eau, 1995-98. Journal Ă©phĂ©mĂšre, geste hic et nunc. Le processus de la rĂ©alisation et le moment d’inscription sont devenus le cƓur de cette Ɠuvre qui est enregistrĂ©e sous forme de photographie. La dissociation des quatre trĂ©sors du lettrĂ© donne ainsi Ă  voir la possibilitĂ© de rĂ©aliser une Ɠuvre qui s’inscrit dans l’écoulement du temps. C’est grĂące Ă  la photographie et ses usages multiples dans le champ artistique occidental depuis les annĂ©es 1960, qu’il est dĂ©sormais possible d’enregistrer une performance d’ici et maintenant ou une Ɠuvre Ă©phĂ©mĂšre du Land Art. Je pense que Song Dong a trĂšs bien saisi cette maniĂšre d’apprĂ©hender son Ɠuvre. Le fait de ne pas laisser la trace de l’encre est dĂ©sormais possible grĂące Ă  l’enregistrement instantanĂ© photographique. Le Jiapućź¶è°±, Family Tree Arbre gĂ©nĂ©alogique, 2000 de Zhang HuanćŒ æŽč nĂ© en 1965 est Ă©galement une Ɠuvre qui se prĂ©sente sous forme de photographie d’une performance. Elle offre une sĂ©rie de neuf photos-autoportraits dans lesquelles le visage de l’artiste se couvre progressivement de caractĂšres de calligraphie, jusqu’à ce qu’à la fin le visage devienne entiĂšrement noir. Il s’agit ici d’une performance dans laquelle l’artiste a invitĂ© trois calligraphes Ă  Ă©crire des textes sur son visage depuis le matin trĂšs tĂŽt jusqu’à la nuit. L’artiste voudra Ă©voquer une histoire de famille. Au milieu du front sont inscrits les quatre mots Yugong yi shanæ„šć…Źç§»ć±± Le vieux sot Yu dĂ©plaça la montagne » qui expriment l’esprit de la persĂ©vĂ©rance et de la conviction ferme qui pourraient vaincre les difficultĂ©s au cours de notre existence. D’autres mots, au contraire, expriment la prĂ©destination bonne ou mauvaise fortune ; haute position et riche Ă©molument ; prĂ©sager plus de mal que de bien ; etc., choisis par l’artiste dans des livres de divination. Ici, l’artiste abandonne l’usage du papier de Xuan et exploite pleinement le visage en tant que matĂ©riau et support. Le fait d’écrire sur le visage renforce le message de prĂ©destination car selon la divination chinoise les yeux, le nez, la bouche, les oreilles, les pommettes, les grains de beautĂ© indiquent notre avenir, notre santĂ©, notre bonheur et notre malheur. Lorsque la nuit tombe, les Ă©critures juxtaposĂ©es couvrent massivement le visage de l’artiste. Le visage devenu noir se fond dans l’obscuritĂ© ; impossible de le voir. La vie d’un ĂȘtre, l’histoire d’une famille ne sont-elles pas des illusions malgrĂ© l’effort de vivre et la soumission volontaire au destin ? Cette lamentation commune, qui se trouvait auparavant dans une peinture lettrĂ©e, un poĂšme ou bien encore un roman, est maintenant manifestĂ©e Ă  mĂȘme la peau du visage dans sa propre temporalitĂ© charnelle et son espace vĂ©cu. Le fait que cette Ɠuvre ait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e aux États-Unis lui donne une signification supplĂ©mentaire. L’artiste se confronte sans cesse Ă  une autre culture et Ă  une autre sociĂ©tĂ© dĂšs son arrivĂ©e dans ce pays en 1998 et la discrimination raciale devient l’une de ses prĂ©occupations23. Le geste de cacher la couleur de sa peau et de la faire se confondre fondre avec la nuit des États-Unis tend Ă  effacer son identitĂ© et son faciĂšs chinois. Les quatre trĂ©sors du lettrĂ© trouvent sans doute leur limite dans ce genre de confrontation culturelle mais le fait d’employer la peau du visage comme matĂ©riau paraĂźt ĂȘtre d’une Ă©vidente efficacitĂ©. La dissociation de l’ensemble formĂ© par les quatre trĂ©sors peut aussi conduire Ă  l’utilisation d’un seul d’entre eux. L’Ɠuvre Quanæł‰Source, 2013 de l’artiste fĂ©ministe Li XinmoæŽćżƒæČ« nĂ©e en 1976 en est un bon exemple en privilĂ©giant l’usage de l’encre au dĂ©triment des autres. L’Ɠuvre a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e lors de la manifestation Corps hĂ©tĂ©rogĂšne 2013. Le titre Source fait rĂ©fĂ©rence Ă  celui de l’Ɠuvre d’Ingres dans laquelle une jeune fille verse une eau limpide Ă  cĂŽtĂ© de son corps. À la diffĂ©rence de l’eau claire d’Ingres, la source » de Li Xinmo est un mĂ©lange d’eau et d’encre de Chine. Assise devant un service Ă  thĂ©, l’artiste boit d’abord la source » dans les tasses. Par la suite, elle prend un seau rempli du liquide et Ă  l’aide d’une bosse, elle nettoie son vĂȘtement blanc. À la fin, l’artiste verse la source » noire sur son corps entier. Le corps de l’artiste est ainsi inondĂ© par l’eau mĂ©langĂ©e Ă  l’encre de Chine. Ici, l’encre reprĂ©sente non seulement la culture du lettrĂ©, mais aussi une culture patriarcale l’Ɠuvre est censĂ©e critiquer cette culture dominante qui opprime les femmes depuis plus de deux mille ans24. Cai Guo-Qiangè”Ąć›œćŒș nĂ© en 1957, quand il rĂ©alise en 2014 son Ɠuvre Jingmo静汹, Silent Ink L’encre silencieuse, emploie aussi l’encre comme matĂ©riau principal. L’artiste creuse une immense fosse dans la Power Station of Art de Shanghai et y verse 30 tonnes d’encre de Chine. Au-dessus de la fosse est installĂ©e une cascade faite Ă©galement d’encre. Le spectateur circulant entre la fosse, la cascade et des dĂ©chets industriels trouvĂ©s sous le sol du musĂ©e respire l’odeur forte de l’encre de Chine. L’artiste crĂ©e ainsi une image du paysage urbain contemporain qui Ă©voquerait une destruction aveuglante Cela ressemble beaucoup au processus de la modernitĂ© chinoise, explique l’artiste, on creuse d’abord une grande fosse, puis on rĂ©flĂ©chit Ă  ce qu’on va y faire25 » L’emploie de l’encre de Chine nous offre un nouveau regard sur l’image du shanshuić±±æ°Ž paysage/montage-eau contemporaine. Du dĂ©membrement » Ă  l’ invention » scripturale, les dĂ©marches de Gu Wenda, Wu Shanzhuan et Xu Bing nous font penser aux transformations de l’écriture chinoise dans sa longue histoire et plus prĂšs de nous, Ă  la rĂ©forme des caractĂšres complexes fantizi çčäœ“ć­— en caractĂšres simplifiĂ©s jiantiziçź€äœ“ć­— et Ă  l’utilisation abusive des caractĂšres fautifs pendant la RĂ©volution culturelle. Les trois artistes altĂšrent l’écriture pour manifester la fragilitĂ© de ses formes dans le courant de l’histoire. Du fait de cette fragilitĂ©, la technique calligraphique, auparavant indispensable, peut ĂȘtre Ă©galement dĂ©composĂ©e pour que chacune des techniques se libĂšre du contexte lettrĂ© et puisse dĂ©sormais exister pour elle-mĂȘme. Dans cette logique, la dissociation de l’ensemble des quatre trĂ©sors du lettrĂ© se produit Ă©galement. Ces pratiques consistant Ă  dĂ©membrer », dĂ©composer », dissocier » s’accompagnent d’emprunts aux expressions occidentales comme l’installation, l’environnement, la performance, la photographie, etc. Ces derniĂšres apparaissant comme des catalyseurs que les artistes chinois auraient utilisĂ©s comme des moyens de transformer hua挖 les expressions traditionnelles, que ce soit la peinture ou la calligraphie, ou encore la sculpture au sens classique. J’utilise le mot catalyseur » pour suggĂ©rer que, pour une grande part, en employant ces formes d’expressions, les artistes ne reprennent pas avec elles le fil d’une histoire de l’art et de la pensĂ©e qui en Occident leur donne leur pertinence et leur signification. Entre leurs crĂ©ations-transformations contemporaines et les hĂ©ritages lettrĂ©s, les formes d’expressions occidentales apparaissent comme un mĂ©tal favorisant une rĂ©action chimique sans en ĂȘtre altĂ©rĂ©. Cette mĂ©taphore est certes approximative. Elle me paraĂźt cependant plus pertinente ici que celles de mĂ©tissage ou d’hybridation tant de fois reprises. Il serait temps de travailler Ă  se donner les moyens de dĂ©signer la complexitĂ© des Ă©changes entre les cultures Ă  l’aide d’un vocabulaire propre et de concepts neufs Ă©chappant aux connotations gĂȘnantes qui s’attachent Ă  des mots repris d’une biologie marquĂ©e par les idĂ©es de race et de fusion organique. Li Shiyan Fig. 1 Xu Bing, Book from the Sky, 1987–91Installation of hand-printed books and ceiling and wall scrolls printed from wood letterpress type, ink on paper, each book, 18 1/8 × 20 in., three ceiling scrolls, each 38 in. × 114 ft. 9 7/8 in., each wall scroll 9 ft. 2 1/4 in. × 39 3/8 in. Courtesy of Xu Bing Studio. Fig. 2 Xu Bing, Square Word Calligraphy Classroom, 1994-6classroom installation with instructional video, model books Introduction to Square Word Calligraphy,copybooks, ink, brushes, brush stands, blackboard, framed student work, Courtesy of Xu Bing Studio. Fig . 3 Xu Bing, Text pages from An Introduction to Square Word Calligraphy, 1994-6woodblock hand printed book and ink rubbing with wood cover, Courtesy of Xu Bing Studio. Fig. 4 Xu Bing, New English Calligraphy – Art for the PeopleMedium ink on paper, Size161 x cm. x in.Courtesy of Xu Bing Studio Fig. 5 Xu Bing, Square Word Calligraphy Classroom, 1994-6Ink on paper, Courtesy of Xu Bing Studio. Fig. 6 Zhang Huan, Family Tree, 2000, New York, USACourtesy Zhang Huan Studio. Bibliographie Cheng, Anne, Histoire de la pensĂ©e chinoise, Paris, Seuil, 1997. Erickson, Britta, Words without Meaning, Meaning without Words, The Art of Xu Bing, Seattle et Londres, Arthur M. 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Ce courant est trĂšs peu Ă©voquĂ© dans l’histoire de l’art contemporain chinoise. LancĂ© par l’artiste Luo Qi 掛霐 en 1992, le courant du Calligraphisme a durĂ© Ă  peu prĂšs neuf ans. Pendant ces annĂ©es, cinq manifestations ont Ă©tĂ© organisĂ©es, dont trois en Chine et deux en Italie. Ces deux derniĂšres rĂ©unissaient des artistes chinois, japonais, corĂ©ens et moyen-orientaux. Luo Qi aurait voulu que ce courant s’inscrivĂźt dans un contexte Ă  la fois postmoderniste et mondial. Mais les artistes adhĂ©rant Ă  ce courant n’ont pas eu un impact aussi fort que Gu Wenda, Wu Shanzhuan et Xu Bing. Il serait intĂ©ressant de faire une Ă©tude comparatiste pour voir pourquoi ce courant n’a pas Ă©tĂ© reconnu nationalement et mondialement. À propos de ce courant, voir Zhang YućŒ æž et Shen MinæČˆç‰, ShufazhuyiäčŠæł•äž»äč‰ Le Calligraphisme, Changsha, Hunan meishu chubanshe, 2003. [↩]L’inspiration de cette Ɠuvre provient aussi de ses sceaux intitulĂ©s Weihanzi tuzhangäŒȘæ±‰ć­—ć›Ÿç« Fake Characters Seal Sceaux Ă  caractĂšres erronĂ©s, 1983 sur lesquels l’artiste a gravĂ© des Ă©critures erronĂ©es de style sigillaire pour interroger la lisibilitĂ© et l’illisibilitĂ© des Ă©critures anciennes. [↩]Le caractĂšre fautif cuobiezié”™ćˆ«ć­—est altĂ©rĂ© de sorte que l’on puisse encore le prononcer et connaĂźtre son origine, tandis que le caractĂšre erronĂ©, malgrĂ© sa structure graphique, est entiĂšrement illisible et imprononçable. On peut dire que les Ă©critures de style rĂ©gulier kaishu æ„·äčŠ de Gu Wenda sont des Ă©critures fautives et le caractĂšre erronĂ© peut dĂ©signer ses Ă©critures de style sigillaire zhuanshu 篆äčŠ, trĂšs peu utilisĂ© dans la vie quotidienne. [↩]À propos des termes comme shuimo chouxiang ou bien shiyan shuimo yishu 漞éȘŒæ°Žćąšè‰șæœŻ art au lavis expĂ©rimental, voir Wu Hung, Transcending The East/West Dichotomy A Short History of Contemporaray Chinese Ink Painting », catalogue d’exposition Ink Art Past as Present in Contemporary China, 11 dĂ©c. 2013 – 6 avril, 2014, The Metropolitan Museum of Art New York – United States, 2013. [↩]é«˜ćæœžGao Minglu, Qiang, zhongguo dangdaiyishu de lishi yu bianjiećą™ïŒŒäž­ć›œćœ“ä»Łè‰șæœŻçš„ćŽ†ćČ侎èŸč界 Le mur, l’histoire et la frontiĂšre de l’art contemporain chinois, Beijing, Zhongguo renmin daxue chubanshe, 2005, p. 133. Sa version en anglais est intitulĂ©e The Wall Reshaping Contemporary Chinese Art 2005, Beijing, Millennium Art Museum/Buffalo, University at Buffalo, 2005. [↩]L’expression art abstrait » s’applique en Occident Ă  des Ɠuvres trĂšs diverses inspirĂ©es de philosophies radicalement diffĂ©rentes. Voir Roque Georges, Qu’est-ce que l’art abstrait ?, Paris, Gallimard, 2003. Lorsque l’expression art abstrait » occidentale est introduite en Chine en 1910, on emploie les deux binĂŽmes chouxiangæŠœè±Ąabstrait et yishu è‰șæœŻ art pour dĂ©signer l’ art abstrait ». On peut littĂ©ralement traduire chouxiang par abstraire Ă  partir du phĂ©nomĂšne/image ». Une expression qui semble malheureusement incomplĂšte et ne pas rĂ©pondre tout Ă  fait aux sens multiples de la notion d’abstraction de l’Occident. En outre, elle ne saurait concerner l’image de la tradition picturale extrĂȘme-orientale, en particulier, en raison du fait que l’on n’a pas la mĂȘme notion de l’image xiangè±Ą en Occident et en Chine. Le nĂ©ologisme chouxiang reste ainsi problĂ©matique pour certains critiques d’art, comme Gao Minglu par exemple. Voir Gao Minglu, Yipailun, yige dianfu zaixian de lilun 䞀掟èźș䞀äžȘéą èŠ†çŽ°ä»Łçš„ç†èźș ThĂ©orie du courant du yi, une thĂ©orie qui subvertit la reprĂ©sentation Guilin, Guangxi shifan daxue chubanshe, 2009. [↩]Le titre original de cette Ɠuvre est 析䞖鑒 äž–çŽ€æœ«ć·Xishijian – shijimojuan Analyse d’une rĂ©flexion sur le monde – le dernier volume du siĂšcle. Sa traduction en anglais en est An Analyzed Reflection of the World – The Final Volume of the Century. Une partie de cette Ɠuvre fut exposĂ©e pour la premiĂšre fois Ă  la galerie China Art Ă  PĂ©kin en 1988, puis pour la deuxiĂšme fois au China National Museum of Fine Arts Ă©galement Ă  PĂ©kin en 1989. Cette exposition s’intitulait 89现代è‰șæœŻć€§ć±•Bajiu xiandai yishu dazhan Exposition d’art moderne chinois 89. En France elle fut reprise sous le nom de Chine Avant-Garde, 1989. Par la suite Xu Bing poursuivit ce travail jusqu’en 1991. L’Ɠuvre complĂšte fut exposĂ©e pour la premiĂšre fois Ă  Tokyo. [↩]L’artiste emprunte le style scriptural des premiers livres en papier apparus Ă  l’époque Han IIe siĂšcle av. IIIe siĂšcle aprĂšs C. pour rĂ©aliser ses rouleaux gĂ©ants, suspendus librement au plafond pendant l’exposition. Les livres sous forme de codex sont alignĂ©s dĂ©licatement sur un tapis, par terre. Pour faire ces codex, l’artiste s’inspire d’une forme de livre constituĂ© de feuilles pliĂ©es en deux et reliĂ©es Ă  la main avec du fil. Cette technique remonte Ă  l’époque Tang VIIe – Xe siĂšcles. Pour la mise en page des codex, Xu Bing se sert d’un modĂšle de l’époque Qing, de la pĂ©riode Kangxi XVIIe siĂšcle. Ce modĂšle offre un exemple Ă©tablissant une distinction raffinĂ©e entre le texte et son commentaire. [↩]Les caractĂšres inventĂ©s par l’artiste ressemblent beaucoup aux vrais sinogrammes et certains spectateurs passent des jours Ă  essayer de dĂ©couvrir au moins un caractĂšre lisible. D’autres expriment une rĂ©action confuse mĂȘlant des sentiments de tristesse, d’oppression, et de doute. Voir Erickson Britta, Words without Meaning, Meaning without Words, The Art of Xu Bing, Seattle et Londres, Arthur M. Sackler Gallery, Smithsonian Institution, University of Washington Press, 2001, p. 38. [↩]On commence toujours l’apprentissage de l’écriture chinoise par ce style, oĂč apparaĂźt de façon absolument claire, sans aucune ambiguĂŻtĂ©, la structure des caractĂšres. [↩]Comme ceux de Ou YangxunæŹ§é˜łäżź557-641, de Yan Zhenqing鱜真捿 709-785, de Liu GongquanæŸłć…Źæƒ 778-865, etc. La calligraphie de ces grands maĂźtres des Ă©poques anciennes n’est souvent connue que par des estampages prĂ©levĂ©s sur des pierres sur lesquelles ont Ă©tĂ© gravĂ©s les caractĂšres originaux. [↩]Comment maintenir la posture du corps, comment tenir le pinceau et le maĂźtriser, comment prĂ©parer l’encre chinoise, etc. [↩]Gu Wenda, Youguan wode shiyan shuimo de yixie chanshuæœ‰ć…łæˆ‘çš„ćźžéȘŒæ°Žćąšè‰șæœŻçš„äž€äș›é˜èż° Quelques explications Ă  propos de mon art du lavis expĂ©rimental », consultĂ© le 9 dĂ©c. 2015. [↩]Mollet-Vieville Ghislain, Art minimal & conceptuel, GenĂšve, Skira, 1996, p. 70. [↩]La calligraphie chinoise n’a pas grand-chose Ă  voir avec ce que l’on appelle calligraphie » en Europe. Car la calligraphie chinoise n’est pas une Ă©criture rĂ©pondant Ă  la notion du beau » au sens occidental. [↩]On dit晋äșș㰚韔jinren shangyun les gens de l’époque Jin 265-420 vĂ©nĂšrent le souffle-rĂ©sonance, 攐äșșć°šæł•tangren shangfu les gens de l’époque Tang vĂ©nĂšrent la rĂšgle ou la loi. [↩]Étant le plus cĂ©lĂšbre chef-d’Ɠuvre de Wang Xizhi, elle est le modĂšle incontournable et le plus souvent copiĂ©e dans le domaine de la calligraphie de l’époque ancienne Ă  nos jours. MalgrĂ© la mystĂ©rieuse disparition de l’Ɠuvre originale, il existe cependant, Ă  partir de l’époque Tang, plusieurs versions imitĂ©es avec des techniques diffĂ©rentes dites mobenæ‘čæœŹ fac-similĂ©s et keben ćˆ»æœŹversion xylographique. Le moben æ‘čæœŹ est divisĂ© en deux sortes dont le linben äžŽæœŹ copie et le shuanggou motuobenćŒé’©æ‘čæ‹“æœŹ version des doubles contours, tandis que le ćˆ»æœŹ est Ă©galement divisĂ© de son cĂŽtĂ© en deux sortes dont le jizi 集歗 modĂšle d’estampes d’inscription des caractĂšres collectĂ©s et le ćˆ»ćž– ketie modĂšle de la gravure sur bois. Autrement dit, il est impossible que Qiu Zhijie linmo 䞎æ‘čimite directement la reproduction de l’Ɠuvre de Wang Xizhi. Il imite en effet la reproduction du moben æ‘čæœŹ ou du keben ćˆ»æœŹ. TrĂšs probablement, Qiu Zhijie est conscient du fait de recopier la reproduction de la copie du zhenji 真èżč Ă©criture authentique de Wang Xizhi. Le geste de Qiu Zhijie semble rendre non seulement hommage Ă  Wang Xizhi mais aussi aux autres grands calligraphes qui, jadis, imitĂšrent l’Ɠuvre de Wang Xizhi. Dans l’histoire de la calligraphie, il y a deux grands mystĂšres autour de la PrĂ©face au recueil du Pavillon des OrchidĂ©es. Le premier consiste Ă  savoir oĂč l’Ɠuvre authentique est encore cachĂ©e, le deuxiĂšme tient Ă  l’attribution de l’Ɠuvre Ă  Wang Xizhi. Cette derniĂšre problĂ©matique a Ă©tĂ© soulevĂ©e en 1965 par Guo Moruo郭æČ«è‹„ 1892-1978 qui a Ă©mis l’hypothĂšse de l’impossibilitĂ© de l’existence du xingshu èĄŒäčŠ style courant au IXe siĂšcle. Cette hypothĂšse a suscitĂ© ensuite un grand dĂ©bat connu sous le nom du Lanting lunbian慰äș­èźș蟩 DĂ©bat du Lanting. Actuellement, on considĂšre que la PrĂ©face a Ă©tĂ© rĂ©ellement rĂ©alisĂ©e par Wang Xizhi grĂące aux nombreuses dĂ©couvertes archĂ©ologiques dans les annĂ©es 1990 et 2000 qui tĂ©moigneraient de l’existence du xingshuèĄŒäčŠau IXe siĂšcle. L’Ɠuvre de Qiu Zhijie semble se moquer de ce dĂ©bat Ă©rudit et sans fin. [↩]Propos de Zhao Xigu è””ćžŒéč„ actif vers 1190-1230 recueillis par Pierre Ryckmans dans sa traduction de l’ouvrage de Shitao çŸłæ¶›16421708, Kugua heshang huayulĂŒ è‹Šç“œć’Œć°šèŻèŻ­ćœ•Les propos sur la peinture du moine Citrouille-amĂšre, Paris, Hermann, 1984, p. 37. [↩]Montagne et eau shanshuić±±æ°Ž, fleurs et oiseaux huaniao花鞟, personnages renwuäșș物 et animaux dongwu 抚物. [↩]Voir Gao Minglu, Zhongguo jiduozhuyiäž­ć›œæžć€šäž»äč‰Chinese Maximalism, catalogue d’exposition, du 14 au 30 mars 2003, au Millennium Art Museum Ă  PĂ©kin, et ensuite aux États-Unis du 5 dĂ©cembre 2003 au 1 fĂ©vrier 2004 dans le cadre des University Buffalo Art Galleries and Museum Studies, State University of New York at Buffalo, USA, Chongqing, Chongqing chubanshe, 2003. Voir aussi Li Xianting, Nianzhu yu bichućż”ç äžŽçŹ”è§Š, Prayer beads and Brush Strokes, catalogue d’exposition, du 26 juillet au 10 octobre 2003, au Beijing Tokyo Art Projects [Projets artistiques PĂ©kin-Tokyo], et une autre partie se dĂ©roula du 26 juillet au 15 aoĂ»t 2003 au Dashanzi Art West District [Dashanzi Art, zone ouest], Beijing, Sanlian, 2003. [↩]Gao Minglu, Ibid., Selon Shen Xiu, Le corps est l’arbre de l’éveil, l’esprit est comme un miroir clair. Appliquez-vous sans cesse Ă  l’essuyer, Ă  le frotter afin qu’il soit sans poussiĂšre. » – Propos citĂ©s et traduit par Anne Cheng, Histoire de la pensĂ©e chinoise, Paris, Seuil, 1997, p. 407. Selon Li Xianting, la dĂ©marche du minimal au maximal » peut se comprendre dans la pratique quotidienne de la mĂ©ditation bouddhique fondĂ©e sur la rĂ©pĂ©tition. Les disciples bouddhistes rĂ©pĂštent maintes fois les mots an ma ne ba mi mouć””ć˜›ć‘ąć­ć’Șćœde l’incantation au Bouddha AmitĂąbha en Ă©grenant leurs chapelets Li Xianting, Ibid., p. 5. [↩]Gao Minglu, Ibid. [↩]Propos recueillis par Hans-GĂŒnter Golinski, The Body as Intercultural Medium of Communication On the Spiritual Background to the Art of Zhang Huang, Dziewior Yilmaz dir., Zhang Huan, Hambourg, Hatje Cantz, 2003, p. 40-47, cit. p. 46. [↩]Pendant le dĂ©roulement de cette performance, le geste de l’artiste a suscitĂ© le mĂ©contentement d’un homme dans le public. Ce dernier est intervenu sans y avoir Ă©tĂ© invitĂ© par l’artiste. Il a voulu boire avec elle en lui reprochant de ne pas avoir fini de boire le thĂ© » de sa tasse. L’artiste fut obligĂ©e de renverser le service Ă  thĂ© pour manifester sa colĂšre enfin de continuer sa performance. [↩]Propos recueillis par王毅Wang Yin, Tanbaicongkuan, haohaohuibaoćŠç™œä»ŽćźœïŒŒć„œć„œæ±‡æŠ„ ClĂ©mence pour qui avoue, bien faire un compte rendu, Nanfang zhoumo捗æ–čć‘šæœ« Southern Weekend, le 22 aoĂ»t 2014. [↩] Navigation des articles

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Supp/ Bsuwptiec, 0abe> inctii uecort dowy,esr/4Is Beingtnews cover g EF="/s/ipf/ anspr/ 2EUR = 1.99 USD: Year: 2012: Subject: 10 Years of Euro Cash: Period: European Union (Euro) (2002 - 2022) Coin type: Commemorative coins: Series: 10 Years of Euro Cash: Composition: Bi-Metallic: Nickel-Brass plated Nickel center, Copper-Nickel ring: Edge type: Reeded with lettering: Edge description '2 EURO ★★★ 2 EURO ★★★ 2 EURO
ï»żSecuPressVous n’ĂȘtes pas autorisĂ© Ă  accĂ©der Ă  lĂ  page enregistrĂ©s Votre IP 28 August 2022 1402Raison Mauvaise GĂ©olocalisationSupport ID
2euros 10 Ans Euro 2012 35. 30 Ans Drapeau UE 2015 39 La conception de cette piĂšce de 2 euros 2015 rendant hommage au 30Ăšme anniversaire du drapeau de l'UE a Ă©tĂ© Ă©lue Ă  l'issue d'un concours organisĂ© en ligne par la Commission EuropĂ©enne et remportĂ© par George Stamatopoulos, graveur Ă  la Banque nationale de GrĂšce. - Ces monnaies de 2 euros Produit ajoutĂ© au panier avec succĂšs Il y a 0 produits dans votre panier. Il y a 1 produit dans votre panier. Total produits TTC Frais de port HT Livraison gratuite ! Total TTC CatĂ©gories Monnaie de Paris / Or et ArgentMonnaie de ParisMonnaies en OrMonnaies en ArgentLingotsSĂ©ries dorĂ©es et argentĂ©es2€ commĂ©morativesLes 2 euro commĂ©moratives2€ commĂ©moratives collections complĂštesLes euros dorĂ©s en or 24 carats et argentĂ©s 900/10002€ commĂ©morative + Carte commĂ©morativeCartes commĂ©moratives collections complĂštesLes EurosLes euros en couleurLes coffrets Brillant UniverselLes sĂ©ries millĂ©simĂ©esLes euros commĂ©moratifs insolitesLes piĂšces aux dĂ©tails par millĂ©simesLes starter kitsLes euros pays RaresVaticanSaint MarinAndorreMonacoTous les euros courantsles Coincards - piĂšces inclusesLes euros des rĂ©gionsLes timbresTimbres Or et ArgentTimbres de FranceAnnĂ©es complĂštesBlocs feuilletsAnnĂ©es de 1849 Ă  1900Classiques NeufsClassiques oblitĂ©rĂ©sAnnĂ©es de 1900 Ă  1939AnnĂ©es de 1940 Ă  1960ServicePoste AĂ©riennePrĂ©oblitĂ©rĂ©sTaxeCarnets croix-rougeCarnets CommĂ©moratifsEnveloppes 1er JourTimbres du MondeLes thĂ©matiquesFaune et FloreSportsLocomotionsCosmosJeux OlympiquesWalt DisneyPeintresPersonnages et HistoireAutresAutomobileLady DianaVaticanAnnĂ©es complĂštesAllemagne RFAAllemagne de l'EstBerlinEspagneGrĂšceLuxembourgTimbres de MonacoBlocs feuillets de MonacoAnnĂ©e complĂšte de MonacoLes piĂšcesLes piĂšces du monde entierLes piĂšces De FrancePiĂšces de France collection complĂštePiĂšces de France de 1898 Ă  1959Les piĂšces de France de 1959 Ă  nos joursMonnaies anciennesLes billetsLes billets de FranceLes billets du monde aux dĂ©tailsLes billets du monde par lotLes billets dorĂ©s or fin 24 caratsLe MatĂ©rielLes incontournablesLe matĂ©riel numismatiqueLe matĂ©riel philatĂ©liqueMatĂ©riel toute collectionLes feuilles prĂ©-imprimĂ©esOffres spĂ©cialesMonnaiesTimbresAutomobilesLady DianaMondeFootballBilletsLady DianaNelson Mandelaoffres Prix rĂ©duit ! Agrandir l'image RĂ©fĂ©rence 651575 Attention derniĂšres piĂšces disponibles ! Envoyer Ă  un ami Fiche technique Tous les millĂ©simes 2003 Tous les pays Espagne Toutes les valeurs faciales Euro 2 euros En savoir plus Espagne 2 EUROS Annee 2003 Effigie du Roi Juan Carlos Ier de Borbon y Borbon. Tranche Cannelee avec legendes differentes selon le pays - Couronne Cupro-Nickel C 30 autres produits dans la mĂȘme catĂ©gorie
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