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Article Ă©crit par Tara Chapron TĂ©lĂ©charger lâarticle au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le 12 janvier 2021. Introduction LâĂąge du Bronze est synonyme de mouvement la circulation de matiĂšres premiĂšres, dâĂ©changes de biens, la mobilitĂ© individuelle et celle des populations. Les vestiges archĂ©ologiques des costumes fĂ©minins de cette pĂ©riode, particuliĂšrement dans le Nord de lâEurope, sont un mĂ©dian privilĂ©giĂ© pour aborder ces trois aspects. Sur les sept costumes complets conservĂ©s de lâĂąge du Bronze au musĂ©e national du Danemark, trois dâentres eux appartenaient Ă des femmes. Ils sont connus sous les noms de costume de la femme de Borum EshĂžj, de la femme de Skrydstrup et de la fille dâEgtved. LâĂ©tat de conservation de ces derniers est tout Ă fait exceptionnel grĂące aux mĂ©thodes dâinhumation. En effet, les corps Ă©taient enterrĂ©s vĂȘtus, enveloppĂ©s dans une couverture avant dâĂȘtre dĂ©posĂ©s dans un cercueil taillĂ© dans le tronc dâun chĂȘne. Le cercueil Ă©tait ensuite recouvert dâun tumulus. La combinaison du tertre et du chĂȘne a permis une protection Ă la fois hermĂ©tique Ă lâeau de pluie et de conserver les fibres organiques par lâaciditĂ© tannique. Par ailleurs, le chĂȘne permet de rĂ©aliser une datation par dendrochronologie des inhumations. Ainsi ces trois costumes sont contemporains et datent respectivement de 1351 1300 et 1370 Câest donc en sâappuyant principalement sur ces trois costumes que nous aborderons lâidentitĂ© de leur propriĂ©taire avant de revenir sur les dĂ©bats concernant la mobilitĂ© et le statut des Ă©lites fĂ©minines. I. Les costumes de la femme nordique Ă lâĂge du bronze. Des analyses ostĂ©ologiques et/ou les artefacts retrouvĂ©s dans les tombes prouvent quâil sâagit bien de costumes portĂ©s par des femmes. Il sâagit en outre de vĂȘtements qui Ă©taient portĂ©s quotidiennement, ou du moins couramment, comme le montrent les traces dâusure2. Les trois costumes ont en commun dâĂȘtre en laine et dâĂȘtre composĂ©s dâun mĂȘme haut coupĂ© Ă la taille, Ă col bateau et aux manches trois-quarts kimono. La diffĂ©rence dans lâhabillement concerne deux dâentres-elles qui portait une jupe longue tandis que la troisiĂšme portait une jupe courte Ă cordes. A. Le modĂšle Ă jupe courte. Il nâexiste quâun seul exemple complet de ce modĂšle, celui de la fille dâEgtved. Des costumes fragmentaires existent tout de mĂȘme qui permettent de complĂ©ter lâĂ©tude du modĂšle. La plupart proviennent de tumuli en pĂ©riphĂ©rie dâun tumulus central et datent du dĂ©but de lâĂąge du Bronze scandinave 1700-1100 Sur lâexemple de la fille dâEgtved, la jupe est composĂ©e de cordelettes tressĂ©es en sĂ©rie et maintenues par un fin fil sur une bordure Ă©troite. Les cordelettes se terminent en anneaux et un lien est enfilĂ© pour maintenir les cordes en place. La jupe est enroulĂ©e deux fois autour de la taille et tombe sur les hanches. Sur dâautres exemples, les cordelettes Ă©taient parfois ornĂ©es de tubes en bronze sur une ou deux rangĂ©es. Ces Ă©lĂ©ments mĂ©talliques sont le plus souvent tout ce qui subsiste des jupes et ce qui suggĂšre ainsi sa prĂ©sence. Ce modĂšle de jupe pourrait ĂȘtre trĂšs ancien, peut-ĂȘtre du NĂ©olithique les cordelettes nâĂ©taient pas en laine mais en fibres vĂ©gĂ©tales comme Ă Robenhausen prĂšs de Zurich en Suisse. De rares tubes retrouvĂ©s dans des contextes tardifs de lâĂąge du Bronze, attestent que la jupe est portĂ©e jusquâau moins la pĂ©riode IV 1100-950 et V 950-750 La maniĂšre dont est portĂ©e la jupe a soulevĂ© un grand dĂ©bat au milieu des annĂ©es 1950 mais câest finalement lâhypothĂšse dâHansen qui est retenue câest-Ă -dire que la jupe est portĂ©e sur les hanches et non Ă la taille puisque les tubes sont toujours retrouvĂ©s au dessous de la taille4. Figure 1 â La fille dâEgtved, Source derniĂšre consultation le 30/08/2019 B. Le modĂšle de la jupe longue. Le modĂšle Ă jupe longue est une jupe montante, fortement plissĂ©e Ă la taille en larges replis et trĂšs ample. Une ceinture tressĂ©e retient la jupe. La trame est fortement tendue pour rapprocher les fils de chaĂźne ce qui crĂ©e un effet dâoptique oĂč on ne voit presque quâeux et rend les franges plus nombreuses quâelles ne le sont vraiment. Dans le cas de la femme de Skrydstrup, Hans Christian Broholm pense que la jupe ne pouvait ĂȘtre portĂ©e comme elle est positionnĂ©e sur le corps5 la ceinture est en dessous des hanches et ainsi ajustĂ©e le tissu trainerait sur le sol. Elle suggĂšre que le tissu serait donc positionnĂ© dans le cercueil comme un linceul. Plusieurs tentatives de reconstitutions ont Ă©tĂ© menĂ©es sans pour autant donner de rĂ©sultat convaincant. En 1949, Inga Henning Almgren6 propose que le tissu aurait pu ĂȘtre portĂ© dans le style grec classique avec une Ă©pingle pour retenir le tissu Ă lâhorizontal ou Ă la verticale. Cette proposition nâest pas retenue mais ouvre le dĂ©bat sur un rapprochement des costumes du nord et du sud de lâEurope, notamment suite aux dĂ©couvertes des sĂ©pultures de Vergina Ha, B, C, D en MacĂ©doine. Sophie Begerbrant et Serena Sabati, remarquent que si le tissu est relevĂ© environ 40 cm au dessus des Ă©paules, il peut former une sorte de capuche qui couvre la tĂȘte et qui retombe sur le devant et sur le long des cĂŽtĂ©s en deux rabats vastes et pliĂ©s qui couvrent les bras et une partie des jambes7. Il permettrait, ainsi ajustĂ©, une libertĂ© des mouvements, de rĂ©chauffer le corps et mĂȘme de servir comme sac de couchage pour la nuit. Elles soutiennent cette hypothĂšse par une scĂšne de la roche de Kivik oĂč plusieurs figures en S » pourraient reprĂ©senter des femmes en deuil portant un vĂȘtement long, large et Ă capuche. Un textile rectangulaire dans la tombe de la fille dâEgtved pourrait Ă©galement avoir Ă©tĂ© cousu comme une piĂšce cylindrique et la jeune fille devait le plier sur la hauteur pour former une capuche. La bordure a en effet des trous dĂ©formĂ©s avec des restes de fils, ce qui peut valider cette thĂ©orie8. Figure 2- Femme de Borum EshĂžj, Source indtil-aar-1050/bronzealderen-1700-fkr-500-fkr/ derniĂšre consultation le 30/08/2019 Figure 3 â Femme de Skrydstrup, Source indtil-aar-1050/bronzealderen-1700-fkr-500-fkr/ derniĂšre consultation le 30/08/2019 C. Bijoux et ornements. Les vĂȘtements Ă©taient souvent accompagnĂ©s de parures en bronze et parfois en or. Cela forme un tout ce nâest pas le vĂȘtement qui met en valeur la parure ou la parure qui met en valeur le vĂȘtement mais lâun et lâautre fonctionnent ensemble de maniĂšre Ă©gale et complĂ©mentaire. La parure fait donc partie intĂ©grante du costume. Il est trĂšs commun entre la pĂ©riode II Ă la pĂ©riode V 1500-750 env. de lâĂąge du Bronze nordique et ses alentours de trouver en association dans les sĂ©pultures des Ă©lites des ceintures, des colliers couvrant le cou et le col, des bracelets en spirale et des fibules. DâaprĂšs les tombes, que ce soit pour le costume masculin ou fĂ©minin, la parure est prĂ©sente mais diffĂ©rente selon les genres. Les hommes portent souvent des bracelets alors que les femmes portent une panoplie complĂšte. Cette panoplie peut se constituer de disques de cheveux, dâanneaux dâoreilles et de doigts, bagues en ressort en or, colliers de perles en verre et ambre pour les tombes les plus riches, gorgerin, bracelets, disque de ceinture, jambiĂšres, ainsi que des Ă©pingles pour maintenir le vĂȘtement. Les maniĂšres de porter les parures sont interprĂ©tĂ©es selon les contextes de dĂ©couvertes et sont souvent similaires pour les pĂ©riodes II et III 1550-1200 Les traces dâusure sont aussi de bons indices pour comprendre la maniĂšre dont ils sont portĂ©s9. Figure 4- Reconstitution du costume fĂ©minin avec parure, Source Flemming Bau II. Statut et fonction de la femme et de son costume. Les costumes fĂ©minins ont soulevĂ© de grands dĂ©bats pour dĂ©finir lâidentitĂ© des porteurs. Ce qui est sĂ»r câest quâĂ©tant donnĂ© le contexte dâinhumation, il sâagit de personnages de haut rang. Un tumulus implique une main dâĆuvre importante. Aussi le dĂ©funt ne peut quâappartenir Ă une Ă©lite de ces sociĂ©tĂ©s. La dĂ©couverte de la fille dâEgtved conduit Thomsen Ă dresser une base de trois interprĂ©tations possibles de son statut, en comparaison avec le seul exemple connu alors, la femme de Borum EshĂžj. Ces hypothĂšses sont frĂ©quemment citĂ©es dans la recherche et servent encore aujourdâhui de base pour de nouvelles. A. Une question de saison. La premiĂšre idĂ©e est quâil y a diffĂ©rents vĂȘtements qui conviennent au changement de tempĂ©rature. La jupe courte serait un vĂȘtement pour la saison chaude donc entre mars et mi octobre et la jupe longue pour la saison froide. Parmi les Ă©lĂ©ments organiques conservĂ©s dans la tombe dâEgtved, une fleur achillĂ©e achillea mille-folium a Ă©tĂ© retrouvĂ©e et prouve que lâinhumation a eu lieu entre juin et septembre. Cela pourrait donc convenir. Toutefois la tombe de Skrydstrup a permis la conservation dâanthriscus silvestris complĂštement dĂ©veloppĂ©es or elles poussent dâavril Ă octobre et fleurissent entre mai et juin. Les deux femmes auraient Ă©tĂ© enterrĂ©es Ă la mĂȘme saison, donc la thĂ©orie ne fonctionne pas10. B. Fille et femme. Selon Thomsen, la jupe Ă cordelettes pourrait ĂȘtre un vĂȘtement de jeune fille fertile non mariĂ©e ou plus gĂ©nĂ©ralement dâune femme non mariĂ©e alors que la jupe longue serait liĂ©e au statut de mĂšre ou de femme mariĂ©e. La longueur de la jupe et le fait de pouvoir voir Ă travers les cordelettes y compris le ventre sont les Ă©lĂ©ments qui ont conduit Ă cette hypothĂšse. La thĂšse dâOrjan Engedal publiĂ©e en 2010 fait Ă©galement Ă©tat de cette thĂ©orie. Le changement de costume se serait produit vers lâĂąge de 17 Ă 19 ans mais lâaffirmer est difficile car les artefacts humains dans les tombes sont rares. Une thĂ©orie Ă©mise par Eskilden et Lomborg dâaprĂšs une idĂ©e de Nielsen. La jupe longue pourrait ĂȘtre rĂ©utilisĂ©e pour former un kilt, une cape ou un chĂąle selon la longueur de la jupe11. La jupe Ă cordelettes serait donc, selon eux, un vĂȘtement fĂ©minin Ă©laborĂ© Ă partir de chutes dâun ou plusieurs morceaux. Sur quarante-trois tombes dans lesquelles des traces de jupes Ă cordelettes sont attestĂ©es, seulement huit documentent lâĂąge du dĂ©funt. La tombe C de TrindhĂžj dans la commune de Vamdrup, par exemple, datĂ©e par dendrochronologie de 1347 avant notre Ăšre, ne possĂšde aucun os conservĂ© ; mais lâintĂ©rieur du coffre mesure 1,13 m sur 0,34-0,31 m pour une profondeur de 18 cm. Une Ă©tude sur la croissance des enfants rĂ©alisĂ©e par la Wold Health Organization12 montre que la plupart des enfants atteignent la hauteur 1,10 m avant lâĂąge de six ans, ce qui signifie que le dĂ©funt dans cette tombe Ă©tait certainement ĂągĂ© de moins de six ans. La jupe Ă cordelettes semble avoir Ă©tĂ© portĂ©e pendant toute la durĂ©e de lâĂąge du Bronze, par des enfants comme des adultes13. LâĂąge nâest donc pas un critĂšre du port de ce vĂȘtement. C. Rituel. Enfin, Christian JĂŒrgensen Thomsen propose de considĂ©rer le modĂšle de jupe Ă cordelettes comme un costume rituel qui ne peut ĂȘtre portĂ© que par une seule une catĂ©gorie sociale. La littĂ©rature scientifique actuelle privilĂ©gie lâhypothĂšse dâune panoplie dans un contexte rituel. Il est mĂȘme prĂ©cisĂ© que la jupe pourrait signifier que la porteuse est danseuse dâun rituel Ă©rotique dans un temple14. LâidĂ©e est peut-ĂȘtre influencĂ©e par la dĂ©cence de lâĂ©poque. La figurine de FĂ„rdal de la fin de lâĂąge du Bronze est lâune des preuves matĂ©rielles de cette interprĂ©tation. Les figurines Ă lâappui de la thĂ©orie dâun lien rituel avec la jupe, portent des bijoux tels que des anneaux de cou et la jupe Ă cordelettes, sans rien dâautre. Elles datent toutes cependant de la fin de lâĂąge de Bronze, pĂ©riode IV et V entre 1200 et 750 et les jupes des figurines sont bien plus courtes15. Dans le cas de la fille dâEgtved, la jupe mesure 38-40 cm de long. Dans la tombe dâĂlby les cordelettes sont assez longues pour recevoir deux rangĂ©es de tubes de bronze, et trois rangĂ©es pour le cas de MelhĂžj. Les protubĂ©rances observĂ©es sur le torse de la figurine de FĂ„rdal et sur le manche du couteau de Itzehoe indiquent quâil sâagit bien de reprĂ©sentations fĂ©minines, mais cela nâest pas toujours aussi Ă©vident. Au total sept reprĂ©sentations anthropomorphes ont Ă©tĂ© dĂ©couvertes Ă ce jour, mais on ne connait lâapparence que de six elles ont pour la plupart Ă©tĂ© perdues mais des dessins archĂ©ologiques permettent de garder un tĂ©moignage de leur apparence. Les figurines reprĂ©sentĂ©es en plein saut pĂ©rilleux sont parfois difficiles Ă genrer mais toutes semblent au moins liĂ©es Ă une activitĂ© rituelle. Cela ne signifie pas pour autant un lien systĂ©matique entre la jupe et le sacrĂ©. Figurine de GrevensvĂŠnge, source Tara Chapron Figure 6 â Figurine de FĂ„rdal, Source Tara Chapron Klavs Randsborg envisage les diffĂ©rents statuts possibles pour la femme sans pour autant dĂ©tailler les Ă©lĂ©ments qui lâamĂšne Ă ses hypothĂšses. Il note quâentre 1500-1300 avant notre Ăšre, une Ă©lite fĂ©minine porte Ă la ceinture un disque semblable Ă celui soleil du chariot de Trundholm sur le ventre, peut-ĂȘtre en lien avec leur rĂŽle dans la sociĂ©tĂ©. Il note Ă©galement quâelles portent la jupe Ă cordelettes. Selon cet auteur, les disques de ceintures auraient Ă©tĂ© portĂ©s de symboles calendaires secrets, les femmes les portant sont liĂ©es dâune maniĂšre ou dâune autre au culte rituel du soleil. Quelques uns des disques seraient tout de mĂȘme des imitations formelles faites sans la connaissance du sens de ces objets. Lâargument est tout de mĂȘme difficile Ă suivre puisque la plupart des ceinturons mobilisĂ©s Ă lâappui de son hypothĂšse ne possĂšdent pas dâinformation calendaire. Aussi si sur un quelconque contexte on applique ce critĂšre Ă lâensemble des tombes avec des restes textiles de jupe Ă cordelettes et de tubes de bronze, il apparaĂźt que moins de la moitiĂ© des dĂ©funts pouvaient ĂȘtre classĂ©s comme membre actif du culte en incluant la haute sociĂ©tĂ© ce pourcentage atteint 37%, si lâon intĂšgre les dĂ©pĂŽts cela touche 56%. Les traces de jupe se concentrent tout de mĂȘme dans les tombes accompagnĂ©es dâobjets en bronze prĂ©sents en moyenne et grande quantitĂ©. Si ceux-ci sont les tĂ©moins dâun rang social plus ou moins Ă©levĂ©, alors lâutilisation de la jupe Ă cordelettes pourrait ĂȘtre associĂ©e Ă une large variĂ©tĂ© de groupes sociaux Ă©levĂ©s. Le modĂšle est portĂ© dans le sud de la Scandinavie au dĂ©but de lâĂąge du Bronze 1550 Ă 1200 et dans une zone plus limitĂ©e pour les modĂšles avec tubes de bronze. Le foyer originel se situerait dans le nord de Seeland avant de se diffuser dans lâouest et lâest et a gĂ©nĂ©ralement Ă©tĂ© utilisĂ© Ă la pĂ©riode III en Scandinavie oĂč on le retrouve dans les tombes sous tertre, quelque fois sous le tertre principal mais plus souvent secondaire. Deux tombes seulement contiennent des traces de jupe Valleberga, inhumation proche dâun tertre qui contient un plat de ceintures, deux spirales de bras et une quantitĂ© importante de tubes de bronze ; et GyldensgĂ„rd, qui date du dĂ©but de lâĂąge du Bronze, crĂ©mation associĂ©e Ă un tertre, qui contient des tubes de bronze uniquement. Lâassociation Ă un tertre est tout de mĂȘme rĂ©currente, ce qui dĂ©montre que le modĂšle semble avoir Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rĂ© par les femmes dâune condition sociale Ă©levĂ©e. Lorsque le traitement du corps est la crĂ©mation, alors les tubes en bronze attestent encore son utilisation. En lâĂ©tat actuel des sources, il est impossible de dĂ©montrer lâexistence dâun lien entre le type de jupe et une fonction rituelle ou religieuse ; difficile aussi dâinfĂ©rer un lien entre le port de ce vĂȘtement et un des statuts de la vie des femmes classe dâĂąge, maternitĂ©, le veuvageâŠ. Ces diffĂ©rences sont peut-ĂȘtre plus remarquables par la coiffure et non au vĂȘtement. Ainsi, la fille dâEgtved porte les cheveux courts, Ă la Jeanne dâArc », alors que ceux de Skrydstrup sont retenus dans un filet. La jupe est probablement un simple type de vĂȘtement apprĂ©ciĂ© par les femmes du dĂ©but de lâĂąge du Bronze, portĂ© pour la vie quotidienne ainsi que pour des activitĂ©s rituelles. Le goĂ»t pour ce vĂȘtement ou bien le fait de le dĂ©corer avec des tubes en bronze aurait peut-ĂȘtre dĂ©clinĂ© Ă la fin de lâĂąge du Bronze ou bien fortement raccourci Ă la hauteur des jupes des figurines anthropomorphes. Il est possible aussi que la jupe nâait pas Ă©tĂ© plus portĂ©e dans le quotidien mais toujours lors des rituels16. III. Ăchanges et mobilitĂ©s Ă lâĂąge de Bronze. A. Un contexte dâĂ©change. Vers 2000 avant notre Ăšre, la technique du bronze est diffusĂ©e sur toute lâEurope occidentale et mĂ©ridionale avant dâatteindre aussi lâEurope du Nord. Les cultures situĂ©es Ă proximitĂ© des centres miniers exercent une influence considĂ©rable sur les groupes voisins ce qui leur confĂšre un pouvoir commercial et politique. La zone nordique Danemark, SuĂšde, Hollande, Allemagne du Nord ne possĂšde aucun gisement mĂ©tallifĂšre mais en Ă©change dâambre du Jutland et des rives de la Baltique qui sert Ă la confection des perles, elle importe des outils tels que des haches Ă rebords, des armes, du cuivre, de lâĂ©tain de BohĂȘme, des Alpes ou de la Bretagne. Le Nord est aussi en lien avec la rĂ©gion des Carpates, qui est trĂšs riche en mĂ©tal, il est possible que des Ă©changes de mĂ©tal brut Ă©taient aussi organisĂ©s. Ces Ă©changes ont permis aux bronziers scandinaves de crĂ©er des objets remarquables comme des Ă©pĂ©es ou des haches quâils exportent ensuite jusquâen Europe de lâOuest. Ils rĂ©alisent des crĂ©ations originales qui dĂ©montrent quâils sont aussi dâexcellents mĂ©tallurgistes, comme en atteste le modĂšle rĂ©duit de cheval Ă roues en bronze moulĂ© tirant un disque solaire de 1650 environ av. dĂ©couvert Ă Trundholm au Danemark. Figure 7- Char de Trundholm, Source Tara Chapron MaĂźtriser la mĂ©tallurgie signifie maĂźtriser une matiĂšre premiĂšre recyclable si un objet est cassĂ© il peut ĂȘtre refondu et remoulĂ© pour ĂȘtre une arme, une parure ou un objet domestique. Les mĂ©tallurgistes dĂ©veloppent de nouvelles formes dâarmes, dâobjets de toilette rasoirs, fibules et de parures bracelets, Ă©pingles parfois si sophistiquĂ©s quâils impliquent une technique de fonderie tout Ă fait maĂźtrisĂ©e. Ă partir de 1200 avant notre Ăšre, les techniques du bronze sont toutes maĂźtrisĂ©es en Europe. Lâensemble des artefacts retrouvĂ©s dans les dĂ©pĂŽts, les sĂ©pultures et les objets eux-mĂȘmes suggĂšrent en effet une production importante et en sĂ©rie, ce qui indique lâexistence de nombreuses voies de communication, des relais commerciaux, des vĂ©hicules, une organisation de protection. Certes, dĂšs les dĂ©buts de lâĂąge du Bronze, la production subit de nombreux changements mais aussi toute lâorganisation autour. Elle bĂ©nĂ©ficie de la simplification du transport par lâutilisation de la roue Ă rayons et des progrĂšs de la navigation. Ă la fin de lâĂąge du Bronze, les relations sont internationales et les sociĂ©tĂ©s sont interdĂ©pendantes les unes des autres et ce, malgrĂ©, leurs diffĂ©rences culturelles17. B. Une Ă©lite dynamique et mobile. LâĂąge du Bronze est une pĂ©riode de changements techniques mais aussi sociaux. Les sociĂ©tĂ©s productrices sont en effet de plus en plus hiĂ©rarchisĂ©es et ce de maniĂšre complexe. Autour de la production mĂ©tallurgique plusieurs fonctions encadrent cette activitĂ©, leur donnant Ă chacun un pouvoir de plus en plus important Ă mesure de lâintensification de la production. Ces derniers sont les fabricants, les trafiquants ou encore des puissants contrĂŽlant les Ă©changes. La production dâobjets de prestige raffinĂ©s suggĂšre une Ă©volution de lâesthĂ©tique et de la pensĂ©e. Câest par ces objets que se distingue une classe privilĂ©giĂ©e. Ă lâĂąge du Bronze ancien celle-ci emporte dans sa tombe les symboles de son pouvoir, marquĂ©s sur les objets tels que les armes, la vaisselle, la parure18. Cette Ă©lite ainsi que les autres acteurs de ces Ă©changes marchands semblent ĂȘtre la clef des Ă©changes pour assurer le transport de biens et des idĂ©es Ă travers de longs voyages. Cette Ă©lite mobile et ouverte sur les Ă©changes Ă longues distances se distingue des paysans immobiles. Un des symptĂŽmes de cette mobilitĂ© est la rĂ©alisation dâalliances matrimoniales dans des cultures parfois trĂšs Ă©loignĂ©es. Dâautres raisons qui peuvent expliquer ces dĂ©placements sont les pĂ©lerinages et autres rassemblements religieux. En effet le pouvoir rituel peut exiger un systĂšme de transaction ou une mobilitĂ©, ramener des biens dâĂ©changes ou de prestige, sâĂ©chapper un moment de la limitation de la sociĂ©tĂ© du village, rechercher la gloire, ou de nouveaux Ă©changes pour agrandir un rĂ©seau au delĂ du local. Les objets dans les tombes sont les tĂ©moins de cette mobilitĂ©, assurent qui se dĂ©placent et montrent que les objets circulent autant que les hommes. Les petits objets comme les Ă©pingles ou les fibules ne sont pas Ă©changĂ©s ou donnĂ©s19. Sâils sont en dehors du contexte local alors ils reflĂštent un mouvement dâindividus et peut-ĂȘtre mĂȘme de lâimitation. Une personne peut tout Ă fait profiter dâun dĂ©placement pour acheter une fibule pour remplacer la sienne qui aurait cassĂ©e. Quant aux objets de prestige, ils sont dĂ©finis par des valeurs sociales, souvent fort Ă©laborĂ©s et requiĂšrent un artisanat spĂ©cialisĂ©. Ils peuvent ĂȘtre Ă©changĂ©s ou offerts en cadeaux diplomatiques par des chefs ou entre chefs et vassaux. Ils peuvent ĂȘtre personnels ornement, arme ou bien servent une fonction sociale amphore, coupe, instrument de musique. Ils peuvent ĂȘtre de production locale ou bien ĂȘtre importĂ©s et informer ainsi sur les alliances politiques au niveau local ou rĂ©gional. Pour les objets Ă©changĂ©s, la situation est un peu plus complexe. Ils peuvent lâĂȘtre pour des raisons Ă©conomiques et pratiques plutĂŽt que symboliques. Il sâagit de lâambre, de lâĂ©tain, du cuivre, de lâor, du bronze et autre. Le pouvoir politique nĂ©cessite un accĂšs assurĂ© aux ressources. Le terme dâidentitĂ© est employĂ© depuis les annĂ©es 1990 pour Ă©voquer les individus contextualisĂ©s dans une sociĂ©tĂ©. DĂ©finir le systĂšme sociopolitique des sociĂ©tĂ©s protohistoriques est encore une grande difficultĂ©. Les comparaisons sont gĂ©nĂ©ralement appuyĂ©es sur des modĂšles de bandes, tribus, chefferies, et Ă©tats. Le concept de chefferie est le plus souvent adoptĂ©. La survie dâune sociĂ©tĂ© dĂ©pend du succĂšs Ă©conomique, du contrĂŽle des terres et du labeur au niveau local des personnes sous le commandement des chefs. Plusieurs types de pouvoirs sont mĂȘlĂ©s au sein dâune sociĂ©tĂ© comme le pouvoir politique et militaire. Lâimportance du pouvoir politique peut ĂȘtre estimĂ© par les langues que lâindividu pratique. Les paysans auraient un langage proche du dialecte rendant la communication entre rĂ©gions parfois difficile Ă lâinverse de lâĂ©lite qui parle un langage international. Pendant lâĂąge du Fer et la pĂ©riode Viking, câest un langage scandinave commun qui Ă©tait utilisĂ©. Le rĂŽle et lâinfluence de secteur de cette Ă©lite dĂ©pendent du systĂšme sociopolitique adoptĂ©20. Les hĂ©ros de la littĂ©rature de lâĂąge du Bronze sont les hĂ©ros dâHomĂšre comme Ulysse, partis pour revenir plus victorieux. La fille dâEgtved est un de ces exemples de grands voyageurs. Morte Ă dix-huit ans pendant lâĂ©tĂ© 1370 av.,nĂš. selon une analyse dendrochronologique, elle aurait parcouru une longue distance avant de finir ses jours dans le Jutland mĂ©ridional. Elle aurait grandi loin du Danemark et est un tĂ©moin des alliances sur longue distance21. LâĂ©lite de lâĂąge du Bronze devait ĂȘtre une Ă©lite itinĂ©rante assurant les Ă©changes et pour cela pratiquer un langage universel ». Les biens de prestige en bronze permettent de reconnaĂźtre les personnages de lâĂ©lite de lâĂąge du Bronze. Si le bronze est considĂ©rĂ© comme une matiĂšre de valeur câest en raison de la raretĂ© des matĂ©riaux dans plusieurs rĂ©gions. Toutefois si le mĂ©tal est si cher et qui plus est, recyclable, pourquoi est-il dĂ©posĂ© en offrande dans des dĂ©pĂŽts ou cercueils ? Les raisons peuvent ĂȘtre lâimportance culturelle du dĂ©pĂŽt votif et que dâune certaine maniĂšre cela maintient une valeur marchande en lâĂŽtant de la circulation. Les objets de prestige ne sont peut-ĂȘtre pas ceux estimĂ©s en tant que tels. Les objets qui accompagnent le corps semblent ĂȘtre standardisĂ©s par rĂ©gion. On retrouve une sĂ©lection dâartefacts du domaine fonctionnel comme des accessoires de costumes comme des fibules, des Ă©quipements de toilettes comme des peignes, des contenants et des armes. Aucune identification prĂ©cise nâa pu jusquâici ĂȘtre dĂ©finie dâaprĂšs ces derniers. Ă lâinverse, il est aisĂ© de diffĂ©rencier une tombe masculine et fĂ©minine par le costume, riche ou pauvre selon le type de tombe. LâidentitĂ© sâexplique peut-ĂȘtre par la combinaison des objets. LâĂąge du Bronze est donc une pĂ©riode de changements sociopolitiques. Les objets enterrĂ©s avec les corps ne suffisent peut-ĂȘtre Ă eux seuls de dĂ©terminer lâidentitĂ© de lâĂ©lite des sociĂ©tĂ©s de lâEurope du Nord et du Sud. Lâensemble du costume et des objets associĂ©s mĂȘme les os, doivent sĂ»rement ĂȘtre analysĂ©s ensemble pour comprendre le rĂŽle de lâindividu22. C. PolĂ©miques sur les mĂ©thodes dâanalyse archĂ©ologiques. Le costume le plus mĂ©diatisĂ© est celui de la fille dâEgtved. Des dĂ©couvertes scientifiques en 2014 ont permis de repenser la mobilitĂ© des sociĂ©tĂ©s de lâĂąge du Bronze. Ces rĂ©sultats ont Ă©tĂ© obtenus par un protocole chimique de systĂšme de tracĂ© isotopes de strontium sur ses cheveux, dents, ongles. Le mĂȘme procĂ©dĂ© a dĂ©montrĂ© que la femme de Skrydstrup serait arrivĂ©e au Danemark vers ses 12 ou 13 ans et dĂ©cĂ©dĂ©e quatre ans plus tard dans le Jutland23. Les fibres textiles du costume de la fille dâEgtved ont aussi Ă©tĂ© analysĂ©es et indiquent que la laine Ă©tĂ© produite en dehors de la zone actuelle du Danemark. Les recherches ont Ă©tĂ© poussĂ©es sur dâautres Ă©chantillons contemporains afin dâobserver si le premier cas est isolĂ© ou si le phĂ©nomĂšne est commun. Les rĂ©sultats indiquent que 70% des fibres de laines analysĂ©es proviennent de moutons Ă©levĂ©s en dehors des limites du Danemark actuel. Chaque cas a tout de mĂȘme son propre pourcentage de fibres locales et non locales. Ce qui est intĂ©ressant par ces rĂ©sultats câest que la laine serait donc bien une source dâĂ©change peut-ĂȘtre importante durant lâĂąge du Bronze nordique, mais comment lâĂ©change est-il procĂ©dĂ© ? Il existe trois possibilitĂ©s la fibre est produite non localement, mais le tissage est fait sur place ; les piĂšces de textile tissĂ©es sont Ă©changĂ©es et transformĂ©es en vĂȘtement localement ; le vĂȘtement est entiĂšrement fait Ă lâĂ©tranger et le voyageur le ramĂšne localement sur lui. Elles peuvent Ă©videmment ĂȘtre toutes les trois Une rĂ©cente Ă©tude de 2019 prĂ©sente des rĂ©sultats qui remettent en cause tout ce processus. Les rĂ©sultats des mesures de tracĂ© isotopes de strontium dĂ©pendent dâune comparaison du taux de strontium Ă une base de donnĂ©e Ă©tablie par un relevĂ© des taux contemporains dans des espaces choisis. Or il faut savoir que les taux de strontium varient en fonction de la contamination des sols avec des pesticides notamment. Le Danemark est un pays lourdement cultivĂ© le sol et les cours dâeau peuvent donc ĂȘtre contaminĂ©s surtout en surface. LâactivitĂ© agricole peut jouer sur la distribution des strontiums comme les fertilisateurs, la chaux agricole, le fumier, la nourriture des animaux et les pesticides. Le Jutland est complĂštement contaminĂ© par lâagriculture. Le problĂšme actuellement câest que la base Ă©tablie par Frei sert Ă dâautres Ă©tudes. LâĂ©tude de 2019 suggĂšre, aprĂšs avoir réévaluĂ©e ces problĂ©matiques que la laine est locale et que les deux femmes auraient Ă©ventuellement migrĂ© mais dans un rayon proche de leur lieu dâinhumation25. Ce qui, Ă©videmment, remet en cause les thĂ©ories de dĂ©placements sur longue distance. Conclusion. Le costume fĂ©minin de lâĂąge du Bronze au Danemark est donc sujet Ă de nombreux dĂ©bats que ce soit sur la maniĂšre dont il est portĂ©, sa fonction et lâidentitĂ© du porteur. LâĂ©tude du costume permet de sâinterroger sur les ressources textiles et minĂ©rales, les importations et elle participe Ă la recherche des identitĂ©s au sein des sociĂ©tĂ©s. Si les mĂ©thodes dâanalyse ne sont pas toujours approuvĂ©es et les rĂ©sultats parfois remis en cause, il nâen reste pas moins que lâĂ©lite fĂ©minine sâinscrit dans les Ă©changes de la pĂ©riode. Si leur vĂȘtement nâest peut-ĂȘtre pas conçu en dehors des limites du Danemark actuel, leur parure indique pourtant le contraire. Les questions soulevĂ©es Ă propos des conditions dâacquisition de leur costume sont toujours dâactualitĂ©. Les parures et autres objets de prestige, venaient-ils Ă elles ou se dĂ©plaçaient-elle pour les acquĂ©rir ? Et quelle a Ă©tĂ© lâĂ©chelle de la mobilitĂ© de ces femmes relevant du sommet de la hiĂ©rarchie sociale, en lâEurope du Nord durant lâĂąge du bronze ? 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Lors de lâĂ©tape pisane de son Voyage en Italie, en 1581, Michel de Montaigne repĂšre ainsi les seuls Ă©lĂ©ments de la ville quâil juge remarquables au sein de sa gĂ©ographie urbaine et de son patrimoine architectural. Le fleuve et plusieurs monuments ressortent dans un paysage qui lui apparaĂźt comme solitaire » cette perception de la ville, Ă lâapparence renfermĂ©e, reflĂšte une identitĂ© civique construite, entre autres, sur ces Ă©lĂ©ments tout au long du Moyen Ăge. Aux XIVe et XVe siĂšcle, la fragmentation territoriale qui rĂ©duit les rĂ©gions dâItalie centrale en des entitĂ©s communales distinctes â bien quâelles ne soient pas isolĂ©es â alimente un processus de dĂ©finition identitaire des villes. Ă Pise, de maniĂšre accĂ©lĂ©rĂ©e et inĂ©dite, lâĂ©laboration de structures politiques, le dĂ©veloppement Ă©conomique, ainsi que les mutations de lâorganisation sociale permettent de prĂ©ciser les limites Ă lâintĂ©rieur desquelles circonscrire lâappartenance de la communautĂ©. LâidentitĂ© civique de la ville de Pise se bĂątit ainsi sur un ensemble dâĂ©lĂ©ments historiques, politiques, sociaux, dĂ©votionnels et culturels, passĂ©s et prĂ©sents, qui entretiennent des rapports Ă©troits entre eux. FondĂ©e sur ces valeurs, fortes et partagĂ©es, la conscience communautaire et identitaire sâaffiche Ă©galement dans les arts. Si, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, il est souvent possible de retrouver ces caractĂšres politiques, sociaux ou religieux dans la production artistique pisane de la fin de lâĂ©poque mĂ©diĂ©vale, le cas spĂ©cifique de la reprĂ©sentation de la ville de Pise nous permet dâinterroger la portĂ©e de la valeur civique en elle-mĂȘme. Par le mot civique », selon son Ă©tymologie latine dĂ©rivĂ©e de civis, citoyen », nous allons donc faire rĂ©fĂ©rence Ă lâensemble de valeurs dâappartenance de la communautĂ© de citoyens, sans nous cantonner Ă son acception seulement politique. Par lâanalyse de lâautoreprĂ©sentation de la ville, tantĂŽt personnifiĂ©e, tantĂŽt reprĂ©sentĂ©e topographiquement, cette Ă©tude souhaite replacer cette production picturale au sein du processus de formation de lâidentitĂ© civique pisane et non de sa seule reprĂ©sentation. La figuration de la ville de Pise en peinture entre le XIVe et le XVe siĂšcle nâest pas seulement la traduction en images dâune conscience identitaire partagĂ©e Ă travers la synthĂšse des diffĂ©rentes valeurs et idĂ©ologies locales, lâautoreprĂ©sentation de Pise se situe Ă la source de la cohĂ©sion de la communitas. La reconnaissance dâune symbolique politique. Figure 1 Anonyme, Sainte Ursule sauvant Pise des eaux, aprĂšs 1392, peinture sur bois, 188 x 358 cm, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Soprintendenza archeologica, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno Autorizzazione Soprintendenza ABAP di Pisa, prot. n. 7007 del 12 maggio 2021. [âŠ] Cette femme reprĂ©sente Pise, la tĂȘte couronnĂ©e dâor, vĂȘtue dâun manteau couvert de cercles et dâaigles, en danger sur les flots, demandant de lâaide Ă la sainte2». Depuis la description livrĂ©e par Vasari dans ses Vite, le tableau de la Sainte Ursule sauvant Pise des eaux Fig. 1 a catalysĂ© les attentions de la critique. Aujourdâhui, lâĆuvre ne cesse dâintriguer les visiteurs du Museo Nazionale di San Matteo de Pise, par son grand format rectangulaire 188 x 358 cm, mais aussi en raison de son iconographie originale. Le panneau prĂ©sente une rare personnification de la ville de Pise sur la gauche, Ă laquelle sainte Ursule tend la main, accompagnĂ©e dâun cortĂšge des dix Vierges. La prĂ©sence de la jeune princesse, incarnation de la ville de Pise, a toujours accordĂ© au tableau un rĂŽle de reconnaissance identitaire intense et efficace, et lui a permis de jouir dâune grande fortune Ă lâĂ©chelle locale. Ainsi nous le retrouvons aujourdâhui parmi les illustrations des ouvrages majeurs consacrĂ©s Ă lâhistoire et aux arts pisans. MalgrĂ© cette fascination partagĂ©e pour lâĆuvre, sa seule interprĂ©tation demeurĂ©e plausible depuis les mots de Vasari y identifiait une expression de gratitude Ă sainte Ursule, qui aurait sauvĂ© la ville dâune inondation de lâArno3. Ce nâest que trĂšs rĂ©cemment quâune nouvelle hypothĂšse sur la commande de lâĆuvre a fourni des pistes convaincantes pour en donner une lecture politique. GrĂące au rapport Ă©tabli entre les armoiries de la famille dâAppiano prĂ©sentes sur le cadre du tableau, et lâoccurrence du coup dâĂ©tat de Iacopo dâAppiano le 21 octobre 1392, jour de Sainte Ursule, le choix iconographique sâexpliquerait par une commande politique de la part de son nouveau gouvernement4. La main tendue par sainte Ursule Ă Pise cristalliserait lâacte de libĂ©ration de la ville par les dâAppiano, une entreprise urgente et nĂ©cessaire pour remĂ©dier au gouvernement prĂ©cĂ©dent des Gambacorta, dont lâexercice du pouvoir Ă©tait jugĂ© malhonnĂȘte et trop condescendant avec Florence. Si lâidentification de la commande des dâAppiano apporte une nouvelle comprĂ©hension du tableau, dâautres Ă©lĂ©ments mĂ©ritent une attention particuliĂšre pour leur contribution au message politique, et par consĂ©quent identitaire, de lâĆuvre. Le plus Ă©vident apparaĂźt peint sur le manteau de Pise et se dĂ©tachant sur lâor du manteau de sainte Ursule lâaigle, lâemblĂšme de tradition impĂ©riale, rappelle ici la filiation pisane au parti gibelin. Cette adhĂ©sion politique Ă©tait profondĂ©ment enracinĂ©e dans la conscience de la communautĂ©, puisque pour le peuple pisan, la proximitĂ© et le soutien de la ville Ă lâempereur Ă©tait Ă©galement percevable dâun point de vue matĂ©riel les forces militaires et maritimes pisanes collaboraient aux entreprises impĂ©riales depuis le XIIIe siĂšcle, et au siĂšcle suivant le passage des rois des Romains comme Henri VII et Charles IV, faisant Ă©tape Ă Pise avant dâĂȘtre couronnĂ©s empereurs Ă Rome, provoqua lâinstallation dans la ville de reprĂ©sentants du pouvoir impĂ©rial5. En dĂ©pit de cette limitation des libertĂ©s gouvernementales de la seigneurie locale, dĂ©jĂ au XIIIe siĂšcle Pise avait bĂąti une structure institutionnelle solide, au sein de laquelle les diffĂ©rents seigneurs prĂ©fĂ©raient perpĂ©tuer leur foi gibeline6, censĂ©e leur garantir lâapprobation et la stabilitĂ© nĂ©cessaires. Lâalignement aux cĂŽtĂ©s de lâEmpire devint rapidement un facteur de consolidation idĂ©ologique de Pise en opposition aux autres villes guelfes, et notamment Florence, ainsi quâun Ă©lĂ©ment de cohĂ©sion interne â puisque la forte scission entre guelfes et gibelins ne gĂ©nĂ©rait pas Ă Pise les acerbes conflits qui divisaient les autres villes de la pĂ©ninsule. En corroborant lâhypothĂšse de la commande des dâAppiano, les aigles permettaient dâexpliciter une des motivations du coup dâĂ©tat de 1392, câest-Ă -dire lâantiflorentinisme gibelin que le gouvernement prĂ©cĂ©dent avait remis en question. Ces rĂ©percussions matĂ©rielles de la fidelitĂ© pisane Ă lâempereur alimentent, de surcroĂźt, une sensibilitĂ© civique. Les aigles impĂ©riaux matĂ©rialisent ici un fondement historique sur lequel sâĂ©tait construite lâidentitĂ© citoyenne. Par ce symbole dâadhĂ©sion publique et politique, nous assistons Ă une rĂ©duction Ă lâĂ©chelle locale dâune perspective plus large, qui inscrit la ville de Pise dans un rĂ©seau dâalliances internationales en sâappropriant les ambitions impĂ©riales, la communautĂ© pisane construit aussi sa propre conscience civique. Si, dans le tableau, lâaigle renvoie Ă des rĂ©fĂ©rences politiques externes sur lesquelles construire lâidentitĂ© civique locale, un autre symbole puissant permettait lâautoreprĂ©sentation de la ville de Pise, de maniĂšre plus introspective cette fois-ci lâĂ©tendard de gueules Ă la croix dâargent. Par la fusion de ces deux Ă©lĂ©ments Ă©taient rĂ©unis dans ces armoires le Comune et le Popolo, câest-Ă -dire les deux composantes de la structure communale. La prĂ©sence de cet Ă©tendard montre ainsi combien, pour la communautĂ©, le sentiment dâappartenance Ă la ville passait aussi par la reconnaissance des valeurs politiques Ă lâorigine du systĂšme gouvernemental, tels les principes pisans de libertas et de participation de la communautĂ© au pouvoir. Sans sâattarder davantage sur les origines et les emplois de ces armoiries7, qui Ă©taient largement utilisĂ©es pendant le gouvernement des dâAppiano8, il est aussi important dâinsister sur la place occupĂ©e par ce symbole au sein du tableau. Traversant la composition dans lâaxe vertical, le drapeau pisan est portĂ© par sainte Ursule dans sa main gauche, devenant ainsi son second attribut, avec la flĂšche de son martyre. Lâassociation de cet Ă©tendard Ă des figures de saints nâest pas anodine nous la retrouvons Ă Pise dans la Vierge Ă lâEnfant peinte par Turino Vanni et aujourdâhui conservĂ©e dans lâĂ©glise San Paolo a Ripa dâArno Fig. 2. Dans ce cas, les enseignes du Comune et du Popolo sont portĂ©es par San Ranieri et San TorpĂ©, saints patrons de la ville de Pise, ce qui permet de questionner cette Ćuvre dans ses qualitĂ©s de commande civique. En revanche, dans lâĆuvre du Museo San Matteo, la prĂ©sence de sainte Ursule pourrait sembler plus problĂ©matique reprĂ©sentĂ©e ici comme une sainte salvatrice de Pise, elle nâa pourtant jamais revĂȘtu le rĂŽle de sainte patronne de la ville. Cependant, elle est ici une sainte protectrice Ă qui la ville se confie si la justification politique liĂ©e Ă la commĂ©moration du coup dâĂ©tat de 1396 est convaincante, elle ne devrait pas exclure les autres valeurs identitaires et civiques dont sainte Ursule est porteuse, et notamment la tradition religieuse, quâil nous faut dĂ©sormais prendre en considĂ©ration. Figure 2 Turino Vanni, La Vierge et lâEnfant entre saint Ranieri, saint TorpĂ© et deux saints, 1397, Pise, Ă©glise San Paolo a Ripa dâArno. © Silvia Marcheselli. Le chemin dĂ©votionnel du message civique La diffusion du culte de sainte Ursule connaĂźt Ă la fin du Moyen Ăge une grande ampleur. Les tĂ©moignages dĂ©votionnels liĂ©s Ă cette jeune princesse bretonne, martyrisĂ©e aux portes de Cologne avec son cortĂšge de Onze mille Vierges, sâancrent dans la tradition religieuse de la rĂ©gion germanique depuis le Ve siĂšcle9. Lâhistoire dâUrsule fait ainsi lâobjet de transmissions et de réélaborations progressives, qui, de Cologne, lui permettent de se diffuser vers le reste du continent europĂ©en. Ă partir du Xe siĂšcle, câest surtout Ă la circulation des textes, et notamment des passiones qui Ă©dictent le rĂ©cit hagiographique de sainte Ursule â la Passio Fuit tempore pervetusto et la Passio Regnante Domino â que revient la propagation de sa lĂ©gende. Celle-ci Ă©tait en mesure, pour ses contenus narratifs mais aussi thĂ©ologiques, de rĂ©pondre aux nĂ©cessitĂ©s dĂ©votionnelles de cultures et de sociĂ©tĂ©s distinctes. Ă la diffusion des manuscrits se joint aussi la multiplication des reliques, dĂ©couvertes Ă Cologne et distribuĂ©es non seulement vers les villes et les monastĂšres voisins, mais aussi Ă lâĂ©tranger. Tout au long du Moyen Ăge, la puissance maritime et commerciale de Pise lui avait permis dâĂ©tablir des liens prĂ©cieux avec les pays de lâEurope et du bassin mĂ©diterranĂ©en. Par consĂ©quent, sa participation Ă la diffusion du culte de sainte Ursule aux XIIIe et XIVe siĂšcles ne paraĂźt ni injustifiĂ©e ni inintĂ©ressante. Les directions dans lesquelles ce culte voyage sont diffĂ©rentes, et les acteurs qui y contribuent sont nombreux il serait difficile, au stade actuel des recherches, de dĂ©finir avec prĂ©cision la place occupĂ©e par Pise au sein du rĂ©seau de diffusion de ce culte. NĂ©anmoins, il est important de faire lâĂ©tat de plusieurs facteurs qui ont sans doute fait de Pise un point de convergence pour la dĂ©votion Ă sainte Ursule et qui nous encouragent Ă proposer une nouvelle lecture de la portĂ©e civique de ce tableau. En premier lieu, Ă la fin du Moyen Ăge, les nouveaux modĂšles dĂ©votionnels sont liĂ©s aux transformations sociales. Câest donc dans les rapports tissĂ©s Ă lâĂ©chelle internationale par la bourgeoise marchande Ă©mergente quâil faut rechercher les traces des chemins de diffusion du culte de la sainte. Si, Ă Florence, des marchands comme Donato Nicolai participent activement au commerce des reliques avec Cologne10, il est possible dâimaginer que les Ă©changes commerciaux â et cultuels â des pisans Ă©taient pareillement orientĂ©s vers lâEurope du nord. Or, les relations Ă©conomiques extĂ©rieures de la ville de Pise se dĂ©veloppent aussi vers le sud de lâItalie câest toujours par le truchement des classes marchandes que cette dĂ©votion aurait trouvĂ© un terrain fertile en Sicile11. Ă la Galleria Regionale della Sicilia Palazzo Abatellis, nous retrouvons sainte Ursule aux pieds dâune Vierge Ă lâEnfant avec anges et saints, signĂ©e par le pisan Turino Vanni Fig. 3. Sans pouvoir Ă©tablir pour le moment quelle en Ă©tait la destination dâorigine, cette Ćuvre montre du moins lâenracinement parallĂšle du culte pour cette sainte, tant dans la dĂ©votion que dans les arts picturaux pisans. Figure 3 Turino Vanni, La Vierge et lâEnfant entre des archanges et des saints, avec Sainte Ursule, vers 1370, peinture sur bois, 60 x 48 cm, Palerme, Galleria Regionale della Sicilia Palazzo Abatellis. © Galleria Regionale della Sicilia di Palazzo Abatellis. DeuxiĂšmement, et pour revenir aux sources, lâattention portĂ©e Ă la sainte par la sociĂ©tĂ© Ă©mergente est strictement liĂ©e Ă sa vitalitĂ© spirituelle, particuliĂšrement sensible dans sa participation Ă lâactivitĂ© des ordres religieux, bĂ©nĂ©dictins, cisterciens, prĂ©montrĂ©s12, et, dans le cas pisan, mendiants dominicains. La mobilitĂ© Ă lâĂ©chelle internationale de ces derniers, entreprise dans le cadre de leur formation ecclĂ©siastique et de leur activitĂ© de prĂ©dication, a ouvert les horizons liturgiques pisans vers lâoltralpe, en rendant le foyer spirituel de la commune toscane extrĂȘmement dynamique13. Câest donc tout autant par le canal dominicain quâil est possible de suivre la piste de lâimportation du culte de sainte Ursule Ă Pise. Simplement Ă titre dâexemple typologique, nous retrouvons les traces de ce dynamisme religieux dans lâactivitĂ© du cĂ©lĂšbre prĂ©dicateur Fra Giordano da Pisa vers 1260-1310, dont les sermons sont parvenus jusquâĂ nous. Câest Ă Pise, au sein du couvent dominicain de Santa Caterina, que Fra Giordano entreprend dans le dernier quart du XIIIe siĂšcle son activitĂ© religieuse. Comme il est relatĂ© dans la Cronica antiqua conventus Sanctae Catherinae di Pisa14, le prĂ©dicateur pisan aurait complĂ©tĂ© sa formation thĂ©ologique et commencĂ© sa carriĂšre de professeur Ă la suite de plusieurs dĂ©placements dans la pĂ©ninsule et Ă lâĂ©tranger, entre Bologne et Paris â oĂč, par ailleurs, lâUniversitĂ© Ă©tait placĂ©e sous le patronage de sainte Ursule et sainte Catherine depuis le dĂ©but du XIVe siĂšcle. Son voyage Ă Cologne, qui pourrait se situer dans les premiĂšres annĂ©es du XIVe siĂšcle, nâest quâune hypothĂšse le seul tĂ©moignage dâune visite dans la ville allemande demeure son sermon du 6 janvier 1305, oĂč Fra Giordano semble dĂ©clarer avoir vu les reliques des tĂȘtes des Mages qui y sont conservĂ©es. NĂ©anmoins, sans sâattarder sur des questions biographiques, il serait plus judicieux de souligner que, lorsque le culte de sainte Ursule se diffusait en Europe et en Italie, Fra Giordano, et comme lui les autres frĂšres des ordres mendiants, circulaient Ă travers lâEurope, visitaient villes, Ă©glises et couvents, apprenaient et transmettaient des modĂšles spirituels. Câest ainsi que nous gardons la mĂ©moire des sermons de Fra Giordano de Pise pour sainte Ursule15. Le jour des Onze Mille Vierges » â le 21 octobre 1304 -, il prĂȘche Ă Santa Maria Novella, oĂč Ă©taient conservĂ©es depuis 1285, grĂące aux rapports entre les dominicains de Florence et ceux de Cologne, les reliques de la tĂȘte dâune des Vierges16. De plus, dans un sermon Per SantâOrsola non datĂ© Inc. Non fui al chomenzamiento », Fra Giordano raconte la lĂ©gende de la sainte, en dĂ©crivant le fonctionnement et le dĂ©cor du monastĂšre fĂ©minin de Cologne comme sâil avait pu le visiter17. Ces rĂ©fĂ©rences documentent lâouverture des perspectives spirituelles des ordres mendiants et lâintĂ©gration du culte de sainte Ursule en Toscane. Ă Pise, comme ailleurs dans le reste de lâItalie, notamment Ă Ravenne et Bologne18, la diffusion du culte de sainte Ursule se noue Ă lâactivitĂ© spirituelle des dominicains et au rapprochement qui se produit avec une autre sainte, Catherine. La prĂ©sence de sainte Ursule dans la prĂ©delle du Polyptyque de Simone Martini pour lâĂ©glise pisane de Sainte-Catherine Fig. 4 nous dĂ©montre que depuis le premier quart du XIVe siĂšcle le culte pour la sainte bretonne et son association Ă sainte Catherine Ă©taient assimilĂ©es par le systĂšme spirituel dominicain. Son dĂ©veloppement est aussi dĂ» Ă lâefficacitĂ© de communication entre ces deux modĂšles, proches, de saintetĂ© fĂ©minine, qui sâadressent au mĂȘme rĂ©seau de dĂ©vots et de laĂŻcs. Il sâagissait des personnes appartenant aux classes sociales marchandes et Ă©mergentes qui, Ă Pise, pouvaient se rĂ©fĂ©rer Ă la Compagnie de Sainte-Ursule19. Lâexistence de cette compagnie de laĂŻcs, fondĂ©e au XIVe siĂšcle20 ou, selon Tronci, vers 142021, confirme lenracinement de ce culte dans cette ville toscane. Si nous nâavons aucune Ă©vidence de la provenance de Sainte Ursule sauvant la ville de Pise des eaux de cette Compagnie, un autre tableau, une bandinella du premier quart du XVe siĂšcle aujourdâhui conservĂ© au Museo San Matteo, lui serait mieux associĂ©e22 Fig. 5. Elle prĂ©sente sainte Ursule en trĂŽne, entourĂ©e des Vierges, avec Ă ses pieds des laĂŻcs encapuchonnĂ©s, tĂ©moignant ainsi de la vĂ©nĂ©ration pour la sainte dans le milieu des confrĂ©ries pisanes. Figure 4 Simone Martini, Polyptyque de Sainte-Catherine, dĂ©tail de sainte Ursule, 1319-1323, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Silvia Marcheselli. Figure 5 Anonyme pisan, Sainte Ursule en trĂŽne entre les compagnes et les flagellants, premiĂšre moitiĂ© du XVe siĂšcle, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Silvia Marcheselli. Entre la reprĂ©sentation de sainte Ursule de Simone Martini et de la bandinella, et notre Sainte Ursule sauvant la ville de Pise des eaux, lâattribut de la sainte, sa banniĂšre, se transforme dans le drapeau pisan. Ă travers ce transfert symbolique de valeurs civiques sur une prĂ©sence spirituelle, il est possible dâapprĂ©hender la charge identitaire de la reprĂ©sentation iconographique dans son intĂ©gralitĂ©. Selon notre perspective, dans lâĆuvre et dans son message, la distinction entre valeurs politiques et religieuses nâest pas si nette. Le choix de reprĂ©senter sainte Ursule ne tient pas seulement Ă sa cĂ©lĂ©bration liturgique le jour du coup dâĂ©tat de Iacopo dâAppiano, ni exclusivement Ă la tentative Ă©chouĂ©e du seigneur pisan dâimposer le culte de cette sainte, patronne du gouvernement23. Le culte de sainte Ursule se diffusait alors dans la pĂ©ninsule et dans la rĂ©gion et Ă©tait assimilĂ© par la mĂȘme sociĂ©tĂ© Ă©mergente Ă qui cette Ćuvre pouvait adresser son message politique. Sainte Ursule, sans ĂȘtre sainte patronne, pourrait ĂȘtre dĂ©finie comme une sainte civique, puisque la communautĂ© pisane se reconnaissait dans ce modĂšle dĂ©votionnel au fort impact communicatif. La synthĂšse des valeurs politiques et religieuses au sein de cette Ćuvre procĂšde donc dâune double dynamique la famille dâAppiano rend hommage Ă la sainte protectrice du gouvernement et qui sauve la ville, et la sphĂšre spirituelle de la sainte, enracinĂ©e Ă Pise, est Ă©voquĂ©e ici dans une perspective civique. Ce jeu de miroir se matĂ©rialise dans les formes. Comme celui de la personnification de Pise, le manteau de sainte Ursule est recouvert des aigles pisans ; la sainte serre dâune part la main de la ville, dans un geste prometteur de salut, et elle brandit de lâautre le drapeau pisan, son symbole civique. Câest en ce sens que lâĆuvre cristallise, par lâexpression dâune commande politique Ă travers des rĂ©fĂ©rences dĂ©votionnelles et civiques, lâĂ©laboration dâune identitĂ© communale pisane Ă la fin du XIVe siĂšcle. Ce lien entre la sainte et la ville de Pise est aussi destinĂ© Ă se renouveler au siĂšcle suivant. Sainte Ursule tenant le drapeau pisan figure sur un fragment de polyptyque datant du XVe siĂšcle, aujourdâhui conservĂ© au Museo San Matteo, et provenant probablement de lâĂ©glise San Domenico24. Lâordre dominicain persiste dans la diffusion du culte de sainte Ursule. Or, la portĂ©e de lâassociation de la sainte Ă la conscience identitaire pisane repose surtout sur lâintense message symbolique transmis par le tableau de Sainte Ursule sauvant la ville de Pise des eaux. Dans ce dernier, sainte Ursule tend la main Ă la ville, reprĂ©sentĂ©e sous une forme humaine il sâagit de la premiĂšre consĂ©cration de ce lien identitaire, ici exprimĂ© par un modĂšle iconographique, celui de la personnification, qui ne semble pas trouver de correspondants et mĂ©rite dâĂȘtre lu dans sa complexitĂ©. La communitas personnifiĂ©e Au-delĂ de lâhĂ©raldique, de la symbolique politique et des repĂšres spirituels, câest dans la personnification de Pise que rĂ©side lâefficacitĂ© inĂ©dite de lâĆuvre. Dans celle-ci se fabrique la conscience identitaire de la communitas de la citĂ©. Par lâincarnation de la ville pisane en une jeune princesse sortant des eaux, un choix prĂ©cis a Ă©tĂ© fait celui de ne pas figurer la ville dans sa rĂ©alitĂ© topographique. Cette derniĂšre aurait pu ĂȘtre plus reconnaissable et plus appropriĂ©e pour lâexpression narrative dâun Ă©vĂ©nement, comme dans ce cas, de la libĂ©ration de la ville du gouvernement antĂ©rieur. Pour relater une semblable circonstance politique, celle de la fin de la tyrannie dâEzelino da Romano, la ville de Padoue est reprĂ©sentĂ©e dans la chapelle Belludi par une vue Ă vol dâoiseau, libĂ©rĂ©e par son patron saint Antoine. Par ailleurs, entre le XVe et le XVIe siĂšcle, sainte Ursule apparaissait le plus souvent au sein de cycles narratifs relatant sa lĂ©gende dans la scĂšne du martyre de la sainte aux portes de Cologne, la ville est reprĂ©sentĂ©e avec ses monuments mĂ©diĂ©vaux, comme dans lâĆuvre du MaĂźtre de la lĂ©gende de Sainte Ursule Fig. 6. Dans le contexte colonais, sainte Ursule Ă©tait chargĂ©e aussi dâun important rĂŽle civique, liĂ© Ă la libĂ©ration de la ville Ă la suite du siĂšge des Huns, aprĂšs son martyre. Ainsi lâiconographie de la sainte est-elle souvent associĂ©e en peinture Ă des symboles politiques, tels lâhermine hĂ©raldique superposĂ©e Ă sa robe25, ainsi que les armoiries des villes oĂč elle fait Ă©tape pendant son pĂšlerinage, qui apparaissent dans le cycle anonyme de la lĂ©gende de sainte Ursule conservĂ© au Wallraf Richartz Museum 1455-1460. Figure 6 MaĂźtre de la lĂ©gende de Sainte Ursule, Le Martyre de sainte Ursule et des Onze mille Vierges, vers 1492, huile sur toile, 163 x 232 cm, Londres, Victoria and Albert Museum, © Victoria and Albert Museum, London. En revanche, le tableau du Museo San Matteo condense la symbolique civique autour dâune personnification de la ville lâidentitĂ© pisane est si forte quâelle peut ĂȘtre incarnĂ©e. Or, son incarnation implique des significations qui vont au-delĂ de la simple symbolisation de la dimension urbaine. Il ne sâagit pas tant de donner corps Ă la ville de Pise dans sa rĂ©alitĂ© physique extĂ©rieure, mais de reprĂ©senter son systĂšme de valeurs civiques. LâĆuvre leur accorde une figure humaine, personnifiĂ©e dans une idĂ©alisation gibeline, qui rĂ©sume lâensemble des Ă©lĂ©ments identitaires dissĂ©minĂ©s dans lâĆuvre. Ainsi, afin dâattribuer une forme concrĂšte Ă une conception abstraite comme lâidentitĂ© communale, le recours Ă la personnification sâavĂšre ĂȘtre lâoutil le plus appropriĂ©. Cette dĂ©marche Ă©tait aussi frĂ©quente en Italie, plus particuliĂšrement en Toscane aux XIVe et XVe siĂšcles, oĂč la personnification ou lâallĂ©gorie sont souvent employĂ©es pour reprĂ©senter les valeurs morales, comme les vices et les vertus26. Or, dans ce cas, câest la conscience dâune identitĂ© civique qui prend des formes humaines. La ville de Pise personnifiĂ©e dans le tableau en question pourrait ĂȘtre ainsi comparĂ©e Ă un prĂ©cĂ©dent en sculpture, la statue de Pise dans lâensemble de la Madonna di Arrigo Fig. 7, rĂ©alisĂ©e par Giovanni Pisano en lâhonneur du sĂ©jour pisan dâHenri VII 1312-131327. La sculpture de la ville de Pise devait ici interagir avec la Vierge dâune part, et lâempereur Henri VII â disparu â dâautre part. Comme pour la Sainte Ursule, il sâagissait ici aussi dâune conjonction de valeurs politiques et religieuses, symbolisĂ©es sĂ©parĂ©ment, mais en mĂȘme temps synthĂ©tisĂ©es dans un personnage, la ville de Pise, chargĂ© de transmettre le message civique Ă la communautĂ©. Figure 7 Giovanni Pisano, La Vierge et lâEnfant, dite Madonna di Arrigo, et personnification de la ville de Pise, 1313, Pise, Museo dellâOpera del Duomo, © Wikimedia Commons. La personnification de la ville de Pise pouvait parfois assumer des formes et des proportions diffĂ©rentes, notamment Ă lâoccasion de cĂ©rĂ©monies civiles et religieuses qui prĂ©voyaient la participation dâune incarnation » de la commune. Des rares tĂ©moignages documentaires, dont le Journal du voyage en Italie de Montaigne et le poĂšme de Puccino dâAntonio di Puccino da Pisa, nous rapportent le rituel mĂ©diĂ©val du Sposalizio del mare une fois par an, la personnification de Madonna Pisa parcourait les eaux de lâArno jusquâĂ la mer, pour cĂ©lĂ©brer son mariage avec elle28. La grande reine », ornĂ©e dâor », et suivie dâun cortĂšge de cent galĂšres »29, semble pouvoir se retrouver dans la reprĂ©sentation du tableau pisan. En effet, dans lâĆuvre, la princesse entretient avec les eaux un rapport particulier la riviĂšre dâoĂč elle sort est non pas cause dâune inondation catastrophique, comme lâancienne interprĂ©tation de lâĆuvre lâaffirmait, mais remplie de poissons, Ă lâorigine de la richesse Ă©conomique et commerciale de la ville, Ă©voquant la prospĂ©ritĂ© restaurĂ©e par le nouveau gouvernement. Les eaux, la riviĂšre, la mer, prĂ©sentes dans lâĆuvre et dans lâimaginaire pisan et qui lui avaient permis de sâaffirmer comme puissance navale, participent aussi Ă cette fabrique de lâidentitĂ© civique. MalgrĂ© le caractĂšre exceptionnel de lâemploi artistique et social dâune personnification de la ville par Pise, dâautres apparitions, notamment dans le contexte cĂ©rĂ©moniel, dĂ©notent une dĂ©marche qui Ă©tait rĂ©pandue mĂȘme en-deçà des Alpes. Par exemple, Ă lâoccasion des fĂȘtes dâentrĂ©e de personnalitĂ©s politiques ou ecclĂ©siastiques dans la ville de Lyon entre le XVe et le XVIe siĂšcle, la citĂ© participait au rituel dâaccueil avec sa personnification30. Il sâagissait souvent de personnifications fĂ©minines, prĂ©sentant des blasons sur leurs robes31. Ces mises en scĂšne, en Italie comme en France, tĂ©moignent de lâassimilation du processus idĂ©ologique et visuel de personnification de la ville, et de sa puissance de communication dans le domaine politique, religieux, et civil. Les messages transmis par ces personnifications des villes sâadressaient Ă une communautĂ© qui sây reconnaissait, qui se soudait autour dâelles, et qui renforçait son identitĂ© Ă travers la reconnaissance commune de symboles, le partage dâidĂ©aux politiques, la rĂ©novation de traditions historiques, et lâadhĂ©sion Ă des modĂšles spirituels. AutoreprĂ©sentation de la conscience identitaire Tous les Ă©lĂ©ments contribuant Ă lâĂ©laboration du message civique dans Sainte Ursule sauvant la ville de Pise des eaux se retrouvent distribuĂ©s et parfois redoublĂ©s au sein du tableau. Les passages entre sphĂšre politique et valeurs religieuses sâexpliquent par lâintention de reprĂ©senter lâidĂ©al urbain devenu rĂ©alitĂ© grĂące Ă la prise de pouvoir de Iacopo dâAppiano. Le nouveau gouvernement Ă©tait en effet voulu par Dieu, qui sort des lumiĂšres dans lâangle en haut Ă gauche, pour guider le geste sauveur de sainte Ursule. La nouvelle forme de la commune pisane est aussi protĂ©gĂ©e et glorifiĂ©e par lâange tenant un phylactĂšre et pointant le doigt de sa main gauche vers lâĂ©tendard pisan. Dans sa main droite, il tient un rameau dâolivier, qui lâassocierait Ă un message de paix. La prĂ©sence de ce symbole rend compte dâun idĂ©al politique, religieux et social elle annonce les objectifs du gouvernement de dâAppiano, en opposition avec les temps antĂ©rieurs, tout en sâinscrivant aussi dans lâĂ©laboration mĂ©diĂ©vale thĂ©ologique et morale dâune ville idĂ©ale fondĂ©e sur la paix et le bien commun, telle quâelle Ă©tait prĂ©conisĂ©e par Fra Giordano32. Le coup dâĂ©tat se justifie ainsi par la volontĂ© de rĂ©affirmer les idĂ©ologies politiques fondatrices de lâidentitĂ© pisane, comme le gibelinisme, la libertas et la cohĂ©sion de la communautĂ©, ainsi que par la bĂ©nĂ©diction de Dieu et la sauvegarde de sainte Ursule. Cette derniĂšre correspond non seulement Ă la sainte protectrice du gouvernement, mais aussi Ă la communautĂ© tout entiĂšre qui participe Ă son culte. LâĆuvre reprĂ©sente une conscience civique prĂ©existante et partagĂ©e, une identitĂ© communale abstraite mais Ă laquelle le peintre peut donner forme humaine Ă travers la personnification de la ville. Pour toutes ces raisons, il est possible de supposer quâelle Ă©tait destinĂ©e Ă ĂȘtre vue, si ce nâest pas par lâensemble de la communautĂ©, au moins par la sociĂ©tĂ© proche du gouvernement. Or, la coexistence dâune portĂ©e politique et religieuse rend les hypothĂšses sur son emplacement original encore plus floues. LâĆuvre, vue par Vasari Ă San Paolo a Ripa dâArno, avait-elle Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e pour une structure ou une organisation religieuse, assurant une attention dĂ©votionnelle pour la sainte bretonne â telle la Compagnie de Sainte-Ursule ? Ou Ă©tait-elle destinĂ©e Ă transmettre son message politique au sein dâun Ă©difice liĂ© au gouvernement, tel le Palazzo degli Anziani ? Si des recherches ultĂ©rieures pourraient nous Ă©claircir sur sa destination originelle, nous pouvons nĂ©anmoins parler dâun tableau Ă fonction civique et identitaire. LâĆuvre sâadressait donc non pas personnellement Ă Iacopo dâAppiano, mais Ă toute la communautĂ© pisane, rachetĂ©e, libĂ©rĂ©e, rĂ©conciliĂ©e, protĂ©gĂ©e des dangers dâun mauvais gouvernement et des menaces de Florence guelfe. Ce message Ă©tait aussi explicitĂ© par les inscriptions des phylactĂšres, mal conservĂ©es mais transcrites au XXe siĂšcle par Enzo Carli, oĂč nous retrouvons le terme dominus », identifiable tantĂŽt au PĂšre Ă©ternel, tantĂŽt au gouvernement, et les mots et liberavit eos »33. Par ailleurs, la prĂ©sence des phrases sur des phylactĂšres avait Ă©tĂ© jugĂ©e maladroite par Vasari, qui attribuait lâĆuvre Ă Bruno di Giovanni, un collaborateur de Buffalmacco qui en avait fait le mĂȘme usage au Ă sa rĂ©interprĂ©tation, lâĆuvre peut aujourdâhui ĂȘtre datĂ©e de la fin du XIVe siĂšcle, aprĂšs 1392, quand Iacopo dâAppiano prend le pouvoir et que le culte de sainte Ursule se rĂ©pand sur le territoire toscan. Or, tout comme lâidentification de son emplacement, lâattribution du tableau est loin dâĂȘtre Ă©tablie. Pour cette Ćuvre si rĂ©vĂ©latrice dâune pisanitas, plusieurs noms de peintres actifs Ă Pise ont Ă©tĂ© avancĂ©s, parmi lesquels le pisan Turino Vanni35. Cette ancienne attribution faisait du tableau le chef-dâĆuvre pisan par excellence, en transfĂ©rant la signification identitaire du tableau Ă son artiste, et vice-versa. Cependant, compte tenu de la grandeur de lâĆuvre, des diffĂ©rences aux niveaux tant techniques que stylistiques, et de la potentielle rapiditĂ© de la commande, il est possible dây rechercher la contribution de plusieurs peintres en collaboration au sein dâun foyer dynamique. Topographie de lâidentitĂ© pisane en peinture Si lâidentitĂ© civique peut prendre la forme dâun corps idĂ©alisĂ©, elle peut aussi ĂȘtre Ă©voquĂ©e au sein dâune reprĂ©sentation topographique rĂ©elle. Une vue de la gĂ©ographie urbaine de la ville de Pise au Moyen Ăge nous est livrĂ©e par le Saint Nicolas de Tolentino protĂ©geant Pise de la peste Fig. 8, Ćuvre du deuxiĂšme quart du XVe siĂšcle aujourdâhui conservĂ©e Ă Pise, dans lâĂ©glise Saint-Nicolas. Pour questionner la reprĂ©sentation de la ville de Pise, il est dâabord important de revenir sur la commande de ce tableau les limites entre fonction religieuse et civique se confondent encore une fois, dans le but dâexprimer et de consolider lâidentitĂ© pisane. Figure 8 Anonyme, Saint Nicolas de Tolentino protĂ©geant Pise de la peste, premiĂšre moitiĂ© du XVe siĂšcle, Pise, Ă©glise Saint-Nicolas. © Soprintendenza archeologica, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno Autorizzazione Soprintendenza ABAP di Pisa, prot. n. 7007 del 12 maggio 2021. Comme pour la Sainte Ursule, le tableau du Saint Nicolas semble avoir Ă©tĂ© exĂ©cutĂ© pour remercier le saint dâavoir protĂ©gĂ© la ville de Pise de lâĂ©pidĂ©mie. ReprĂ©sentĂ© debout avec ses attributs, le saint intercepte les flĂšches de la peste qui martyrisent la ville figurĂ©e Ă ses pieds. La reprĂ©sentation de Pise semble contribuer Ă la narration de ce miracle. Or, comme il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© par Cecilia Iannella, cet Ă©vĂ©nement ne trouve pas de correspondance dans dâautres sources ou attestations. La rĂ©alitĂ© topographique de la ville est donc appelĂ©e Ă asseoir une entreprise de propagande dĂ©votionnelle, fondĂ©e sur lâattribution au saint de nouveaux miracles thaumaturges. Comme cela pourrait ĂȘtre le cas pour le tableau de Bicci di Lorenzo pour Empoli, datĂ© de 1445, lâĆuvre pisane devait Ă©maner dâune commande de lâordre des augustins, qui depuis le dĂ©but du XIVe siĂšcle avait entrepris une campagne de promotion en faveur de la canonisation de saint Nicolas, mort en 130536. MĂȘme sâil sâagit finalement dâune commande religieuse, qui ne prĂ©voit pas lâintervention du pouvoir communal, nous pouvons retrouver dans cette Ćuvre des Ă©lĂ©ments civiques, câest-Ă -dire servant Ă la reconnaissance identitaire de la communautĂ© pisane. Ces Ă©lĂ©ments sont rĂ©unis dans la reprĂ©sentation de la ville la vue de Pise, correspondant Ă sa rĂ©alitĂ© urbaine, fait appel Ă une culture visuelle concrĂšte et partagĂ©e, tout en Ă©tant caractĂ©risĂ©e par une charge symbolique. Nous constatons ainsi que la rĂ©alitĂ© gĂ©ographique de Pise se dĂ©finit Ă travers la reprĂ©sentation de la muraille et du fleuve. La premiĂšre renferme et protĂšge la communautĂ©, dĂ©limite sa sĂ©curitĂ© militaire et dĂ©finit son identitĂ© dâurbs la pisanitas se trouve, condensĂ©e, Ă lâintĂ©rieur de ces murs. Le fleuve appelle en revanche Ă sortir de ces limites. Comme les eaux de sainte Ursule, lâArno matĂ©rialise les succĂšs maritimes et commerciaux de Pise ; en traversant la ville, il la soude, et il lui permet de se dĂ©velopper gĂ©ographiquement et Ă©conomiquement autour de lui. De plus, les monuments architecturaux qui ressortent du profil urbain de Pise jouent Ă©galement un rĂŽle essentiel dans la stimulation du sentiment dâappartenance Ă la communautĂ©. Nous distinguons, en particulier, les nombreuses tours appartenant Ă la sociĂ©tĂ© aisĂ©e, mais aussi les Ă©glises, qui Ă©voquent lâactivitĂ© spirituelle de la ville. Sur le bord de lâArno, lâĂ©glise de la Spina est reprĂ©sentĂ©e dans ses petites â et vĂ©ridiques â proportions. Ă lâopposĂ©, la cathĂ©drale ressort majestueuse, entre la tour du Clocher et une portion du BaptistĂšre. Les Ă©difices religieux de la place du DĂŽme reprĂ©sentent la splendeur du passĂ© mĂ©diĂ©val pisan, et sont ainsi chargĂ©s dâune symbolique civique ils permettent lâidentification dâune communautĂ© de citoyens et de fidĂšles. Avec la mĂȘme vocation, les monuments urbains et architecturaux apparaissent dans le cĂ©lĂšbre tableau de la Crucifixion de la Douane. Cette Ćuvre anonyme est caractĂ©risĂ©e par une prĂ©sence toujours Ă©nigmatique de repeints, qui, pour des raisons politiques dues aux transformations gouvernementales entre le XVe et le XVIe siĂšcle, avaient cachĂ© la figure du commanditaire agenouillĂ© le capitaine Giuliano Davanzati â ou mĂȘme le seigneur Pietro Gambacorta ?, ses emblĂšmes et la date 143737. Or, la valeur identitaire principale de lâĆuvre est celle qui, malgrĂ© les repeints, est gardĂ©e le patrimoine monumental de Pise, Ă lâarriĂšre-plan de la Crucifixion, est immuable, chargĂ© de la mĂȘme valeur civique. Nous retrouvons Ă droite les palais publics avec les emblĂšmes du Comune et du Popolo, que nous pourrions appeler monuments civiques afin de les diffĂ©rencier des monuments religieux prĂ©sents Ă gauche. Toutefois, dans la Crucifixion de la Douane comme dans le Saint Nicolas de Tolentino, la cathĂ©drale de Pise et la tour du Clocher sont Ă©galement des monuments permettant lâĂ©laboration dâune identitĂ© civique, et seront par ailleurs des signes de reconnaissance pĂ©rennes de la riche tradition mĂ©diĂ©vale pisane. Ainsi, tout comme, dans la Crucifixion de la Douane, lâĂ©vocation du patrimoine architectural permettait de consolider la lĂ©gitimitĂ© du gouvernement, dans le Saint Nicolas de Tolentino elle stimule la foi dans ce nouveau saint et permet de rendre tangible une tradition hagiographique qui semble, dans ce cas, fictive. En ce sens, le panneau de lâĂ©glise Saint-Nicolas peut ĂȘtre comparĂ© avec les fresques consacrĂ©es aux Histoires de saint Ranieri au Camposanto, une autre Ćuvre pisane oĂč la ville mĂ©diĂ©vale est reprĂ©sentĂ©e pour renforcer la crĂ©dibilitĂ© des miracles, comme pour rappeler le lien identitaire entre le saint patron et sa ville. La preuve du rĂŽle reprĂ©sentatif de la cathĂ©drale pisane pour lâidentitĂ© non seulement urbaine et religieuse, mais aussi civique de la ville de Pise, se retrouve Ă lâextĂ©rieur du territoire nous la retrouvons dans les fresques de Domenico Ghirlandaio pour Santa Trinita Ă Florence. LâidentitĂ© civique pisane entre XIVe et XVe siĂšcle, construite sur des fondements historiques, politiques, religieux et sociaux, se manifeste en peinture par lâemploi de stratĂ©gies de communication comme la personnification ou la reprĂ©sentation topographique. Quelle que soit la solution formelle privilĂ©giĂ©e, son efficacitĂ© repose sur le partage dâune conscience identitaire parmi les membres de la communautĂ©, se reconnaissant et se solidarisant autour dâun lexique vaste, composĂ© dâĂ©lĂ©ments, de symboles et de messages qui font appel Ă toutes les sphĂšres de la sociĂ©tĂ© mĂ©diĂ©vale pisane. En confondant les limites entre les fonctions politiques et dĂ©votionnelles, la reprĂ©sentation de la ville en peinture utilise un langage qui peut ĂȘtre dĂ©fini comme civique elle nâest pas seulement une maniĂšre dâafficher lâidentitĂ© pisane, mais aussi une piĂšce maitresse permettant sa construction. Or, comme toute sorte de langage, câest lâhistoire qui en dĂ©termine lâemploi, le remploi ou les transformations. Les armoiries changent, mais un certain lexique, appartenant Ă lâhĂ©ritage mĂ©diĂ©val de la ville, est destinĂ© Ă survivre. Ainsi, en 1603 Ventura Salimbieni peint une personnification de Pise, en forme dâallĂ©gorie de caritas, entre la cathĂ©drale et la tour du Clocher. Le patrimoine artistique et monumental du Moyen Ăge, dĂ©jĂ remarquĂ© au XVIe siĂšcle par Montaigne, rappellera aux pisans leur gloire passĂ©e et pourra rĂ©pondre aux questionnements identitaires de la communautĂ© tout au long des XVIIIe et XIXe siĂšcles. Silvia Marcheselli Bibliographie BARSOTTI, 2016 BARSOTTI Francesca, La Chiesa di San Paolo a Ripa dâArno a Pisa, Pise Pacini, 2016. BERNARDINI, 2004 BERNARDINI Rodolfo, La Misericordia di Pisa. Sette secoli di storia, s. l., 2004. CALECA, 1978 CALECA Antonino, Il Museo Nazionale di San Matteo opere dâarte fino al 15° secolo. Bozze di stampa, Pise Mairie de Pise, 1978. CAMELLITI, 2010 CAMELLITI Vittoria, Devozione e Conservazione. Culto dei santi e identitĂ civica a Pisa tra Trecento e Quattrocento », in Denise LA MONICA, Federica RIZZOLI dir., Municipalia. 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Table des illustrations Figure 1 Anonyme, Sainte Ursule sauvant Pise des eaux, aprĂšs 1392, peinture sur bois, 188 x 358 cm, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Soprintendenza archeologica, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno Autorizzazione Soprintendenza ABAP di Pisa, prot. n. 7007 del 12 maggio 2021. Figure 2 Turino Vanni, La Vierge et lâEnfant entre saint Ranieri, saint TorpĂ© et deux saints, 1397, Pise, Ă©glise San Paolo a Ripa dâArno. © Silvia Marcheselli. Figure 3 Turino Vanni, La Vierge et lâEnfant entre des archanges et des saints, avec Sainte Ursule, vers 1370, peinture sur bois, 60 x 48 cm, Palerme, Galleria Regionale della Sicilia Palazzo Abatellis. © Galleria Regionale della Sicilia di Palazzo Abatellis. Figure 4 Simone Martini, Polyptyque de Sainte-Catherine, dĂ©tail de sainte Ursule, 1319-1323, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Silvia Marcheselli. Figure 5 Anonyme pisan, Sainte Ursule en trĂŽne entre les compagnes et les flagellants, premiĂšre moitiĂ© du XVe siĂšcle, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Silvia Marcheselli. Figure 6 MaĂźtre de la lĂ©gende de Sainte Ursule, Le Martyre de sainte Ursule et des Onze mille Vierges, vers 1492, huile sur toile, 163 x 232 cm, Londres, Victoria and Albert Museum, © Victoria and Albert Museum, London. Figure 7 Giovanni Pisano, La Vierge et lâEnfant, dite Madonna di Arrigo, et personnification de la ville de Pise, 1313, Pise, Museo dellâOpera del Duomo, © Wikimedia Commons. Figure 8 Anonyme, Saint Nicolas de Tolentino protĂ©geant Pise de la peste, premiĂšre moitiĂ© du XVe siĂšcle, Pise, Ă©glise Saint-Nicolas. © Soprintendenza archeologica, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno Autorizzazione Soprintendenza ABAP di Pisa, prot. n. 7007 del 12 maggio 2021. Montaigne, 1774, p. 211. [â©]Vasari, Ă©d. 1568, Bettarini, Barocchi, 1966-1987, p. 160 ; selon la traduction de Vasari Chastel, 2005, v. 1, p. 185. [â©]Idem ; Carli, 1961, p. 72-73. [â©]Camelliti, 2010 ; Camelliti, 2015 ; Collareta, 2016 ; Iannella, 2018, p. 136-143 ; Camelliti, 2020, p. 193-200. [â©]Ronzani, 2013 ; Iannella, 2018, p. 33-43. [â©]Poloni, 2004, p. 24-25. [â©]Iannella, 2018, p. 59-86 ; Camelliti, 2020, p. 122-130. [â©]Camelliti, 2020, p. 196. [â©]Pour ces considĂ©rations et les suivantes sur le culte de sainte Ursule Tervarent, 1931 ; Zehnder, 1985 ; Montgomery, 2010. [â©]Montgomery, 2010, p. 26. [â©]Sardina, 2011. [â©]Tervarent, 1931, p. 44-45 ; Montgomery, 2010, p. 28-29. [â©]Zaccagnini, 2008, p. 304-305. [â©]Iannella, 2005. [â©]Delcorno, 1975, p. 291-411. [â©]Ibid., p. 211, note 64. [â©]Ibid., p. 209-211. [â©]Marchetti, Pini, 2009. [â©]Da Morrona, 1793, v. III, p. 141 ; Bernardini, 2004. [â©]Carli, 1974, p. 87 ; Bernardini, 2004. [â©]Tronci, 1643 ; Lucques, 1998, p. 302. [â©]Pour Supino 1894, p. 69, Sala Quinta, n°24, la bandinella serait une Ćuvre dâ Ă©cole siennoise ». LâĆuvre est aussi attribuĂ©e au Maestro di Barga Caleca, 1978, p. 32 ; Lucques, 1998, p. 302-303, n°37. Pour Vigni 1950, p. 73-74, n°56, fig. XVII, elle appartient Ă lentourage du bolonais Michele di Matteo. Kaftal 1952, p. 995-1000 la date du XIVe siĂšcle. Enfin, Carli 1974, p. 87-88, n°90, fig. 109 lâattribue Ă un peintre pisan du gothique tardif ? ». [â©]Camelliti, 2020, p. 196. [â©]Anonyme, Sainte Ursule avec histoires de sa lĂ©gende, XVe siĂšcle, Pise, Museo Nazionale San Matteo. Pise, 1999, p. 50-51, Inv. 2153. LâĆuvre avait Ă©tĂ© rĂ©unie dans un triptyque fictif provenant de lâĂ©glise San Domenico, avec le Christ trĂŽnant entre la Vierge et sainte Marie Madeleine signĂ© par Ambrogio dâAsti au centre Inv. 1695, et la Sainte Eulalie avec histoires de sa lĂ©gende Inv. 2159 comme pendant. [â©]Notamment, dans lâĆuvre du MaĂźtre de la LĂ©gende de sainte Ursule, Sainte Ursule annonce Ă la cour de son pĂšre sa dĂ©cision dâaller en pĂšlerinage Ă Rome avec onze mille Vierges, vers 1492, 129 x 116 cm, Paris, MusĂ©e du Louvre. [â©]Cosnet, 2015. [â©]Iannella, 2018, p. 104-130. [â©]Tolaini, 2004. [â©] Ibid., p. 19. [â©]LĂ©vy, 2013, p. 253-301. Je remercie Philippe Lorentz pour la suggestion. [â©]Ibid., p. 294. [â©]Iannella, 1999, p. 40-52. [â©]Transcription des inscriptions des phylactĂšres MISERICORDIAM FECIT DOMINUS CUM SERVA SUA / LAUDABO IPSUM IN ETERNUM » ; APPARUIT OMNIBUS VIDENTIBUS NOMEN / ⊠TUUM + ET LIBERAVIT EOS ». Carli, 1974, p. 82 ; Camelliti, 2020, p. 193. [â©]Vasari, Ă©d. 1568, Bettarini, Barocchi, 1966-1987, p. 160. [â©]AttribuĂ© Ă la maniĂšre de Turino Vanni » par Siren, 1914, p. 225, p. 230. Pour Van Marle 1925, p. 240-243, lâĆuvre serait plutĂŽt de la main dâun prĂ©dĂ©cesseur â selon lui le maĂźtre et/ou le pĂšre â de Turino Vanni the Second », ce dernier Ă©tant actif dans la deuxiĂšme moitiĂ© du XIVe siĂšcle. Vigni 1950, p. 100-101, n°88, concorde pour son attribution Ă un artiste pisan de la deuxiĂšme moitiĂ© du XVe siĂšcle. Enzo Carli 1961, p. 72-73 lâattribue au Maestro dellâUniversitas Aurificum, puis identifiĂ© comme le Maestro della SantâOrsola Carli, 1974, p. 82-83, n° 80, fig. XX ; Carli, 1994, p. 101-102. [â©] Iannella, 2017 ; Iannella, 2019, p. 143-148. [â©]Sur cette question voir Camelliti, 2020, p. 200-204, avec bibliographie prĂ©cĂ©dente. [â©] Article Ă©crit par Dorian Bianco TĂ©lĂ©charger lâarticle au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le 20 janvier 2022. Depuis la fin du XXe siĂšcle, la notion de patrimoine culturel a subi une double redĂ©finition de son champ dâĂ©tude. Dâune part elle connaĂźt un Ă©largissement de ses objets et de ses Ă©chelles ce nâest plus seulement le monument que lâon classe, mais le mobilier, le bĂąti ordinaire voire des portions de paysage dont on enquĂȘte les caractĂšres patrimoniaux, selon un panorama allant non seulement de la cathĂ©drale Ă la petite cuillĂšre » pour reprendre le mot dâAndrĂ© Chastel1, mais plus encore au territoire. Dâautre part une extension chronologique, puisque son champ dâinvestigation sâĂ©tend dĂ©sormais aux Ă©poques les plus rĂ©centes, comme le patrimoine du XXe siĂšcle »2 touchant les ensembles bĂątis de la pĂ©riode dâaprĂšs-guerre, voire plus contemporains. En consĂ©quence, au-delĂ de la procĂ©dure juridique traditionnelle du classement ou de lâinscription au titre des monuments historiques, les processus de patrimonialisation se sont diversifiĂ©s vers lâinventaire et la labellisation de vastes ensembles mobiliers et immobiliers, rendant plus large, mais peut-ĂȘtre plus prĂ©caire la reconnaissance de leur caractĂšre patrimonial. Peut-on sâengouffrer dans cet Ă©largissement et faire de lâamĂ©nagement du territoire une nouvelle â et ultime â catĂ©gorie du patrimoine culturel ? Une partie des opĂ©rations dâurbanisme et dâinfrastructure qui sây rattache tombent en fait dans le domaine dĂ©jĂ constituĂ© du patrimoine du XXe siĂšcle. Le caractĂšre patrimonial de lâamĂ©nagement du territoire suppose sa reconnaissance prĂ©alable par les historiens et les acteurs du patrimoine culturel, alors que la littĂ©rature scientifique nâa pas toujours intĂ©grĂ© de façon systĂ©matique lâĂ©chelle territoriale et spatiale Ă lâhistoire de lâarchitecture dâaprĂšs-guerre3. Il sâagit de doter lâamĂ©nagement du territoire dâune lĂ©gitimitĂ© nouvelle pour la faire entrer en histoire de lâart parce quâelles ont trait Ă la nature politique et institutionnelle de la fabrication » des espaces gĂ©ographiques que nous percevons in fine comme des paysages, les grandes rĂ©alisations historiques dâamĂ©nagement Ă©largissent le cadre originel du patrimoine monumental et architectural Ă lâĂ©chelle du patrimoine bĂąti et paysager, une notion dĂ©jĂ enracinĂ©e dans lâhistoire sĂ©culaire de la protection des sites classĂ©s et inscrits. Il convient de rappeler la dĂ©finition et la genĂšse historique de lâamĂ©nagement du territoire pour justifier cette lecture rĂ©trospective. LâamĂ©nagement du territoire dĂ©finition et expĂ©riences historiques dâune gĂ©ographie volontaire ». LâamĂ©nagement du territoire dĂ©signe lâaction dâorganiser, par les moyens administratifs de la planification spatiale, les rĂ©gions et les pays selon une finalitĂ© dâordre Ă©conomique comme la dĂ©centralisation industrielle dâaprĂšs-guerre, environnementale comme le remembrement ou lâafforestation et culturelle le tourisme, la restauration du patrimoine bĂąti. Apparue sous la plume dâingĂ©nieurs et de hauts-fonctionnaires de la France vichyste, lâexpression est reprise par Raoul Dautry, ministre de la Reconstruction et de lâUrbanisme de 1944 Ă 1948, dans sa prĂ©face Ă la premiĂšre Ă©dition de Paris et le dĂ©sert français 19474 Ă©crit par le gĂ©ographe Jean-François Gravier. Celui-ci la dĂ©finit comme lâĂ©largissement Ă lâĂ©chelle territoriale des enjeux dâamĂ©nagement posĂ©s par la naissance de lâurbanisme moderne et les maux de la sociĂ©tĂ© industrielle, faisant Ă©cho aux expĂ©riences fondatrices menĂ©es dans les pays anglo-saxons depuis les annĂ©es 1930. Aux Ătats-Unis, la Grande DĂ©pression a frappĂ© durant la dĂ©cennie prĂ©cĂ©dente les villes industrielles et les espaces ruraux des Appalaches. Ălu en 1933, le prĂ©sident Roosevelt Ă©labore avec lâaide de son Brain Trust le New Deal, un ensemble de programmes gouvernementaux visant Ă lutter contre les effets socio-territoriaux de la crise Ă©conomique. La crĂ©ation en 1933 de lâĂ©tablissement fĂ©dĂ©ral de la Tennessee Valley Authority TVA Ă©tablit les grandes lignes du planning, qui se dĂ©finit comme un modĂšle de dĂ©veloppement Ă©conomique et territorial concertĂ© par la puissance publique pour rĂ©amĂ©nager en globalitĂ© la vallĂ©e du Tennessee contrĂŽle de la navigation des eaux avec la construction de barrages hydroĂ©lectriques, maĂźtrise de lâurbanisation par lâinstallation de communautĂ©s planifiĂ©es, Ă©lectrification rurale, industrialisation, amĂ©lioration de la productivitĂ© agricole en luttant contre lâĂ©rosion des sols, etc5. LâamĂ©nagement du territoire se dĂ©finit comme un interventionnisme constituant le volet spatial » des politiques dâĂtat-Providence welfare state naissantes dans les pays occidentaux dĂ©veloppĂ©s6. Au Royaume-Uni, le gouvernement de Neville Chamberlain demande en 1940 Ă Anderson Montague-Barlow, un homme politique du parti conservateur, de prĂ©sider une commission royale pour enquĂȘter sur les rĂ©gions miniĂšres dĂ©primĂ©es par la crise Ă©conomique. Les rĂ©sultats pointent lâexcĂšs de concentration urbaine et dĂ©mographique dans les grands centres urbains. La commission dĂ©fend le projet dâune dĂ©concentration planifiĂ©e de la population et des activitĂ©s, donnant naissance Ă la doctrine du Town and country planning de lâaprĂšs-guerre qui aboutira Ă la crĂ©ation de villes nouvelles New Towns, visant Ă dĂ©concentrer les centres urbains britanniques London overspill7. Ces idĂ©es sont diffusĂ©es en France grĂące Ă Jean-François Gravier, engagĂ© dĂšs 1947 par le Commissariat gĂ©nĂ©ral au Plan. Dans Paris et le dĂ©sert français, il dĂ©fend la dĂ©concentration du territoire par lâarrĂȘt de la croissance de Paris au profit dâune dĂ©centralisation industrielle et dĂ©mographique en province. Politiquement transversales, ces idĂ©es sont Ă©galement dĂ©fendues par les gĂ©ographes Pierre George, Jacques Weulersse et Gabriel Dessus dont les MatĂ©riaux pour une gĂ©ographie volontaire de lâindustrie française8 1949 envisagent une distribution harmonieuse des industries sur le territoire pour Ă©viter les phĂ©nomĂšnes de congestion urbaine. La gĂ©ographie volontaire » dĂ©signe la tentative par lâĂtat ou la puissance publique dâorienter ces implantations dans lâespace, portant en filigrane lâidĂ©e que la doctrine libĂ©rale du laisser-faire spatial, corrĂ©lat gĂ©ographique du laisser-faire Ă©conomique, est mis en Ă©chec par les crises Ă©conomiques et quâil faut lui substituer les mĂ©thodes de lâamĂ©nagement du territoire. Dans la brochure prĂ©sentĂ©e en Conseil des ministres en 1950, intitulĂ©e Pour un plan national dâamĂ©nagement du territoire, EugĂšne Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction et de lâurbanisme 1948-1953, Ă©tend la gĂ©ographie volontaire de lâindustrie Ă la protection des ressources naturelles, Ă lâaccĂšs aux espaces verts ainsi quâĂ lâhabitat structurĂ© par les doctrines de lâurbanisme moderne et de lâhygiĂ©nisme. Le zonage Ă©quilibrĂ© des activitĂ©s est envisagĂ© comme un moyen pour Ă©viter que lâindustrialisation ne dĂ©grade le cadre de vie des habitants. Claudius-Petit sâinspire du modĂšle amĂ©ricain de la TVA dont il visite les barrages hydroĂ©lectriques avec Le Corbusier lors dâun sĂ©jour dâĂ©tudes rĂ©alisĂ© aux Ătats-Unis en 19469. Traitant lâhabitat sous le prisme de la rĂ©partition gĂ©ographique et non du seul point de vue dâun plan de production et du volume de construction, peu de grands projets du second XXe siĂšcle peuvent ĂȘtre rĂ©trospectivement rattachĂ© Ă lâentreprise dâune gĂ©ographie volontaire. Si câest le cas de lâamĂ©nagement de la cĂŽte languedocienne par la Mission Racine et les Villes nouvelles, Ă lâinverse les Grands ensembles ne dĂ©finissent pas Ă proprement parler un programme dâamĂ©nagement du territoire, puisque lâimplantation ad hoc des barres et tours en bordure des villes a relevĂ© strictement dâune politique du logement » par ailleurs critiquĂ©e pour son manque dâintĂ©gration spatiale et paysagĂšre10. Ainsi la notion dâamĂ©nagement acquiert une lĂ©gitimitĂ© nouvelle aux yeux de lâhistorien dâart en raison de sa plasticitĂ© Ă©pistĂ©mologique. Englobant les travaux dâinfrastructures et dâĂ©quipement, lâamĂ©nagement du territoire renvoie bien Ă la crĂ©ation de formes dans lâespace », au sens dâHenri Focillon11, par les trames, les courbes et les matiĂšres qui se crĂ©ent dans le dessin comme dans la rĂ©alisation. Les formes bĂąties, qui intĂ©ressent en propre lâhistorien dâarchitecture, constituent un hĂ©ritage matĂ©riel du passĂ© rĂ©cent lĂ oĂč le concept dâamĂ©nagement du territoire dĂ©signe spĂ©cifiquement lâaction de nature politique et institutionnelle visant Ă façonner â mettre en forme â lâespace. En ce sens, lâamĂ©nagement est Ă©galement un concept technique et scientifique dâobjectivation de lâespace gĂ©ographique par la planification » qui modĂ©lise la rĂ©alitĂ© physique triple nature dâun concept tout Ă la fois dâaction publique, dâopĂ©ration technique et de forme artistique. Une notion rĂ©cente, mais une histoire ancienne. Par-delĂ lâinnovation sĂ©mantique, la notion dâamĂ©nagement du territoire dĂ©signe plus spĂ©cifiquement lâapproche institutionnelle et politique guidĂ©e par la puissance publique approche top-down. Cependant, lâamĂ©nagement de lâespace habitĂ© se confond avec lâhistoire mĂȘme de lâhumanitĂ© et du progrĂšs technique, depuis lâinvention de lâagriculture elle-mĂȘme, bien avant notre Ă©poque contemporaine. Si la notion dâamĂ©nagement du territoire ne remonte quâau milieu du XXe siĂšcle, lâorganisation spatiale des sociĂ©tĂ©s constitue une rĂ©alitĂ© ancienne qui renvoie Ă lâhistoire de la maĂźtrise du territoire par les hommes12. Les historiens de lâĂcole des Annales se sont attachĂ©s Ă retracer la gĂ©ographie humaine de lâEurope occidentale comme lâhistorien Marc Bloch dĂ©crivant les paysans beaucerons essartant les terroirs de lâancienne cette production bottom-up du territoire â ou, pour rester dans lâemprunt anglophone, dâun planning before planning, bien avant le modĂšle planificateur de la TVA â soulignons par exemple le rĂŽle amĂ©nageur des abbayes et des ordres monastiques dans les grands dĂ©frichements des XIe et XIIe siĂšcles et les progrĂšs de lâĂ©nergie hydraulique dans Le rĂȘve cistercien, lâhistorien LĂ©on Pressouyre14 Ă©voque le modĂšle Ă©conomique des cisterciens fondĂ©e sur lâautogestion de la communautĂ© et ses rĂšgles dâorganisation spatiale. Chaque citĂ© monastique comporte ses bĂątiments rĂ©sidentiels et rituels au centre tandis que ses bĂątiments agricoles et ses granges sont implantĂ©s Ă la façon dâ Ă©tablissements satellites » dans une distance parcourable en un temps imparti. Faut-il y voir la prĂ©figuration de la citĂ©-jardin dâEbenezer Howard ?15 Beaucoup de ces Ă©quipements monastiques sont aujourdâhui classĂ©s ou inscrits au titre des Monuments historiques. Ainsi, les amĂ©nagements anciens appartiennent bien Ă la catĂ©gorie du patrimoine bĂąti, lâĂ©tude des amĂ©nagements plus anciens renvoyant aux mĂ©thodes de lâarchĂ©ologie. Les prĂ©mices de lâamĂ©nagement contemporain du territoire Ă grande Ă©chelle se situent dans lâhistoire moderne. Les projets dâorganisation territoriale du Nouveau monde avec la colonisation de lâAmĂ©rique du Nord constituent en ce sens des tentatives prĂ©coces de planification spatiale. Le philosophe anglais John Locke avec Anthony Ashley Cooper, dont il est lâassistant personnel, Ă©tablissent une Constitution pour la province de Caroline fondĂ©e en 1663 avec sept autres lords propriĂ©taires de la colonie les Fundamental Constitutions of Carolina, adoptĂ©es en 1669. Elles prescrivent lâĂ©tablissement dâun plan dâamĂ©nagement urbain et spatial et de dĂ©veloppement Ă©conomique du territoire, dont le but originel Ă©tait de distribuer 60% des terres Ă des fermiers indĂ©pendants yeoman farmers, mĂȘme si dans les faits les articles ont finalement encouragĂ© le systĂšme esclavagiste. Les prescriptions dâamĂ©nagement comportent un tracĂ© rĂ©gulier du parcellaire urbain et rural, leur rĂ©partition, la planification orthogonale des villes, la sĂ©paration de la ville et de la campagne par une ceinture verte jusquâĂ des prescriptions dâart urbain avec jardins publics et alignement des bĂątiments. LâOglethorpe Plan de Savannah GĂ©orgie, planifiĂ© Ă partir de 1733, constitue une survivance de ce modĂšle originel Ă lâĂ©chelle urbaine fig. 1 ; il fait Ă©galement lâobjet dâune patrimonialisation grĂące Ă la crĂ©ation du Savannah Historic District en 1966. LĂ encore, des amĂ©nagements anciens deviennent objets de patrimonialisation. Figure 1 Plan de la ville et du port de Savannah, Ătat de GĂ©orgie, Ătats-Unis, Moss Eng. Co., NY, 1818, © WikimĂ©dia commons. Le Grand model de Caroline dĂ©montre la façon dont lâamĂ©nagement du territoire procĂšde, sur le plan Ă©pistĂ©mologique, dâune dissociation entre la carte et le plan, câest-Ă -dire entre lâhistoire cartographique et lâhistoire de lâamĂ©nagement la carte, prĂ©-carrĂ© de lâarpenteur et du gĂ©ographe, est une reprĂ©sentation de lâespace physique, alors que le plan, concept de nature prescriptive et prĂ©-carrĂ© de lâarchitecte-ingĂ©nieur venant se greffer par la suite sur la reprĂ©sentation cartographique, vise Ă modeler et transformer lâespace prĂ©alablement reprĂ©sentĂ©. De la mĂȘme façon quâune histoire de lâurbanisme des plans de ville nâest pas Ă proprement parler une histoire de la ville comme milieu social, lâhistoire de lâamĂ©nagement nâest pas tout Ă fait une histoire gĂ©ographique ni une gĂ©ohistoire16. Ce nâest pas de la carte, mais du plan dont lâamĂ©nagement du territoire tire son histoire et sa dĂ©marche, dâoĂč lâapproche planificatrice qui en dĂ©coulera au XXe siĂšcle. Une rĂ©novation Ă©pistĂ©mologique. Ces deux exemples tirĂ©s de lâhistoire mĂ©diĂ©vale et moderne prouvent que les amĂ©nagements antĂ©rieurs Ă lâĂ©poque contemporaine peuvent ĂȘtre objets de patrimonialisation. Quâen est-il des amĂ©nagements plus rĂ©cents associĂ©s au planning ? Nous ne sommes parvenus au rĂŽle pleinement amĂ©nageur de lâĂtat et de la puissance publique quâĂ lâĂ©poque de lâaprĂšs-guerre, lĂ©guant au XXIe siĂšcle lâhĂ©ritage matĂ©riel de leur action planificatrice par la marque quâils ont posĂ©e dans les palimpsestes paysagers villes nouvelles, autoroutes, infrastructures de loisirs, etc. Ălever lâamĂ©nagement du territoire Ă la dignitĂ© dâune reconnaissance patrimoniale repose sur la possibilitĂ© de protĂ©ger de vastes portions dâespace gĂ©ographique. Or, deux problĂšmes apparaissent En premier lieu, il faut au prĂ©alable construire la valeur historique des amĂ©nagements du XXe siĂšcle comme un paysage culturel »17 alors que cette notion demeure originellement associĂ©e aux terroirs. Il faut Ă©galement en dĂ©montrer la valeur artistique et esthĂ©tique le paysage amĂ©nagĂ© doit ĂȘtre considĂ©rĂ© sous le prisme dâune reprĂ©sentation artistique dont la transformation du regard est issue du processus dâartialisation de lâespace opĂ©rĂ© Ă partir de la Renaissance. La patrimonialisation suppose un passage du caractĂšre opĂ©ratif de lâespace amĂ©nagĂ© â ou plutĂŽt amĂ©nageable â au caractĂšre artistique du paysage perçu18 on ne peut reconnaĂźtre de formes dans lâespace » quâen vertu de cette transformation Ă©pistĂ©mologique. En second lieu, la patrimonialisation des amĂ©nagements suppose de maĂźtriser, sur le plan juridique, des instruments capables de protĂ©ger de vastes Ă©tendues paysagĂšres. InhĂ©rente Ă la notion rousseauiste de contrat social et puis Ă lâĂ©laboration jacobine du service des Monuments historiques en France, la maĂźtrise politique du territoire est consubstantielle Ă la formation de lâĂtat moderne et Ă ses outils juridiques dans la mesure oĂč les lĂ©gislations patrimoniales consistent Ă poser des servitudes dâutilitĂ© publique sur des biens immobiliers et fonciers aux dĂ©pens de leurs propriĂ©taires. LâamĂ©nagement du territoire porte Ă son accomplissement ce que le paysagiste amĂ©ricain John Brinckerhoff Jackson19 appelle le paysage politique20, dĂ©signant la fabrication » making du territoire par la puissance publique, du plan orthogonal de la ville romaine jusquâaux thĂ©ories de lâurbanisme moderne, si lâon veut bien y inclure mĂȘme les projets de nationalisation des sols et de planification totale envisagĂ©s par Le Corbusier. Le paysage politique sâoppose au paysage vernaculaire qui se dĂ©finit comme la production de lâespace gĂ©ographique, sans contractualisation des rapports sociaux, par le bas de la structure sociale bottom-up comme les communaux mĂ©diĂ©vaux ou lâauto-construction des annĂ©es 1970, selon une conception sociologique proche du droit Ă la ville dâHenri LefĂšbvre. Un lien de continuitĂ© politique et juridique entre urbanisme classique, amĂ©nagement du territoire et protection du patrimoine paysager apparaĂźt rĂ©trospectivement en vertu du principe juridique de souverainetĂ© publique sur les biens fonciers les thĂ©ories modernes de lâurbanisme comme les doctrines de protection du patrimoine bĂąti et paysager reposent tout autant les uns que les autres la conquĂȘte de lâespace public initiĂ©e par lâurbanisme de la Renaissance. De la protection des sites pittoresques Ă la prĂ©servation des paysages amĂ©nagĂ©s au 20e siĂšcle ? Si le paysage fait dĂ©jĂ lâobjet dâune catĂ©gorie bien identifiĂ©e du patrimoine par la notion de site patrimonial, lâamĂ©nagement du territoire ne peut en devenir une nouvelle catĂ©gorie quâĂ la condition dâĂ©largir lâĂ©chelle du patrimoine paysager il sâagit lĂ encore dâune conquĂȘte juridique dont lâaboutissement se situe au XXe siĂšcle. En France, la premiĂšre initiative de classement en 1840 nâĂ©tait revenue quâĂ lâĂ©chelle individuelle du patrimoine monumental. Au siĂšcle suivant, la notion sâĂ©largit des monuments isolĂ©s Ă leurs abords au nom dâune vision dâensemble et non fragmentaire de lâespace ce nâest plus le monument, mais le paysage, quâil soit urbain ou rural. La loi du 2 mai 1930 crĂ©e la catĂ©gorie de site classĂ© et site inscrit » afin de prĂ©server des ensembles paysagers Ă valeur pittoresque ou naturelle. La loi du 25 fĂ©vrier 1943 institue un cadre gĂ©ographique de protection des abords » dans une aire dâenviron 500 mĂštres aux alentours du monument classĂ© tel quâon la trouve dans la grande majoritĂ© des centres-villes et des centres-bourgs ruraux de France. AndrĂ© Malraux dĂ©clare le 23 juillet 1962 Ă lâAssemblĂ©e nationale quâ un chef dâĆuvre isolĂ© risque dâĂȘtre un chef dâĆuvre mort »21, aboutissant Ă la loi du 4 octobre suivant, dite loi Malraux, Ă©tablissant le dispositif du secteur sauvegardĂ© dans les centres-villes au sein dâun pĂ©rimĂštre Ă lâintĂ©rieur duquel lâArchitecte des bĂątiments de France se charge de restaurer le patrimoine architectural et urbain jusquâaux Ă©lĂ©ments du second Ćuvre garde-corps, volets, fenĂȘtres, etc. Cet Ă©largissement dilate dans le mĂȘme temps les procĂ©dures de patrimonialisation du classement ou de lâinscription, on passe aux labels comme le label Patrimoine du XXe siĂšcle » ainsi quâĂ la procĂ©dure dâinventaire depuis la crĂ©ation par AndrĂ© Chastel en 1964 lâInventaire gĂ©nĂ©ral des monuments et richesses artistiques de la France, visant Ă recenser, Ă©tudier et faire connaĂźtre les Ă©lĂ©ments du patrimoine qui prĂ©sentent un intĂ©rĂȘt culturel, historique ou scientifique »22. Du patrimoine marquĂ© par la finitude de ses objets, nous dĂ©bouchons sur lâhĂ©ritage global dâune Ă©poque passĂ©e, fins prĂȘts pour entrevoir lâampleur des opĂ©rations historiques dâamĂ©nagement du territoire comme un nouvel objet Ă conquĂ©rir pour le patrimoine culturel. La Mission Racine de la DATAR un exemple français dâun programme dâamĂ©nagement du territoire patrimonialisĂ© ? Sous lâĂ©gide du premier ministre et de la DATAR DĂ©lĂ©gation interministĂ©rielle Ă lâamĂ©nagement du territoire, la mission interministĂ©rielle dâamĂ©nagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon, dite Racine, est lancĂ©e par dĂ©cret le 18 juin 1963. Elle constitue lâune des rares tentatives de mise en Ćuvre dâune gĂ©ographie volontaire du dĂ©veloppement Ă©conomique et de la mise en valeur du territoire littoral il sâagit de crĂ©er cinq stations balnĂ©aires le long de la cĂŽte pour diversifier lâactivitĂ© dâune rĂ©gion souffrant de sous-industrialisation et dâune crise viticole chronique. Elle vise Ă©galement Ă retenir en France les vacanciers de passage vers la Costa Brava en Espagne. Enfin, la mission cherche Ă Ă©viter lâurbanisation incontrĂŽlĂ©e de la CĂŽte dâAzur tout en adaptant le territoire Ă lâavĂšnement dâune sociĂ©tĂ© des loisirs et du tourisme de masse. Les stations balnĂ©aires constituent lâĂ©quivalent de villes nouvelles planifiĂ©es ex nihilo qui crĂ©ent des sites urbains sur de vastes superficies. AmĂ©nagĂ©e Ă partir de 1965, La Grande-Motte est destinĂ©e Ă accueillir 120 000 touristes par an avec un parc de logements en rĂ©sidence secondaire, un port de plaisance et de nombreuses infrastructures de loisirs. Lâarchitecte Jean Balladur Ă©labore un plan-masse en rupture avec lâarchitecture balnĂ©aire du dĂ©but du premier XXe siĂšcle rues en peignes desservant les plages et les immeubles en forme de ziggourats, aujourdâhui noyĂ©s dans la vĂ©gĂ©tation typiquement mĂ©diterranĂ©enne dâune canopĂ©e de pins parasols23 fig. 2. Cet ensemble urbain illustre la dilatation des procĂ©dures patrimoniales les plus rĂ©centes, puisque la reconnaissance de la valeur patrimoniale nâa pas â encore â conduit Ă la dĂ©signation dâun site classĂ© comme les secteurs sauvegardĂ©s de la loi Malraux, mais Ă une labellisation Patrimoine du XXe siĂšcle » dĂ©livrĂ©e par le ministĂšre de la Culture en 2010, dont le caractĂšre symbolique nâouvre aucune protection juridique formelle. Figure 2 UnitĂ© touristique de la Grande-Motte, HĂ©rault, France, © WikimĂ©dia Commons. Français dâorigine grecque, Georges Candilis est lâarchitecte en chef de 1963 Ă 1976 de lâunitĂ© touristique de Leucate-Le BarcarĂšs. Il Ă©tablit un plan-masse fondĂ© sur la densitĂ© horizontale dâune architecture modulaire nĂ©o-mĂ©diterranĂ©enne. Le projet trahit lâinfluence de sa collaboration avec Shadrach Woods et Alexis Josic, mais aussi des Team X, un groupe dâarchitecte dissident du 9e CongrĂšs des CIAM CongrĂšs internationaux dâarchitecture moderne. OpposĂ© au zonage trop rigoureux des fonctions urbaines, les Team X dĂ©fendent leur intĂ©gration par le retour Ă lâĂ©chelle de la ville, tirant le projet architectural dâune rupture avec la composition urbaine, issue de lâenseignement des Beaux-Arts, vers lâadoption dâune architecture organisationnelle »24 qui emploie la flexibilitĂ© dâassemblage des composants prĂ©fabriquĂ©s pour former des combinaisons typologiques dâhabitat groupĂ©. Il en rĂ©sulte des cheminements intĂ©grĂ©s crĂ©ant un rĂ©seau complexe web et des groupements bĂątis en forme de clusters ou de tiges stems. Parmi les rĂ©alisations notables de Port-Leucate, le village des Carrats 1970 se compose de bungalows superposĂ©s en bĂ©ton blanc avec des patios privatifs et des toitures-terrasses, Ă©voquant les Kasbah du monde arabe ou les villes mĂ©sopotamiennes. Ces logements de vacances sont destinĂ©s aux classes populaires pour quâelles puissent profiter de la mer Ă une Ă©poque de dĂ©mocratisation dâun loisir auparavant rĂ©servĂ© Ă la bourgeoisie25. Non seulement le village a Ă©tĂ© labellisĂ© Patrimoine du XXe siĂšcle » en 2012, mais il a fait lâobjet dâune inscription partielle au titre des Monuments historiques par arrĂȘtĂ© le 23 juillet 2014 pour les façades, les toitures et les amĂ©nagements donnant sur la plage. Candilis dĂ©veloppe Ă BarcarĂšs-Leucate une conception spatiale de lâhabitat qui tire le programme rĂ©sidentiel vers une approche de gĂ©ographie volontaire26. Paradoxalement, câest lâamĂ©nagement du territoire qui canalise les utopies architecturales des annĂ©es 1960, parfois empreintes dâidĂ©ologie libertaire. Nombre dâentre elles envisage des architectures spatiales et flexibles Ă lâexemple du Groupe international dâarchitecture prospective le GIAP fondĂ© par Michel Ragon en 1965, les architectes mobiles en croissance verticale de Yona Friedman. Ces nouveaux modĂšles annoncent lâavĂšnement dâune approche en rĂ©seau », parente de lâĂ©mergence contemporaine de la thĂ©orie des systĂšmes aux Ătats-Unis, se dĂ©tournant de lâapproche planifiĂ©e » de lâespace initiĂ©e quinze ans plus tĂŽt par EugĂšne Claudius-Petit et Jean-François Gravier pour justifier la notion dâamĂ©nagement du territoire. Câest ainsi au moment oĂč elle est portĂ©e Ă son accomplissement quâelle accompagne lâĂ©mergence de modĂšles alternatifs dâhabitat et dâamĂ©nagement. Un exemple amĂ©ricain la patrimonialisation des ouvrages de la Tennessee Valley Authority TVA. Figure 3 The downstream face of the spillway at the Tennessee Valley Authority Fort Loudon Dam, photographe inconnu, Juin 1940, National Archives and Records Administration, Franklin D. Roosevelt Library, © WikimĂ©dia commons. Figure 4 Plan du barrage hydroĂ©lectrique de Fort Loudoun, 1939, Tennessee Valley Authority, The Fort Loudoun Project A Comprehensive Report on the Planning, Design, Construction, and Initial Operations of the Fort Loudoun Project, Technical Report No. 11, © WikimĂ©dia commons. Le programme dâamĂ©nagement du territoire initiĂ© par la Tennessee Valley Authority le long du fleuve Ă©ponyme Ă partir de 1933 fait aujourdâhui lâobjet dâune patrimonialisation, notamment pour ses ouvrages hydroĂ©lectriques. Le barrage de Fort Loudoun 1940-1943 est construit en bĂ©ton armĂ© pour une hauteur maximale de 37 mĂštres et la mise Ă disposition de quatre gĂ©nĂ©rateurs hydroĂ©lectriques fig. 3, fig. 4. SituĂ© en amont de la vallĂ©e du Tennessee, il a permis de crĂ©er 1049 km de voies navigables entre Knoxville et Paducah dans le Kentucky. Aux cĂŽtĂ©s de 26 autres barrages de la TVA, le Fort Loudon a Ă©tĂ© inscrit sur la liste du National Register of Historic Places en 2017 au regard du rĂŽle historique quâa jouĂ© la TVA dans lâhistoire environnementale amĂ©ricaine, Ă mĂȘme de nourrir une historiographie patriotique. A nouveau, la patrimonialisation sâinscrit dans le champ des procĂ©dures Ă©largies de la reconnaissance des hĂ©ritages culturels le recensement des barrages de la TVA nâinstruisent pas dâinstance de classement au titre des monuments historiques. Le National Register of Historic Places est lâinventaire officiel de lâĂtat fĂ©dĂ©ral amĂ©ricain créé en 1966 par le National Historic Preservation Act â NHPA, deux ans aprĂšs lâInventaire français par AndrĂ© Chastel. Il vise le recensement de lâensemble des sites paysagers, des quartiers, bĂątiments, des infrastructures et des objets mobiliers revĂȘtant un caractĂšre historique qui les qualifie pour prĂ©tendre Ă une protection juridique. MalgrĂ© ce caractĂšre symbolique, les lois des Ătats ou les chartes de protections locales des villes ou des townships peuvent nĂ©anmoins conduire Ă une protection des biens inscrits au National Register Ă la façon des secteurs sauvegardĂ©s français, mais selon une procĂ©dure diffĂ©rente de la conception centralisĂ©e Ă la française, les Ătats-Unis Ă©tant un pays fĂ©dĂ©ral. Reflet du caractĂšre englobant du planning anglo-saxon, la patrimonialisation Ă©largie de la TVA ne sâen tient pas aux seuls barrages hydroĂ©lectriques du Tennessee, mais sâĂ©tend Ă©galement aux opĂ©rations dâurbanisme. La communautĂ© planifiĂ©e planned community de Norris ComtĂ© dâAnderson, Tennessee est amĂ©nagĂ©e Ă partir de 1933 directement par lâĂtat fĂ©dĂ©ral amĂ©ricain pour loger les ouvriers bĂątisseurs du barrage Ă©ponyme27. FondĂ©e sur lâidĂ©al coopĂ©ratif et les principes urbanistiques de la citĂ©-jardin britannique et de la Regional Planning Association of America RPPA, Norris comporte des maisons individuelles implantĂ©es le long de rues courbes avec un village green et une ceinture verte dâusage commun, prĂ©figurant le plan des trois Greenbelt towns amĂ©nagĂ©es par la Resettlement Administration Ă partir de 1935 fig. 5. En 1975, le Norris District est ajoutĂ© Ă la liste du National Register. Comme Norris, une partie substantielle du National Register est constituĂ©e non pas de monuments seuls, mais dâaires patrimoniales qui additionnent plusieurs bĂątiments ce sont les Historic Districts, progressivement intĂ©grĂ©s Ă lâInventaire fĂ©dĂ©ral le premier date de 1931 avec le Historic District de Charleston en Caroline du Sud. Moins nombreux que les Historic Districts, les National Historic Landmarks NHL nâouvrent pas de procĂ©dure de classement comme les National Monuments de propriĂ©tĂ© fĂ©dĂ©rale, mais ils revĂȘtent nĂ©anmoins une valeur historique forte au regard de lâhistoire amĂ©ricaine, Ă lâexemple du tout premier ouvrage de la TVA, le barrage hydroĂ©lectrique de Wilson Dam dans lâAlabama, qui a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© National Historic Landmark le 13 novembre 1966. Figure 5 Plan directeur de la communautĂ© planifiĂ©e de Norris, 1933-1935, Tennessee Valley Authority, The Norris Project A Comprehensive Report on the Planning, Design, Construction, and Initial Operations of the Tennessee Valley Authorityâs First Water Control Project, Technical Report No. 1, WikimĂ©dia Commons. Sommes-nous lĂ en train de perdre lâapproche formaliste de lâĆuvre architecturale que nous avons adoptĂ©e dâHenri Focillon ? En dâautres termes, la valeur historique, pour laquelle lâon patrimonialise certaines structures bĂąties, se recoupe-t-elle toujours avec la valeur artistique, dont la reconnaissance procĂšde de lâanalyse des formes ? En filigrane, cette question met en jeu lâattribution des rĂŽles entre lâarchitecte et lâingĂ©nieur dans lâamĂ©nagement du territoire, en dâautres termes lâintroduction dâune dĂ©marche architecturale dans des projets tombant dans le prĂ©-carrĂ© de lâingĂ©nieur. Faut-il plutĂŽt convoquer la notion de patrimoine industriel ? LâamĂ©nagement du territoire est-il un patrimoine industriel ? Figure 6 Vue dâensemble du barrage de GĂ©nissiat, Leroy Thierry, © RĂ©gion Auvergne-RhĂŽne-Alpes, Inventaire gĂ©nĂ©ral du patrimoine culturel. CalquĂ©e sur le modĂšle amĂ©ricain de la TVA Ă la façon dâun New Deal Ă la française »28, la Compagnie nationale du RhĂŽne est créée en 1933 afin de produire de lâĂ©lectricitĂ© et dâamĂ©liorer la navigation et lâirrigation du fleuve Ă©ponyme. En 1937 commencent dans lâAin les travaux du barrage de GĂ©nissiat fig. 6, le plus grand dâEurope occidentale. Les travaux sâachĂšvent en 1947 pour une mise en service lâannĂ©e suivante. Le CNR choisit deux architectes pour lâamĂ©nager, LĂ©on Bazin et Albert Laprade, ce dernier Ă©tant cĂ©lĂšbre pour ĂȘtre un ardent dĂ©fenseur du patrimoine architectural et un militant du rapprochement entre lâarchitecte et lâingĂ©nieur29. Dans un paradigme francastellien30, GĂ©nissiat vise la rĂ©conciliation du caractĂšre artistique des formes du bĂ©ton avec les impĂ©ratifs techniques inhĂ©rents aux infrastructures Ă©nergĂ©tiques, rĂ©vĂ©lant lâidĂ©al dâun savoir humaniste propre Ă lâamĂ©nagement du territoire câest la figure de lâarchitecte-ingĂ©nieur, alliant la science Ă lâart au service du progrĂšs technique et social, dans une totalitĂ© retrouvĂ©e de lâĆuvre contre la sĂ©paration contemporaine des connaissances et des pratiques. LabellisĂ© patrimoine du XXe siĂšcle, la valeur historique et artistique du barrage de GĂ©nissiat renvoie ainsi Ă la notion de patrimoine industriel dĂ©veloppĂ©e par lâhistorien Jean-Yves Andrieux dĂšs les annĂ©es 1970 Ă partir de lâhĂ©ritage mobilier et bĂąti laissĂ© par lâhistoire de lâindustrialisation filatures, forges et manufactures depuis la pĂ©riode dâAncien RĂ©gime jusquâĂ la rĂ©volution industrielle et lâĂ©poque contemporaine31. Aux cĂŽtĂ©s de lâarchĂ©ologie industrielle visant lâĂ©tude des vestiges matĂ©riels des industries passĂ©es, lâamĂ©nagement du territoire renvoie Ă©galement Ă lâhistoire des techniques, une branche historiographique pendant longtemps ignorĂ©e des autres historiens. Les centrales nuclĂ©aires une forme artistique ? La participation des architectes au programme nuclĂ©aire civil de la France constitue une tentative accomplie dâintroduire une dĂ©marche artistique dans lâamĂ©nagement Ă©nergĂ©tique, poursuivant les exemples initiĂ©s Ă GĂ©nissiat et dans la vallĂ©e du Tennessee. A partir de 1974, lâarchitecte Claude Parent est engagĂ© par ĂlectricitĂ© de France EDF pour rĂ©aliser les dessins et les Ă©tudes prĂ©paratoires des rĂ©acteurs nuclĂ©aires destinĂ©s Ă la production domestique de lâĂ©lectricitĂ©. Il Ă©labore les plans de deux centrales nuclĂ©aires, Chooz et Cattenom, qui mettent en Ćuvre la thĂ©orie de la fonction oblique dĂ©veloppĂ©e Ă partir de 1963 au sein dâArchitecture Principe avec Paul Virilio. En refusant les trames carrĂ©es utilisĂ©es par la construction traditionnelle au profit du plan inclinĂ©, la fonction oblique investit le bĂ©ton de formes courbes dont on perçoit lâinfluence dans le caractĂšre organique et sculptural des dessins des rĂ©acteurs, comme les amphores. Auparavant, Parent et Virilio avaient dĂ©jĂ imaginĂ© Les vagues », un projet fantaisiste dâamĂ©nagement du territoire oĂč les villes sont constituĂ©es de plans inclinĂ©s. Claude Parent prend le parti de ne pas dissimuler les centrales, mais de les imposer dans les paysages Ă la façon de repĂšres comparables aux donjons des chĂąteaux-forts du Moyen-Ăge32. Chez Parent, lâamĂ©nagement du territoire effectue un retour aux formes spatiales dans la plus pure dĂ©finition quâen donne Henri Focillon ; elles renvoient enfin, dans les termes de Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour, aux performances architectoniques du duck », dont lâidĂ©al remonte aux bĂątisseurs gothiques, contre le decorated shed » qui sĂ©pare lâingĂ©nieur de lâarchitecte relĂ©guĂ© au rang de simple dĂ©corateur dâun bĂątiment dont il ne maĂźtriserait plus la construction33. La patrimonialisation de la valeur artistique des infrastructures Ă©nergĂ©tiques demeure possible dans la mesure oĂč celles-ci procĂšdent dâune dĂ©marche architecturale et formelle, comme le montre lâexemple des centrales nuclĂ©aires construites par Claude Parent ni le mouvement moderne et ni lâarchitecture dâaprĂšs-guerre nâont fait disparaĂźtre les formes ; bien au contraire, elles les ont consacrĂ©es jusquâĂ des catĂ©gories de bĂątiments qui en Ă©taient auparavant dĂ©pourvues. Au contraire, la marginalisation, voire la disparition des formes est liĂ©e Ă lâĂ©mergence, dĂšs les annĂ©es 1960, de modĂšles dâhabitat et dâamĂ©nagement alternatifs au mouvement moderne et fondĂ©s sur la participation habitante qui sociologise le projet architectural au dĂ©triment de sa nature formelle et compositionnelle. Cette transformation du projet architectural se situe Ă un moment de basculement pĂ©dagogique avec la fin du systĂšme des Beaux-Arts remplacĂ©es par les unitĂ©s pĂ©dagogiques 1968 ; elle constitue paradoxalement le produit de lâ architecture organisationnelle » des Team X et des architectures spatiales comme le projet du Vaudreuil par lâAtelier de Montrouge34. Conclusion Les limites de la patrimonialisation de lâamĂ©nagement du territoire. Lâadoption dâune dĂ©marche artistique pour construire des infrastructures Ă©nergĂ©tiques, comme chez Claude Parent, constitue le cas original dâun mode de projet qui tend aujourdâhui Ă tomber en dĂ©suĂ©tude. La transition Ă©nergĂ©tique fondĂ©e sur lâĂ©nergie Ă©olienne illustre cette Ă©volution vers la marginalisation des formes dans lâamĂ©nagement du territoire, puisque la faible productivitĂ© Ă©lectrique par installation unitaire des aĂ©rogĂ©nĂ©rateurs ne peut ĂȘtre compensĂ©e quâen multipliant ses implantations gĂ©ographiques il faut prĂ©fabriquer les composants de bĂ©ton des Ă©oliennes selon un processus sĂ©riel qui Ă©limine entiĂšrement le rĂŽle de lâarchitecte et banalise les paysages. A lâinverse, la haute productivitĂ© de lâĂ©nergie nuclĂ©aire permet de concentrer gĂ©ographiquement la production dans quelques sites seulement, ouvrant la possibilitĂ© de singulariser chaque projet dâinfrastructure. Les centrales nuclĂ©aires illustrent ainsi un cas-limite de la patrimonialisation des opĂ©rations dâamĂ©nagement du territoire. Les procĂ©dures de sĂ©curitĂ© et la durĂ©e de vie limitĂ©e des installations ne permettent pas dâenvisager la protection des centrales comme on procĂ©derait pour tout bĂątiment ordinaire. Ă Cattenom, le grand carĂ©nage de 2016 a allongĂ© dâau moins 15 ans la durĂ©e de vie de la centrale, mais Ă terme elle deviendra obsolĂšte, si bien quâil faut dĂ©jĂ envisager la substitution des rĂ©acteurs actuels par une nouvelle gĂ©nĂ©ration dâEPR35 comme Ă Flamanville, ou alors dĂ©cider de son arrĂȘt et de sa fermeture dĂ©finitifs. Que vont devenir les rĂ©acteurs dessinĂ©s par Claude Parent dans le dĂ©mantĂšlement programmĂ© de Chooz et Cattenom ? Ces nĂ©cessitĂ©s dâordre technique rĂ©vĂšlent la nature prospective et opĂ©rative du concept dâamĂ©nagement du territoire, instituant une diffĂ©rence essentielle avec le patrimoine culturel qui vise Ă prĂ©server un Ă©tat existant de lâenvironnement bĂąti et des paysages. Les politiques de transition Ă©cologique illustrent cette tension de nombreuses mesures, comme lâadoption de certaines Ă©nergies renouvelables ou la rĂ©duction des dĂ©placements automobiles, induisent un rĂ©amĂ©nagement du territoire sans que ce lien de cause Ă effet ne soit clairement Ă©tabli. Dans la plupart des cas, une opĂ©ration dâamĂ©nagement du territoire constitue une transformation du paysage, si bien quâelle peut Ă son tour menacer la protection du patrimoine culturel ou naturel. Dans le mĂȘme temps, les politiques patrimoniales, par la dĂ©marche historique et artistique quâelles introduisent, concourent Ă humaniser » lâamĂ©nagement du territoire pour en faire une Ćuvre culturelle, et non seulement technicienne ou scientifique. Dorian Bianco Bibliographie Andrieux, Jean-Yves, Le patrimoine industriel, Paris Presses universitaires de France, 1992. Bellier, Corinne, Delorme, Franck, Toulier, Bernard Collectif, Tous Ă la plage ! Villes balnĂ©aires du XVIIIe siĂšcle Ă nos jours, Paris LiĂ©nart/CitĂ© de lâarchitecture et du patrimoine, 2016. Besse, Jean-Marc, Le paysage, entre le politique et le vernaculaire. RĂ©flexions Ă partir de John Brinckerhoff Jackson. ARCHES, Association Roumaine des Chercheurs Francophones en Sciences Humaines, 2003, 6, Blain, Catherine. LâAtelier de Montrouge et le Vaudreuil », Ethnologie française, vol. 33, no. 1, 2003, pp. 41-50. Bloch, Marc, Les caractĂšres originaux de lâhistoire rurale française, Oslo H. Aschehoug & Co W. Nygaard, 1931. Candilis, Georges, Recherches sur lâarchitecture des loisirs, Paris Ăditions Eyrolles, 1973. Chaljub, BĂ©nĂ©dicte, Candilis, Josic, Woods, Paris Infolio, 2010. Culot, Maurice, Albert Laprade, 1883-1978, Paris Norma, CitĂ© de lâarchitecture et du patrimoine, 2007. Cupers, Kenny, GĂ©ographie Volontaire and the Territorial Logic of Architecture, Architectural Histories, 41 3, 2016 pp. 1â13. Dessus, Gabriel, George, Pierre, Weulersse, Jacques, MatĂ©riaux pour une gĂ©ographie volontaire de lâindustrie française, Paris Armand Colin, 1949. Focillon, Henri, Vie des formes, Paris Presses universitaires de France, 1934. Francastel, Pierre, Art et technique aux 19e et 20e siĂšcles, Paris Gallimard, 1988 réédition. Gravier, Jean-François, Lâespace vital, Paris Flammarion, 1984. Heinich, Nathalie, La fabrique du patrimoine De la cathĂ©drale Ă la petite cuillĂšre », Paris Ăditions de la Maison des sciences de lâhomme, 2009. Howard, Ebenezer, To-morrow a peaceful path to real reform, Londres Swan Sonnenschein & Co. 1898. Jackson, John Brinckerhoff, Discovering the vernacular landscape, Yale, Yale University Press, 1984. Labasse, Jean, Lâorganisation de lâespace. ĂlĂ©ments de gĂ©ographie volontaire, Paris Hermann, 1966. Maumi, Catherine, Thomas Jefferson et le projet du Nouveau monde, Paris Ăditions de la Villette, 2007. Moindrot, Claude, LâamĂ©nagement du territoire en Grande-Bretagne, Caen FacultĂ© des lettres et sciences humaines de lâUniversitĂ© de Caen, 1967. Parent, Claude, Rencontre du site et de lâarchitecture nuclĂ©aire, in Revue française de lâĂ©lectricitĂ©, 1978, pp. 19-20. Pressouyre, LĂ©on, Le rĂȘve cistercien, Paris Gallimard, 1990. Pouvreau, BenoĂźt. La politique dâamĂ©nagement du territoire dâEugĂšne Claudius-Petit », VingtiĂšme SiĂšcle. Revue dâhistoire, vol. no 79, no. 3, 2003, pp. 43-52. Venturi, Robert, Scott Brown, Denise, Izenour, Steven Learning from Las Vegas. The Forgotten Symbolism of Architectural Forms, Cambridge MIT Press, 1972. Tables des illustrations Figure 1 Plan de la ville et du port de Savannah, Ătat de GĂ©orgie, Ătats-Unis, Moss Eng. Co., NY, 1818, © WikimĂ©dia commons. Figure 2 UnitĂ© touristique de la Grande-Motte, HĂ©rault, France, © WikimĂ©dia Commons. Figure 3 The downstream face of the spillway at the Tennessee Valley Authority Fort Loudon Dam, photographe inconnu, Juin 1940, National Archives and Records Administration, Franklin D. Roosevelt Library, © WikimĂ©dia commons. Figure 4 Plan du barrage hydroĂ©lectrique de Fort Loudoun, 1939, Tennessee Valley Authority, The Fort Loudoun Project A Comprehensive Report on the Planning, Design, Construction, and Initial Operations of the Fort Loudoun Project, Technical Report No. 11, © WikimĂ©dia commons. Figure 5 Plan directeur de la communautĂ© planifiĂ©e de Norris, 1933-1935, Tennessee Valley Authority, The Norris Project A Comprehensive Report on the Planning, Design, Construction, and Initial Operations of the Tennessee Valley Authorityâs First Water Control Project, Technical Report No. 1, WikimĂ©dia Commons. Figure 6 Vue dâensemble du barrage de GĂ©nissiat, Leroy Thierry, © RĂ©gion Auvergne-RhĂŽne-Alpes, Inventaire gĂ©nĂ©ral du patrimoine culturel. Nathalie, Heinich, La fabrique du patrimoine De la cathĂ©drale Ă la petite cuillĂšre », Paris Ăditions de la Maison des sciences de lâhomme, 2009. [â©]Devenu le label Architecture contemporaine remarquable. En ligne [consultĂ© le 22/03/2022]. [â©]Cupers, Kenny, GĂ©ographie Volontaire and the Territorial Logic of Architecture, Architectural Histories, 41 3, 2016 pp. 1â13. [â©]Gravier, Jean-François, Paris et le dĂ©sert français, Paris Le Portulan, 1947. [â©]Labasse, Jean, Lâorganisation de lâespace. ĂlĂ©ments de gĂ©ographie volontaire, Paris Hermann, 1966. [â©]ibidem [â©]Moindrot, Claude, LâamĂ©nagement du territoire en Grande-Bretagne, Caen FacultĂ© des lettres et sciences humaines de lâUniversitĂ© de Caen, 1967. [â©]Dessus Gabriel, George, Pierre, Weulersse, Jacques, MatĂ©riaux pour une gĂ©ographie volontaire de lâindustrie française, Paris Armand Colin, 1949. [â©]Pouvreau, BenoĂźt. La politique dâamĂ©nagement du territoire dâEugĂšne Claudius-Petit », VingtiĂšme SiĂšcle. Revue dâhistoire, vol. no 79, no. 3, 2003, pp. 43-52. [â©]Labasse, Jean, Lâorganisation de lâespace. ĂlĂ©ments de gĂ©ographie volontaire, Paris Hermann, 1966. [â©]Focillon, Henri, Vie des formes, Paris Presses universitaires de France, 1934. [â©]Gravier, Jean-François, Lâespace vital, Paris Flammarion, 1984. [â©]Bloch, Marc, Les caractĂšres originaux de lâhistoire rurale française, Oslo H. Aschehoug & Co W. Nygaard, 1931. [â©]Pressouyre, LĂ©on, Le rĂȘve cistercien, Paris Gallimard, 1990. [â©]Howard, Ebenezer, To-morrow a peaceful path to real reform, Londres Swan Sonnenschein & Co. 1898. [â©]Lâhistorienne Catherine Maumi sâest intĂ©ressĂ© Ă ce passage de la carte au plan dans les projets dâamĂ©nagement du Nouveau monde Ă tra Public Land Survey System créé par lâOrdonnance de 1785 qui divise les terres Ă lâouest des Appalaches en parcelles rectangulaires destinĂ©es Ă la revente, le projet de Thomas Jefferson Ă©tant dây crĂ©er une nation de yeoman farmers Ă©gaux. Voir Maumi, Catherine, Thomas Jefferson et le projet du Nouveau monde, Paris Ăditions de la Villette, 2007. [â©]LâUNESCO dĂ©finit le paysage culturel comme des Ćuvres conjuguĂ©es de lâĂȘtre humain et de la nature, ils expriment une longue et intime relation des peuples avec leur environnement ». Au sens strict, il dĂ©signe ce que John Brinckerhoff Jackson appelle le paysage vernaculaire » comme les terroirs. En ligne, [consultĂ© le 23/03/2022] [â©]Jean-Marc Besse. Le paysage, entre le politique et le vernaculaire. RĂ©flexions Ă partir de John Brinckerhoff Jackson. ARCHES, Association Roumaine des Chercheurs Francophones en Sciences Humaines, 2003, 6, [â©]Jackson, John Brinckerhoff, Discovering the vernacular landscape, Yale, Yale University Press, 1984. [â©]La notion de territoire se dĂ©finit comme lâexercice dâune souverainetĂ© politique sur un espace gĂ©ographique. [â©]En ligne, [consultĂ© le 28/03/2022] [â©]En ligne, [consultĂ© le 23/03/2022] [â©]Bellier, Corinne, Delorme, Franck, Toulier, Bernard Collectif, Tous Ă la plage ! Villes balnĂ©aires du XVIIIe siĂšcle Ă nos jours, Paris LiĂ©nart/CitĂ© de lâarchitecture et du patrimoine, 2016. [â©]Chaljub, BĂ©nĂ©dicte, Candilis, Josic, Woods, Paris Infolio, 2010. [â©]Candilis, Georges, Recherches sur lâarchitecture des loisirs, Paris Ăditions Eyrolles, 1973. [â©]Cupers, Kenny, GĂ©ographie Volontaire and the Territorial Logic of Architecture, Architectural Histories, 41 3, 2016 pp. 1â13. [â©]En ligne. [consultĂ© le 23/03/2022] [â©]Maurice Culot, Albert Laprade, 1883-1978, Paris Norma, CitĂ© de lâarchitecture et du patrimoine, 2007. [â©]ibidem [â©]Francastel, Pierre, Art et technique aux 19e et 20e siĂšcles, Paris Gallimard, 1988 réédition. [â©]Andrieux, Jean-Yves, Le patrimoine industriel, Paris Presses universitaires de France, 1992. [â©]Parent, Claude, Rencontre du site et de lâarchitecture nuclĂ©aire, in Revue française de lâĂ©lectricitĂ©, 1978, pp. 19-20. [â©]Venturi, Robert, Scott Brown, Denise, Izenour, Steven Learning from Las Vegas. The Forgotten Symbolism of Architectural Forms, Cambridge MIT Press, 1972. [â©]Blain, Catherine. LâAtelier de Montrouge et le Vaudreuil », Ethnologie française, vol. 33, no. 1, 2003, pp. 41-50. [â©]European Pressurized Reactor. [â©] Introduction dâĂlodie Bitsindou TĂ©lĂ©charger la prĂ©sentation de la journĂ©e doctorale au format pdf. Introduction prĂ©sentĂ©e le 20 janvier 2022. Les hommes qui recouvrirent le tympan dâAutun ne le voyaient pas, du moins en tant quâĆuvre dâart. Pour que lâĆuvre soit inventoriĂ©e, il faut quâelle soit devenue visible MALRAUX, 1964, p. 4». AndrĂ© Malraux, 1964 La question patrimoniale se pose gĂ©nĂ©ralement Ă un moment de toute recherche en histoire de lâart. La dĂ©finition mĂȘme de la notion ne fait pourtant pas lâobjet dâun consensus dans la discipline. Cette absence de consensus en fait un sujet passionnant, mais dont lâappropriation peut sâavĂ©rer difficile. La patrimonialisation apparait souvent comme lâaboutissement dâun travail de recherche. Mais parfois, des dĂ©tours sont nĂ©cessaires dans ce processus. Parfois, la nature mĂȘme dâun objet dâĂ©tude peut pousser Ă reconsidĂ©rer ce que reprĂ©sente le patrimoine, ou bien Ă rĂ©inventer sa mise en Ćuvre. Nous pensons Ă nos propres recherches sur lâarchitecture pavillonnaire, oĂč la manipulation de la notion de patrimoine â et mĂȘme dâarchitecture â sont des exercices complexes, qui nĂ©cessitent nombre de remises en question, mais dont les rĂ©sultats sont ĂŽ combien riches dâenseignements. La question patrimoniale est le produit dâune longue Ă©volution. Au Moyen-Ăąge, si la notion de patrimoine nâexiste pas encore, les artefacts associĂ©s Ă la religion et Ă la monarchie sont perçus comme des objets Ă sauvegarder. Ă la Renaissance, lâItalie voit naĂźtre les premiĂšres collections particuliĂšres, renfermant vestiges antiques, Ćuvres dâarts et spĂ©cimens naturels. En France, le XVIIIe siĂšcle, voit apparaĂźtre les premiĂšres initiatives publiques de protection. Ă lâissue de la RĂ©volution, lâĂtat chargĂ© dâĂ©lire les biens nationaux Ă protĂ©ger crĂ©e la Commission des monuments. Une centaine dâannĂ©es plus tard, la loi de 1913 consacre le statut des monuments historiques, tout en leur accordant une dĂ©finition adaptable aux courants de pensĂ©es successifs. Cette conception mouvante prime encore dans la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle. La notion sâest en effet Ă©largie au patrimoine culturel et naturel, et Ă©tendue Ă lâĂ©chelle mondiale. En 1972, lâUnesco dĂ©finit le patrimoine matĂ©riel comme les monuments ou les ensembles qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de lâhistoire, de lâart, de la science, de lâethnologie ou de lâanthropologie1». En 2003, lâinstitution reconnait lâexistence dâun patrimoine culturel immatĂ©riel. Selon Krzysztof Pomian, tous les objets porteurs de caractĂšres visibles susceptibles de recevoir des significations2» sont prompts Ă devenir patrimoniaux. Aujourdâhui, le patrimoine est finalement tout ce qui fonde lâidentitĂ© culturelle dâun lieu, dâun site, dâun peuple3.» Si cet Ă©largissement peut ĂȘtre perçu comme un glissement pouvant porter Ă confusion, il rend possible lâinclusion de champs inĂ©dits et lâaction de nouveaux publics. Si lâacte de patrimonialisation concerne ce qui est jugĂ© digne dâĂȘtre conservĂ©, connu, voire cĂ©lĂ©brĂ©, et transmis aux gĂ©nĂ©rations suivantes4», alors lâintĂ©rĂȘt patrimonial nâest jamais neutre mais toujours une construction, porteuse dâune volontĂ© quâelle soit politique, ou citoyenne. La patrimonialisation est une chaĂźne, dont la protection nâest que le dernier maillon. Les rĂ©cents labels tels quâArchitecture contemporaine et Jardins remarquables, ont su montrer lâimportance de lâacte de signalement dans le processus. Dans ce vaste champ conceptuel, de nouveaux objets entrent rĂ©guliĂšrement dans ce qui est considĂ©rĂ© comme patrimoine, tandis que dâautres peinent Ă se faire admettre ce statut. En effet, au-delĂ des questions de dĂ©finition, chaque Ă©poque a le patrimoine quâelle veut bien Ă©lire en tant que tel, quâelle juge digne de protĂ©ger et transmettre. En cela, le patrimoine est avant tout un fait de lâesprit ; et ce sont les idĂ©ologies et les systĂšmes de valeurs successifs qui prĂ©sident aux diffĂ©rentes formes que le patrimoine prendra au fil du temps. Ainsi, lorsquâon souhaite faire entrer un sujet ou un objet dans le processus patrimonial, certaines questions doivent nĂ©cessairement se poser. Pourquoi patrimonialiser, pour quels objectifs et quels usages, par quels moyens ? Et enfin, Qui fabrique le patrimoine ? Serait-ce les usagers ? les touristes ? les artistes ? les historiens et les spĂ©cialistes de la question ? Cette journĂ©e dâĂ©tude eut pour ambition de brosser un Ă©tat des lieux des perspectives patrimoniales en histoire de lâart. Cet Ă©ventail dâapproches nous a invitĂ© Ă rĂ©inventer concepts, mĂ©thodes, objectifs et Ă©chelles, pour dĂ©signer, inventorier, protĂ©ger, partager ces biens patrimoniaux. Ălodie Bitsindou Bibliographie. LE HĂGARAT, 2015 LE HĂGARAT Thibault, Un historique de la notion de patrimoine, 2015. [En ligne] [consultĂ© le 12 04 2022] MALRAUX, 1978 MALRAUX AndrĂ©, PrĂ©face », in, CHASTEL AndrĂ©, Lâinventaire gĂ©nĂ©ral des monuments et des richesses artistiques de la France, Paris MinistĂšre de la culture et de la communication, 1978. POMIAN, 1990 POMIAN, Krzysztof, MusĂ©e et patrimoine », in, JEUDY Henri Pierre, Patrimoines en folie, Paris Maison des sciences de lâhomme, 1990. [En ligne] [consultĂ© le 12 04 2022] UNESCO, 1972 UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, 1972. [En ligne] [consultĂ© le 12 04 2022] Table des illustrations. Couverture BITSINDOU Ălodie, Le patrimoine qui nâest pas regardĂ© est un patrimoine en danger. Chantier de la rĂ©sidence pĂ©riurbaine Villa Pontelloise » Ă lâemplacement dâune ancienne maison briarde, Pontault-Combault, 2018. UNESCO, 1972, p. [â©]POMIAN, 1990, p. 181. [â©]LE HĂGARAT, 2015, p. 9. [â©]LE HĂGARAT, 2015, p. 10. [â©] Article Ă©crit par Katia Thomas TĂ©lĂ©charger lâarticle au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le 20 janvier 2022. SituĂ© en Himalaya, lâĂ©tat du Sikkim 7107 km2 fait partie de lâUnion Indienne et partage ses frontiĂšres avec lâĂ©tat du Bengale-Occidental au sud, le NĂ©pal Ă lâouest, le Bhoutan Ă lâest et la rĂ©gion autonome du Tibet de la RĂ©publique Populaire de Chine au nord fig. 1. Sa capitale est Gangtok et sa population compte environ 650 000 habitants. Selon la prophĂ©tie Ă©noncĂ©e par le maitre bouddhiste Padmasambhava Guru RinpochĂ© au VIIIe siĂšcle, le royaume du Sikkim a Ă©tĂ© fondĂ© au XVIIe siĂšcle par la dynastie Namgyal issue de la migration des Bhutia dâorigine tibĂ©taine. Les Chogyal titre donnĂ© aux rois sikkimais ont dĂ©veloppĂ© des relations privilĂ©giĂ©es avec les souverains et les maitres religieux du Tibet et ont su prĂ©server leur indĂ©pendance jusquâĂ lâarrivĂ©e des Anglais dans la rĂ©gion au XIXe siĂšcle. En 1918, libĂ©rĂ© du protectorat anglais pour les affaires intĂ©rieures, le royaume retrouve une certaine indĂ©pendance qui deviendra de plus en plus difficile Ă maintenir dans le contexte gĂ©opolitique de la rĂ©gion himalayenne Ă partir des annĂ©es 1950. La monarchie est abolie en 1975 et le Sikkim devient un Ă©tat indien. La crĂ©ation de lâInstitut Namgyal de TibĂ©tologie Ă Gangtok en 1958 par le roi Tashi Namgyal 1893-1963 sâenvisage dans la continuitĂ© des liens religieux et politiques Ă©tablis avec le Tibet depuis des siĂšcles. Sa mission principale est la collecte et la prĂ©servation dâouvrages bouddhistes des diffĂ©rentes Ă©coles tibĂ©taines. Si lâinstitut sâest donc concentrĂ© sur lâenrichissement de sa bibliothĂšque, quelques Ćuvres dâart lui ont Ă©tĂ© offertes dans les premiĂšres annĂ©es suivant sa crĂ©ation et câest une vĂ©ritable collection qui sâest par la suite constituĂ©e au fil des annĂ©es grĂące Ă dâautres dons et des achats. Elle compte aujourdâhui 474 Ćuvres, surtout bouddhistes sculptures, objets rituels, thangkas peints et brodĂ©s, manuscrits et masques mais aussi des objets non-religieux bijoux, instruments de musique, monnaies. Cet exemple dâune initiative musĂ©ale exclusivement locale et dĂ©veloppĂ©e dĂšs les annĂ©es 1960 est unique en Himalaya. Nous prĂ©sentons ici comment ce musĂ©e, qui semble si modeste au premier abord, tĂ©moigne dâune rĂ©flexion patrimoniale diffĂ©rente du modĂšle existant en Occident pour les collections himalayennes. Fig. 1. Situation gĂ©ographique du Sikkim en Inde. Bref historique de lâInstitut. Le XIVe DalaĂŻ-Lama pose la premiĂšre pierre de lâinstitut le 10 fĂ©vrier 19571 et le Premier Ministre Nehru lâinaugure le 01 octobre 19582. Le roi du Sikkim est alors le Chogyal3 Tashi Namgyal mais son fils, le prince hĂ©riter GyelsĂ© Palden Thontup Namgyal 1923-1982 Ćuvre Ă ses cĂŽtĂ©s4. Ce dernier est le premier prĂ©sident de lâinstitut et veille Ă son dĂ©veloppement. La charte dĂ©taillant son organisation et ses missions est rĂ©alisĂ©e le 28 octobre 1958 si les discours5 prononcĂ©s lors des premiĂšres cĂ©rĂ©monies ne mentionnaient pas la constitution dâune collection dâart, lâarticle viii de cette charte lâindique clairement6. Le bĂątiment principal de lâinstitut fig. en couverture est construit dans le style traditionnel du Sikkim et rappelle lâarchitecture des monastĂšres bouddhistes de la rĂ©gion. Le premier Ă©tage est rĂ©servĂ© Ă la bibliothĂšque tibĂ©taine tandis que le rez-de-chaussĂ©e accueille aujourdâhui le musĂ©e, dans un espace se composant dâune grande salle 225m2 env. et dâune petite salle annexe consacrĂ©e Ă une prĂ©sentation ethnographique des Lepcha, une population ancienne du Sikkim. I. Une approche pluridisciplinaire. La collection de lâinstitut est prĂ©sentĂ©e selon une approche pluridisciplinaire, mĂȘlant lâhistoire de lâart et lâethnographie, les arts sacrĂ© et profane. Le parcours est thĂ©matique, regroupant les Ćuvres selon leur iconographie ou leur nature puisque le manque dâinformations sur les provenances et les datations rend difficile une approche chronologique ou stylistique. Ces choix musĂ©ographiques diffĂšrent de la prĂ©sentation courante de lâart himalayen dans les musĂ©es occidentaux. Les objets tibĂ©tains, arrivĂ©s surtout au XXe siĂšcle et en nombre aprĂšs les Ă©vĂšnements de lâinvasion chinoise et de la rĂ©volution culturelle, ont Ă©tĂ© rĂ©partis en deux catĂ©gories les objets considĂ©rĂ©s comme beaux et sacrĂ©s selon nos critĂšres ont Ă©tĂ© placĂ©s dans des musĂ©es dâart et ont fait lâobjet dâĂ©tudes iconographiques et stylistiques tandis que les objets dits ethnographiques », moins esthĂ©tiques » pour les yeux occidentaux, ont Ă©tĂ© conservĂ©s dans les musĂ©es correspondant Ă cette discipline et restent encore aujourdâhui moins documentĂ©s, moins exposĂ©s aussi en tĂ©moigne leur rĂ©partition entre le MusĂ©e Guimet et le MusĂ©e du Quai Branly hĂ©ritier des collections de lâancien MusĂ©e de lâHomme. Ces catĂ©gories nous interrogent car lâexemple de lâinstitut montre quâen contexte himalayen, elles nâexistent pas et nous pouvons le constater avec les statues contemporaines de Drakar Tashiding Ă 103, fig. 2. RĂ©alisĂ©es en bois et selon une esthĂ©tique simple, celles-ci sont prĂ©sentĂ©es dans une vitrine similaire aux sculptures mĂ©talliques plus classiques, sans distinction de catĂ©gorie. Leur importance sacrĂ©e provient de leur iconographie et de leur matĂ©riau spĂ©cifique voir ci-aprĂšs. Dans un musĂ©e occidental, une apprĂ©ciation purement esthĂ©tique les aurait probablement associĂ©es plus Ă une collection ethnographique quâĂ une vitrine dâart bouddhique. Cet exemple nous montre de plus, au-delĂ de lâaspect musĂ©ographique, Ă quel point il est important dâaborder aussi le travail de documentation de lâart himalayen avec la mĂȘme approche pluridisciplinaire. Une analyse stylistique classique ne suffit pas pour comprendre ces sculptures seules des recherches historiques et ethnographiques renseignent sur lâimportance des personnages reprĂ©sentĂ©s et le caractĂšre sacrĂ© du bois utilisĂ©. Bien sĂ»r, ces catĂ©gories ont Ă©tĂ© utiles dans un premier temps pour comprendre les objets himalayens, mais sont-elles encore pertinentes aujourdâhui ? Ne pourrait-on pas envisager, Ă lâimage de ce qui est fait Ă lâinstitut et dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale dans les musĂ©es en Himalaya, de croiser davantage les regards dans leurs analyses ? Si les sources historiques, religieuses et littĂ©raires sont dĂ©jĂ souvent utilisĂ©es pour les documenter, intĂ©grer davantage lâethnographie pourraient enrichir notre connaissance, notamment sur leur usage. Cet aspect nous semble dâautant plus important pour des Ćuvres conservĂ©es loin de leur contexte dâorigine. Fig. 2. Ensemble de quatre sculptures en bois de Drakar Tashiding Ă 103 reprĂ©sentant de haut en bas les maitres bouddhistes Ngadag Phuntshog Rigzin 1592-1656, Kathog Kuntu Zangpo XVIIe s, dates prĂ©cises inconnues, Lhatsun Namkha Jigme 1597â1654 et le Chogyal Phuntshog Namgyal 1604-1670. H. 30 Ă 36 cm. L. 14 Ă 16 cm. ConservĂ©es Ă lâInstitut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. II. La valorisation de lâidentitĂ© sikkimaise. Si lâappellation art himalayen » peut sâavĂ©rer pratique en Occident quand la provenance prĂ©cise dâun objet reste inconnue, elle est peu pertinente en Himalaya oĂč les identitĂ©s rĂ©gionales sont connues et de plus en plus valorisĂ©es. Cette dĂ©nomination fort large reflĂšte la mĂ©connaissance que nous avons eue pendant longtemps de ces spĂ©cificitĂ©s rĂ©gionales7. A lâinstitut, la musĂ©ographie ancre la collection dans lâenvironnement local et certains objets sont directement en lien avec lâidentitĂ© rĂ©gionale sikkimaise8. La musĂ©ographie de la salle principale9 est au goĂ»t sikkimais fig. 3. Lâespace est divisĂ© en trois par des vitrines hautes verticales accueillant des thangkas de chaque cĂŽtĂ©. Dâautres vitrines, le long des murs, prĂ©sentent Ă mi-hauteur des sculptures et des thangkas au-dessus. Le mur du fond est entiĂšrement recouvert de vitrines et au centre de la piĂšce se trouvent six vitrines triangulaires basses. Toutes ces vitrines, Ă fond rouge, sont en bois et dĂ©corĂ©es de motifs traditionnels sikkimais fleurs, coupes dâoffrandes, dragons⊠On les retrouve sur les colonnes et les poutres de la salle, ce qui donne un aspect trĂšs colorĂ© Ă lâensemble. Cette musĂ©ographie permet au visiteur de se sentir accueilli comme dans une belle maison sikkimaise oĂč le mobilier traditionnel est dĂ©corĂ© des mĂȘmes motifs et couleurs. Fig. 3. MusĂ©ographie au goĂ»t sikkimais du musĂ©e de lâinstitut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. Il existe au sein de la collection de lâinstitut un certain nombre dâobjets directement en lien avec le Sikkim, le plus souvent par leur iconographie mais quelque fois par leur matĂ©riau et/ou leur lieu de fabrication. Dans cet ensemble, les Ćuvres les plus marquantes sont une sĂ©rie de sept thangkas qui relatent lâhistoire du Sikkim Ă 35210. CommandĂ©es par le Chogyal Palden Thondup Namgyal dans les annĂ©es 1960, elles ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es par le peintre sikkimais Rinzing Lhadripa Lama 1912-1977 Ă partir du texte historique Denjong Gyalrab. quatre sculptures en bois Ă 103, fig. 2 reprĂ©sentant le premier Chogyal du Sikkim et les trois maitres tibĂ©tains11 qui selon lâhistoriographie ont procĂ©dĂ© Ă son couronnement en 1642. Elles ont Ă©tĂ© achetĂ©es Ă M. Sangay Tenzin, un moine de Drakar Tashiding ouest du Sikkim, le 30 juin 1981 et ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es dans le bois dâun arbre sacrĂ© du site foudroyĂ© en 197512. Drakar Tashiding est important pour les Sikkimais câest le centre sacrĂ© du Sikkim, dâoĂč Guru RinpochĂ© a bĂ©ni toute la rĂ©gion au VIIIe siĂšcle13 et le rituel du Bum Chu, qui sây tient tous les ans depuis 1646, permet de dĂ©terminer le destin du Sikkim pour lâannĂ©e Ă venir14. deux masques fig. 4 reprĂ©sentant Dzönga la divinitĂ© protectrice du Sikkim associĂ©e au Mont Kangchendzonga situĂ©e Ă la frontiĂšre avec le NĂ©pal, 8 586m dâaltitude, et MahÄkÄla-YapdĂŒ la forme locale du dieu protecteur MahÄkÄla. Ils apparaissent lors des danses de Pang Lhabsol, qui est le rituel national en lâhonneur des divinitĂ©s du Sikkim. Ses origines remontent au XIIIe siĂšcle lorsque lâancĂȘtre tibĂ©tain des rois sikkimais, Khe-Bhumsa, et le chef Lepcha, Thekong-Tek, se prĂȘtĂšrent serment de fraternitĂ© en invoquant Dzönga comme tĂ©moin15. Ce rituel, en plus de son importance religieuse et politique passĂ©e, joue un rĂŽle dans lâaffirmation de lâidentitĂ© contemporaine sikkimaise16. une piĂšce de monnaie locale fig. 5, objet unique dans la collection et rare puisquâil nâen reste quâune trentaine dans le monde17. Il nâexistait pas de monnaie locale au Sikkim avant lâarrivĂ©e de marchands nĂ©palais nommĂ©s Pradhan » Ă la fin du XIXe siĂšcle. Ces frĂšres achetĂšrent des terres et le droit dây extraire du cuivre pour frapper une monnaie afin de commercer avec le NĂ©pal et la rĂ©gion de Darjeeling. Elle nâa Ă©tĂ© frappĂ©e quâentre 1883 et 1885 car ni les Anglais, ni les NĂ©palais nâautorisĂšrent sa circulation dans leurs juridictions respectives. Fig. 4. Masques en argile reprĂ©sentant Dzönga H. 30 cm. L. 26,5 cm, la divinitĂ© protectrice du Sikkim et MahÄkÄla-YapdĂŒ H. 31,5 cm. L. 25 cm, la forme locale du dieu protecteur MahÄkÄla. ConservĂ©s Ă lâInstitut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. Tous ces objets prĂ©sentent des caractĂ©ristiques iconographiques en lien avec lâhistoire et les croyances religieuses de la rĂ©gion. Lâinstitut a donc Ă©tĂ© pionnier dans sa volontĂ© de valoriser lâidentitĂ© sikkimaise mais il nâest pas restĂ© un exemple unique. Les populations himalayennes, conscientes du rĂŽle important que peut jouer un musĂ©e et la valorisation du patrimoine dans lâaffirmation dâune identitĂ©, ont depuis les annĂ©es 2000 multipliĂ© les initiatives. La mise en avant de ces identitĂ©s rĂ©gionales rĂ©sonne comme une invitation Ă mieux documenter la provenance des Ćuvres conservĂ©es en Occident. Encore souvent prĂ©sentĂ©es sous les termes himalayen » ou tibĂ©tain », certaines pourrait ĂȘtre mieux mises en valeur si leurs spĂ©cificitĂ©s rĂ©gionales Ă©taient documentĂ©es. III. La place du sacrĂ©. Les musĂ©es en Himalaya tĂ©moignent aussi dâune rĂ©flexion musĂ©ologique diffĂ©rente du modĂšle existant en Occident Ă propos de la place du sacrĂ© au musĂ©e. Les choix faits sur la maniĂšre de conserver le patrimoine religieux bousculent les limites posĂ©es en France entre le musĂ©e et le lieu de culte. Le dĂ©veloppement des colloques en Asie consacrĂ©s spĂ©cifiquement aux questions du patrimoine bouddhique18 a naturellement encouragĂ© cette rĂ©flexion et nourri cette volontĂ© dâadaptation. LĂ encore, lâexemple de lâinstitut nous montre comment la question du rapport au sacrĂ© se pose de façons diverses. Tout dâabord, pour de nombreux visiteurs le sentiment religieux prime sur la contemplation esthĂ©tique au sein de ce musĂ©e temple » les rĂšgles de visite imposent de laisser ses chaussures sous le porche comme dans un monastĂšre et de nombreux visiteurs commencent par se prosterner devant la statue centrale de MañjuĆrÄ« avant de dĂ©buter leur visite. Lâancien directeur M. Sinha Ă©voque dĂ©jĂ ce sentiment religieux Ă propos des premiers dons dans les annĂ©es 1960 motivĂ©s par le fait que lâinstitut Ă©tait assimilĂ© Ă un lieu de conservation sacrĂ© » selon ses termes19. De mĂȘme, le personnel du musĂ©e dĂ©pose chaque matin des offrandes devant ce mĂȘme MañjuĆrÄ« des bols dâeau et, lors de notre entretien avec le directeur Feu M. Tashi Densapa dĂ©cĂ©dĂ© en 2021, il a indiquĂ© par deux fois avec fiertĂ© que la collection avait reçu la bĂ©nĂ©diction du DalaĂŻ-Lama lors de sa visite en 2010. Cet acte religieux est considĂ©rĂ© comme un Ă©lĂ©ment protecteur participant Ă la prĂ©servation de la collection. Nous avons aussi observĂ© sur place que certains objets pouvaient quelquefois ĂȘtre dĂ©placĂ©s temporairement de la collection pour un usage religieux. Bien sĂ»r, ces manipulations sont rares et toujours avec beaucoup de prĂ©cautions mais cela nous a Ă©tonnĂ©. Deux visions diffĂ©rentes des Ćuvres se rencontrent ici ceux-ci sont tout autant des objets religieux que des Ćuvres dâart et on se confronte Ă lâĂ©ternelle difficultĂ© de concilier ces deux aspects dans ce qui touche Ă leur conservation. Alors mĂȘme que les manipulations des objets que nous avons dĂ» faire pour les nettoyer et les photographier pendant nos recherches ont pu heurter certaines sensibilitĂ©s Ă lâinstitut, cela nous questionne de voir des Ćuvres sorties de leur vitrine ou de la rĂ©serve pour des cĂ©lĂ©brations Ă lâinstitut. Si une telle situation ne pourrait aujourdâhui ĂȘtre envisagĂ©e dans un musĂ©e français, rappelons tout dâabord quâelle a dĂ©jĂ existĂ© lors des cĂ©rĂ©monies bouddhiques organisĂ©es par M. Guimet Ă la fin du XIXe s par exemple et ensuite, quâun musĂ©e situĂ© en rĂ©gion himalayenne se trouve dans son contexte culturel dâorigine, oĂč naturellement le point de vue religieux sur ces objets prend le pas sur lâapplication stricte des rĂšgles de conservation prĂ©ventive. Câest prĂ©cisĂ©ment Ă lâoccasion dâune intervention de restauration que nous avons mesurĂ© lâimportance accordĂ©e au sacrĂ© en contexte musĂ©al himalayen. Si celle-ci est nĂ©cessaire pour la prĂ©servation de lâĆuvre, elle est bien sĂ»r mise en Ćuvre mais dans le respect des rites bouddhiques comme si lâobjet Ă©tait conservĂ© dans un monastĂšre. En septembre 2018, Mme Pema Kesang assistante en charge de la collection Ă cette date nettoya la statue de MañjuĆrÄ« pour la photographier elle dĂ©couvrit quâune des fines plaques dâargent qui recouvrent cette sculpture en cuivre Ă©tait abimĂ©e Ă lâarriĂšre fig. 6. Celle-ci a Ă©tĂ© remplacĂ©e mais, faute de moyen, simplement recouverte de peinture argentĂ©e et le rĂ©sultat est assez peu esthĂ©tique. MalgrĂ© cela, nous avons constatĂ© que pour lâĂ©quipe de lâinstitut, le plus important nâĂ©tait pas tant la qualitĂ© visuelle de la restauration, dans la mesure oĂč il leur fallait bien sâadapter aux contraintes matĂ©rielles, que lâassurance dâavoir un moine viennent faire les priĂšres requises avant de dĂ©placer la statue et aprĂšs sa remise en Ă©tat pour quâelle soit bien consacrĂ©e Ă nouveau. Fig. 6. Restauration de la plaque arriĂšre de la statue de MañjuĆrÄ« cuivre et argent, H. 1m67. L. 1m15. ConservĂ©e Ă lâInstitut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. Lâensemble des Ă©lĂ©ments Ă©voquĂ©s ici nous montre bien quâen Himalaya, le sacrĂ© nâest pas totalement exclu des musĂ©es. Lâexemple de cette restauration tĂ©moigne dâune collaboration possible entre des professionnels de musĂ©es et un officiant religieux. Si nous transposions cette situation en contexte français, dans quelle mesure certains aspects religieux pourraient-ils ponctuellement trouver une place au musĂ©e ? Peut-ĂȘtre pourrait-on envisager quâils contribuent Ă une conservation plus respectueuse des pratiques existant dans le contexte dâorigine de lâĆuvre ? Il ne sâagit pas de transformer la nature laĂŻque du musĂ©e français mais, dans une dĂ©marche plus inclusive et respectueuse des communautĂ©s, de considĂ©rer lâimportance de certaines pratiques pour les objets dâart sacrĂ©. Ainsi, il nous semble que lâexemple de ce musĂ©e sikkimais propose de nouvelles perspectives pour une rĂ©flexion dâensemble sur lâart himalayen privilĂ©gier une approche pluridisciplinaire est souvent la clĂ© pour mieux documenter les Ćuvres, distinguer les caractĂ©ristiques des identitĂ©s rĂ©gionales en est une autre, et enfin, il nous encourage Ă envisager diffĂ©remment la place du sacrĂ©. Afin de conclure, nous pouvons rappeler que, mĂȘme si la collection de lâInstitut Namgyal de TibĂ©tologie de Gangtok sâest plutĂŽt constituĂ©e Ă la faveur des dons quâavec une rĂ©elle volontĂ© dâacquisition, sa diversitĂ© en fait toute sa richesse. Lâinstitut occupe une place particuliĂšre parmi les musĂ©es himalayens en tant que premiĂšre initiative purement locale. MalgrĂ© le dĂ©fi que reprĂ©sente la prĂ©servation de sa collection dans les conditions climatiques du Sikkim et le manque de ressources humaines et matĂ©rielles dont il souffre, lâinstitut sâattache Ă documenter ses Ćuvres avec rigueur. Nous avons aussi exposĂ© comment ce musĂ©e, en dĂ©veloppant sa propre vision de son patrimoine, ouvre de nouvelles perspectives quant Ă une approche pluridisciplinaire, la valorisation des identitĂ©s rĂ©gionales et le rapport au sacrĂ© pour les collections himalayennes conservĂ©es en Occident. Mais au-delĂ de ces aspects, il nous semble important de croiser nos regards sur ces Ćuvres. Les recherches menĂ©es en Himalaya et en Occident, une fois rassemblĂ©es, permettraient sans doute de retracer le parcours de certains objets. SauvĂ©s du pillage ou au contraire volĂ©s, les objets tibĂ©tains ont une histoire particuliĂšre mais sans dĂ©velopper une approche mutuelle, comment retracer leurs itinĂ©raires en exil ? Cela semble difficile sans construire une alliance des savoirs. Katia Thomas Bibliographie ARDUSSI, BALIKCI-DENJONGPA et SĂRENSEN, 2021 Ardussi John, Balikci-Denjongpa Anna et SĂžrensen Per K., The Royal History of Sikkim a chronicle of the House of Namgyal, as narrated in tibetan by their Highnesses Chogyal Thutob Namgyal and Gyalmo Yeshe Dolma, Based upon the Preliminary Translation by Kazi Dawasamdup, Chicago, Bangkok Serindia, 2021. 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Situation gĂ©ographique du Sikkim en Inde. © Google Maps. Fig. 2. Ensemble de quatre sculptures en bois de Drakar Tashiding Ă 103 reprĂ©sentant de gauche Ă droite les maitres bouddhistes Ngadag Phuntshog Rigzin 1592-1656, Kathog Kuntu Zangpo XVIIe s, dates prĂ©cises inconnues, Lhatsun Namkha Jigme 1597â1654 et le Chogyal Phuntshog Namgyal 1604-1670. H. 30 Ă 36 cm. L. 14 Ă 16 cm. ConservĂ©es Ă lâInstitut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Fig. 3. MusĂ©ographie au goĂ»t sikkimais du musĂ©e de lâinstitut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Fig. 4. Masques en argile reprĂ©sentant Dzönga H. 30 cm. L. 26,5 cm, la divinitĂ© protectrice du Sikkim et MahÄkÄla-YapdĂŒ H. 31,5 cm. L. 25 cm, la forme locale du dieu protecteur MahÄkÄla. ConservĂ©s Ă lâInstitut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Fig. 5. Restauration de la plaque arriĂšre de la statue de MañjuĆrÄ« cuivre et argent, H. 1m67. L. 1m15. ConservĂ©e Ă lâInstitut Namgyal de TibĂ©tologie, Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Il est alors autorisĂ© par Mao Zedong Ă se rendre en Inde pour les cĂ©lĂ©brations de la Buddha Jayanti 2 500e anniversaire de la naissance du Bouddha et ne reviendra Ă lâinstitut que le 21 octobre 1981. [â©] DâROZARIO, 1973. [â©] Au Sikkim, Chogyal » est le titre signifiant roi » ; GyelsĂ© » celui du prince hĂ©ritier ». [â©] Le GyelsĂ© Palden Thontup Namgyal est veuf en 1957 suite au dĂ©cĂšs de sa premiĂšre Ă©pouse, Sangay Deki, mĂšre de ses trois premiers enfants. Il rencontre Hope Cooke 1940- en 1959 Ă Darjeeling mais leur relation ne commence quâen 1961 et ils se marient en mars 1963. Le roi Tashi Namgyal dĂ©cĂšde en dĂ©cembre 1963 et Palden Thontup Namgyal est couronnĂ© Chogyal en 1965. Il aura deux enfants avec Hope puis le couple se sĂ©pare en 1973. [â©] Ces discours sont citĂ©s intĂ©gralement dans DENSAPA, 2008, [â©] viii to establish and maintain a library of printed works and a museum of iconography and religious arts, access to both extending beyond the members and scholars of the Institute; ». Le texte de la charte est reproduit en partie dans DENSAPA, 2008, [â©] DOLLFUS, 1997. [â©] MULLARD, 2011 et HILTZ, 2003. [â©] La seconde salle attenante est une annexe consacrĂ©e Ă une prĂ©sentation ethnographique de la population Lepcha, ajoutĂ©e aprĂšs que la musĂ©ographie de la salle principale ait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e. [â©] Ces peintures sont reproduites dans ARDUSSI, BALIKCI DENJONGPA et SĂRENSEN, 2021, p. 582-587. [â©] Il sâagit du Chogyal Phuntshog Namgyal 1604-1670 et pour les maitres de Ngadag Phuntshog Rigzin connu aussi sous le nom de Ngadag Sempa Chenpo 1592-1656, Kathog Kuntu Zangpo ou Kathog Rigzin Chenpo dates prĂ©cises inconnues et Lhatsun Namkha Jigme ou Lhatsun Chenpo 1597â1654. Quatre sculptures mĂ©talliques contemporaines des mĂȘmes personnages Ă 99 ont Ă©tĂ© offertes Ă lâinstitut en 2007. [â©] Selon la mention portĂ©e au registre dâinventaire This statue is made of sacred treeâs branch of Tashiding which broke off due to lightening in 1975. ». [â©] VANDENHELSKEN, 2006, et DOKHAMPA, 2003, [â©] En observant la clartĂ© et le niveau de lâeau dans un vase sacrĂ© consacrĂ© par Guru RinpochĂ©. [â©] BALIKCI-DENJONGPA 2002, explique lâĂ©tymologie dpang lha gsol, offering to the witness deity ». [â©] POMMARET, 1994, It is interesting to note that in Sikkim, annual dances in honour of the mountain deity Gangs chen mdzod lnga Kanchenjunga took place in front of the Royal Palace. [âŠ] In the early 1990s, these dances were suspended temporarily by the Indian government, which saw them as a nationalist and royalist manifestation. ». [â©] BHATTACHARYYA 1984 en rĂ©pertorie 32, la plupart en mains privĂ©es et en incluant celle conservĂ©e Ă lâinstitut. Une dizaine dâentre elles apparaissent aux catalogues des ventes chez Spink Londres The Nicholas Rhodes Collection of coins of north east India part I du 24 septembre 2013 et idem part II du 27 septembre 2016. Ces piĂšces sont proches de celles frappĂ©es Ă la mĂȘme Ă©poque au NĂ©pal, seule la mention Sikkim » les distingue. [â©] WIJESURIYA et LEE, 2013. [â©] SINHA Nirmal C., 1984, A few donors were frankly poor refugees from Central and Eastern Tibet and refused any payment; they firmly asserted that they were not sellers of images and that they donated these for safe custody in a place which was to them a sacred repository of scriptures and icons; the donors, rich and poor alike, would not call this Institute a library or museum as we do. ». [â©] Article Ă©crit par StĂ©phane Gaessler TĂ©lĂ©charger lâarticle au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le 20 janvier 2022 I. De la protection Ă la destruction Ă©volution de la relation au patrimoine et Ă sa protection de LĂ©nine Ă Staline. Dans lâhistoire soviĂ©tique la question du patrimoine a connu alternativement des pĂ©riodes favorables et tragiques. Cette oscillation, lâincohĂ©rence, voire lâillogisme qui a fondamentalement caractĂ©risĂ© la relation au patrimoine, participe dâun dĂ©veloppement culturel et idĂ©ologique qui a connu en URSS plusieurs phases contradictoires. On citera Ă titre de rĂ©fĂ©rences les travaux de Vladimir Paperny1, Svetlana Boym 1959-20152 ou encore ceux dâAlexeĂŻ Yurchak3, qui ont montrĂ© chacun Ă leur maniĂšre, lâinstabilitĂ© fondamentale et les contradictions des discours officiels et des formations discursives » successives au sein de la civilisation » soviĂ©tique. Si lâon retient souvent lâĆuvre destructrice du pouvoir soviĂ©tique, on ne doit pas sous-estimer son rĂŽle important dans la mise en place des premiĂšres structures et institutions de protection en Russie, et dans le dĂ©veloppement dâune science de la restauration. Il faut enfin souligner le rĂŽle de personnalitĂ©s, dâhommes et de femmes, qui ont combattu, individuellement, parfois collectivement, pour la prĂ©servation et la restitution de ce patrimoine architectural, essayant de manĆuvrer, avec plus ou moins dâefficacitĂ©, dans les interstices et les Ă©troites parcelles dâinitiatives qui nâĂ©taient pas totalement recouvertes par la machine Ă©tatique soviĂ©tique. Il faut souligner que la protection des monuments historiques reçoit avec lâarrivĂ©e au pouvoir des BolchĂ©viques sa premiĂšre organisation Ă©tatique. Le dĂ©cret du Conseil des commissaires du peuple du 5 octobre 1918 Sur lâenregistrement, lâinventaire et la protection des monuments dâart et dâhistoire, se trouvant en possession de personnes privĂ©es, de sociĂ©tĂ©s ou dâinstitutions4» institue un premier cadre juridique et normatif pour la protection du patrimoine matĂ©riel, artistique ou architectural se trouvant encore aux mains de sociĂ©tĂ©s et de propriĂ©taires privĂ©s. Le patrimoine acquiert aussi par ce dĂ©cret une valeur dâintĂ©rĂȘt national, puisque lâEtat est sensĂ© pourvoir Ă son entretien et Ă sa prĂ©servation. Le dĂ©cret prĂ©voit lâĂ©tablissement dâun premier inventaire de tous les monuments dâart et dâhistoire ĐĐ°ĐŒŃŃĐœĐžĐșĐž ĐžŃĐșŃŃŃŃĐČа Đž ŃŃаŃĐžĐœŃ ainsi que la mise en place dââune politique pĂ©dagogique et de promotion du patrimoine auprĂšs de la population. Cette disposition prĂ©voyait de ne pas changer le statut de propriĂ©tĂ© des biens en question, mais bien dâoctroyer une aide pour leur protection. Le dĂ©cret du 23 janvier 1918 Sur la sĂ©paration de lâĂ©glise de lâEtat et des Ă©coles de lâĂ©glise »5 avait dĂ©jĂ permis de nationaliser tous les biens de lâĂ©glise. Le dĂ©cret du 27 avril 1918 Sur lâabolition du droit dâhĂ©ritage », permettra de nationaliser une grande partie du patrimoine privĂ©. En dĂ©cembre 1917 avait Ă©tĂ© créé le Narkomat des propriĂ©tĂ©s de la rĂ©publique, qui remplaçait lâancien ministĂšre de la cour impĂ©riale, gestionnaire des rĂ©sidences du Tsar. En mai 1918, un collĂšge pan-russe des affaires musĂ©ales et de protection des monuments dâart et dâhistoire est créé au sein du Narkompros commissariat populaire pour lâĂ©ducation dont le ministre est alors Anatoly Lunacharski 1875-1936. Lunacharski va soutenir une politique de protection patrimoniale assez ambitieuse, il considĂšre que les monuments doivent contribuer Ă Ă©duquer artistiquement les masses. Le 10 juin 1918 est créée la Commission pan-russe pour la restauration des monuments, qui deviendra bientĂŽt les Ateliers centraux dâEtat de restauration. Les ateliers centraux Ă©tablissent les premiĂšres listes inventoriant les monuments dâarchitecture, ils Ă©tablissent des passeports » pour chaque monument fiches dâinventaire. En outre un certain nombre de chantiers de restauration sont ouverts dĂšs les premiĂšres annĂ©es du rĂ©gime soviĂ©tique. Au total 244 monuments dâarchitecture vont ĂȘtre restaurĂ©s entre 1918 et 19276. En 1918 est créée la Commission pour la restauration du Kremlin, sous la direction des architectes Fedor Schekhtel 1859-1926, Ilya Bondarenko 1870-1947, Nikolai Markovnikov 1869-1942 et Ivan Rylskij 1876-1952, il sâagit notamment de rĂ©parer les monuments ayant souffert des Ă©vĂ©nements rĂ©volutionnaires. Sur la Place rouge, la restauration de lâĂ©glise Saint-Basile le bienheureux est conduite sous la direction de lâarchitecte-restaurateur Dmitri Sukhov 1867-1958. A Leningrad, dâimportants chantiers de restauration sont conduits au Palais dâhiver, ainsi que dans les rĂ©sidences de Pavlovsk, TsarskoĂŻe Selo, Peterhof ou Oranienbaum. Outre Moscou et Leningrad, on voit le dĂ©ploiement de nombreux chantiers de restauration principalement en RSFSR RĂ©publique socialiste soviĂ©tique de Russie, dans les villes historiques de Novgorod, Pskov, Vladimir, Souzdal, Ouglitch, Staritsa, Smolensk, Vologda ou encore Zagorsk. A Zagorsk, nouvelle dĂ©nomination soviĂ©tique de la ville de Sergiev Posad, prĂšs de Moscou, toute une communautĂ© dâintellectuels, artistes, architectes, archĂ©ologues, historiens de lâart, collectionneurs, se fĂ©dĂšre autour de la figure du thĂ©ologien orthodoxe Pavel Florenski 1882-1937, pour la prĂ©servation et la restauration de la Laure de la Sainte-TrinitĂ©-Saint-Serge. Parmi ces dĂ©fenseurs du patrimoine beaucoup furent par la suite victimes des purges dans les annĂ©es 1930. Ainsi Pavel Florenski fut exĂ©cutĂ© aux Solovki en 1937, le peintre dâicĂŽnes Vladimir Komarovski 1883-1937 fut fusillĂ© en 1937 Ă la prison de Boutovo, le comte Iouri Olsufiev 1878-1938 le fut lâannĂ©e suivante. La question patrimoniale va toucher directement Ă un certain nombre de problĂ©matiques liĂ©es aux politiques de restructuration et dâamĂ©nagement urbanistiques. Moscou devenue la capitale du nouvel Etat soviĂ©tique en 1918, doit subir dâimportantes opĂ©rations de transformation pour rĂ©pondre Ă ses nouvelles fonctions. Câest la tĂąche confiĂ©e Ă lâatelier dâarchitecture du Soviet de Moscou, la mairie, qui de 1918 Ă 1924 Ă©labore sous la direction dâIvan Joltovski et AlexeĂŻ Susev, le premier plan directeur de rĂ©amĂ©nagement et dâextension de la capitale soviĂ©tique qui recevra le nom de Nouveau Moscou ». Le conseil scientifique du Nouveau Moscou » va collaborer Ă©troitement avec la Commission pour la protection des monuments dâart et dâhistoire de Moscou et sa section architecturale dirigĂ©e par NikolaĂŻ Vinogradov 1885-1980 qui Ă©tablit la premiĂšre liste des monuments historiques de la ville et leur classification. Lâatelier dâarchitecture du Mossoviet fait constamment appel aux expertises et conclusions de la Commission, rĂ©alisant une synthĂšse inĂ©galĂ©e du travail conduit par les architectes et les spĂ©cialistes du patrimoine. Une enquĂȘte est conduite par deux architectes, collaborateurs de Susev, et qui sont en mĂȘme temps les architectes de la section architecturale de la Commission pour la protection des monuments dâart et dâhistoire, AndreĂŻ Snigarev 1890-1955 et Nikifor Tamonkin 1881-19517. Au bout dâun an en 1921, ils auront explorĂ© les deux tiers de la ville. Susev, Kokorin, Plan du Nouveau Moscou », partie du Kremlin, des arrondissements de Khamovniki et de Zamoskvorietchie, 1924. Chaque bĂątiment Ă©tudiĂ©, fait lâobjet dâune enquĂȘte et dâune fiche descriptive. Lâensemble de ces donnĂ©es sont transmises Ă lâatelier de Susev, qui les prendra en compte dans le plan directeur et lâamĂ©nagement de chaque quartier8. Outre la prise en compte de ce patrimoine, le Nouveau Moscou propose une solution urbanistique assez radicale. LâidĂ©e principale consiste Ă transfĂ©rer le centre administratif et Ă©conomique de Moscou vers le Nord-Ouest, sur la ChaussĂ©e de Petrograd, ce qui permettrait de sanctuariser » le centre historique autour du Kremlin. Fig. 2 Sukhov, projet de squares le long du mur de Kitay-gorod depuis la place de la Loubianka jusquâau Kremlin et aux quais de la riviĂšre Moskva, Moscou. Dessin, 10 janvier 1922. Archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou GNIMA OF-920/627. Le plan prĂ©voit Ă©galement une dĂ©concentration de Moscou, grĂące Ă la crĂ©ation de citĂ©s jardins satellites situĂ©es Ă lâextĂ©rieur de la ville. Le tissu urbain ancien des quartiers centraux, doit ĂȘtre aĂ©rĂ© grĂące Ă un programme de curetage des Ăźlots Tous les monuments religieux et civils doivent ĂȘtre restaurĂ©s, dĂ©barrassĂ©s de toutes les constructions plus rĂ©centes qui auraient pu altĂ©rer lâauthenticitĂ© architecturale des bĂątiments. Les monuments doivent ĂȘtre valorisĂ©s aux visiteurs aux milieux dâespaces verts et par leur inscription au sein de perspectives urbaines dĂ©gagĂ©es9. Ces solutions rĂ©pondent de doctrines patrimoniales spĂ©cifiques Ă cette Ă©poque, promues notamment par Piotr Baranovski, considĂ©rant quâil fallait conserver seulement les monuments relativement anciens jusquâau XVIIIĂšme siĂšcle quitte Ă les restaurer en profondeur pour retrouver leur apparence originelle. Cette doctrine patrimoniale refuse les apports ultĂ©rieurs de lâhistoire, elle ne prend pas en compte ni le patrimoine du XIXĂšme siĂšcle, encore moins celui du dĂ©but du XXĂšme siĂšcle comme lâArt nouveau Style Modern en russe. LâidĂ©e de la crĂ©ation du nouveau centre au Nord-Ouest de la ville est finalement abandonnĂ©e au profit de la conservation du centre politico-administratif au Kremlin. La raison en est principalement Ă©conomique, il est en effet moins couteux de rĂ©utiliser le patrimoine bĂąti existant que de crĂ©er ex nihilo un nouveau complexe gouvernemental. Cette dĂ©cision aura un impact direct sur la protection du centre historique. A partir de 1925, dans le cas de Moscou, la protection et la restauration des monuments devient la prĂ©rogative du DĂ©partement dâĂ©conomie municipale du Mossoviet ĐĐŸŃĐșĐŸĐŒĐŒŃĐœŃ ĐŸĐ· â MKX, qui rĂšglemente lâurbanisme, en fixant les alignements et le cadastre. Câest dans ce contexte, que les fonctionnaires de la municipalitĂ© abandonnent rapidement le projet du Nouveau Moscou » au profit du plan Grand Moscou » proposĂ© en 1925 par lâingĂ©nieur Sergey Chestakov 1862-1931, qui jugĂ© plus pragmatique » du point de vue Ă©conomique et industriel, dĂ©veloppe une relation trĂšs diffĂ©rente au patrimoine. Chestakov donne notamment la prioritĂ© Ă lâĂ©largissement du rĂ©seau viaire mĂȘme dans le centre-ville. Les chantiers de reconstruction de la capitale soviĂ©tique qui se dĂ©ploieront Ă partir du milieu des annĂ©es 1920 vont conduire Ă la premiĂšre vague de destructions massives de monuments historiques vers 1926-1927. Au dĂ©but des annĂ©es 1920 on dĂ©nombrait Ă Moscou 628 Ă©glises et 687 bĂątiments civils10 inscrits sur les listes du patrimoine. On observe trĂšs vite cependant une rĂ©duction importante des monuments inscrits passant en 1926 Ă 296 Ă©glises et 438 bĂątiments civils, et finalement seulement 125 monuments au total en 193211. Si ces listes ont pu constituer dâimportants documents de mise au jour et dâidentification des monuments, de description et de fixation de leur Ă©tat, leur caractĂšre juridique restait trĂšs flou, et ne stipulaient aucun caractĂšre dâinaliĂ©nabilitĂ© des bĂątiments en question. Le gouvernement soviĂ©tique va progressivement affaiblir les organisations patrimoniales centralisĂ©es en donnant plus de prĂ©rogatives aux autoritĂ©s municipales. Il va progressivement fermer toutes les structures Ă©tatiques qui sâoccupaient de protection du patrimoine, le collĂšge musĂ©al du Narkompros en 1928, la filiale moscovite auprĂšs du gouvernement de Moscou est supprimĂ©e en 1929, enfin les ateliers centraux de restauration sont fermĂ©s en 1934. ParallĂšlement il sâattaque aux associations qui avaient dĂ©fendu le patrimoine, comme la Commission pour lâĂ©tude du vieux Moscou et la MAO, SociĂ©tĂ© architecturale de Moscou, qui rĂ©unissait les architectes les plus engagĂ©s sur ces questions, fut liquidĂ©e dans le cadre du dĂ©cret dâavril 1932 portant sur la restructuration des organisations littĂ©raires et artistiques. Les lois adoptĂ©es en 1924 et surtout celle de 193312 font de la prĂ©servation des monuments plutĂŽt lâexception que la rĂšgle. Enfin la dĂ©cision de la prĂ©servation ou de la destruction revient le plus souvent aux pouvoirs rĂ©gionaux et municipaux, qui examinent souvent le problĂšme du point de vue des infrastructures et du dĂ©veloppement Ă©conomique, Ă un moment oĂč la prioritĂ© Ă©tait donnĂ©e Ă la rĂ©alisation des objectifs fixĂ©s du premier plan quinquennal. Ainsi Ă Moscou on sâaperçoit que le principal commanditaire de ces destructions nâest pas le pouvoir central mais la mairie. Une entreprise municipale le Mosrazbor est mĂȘme spĂ©cialisĂ©e dans le dĂ©montage et le sautage des monuments. Il est significatif de souligner que si les annĂ©es 1930 sont une Ă©poque qui en thĂ©orie cĂ©lĂšbre les formes du passĂ©, avec une thĂ©orie rĂ©aliste-socialiste qui prĂŽne lâassimilation de lâhĂ©ritage architectural, elles peuvent ĂȘtre qualifiĂ©es de dĂ©cennie noire pour le patrimoine. Câest Ă cette Ă©poque que lâon dĂ©nombre Ă Moscou les destructions les plus importantes en termes quantitatifs et qualitatifs en 1928 les trĂšs belles portes rouges Ă©difiĂ©es au XVIIIĂšme siĂšcle par Dmitri Oukhtomski, en 1930 le monastĂšre Simonov, en 1931 la cathĂ©drale du Christ Sauveur, en 1934 la tour Soukharev en 1934, en 1936 la cathĂ©drale de Kazan sur la place rouge, pour ne citer que quelques exemples. Si ces destructions suscitent de nombreuses protestations, certains monuments en ont suscitĂ© plus que dâautres. Ainsi un certain nombre de bĂątiments qui constitueraient pour nous aujourdâhui un patrimoine remarquable, nâĂ©taient pas considĂ©rĂ©s comme tels dans les annĂ©es 1930. Câest le cas en partie de la CathĂ©drale du Christ sauveur, construite par un architecte allemand Konstantin Ton, au milieu du XIXĂšme siĂšcle et dans un style historiciste nĂ©o-byzantin, son architecture pompeuse, qualifiĂ©e souvent dâ Ă©trangĂšre », car construite par un allemand, et perçue comme rĂ©cente, ne suscitait que trĂšs peu dâadmiration parmi les architectes et dĂ©fenseurs du patrimoine. Susev, qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un de ces dĂ©fenseurs du patrimoine architectural, avait mĂȘme saluĂ© la destruction de cette verrue architecturale », dont Staline avait enfin dĂ©barrassĂ© Moscou. La reconstruction de la cathĂ©drale dans les annĂ©es 1990, comme symbole de la renaissance orthodoxe de la Russie, peut donc ĂȘtre vue comme un paradoxe historique, sa destruction lâavait transformĂ© en symbole. A lâinverse les destructions du monastĂšre Simonov ou de la tour Sukharev ont provoquĂ© des protestations, et la mobilisation assez unique des architectes, y compris ceux qui Ă©taient les plus proches du pouvoir comme Susev ou Joltovski. Si ces protestations prenaient souvent la forme de lettres envoyĂ©es aux autoritĂ©s ou Ă Staline en personne, on assiste Ă un intĂ©ressant phĂ©nomĂšne consistant Ă proposer des solutions architecturales et urbanistiques alternatives Ă la destruction partielle ou complĂšte de ces monuments. Fig. 3 D. Sukhov, Projet pour le palais de la culture de lâarrondissement de Simonov, annĂ©es 1920. GNIMA OF-4559/988 Les archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou conservent notamment lâhĂ©ritage de lâarchitecte Dmitri Sukhov qui fut particuliĂšrement crĂ©atif dans ce domaine. Sukhov participe par exemple au concours pour le nouveau palais de la culture du quartier Simonov, proposant de conserver une partie du monastĂšre Ă cĂŽtĂ© du nouveau bĂątiment Quand les fortifications de Kitay-Gorod sont menacĂ©es de destruction, il propose un projet dâamĂ©nagement les transformant en promenade plantĂ©e Pour lâĂ©glise de lâIcĂŽne de la MĂšre de Dieu Grebnevskaya Ă la Loubianka, il propose dâintĂ©grer adroitement le bĂątiment dans la nouvelle trame urbaine, en crĂ©ant autour un espace vert La crĂ©ation de square autour des Ă©glises est une maniĂšre de les transformer en espaces publics. On retiendra Ă©galement le projet de Sukhov pour la transformation dâune Ă©glise en un temple civique fig. 5. Fig. 4 Sukhov, Ă©glise de lâIcĂŽne Grebnevskaya de la MĂšre de Dieu sur la Loubianka, 1472, 1585, 1685, dĂ©but du XVIIIĂšme siĂšcle. Moscou. Vue Ă vol dâoiseau. Projet dâamĂ©nagement du quartier. 1926. Archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou GNIMA OF-1750/3. Fig. 5 Sukhov, Projet de reconstruction dâune Ă©glise en bĂątiment civil. 1927. Verres avec diffĂ©rentes phases de transformation du bĂątiment. Archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou GNIMA OF-19/5709. En ce qui concerne la Tour Suharevskaya, en aoĂ»t 1933, Grabar, Joltovski, Susev Ă©crivent Ă Staline en personne pour le convaincre de ne pas dĂ©truire ce remarquable monument du baroque moscovite de la fin du XVIIĂšme siĂšcle. Ils accompagnent leur lettre du projet de lâarchitecte Ivan Fomin 1872-1936 Ă©galement signataire de la lettre, qui imagine une reconstruction de la place permettant lâorganisation dâun trafic circulaire autour de la tour et mĂȘme le passage de lignes de tramway sous les arches du monument. Les architectes rĂ©itĂšrent leur supplication en 1934 pour essayer que le monument soit dĂ©placĂ©, avec un projet de dĂ©montage Ă©tabli par lâingĂ©nieur Vladimir Obrazcov 1874-1949, mais en vain, Staline persistera Ă voir dans la tour un obstacle au dĂ©veloppement urbain de Moscou et aux transports modernes, elle sera dĂ©finitivement rasĂ©e en juin 1934. On considĂšre que Piotr Baranovski a Ă©tĂ© dĂ©portĂ© en 1933 en SibĂ©rie suite Ă cette affaire, libĂ©rĂ© en 1936, il Ă©tait interdit de sĂ©jour dans la capitale, relĂ©guĂ© dans la ville provinciale dâAlexandrovo. Il revint en grĂące que vers la fin de la guerre, par lâintercession de ses amis et collĂšgues, dont Susev, pour travailler Ă la reconstruction du pays13. Fig. 6 Ivan Fomin, Leonid Poliakov, Projet de reconstruction de la place autour de la Tour Sukharevskaja, 1933-1934. Projet de concours. AxonomĂ©trie. Archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou GNIMA OF-919/495. II. Le renouveau patrimonial de la grande guerre patriotique. Fig. 7 Georgui Golts, Projet de reconstruction de la ville de Smolensk. 1945. Archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou GNIMA OF-4347/6. La guerre va conduire en mĂȘme temps quâun renouveau du sentiment national Ă une nouvelle prise de conscience patrimoniale. Il est significatif que la cĂ©lĂ©bration du passĂ©, ne se focalisera plus uniquement sur lâhĂ©ritage universel du classicisme, mais exprimera un nouvel engouement pour dâune part lâhĂ©ritage de la Russie mĂ©diĂ©val, dâautre part celui des diffĂ©rentes nations de lâURSS, en intĂ©grant lâarchitecture populaire. Les nombreuses destructions engendrĂ©es par le conflit, conduisent Ă la remise en place dâorganismes de protection et restauration centralisĂ©s. DĂšs avril 1942 est créée au sein du ComitĂ© des affaires artistiques du Conseil des Commissaires du peuple de lâURSS une commission pour la prise en compte et la protection des monuments dâart, prĂ©sidĂ©e par Igor Grabar et Dmitri Sukhov. Cette commission a en charge dâĂ©tablir lâĂ©tat des monuments et rĂ©pertorier les destructions subies lors de la guerre14. Cette commission donne Ă nouveau Ă la protection du patrimoine un organisme dâenvergure nationale, bien quâelle soit composĂ©e au dĂ©part principalement de militaires. De nombreux spĂ©cialistes, comme lâillustre restaurateur Piotr Baranovski, nâen font pas partie pour des raisons politiques. En septembre 1943 est créé le ComitĂ© des affaires architecturales auprĂšs du Conseil des commissaires du peuple, qui a pour tĂąche de coordonner et de planifier les opĂ©rations de reconstruction des villes soviĂ©tiques dĂ©truites lors du conflit. La supervision des affaires de protection et de restauration du patrimoine architectural lui est Ă©galement transfĂ©rĂ©e. Le dĂ©cret du 21 fĂ©vrier 1944 créé au sein du ComitĂ© des affaires architecturales la direction principale pour la protection des monuments dâarchitecture GUOP. Cet organisme est dirigĂ© par Rzjanin15. Le systĂšme Ă©tatique de protection des monuments Ă©tait rĂ©tabli et pour la premiĂšre fois lâarchitecture avait son propre organisme de protection dĂ©diĂ©. Le systĂšme est de plus fortement dĂ©centralisĂ©, en effet depuis le dĂ©cret du 21 dĂ©cembre 1943 ont Ă©tĂ© créées des directions des affaires dâarchitecture dans les rĂ©publiques Sovnarkom de la RSFSR, dans les rĂ©gions Oblastnye et Kraevye et dans les deux villes principales, Ă Moscou et Ă Leningrad16. Le GUOP rĂ©unit dâĂ©minents spĂ©cialistes comme Igor Grabar, Dmitri Sukhov, Alexei Susev, Ivan Rylskij, Sergey Toropov, NikolaĂŻ Voronine, Ilya Machkov, Ilya Bondarenko. Le GUOP comptait plusieurs dĂ©partements la section dâenregistrement, celle de restauration, lâinspection dâĂ©tat, un conseil dâexpertise scientifique, le ComitĂ© dâEtat de restauration GKR et les ateliers de restauration dâEtat, dont la direction est confiĂ©e Ă Piotr Baranovski. Les Ateliers centraux de restauration, qui avaient Ă©tĂ© fermĂ©s en 1934, sont recréés Le GUOP conduit un important travail pour la prĂ©paration des futures lois sur la protection du patrimoine, mais aussi pour organiser dĂšs 1944, des expĂ©ditions de spĂ©cialistes pour explorer les rĂ©gions dĂ©vastĂ©es par le conflit. LâUkraine particuliĂšrement Ă©prouvĂ©e par le conflit, accueillit parmi les premiĂšres de ces expĂ©ditions. DĂšs le printemps 1943 un reprĂ©sentant du GUOP, lâarchitecte Polonski se rend Ă Kiev. En dĂ©cembre 1943 Baranovski se rend Ă Tchernigov. Le GUOP joue Ă©galement un rĂŽle important dans la constitution dâune nouvelle attitude de lâurbanisme envers le patrimoine. Une liste de villes ayant conservĂ© leur structure urbaine historique est Ă©tablie. Le GUOP participe Ă lâĂ©laboration de plans directeurs pour 132 villes, elle propose aussi de faire de Souzdal une ville-musĂ©e, ou encore de sanctuariser » en zones protĂ©gĂ©es zapovedniki » des quartiers entiers Ă Moscou ou Ă Pskov17. Fig. 8 Concours pour une affiche du GUOP Direction principale pour la protection des monuments dâarchitecture ProtĂ©gez les monuments dâarchitecture », 1946. Projet de concours sous la devise Nos trĂ©sors », GUOP. On observe un soutien assez massif Ă la recherche sur lâhistoire de lâurbanisme russe. On citera les travaux dâune nouvelle gĂ©nĂ©ration de brillants historiens de lâart comme Viktor Lazarev 1897-1976, Mikhail Iline 1903-1981 Artemii Artcikhovski 1902-1978, Vladimir Piliavski 1910-1984, Iouri Spegalski 1909-1989 Mikhail Karger 1903-1976 ou encore NikolaĂŻ Voronine 1904-1976. En 1945 sort lâouvrage de NikolaĂŻ Voronine Les vieilles villes russe VORONIN, 1945., sĂ©rie de portraits de villes, Kiev, Tchernigov, Smolensk, Novgorod, Pskov etc. Voronine joue un rĂŽle particuliĂšrement important en Ă©tablissant une pĂ©riodisation assez claire de lâhistoire de lâarchitecture russe, et en Ă©tablissant pour la premiĂšre fois une typologisation des formes urbaines des villes mĂ©diĂ©vales russes. DĂšs 1942 une commission de lâAcadĂ©mie dâarchitecture avait Ă©tĂ© mĂȘme spĂ©cialement créée pour conduire des Ă©tudes sur lâintĂ©gration des monuments dans lâamĂ©nagement des villes reconstruites18. Voronine dĂ©fendra lâidĂ©e de ne pas reconstituer seulement les monuments, les bĂątiments, mais aussi la forme, la structure de la ville. Le projet de reconstruction de Lev Rudnev pour Voronej, celui de NikolaĂź Kolli pour Tver, ou encore celui de Georgui Golts 1893-1946 pour Smolensk sâinspireront de ce principe, pour conserver la morphologie traditionnelle de la ville prĂ©existante. Mais ces considĂ©rations, seront bientĂŽt relĂ©guĂ©es au second rang lors de la mise en Ćuvre des chantiers de reconstruction, les aspects Ă©conomiques, les impĂ©ratifs de la reconstitution du potentiel industriel, les prioritĂ©s urbanistiques de lâadministration vont soit rĂ©duire les ambitions initiales soit faire totalement disparaĂźtre. Câest le cas par exemple Ă Novgorod, oĂč le projet de ville-musĂ©e de Lev Rudnev fut abandonnĂ© au profit du plan de Ćusev et Vitaly Lavrov19. En dehors des zones protĂ©gĂ©es des monuments historiques, Susev projette une ville nouvelle organisĂ©e autour de grands axes classiques. Si lâindustrie est interdite dans le centre, et si Susev est soucieux de prĂ©server et de valoriser les monuments anciens, son adjoint Lavrov propose une vision beaucoup plus Ă©conomique de la ville, en pensant Novgorod, non pas seulement comme une ville-musĂ©e, mais comme la capitale administrative et Ă©conomique de la rĂ©gion. Il faudra attendre encore quelques annĂ©es pour voire lâadoption dâune loi sur la protection des monuments dâarchitecture, en 1947 pour la RSFSR20, et en 1948 pour lâensemble de lâURSS. Contrairement Ă la prĂ©cĂ©dente loi de 1933, la loi de 1947 instaure le caractĂšre obligatoire et inaliĂ©nable de la protection des monuments historiques. Le dĂ©cret du 14 octobre 1948 du Conseil des ministres dâURSS Sur les mesures pour amĂ©liorer la protection des monuments de culture » dĂ©cret du gouvernement URSS 3898 entĂ©rine cette situation pour lâensemble de lâUnion, ainsi que la division du systĂšme de protection patrimoniale en plusieurs domaines distincts, dont celui de lâarchitecture. III. Les annĂ©es 1950-1960, entre nĂ©gligences, nouvelles campagnes de destruction et apparition dâune conscience civique. Cette tendance positive en faveur dâune protection des monuments historiques et de leur intĂ©gration aux plans dâurbanisme est cependant assez vite remise en cause par une nouvelle vague de fragilisation institutionnelle des organes de protection, dâabord au niveau national. Le ComitĂ© des affaires architecturales dâURSS, qui avait jouĂ© un rĂŽle particuliĂšrement dĂ©terminant, est supprimĂ© en 1949. Le GUOP est transfĂ©rĂ© au MinistĂšre de la construction urbaine, qui accorde beaucoup moins dâimportance Ă la question du patrimoine, face aux prioritĂ©s de la reconstruction des villes. Le GUOP perd de nombreuses prĂ©rogatives et de nombreux cadres, avant dâĂȘtre dĂ©finitivement supprimĂ© en mars 1951. Il faudra attendra avril 1953, aprĂšs la mort de Staline, pour voir se reformer une Inspection dâĂ©tat pour la protection des monuments dâhistoire et de culture au sein du MinistĂšre de la culture dâURSS. Le patrimoine nâĂ©tait plus clairement une prioritĂ© nationale, il devient le domaine des administrations rĂ©gionales ou municipales, souvent nĂ©gligentes ou hostiles, et des ateliers de restauration implantĂ©s directement sur des sites spĂ©cifiques, qui produisent un travail remarquable. Il sâensuit entre 1955 et 1965 une nouvelle vague de destructions, certes beaucoup moins importante quantitativement que celle des annĂ©es 1930. Cela coĂŻncide avec une pĂ©riode donnant la prioritĂ© Ă la construction de logements, Ă la modernisation des infrastructures urbaines, notamment les transports, et Ă lâindustrialisation de la construction. Dans une idĂ©ocratie comme lâURSS le facteur idĂ©ologique restait nĂ©anmoins tout Ă fait dĂ©terminant. Dans lâaprĂšs-guerre le patrimoine avait acquis une fonction pĂ©dagogique nouvelle en Ă©duquant les masses dans lâamour de leur patrie et de leur histoire. Avec Khrouchtchev et la dĂ©stalinisation, lâidĂ©ologie de la rĂ©volution technico-scientifique et les campagnes antireligieuses, le patrimoine est perçu de nouveau comme suspect. Le dĂ©gel Ottepelâ, pĂ©riode de dĂ©mocratisation partielle, permet cependant lâĂ©mergence dâun puissant mouvement de la sociĂ©tĂ© civile en faveur de la dĂ©fense du patrimoine en danger. En 1960 NikolaĂŻ Voronine publie une brochure intitulĂ©e Aimez et conservez les monuments de lâart russe ancien », lâacadĂ©micien philologue et historien de lâart Dmitri Likhachev 1906-1999 publie en 1961 lâarticle Monuments de la culture- hĂ©ritage de lâensemble dâun peuple ». Ces deux hommes contribuent Ă©galement Ă lâapparition du VOOPIiK SociĂ©tĂ© panrusse pour la protection des monuments historiques et culturels, qui est la premiĂšre association de dĂ©fense du patrimoine en URSS, depuis que les derniĂšres sociĂ©tĂ©s indĂ©pendantes avait Ă©tĂ© fermĂ©es en 1932. A lâorigine de sa crĂ©ation on trouve des personnalitĂ©s du monde intellectuel, comme lâĂ©crivain Vladimir Soloukhine 1924-1997, les artistes Ilya Glazunov 1930-2017, Pavel Korin 1892-1967, le compositeur Georgui Sviridov 1915-1998, le directeur du musĂ©e de lâErmitage Boris Piotrovski 1908-1990 ou encore lâacadĂ©micien et archĂ©ologue Boris Rybakov 1908-2001. Le VOOPIiK est loin dâĂȘtre un nid de dissidence, le prĂ©sident de lâassociation nâest autre que le vice-prĂ©sident du Conseil des ministres de RSFSR Viatcheslav Kochemasov 1918-1998. La crĂ©ation de la sociĂ©tĂ© aurait Ă©tĂ© autorisĂ©e par lâarmĂ©e, pour renforcer les sentiments patriotiques, et favorisĂ©e par les clans nationalistes qui avaient Ă cette Ă©poque leurs entrĂ©es au cĆur du Kremlin depuis lâarrivĂ©e au pouvoir de Leonid Brejnev. Ce courant patrimonial » aboutira notamment Ă lâadoption en mai 1966 dâun dĂ©cret du Conseil des ministres de RSFSR Sur la situation actuelle et les mesures pour amĂ©liorer la protection des monuments dâhistoire et de culture de RSFSR »21. Cette loi stipule que les futurs plans dâurbanisme des sites incluant des monuments, doivent ĂȘtre obligatoirement approuvĂ©s par le MinistĂšre de la culture et le VOOPIiK. Le dĂ©cret permet Ă©galement de protĂ©ger des architectures de la pĂ©riode soviĂ©tique. LâintĂ©rĂȘt renouvelĂ© pour le patrimoine urbain couplĂ© Ă lâengouement pour les architectures vernaculaires et les patrimoines nationaux des diffĂ©rentes rĂ©publiques est rĂ©cupĂ©rĂ© par le discours architectural officiel et sâinscrit dans une phase de rĂ©armement idĂ©ologique face Ă lâhĂ©gĂ©monie, que mĂȘme en URSS, le style international de lâoccident semble avoir acquise. Le dĂ©but des annĂ©es 1960 est marquĂ© par des dĂ©bats autour des voies possibles pour dĂ©velopper une architecture soviĂ©tique, qui doit notamment se nourrir des spĂ©cificitĂ©s et de la synthĂšse des traditions progressistes » des diffĂ©rentes rĂ©gions de lâURSS22. On assiste Ă©galement au dĂ©veloppement dâune nouvelle Ă©conomie touristique. Dans la perspective du dĂ©veloppement de ce secteur, il y a nĂ©cessitĂ© de prĂ©parer les monuments et les villes Ă ces nouvelles conditions. On voit apparaĂźtre Ă la fin des annĂ©es 1960 une nouvelle mode des stylisations nationales, qui selon lâhistorien de lâarchitecture Selim Han-Magomedov 1928-2011, rĂ©pond Ă lâessor du tourisme de masse23. La nouvelle prise de conscience patrimoniale des annĂ©es 1960-1970 est par ailleurs fortement redevable de lâimpact des politiques internationales. En 1964, le CongrĂšs de Venise, 2Ăšme CongrĂšs international sur la restauration des monuments dâarchitecture, a eu une importance dĂ©cisive pour lâintĂ©gration de lâURSS dans les normes internationales de la protection du patrimoine, et pour la prise en compte de lâurbanisme comme objet de patrimonialisation. LâURSS adopte la charte internationale sur la protection et la restauration des monuments, la fameuse Charte de Venise, qui vient remplacer de fait la Charte dâAthĂšnes de 1931, que lâURSS de Staline nâavait jamais adoptĂ©. En 1965, se tient en Pologne lâassemblĂ©e constitutive de lâICOMOS Conseil international des monuments et des sites, dont lâURSS est lâun des membres fondateurs. La VĂšme assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de lâICOMOS en 1978 se tiendra Ă Moscou. La charte de Venise est un peu pour la dĂ©fense du patrimoine ce que sera lâacte final de la confĂ©rence dâHelsinki en 1975 pour les militants des droits de lâhomme. Au cours des annĂ©es 1960-1970 se succĂšdent plusieurs controverses patrimoniales pour la plupart provoquĂ©es par des opĂ©rations dâamĂ©nagement Ă Moscou. Citons par exemple le chantier de lâHĂŽtel Rossia Ă Zaryadie juste Ă cĂŽtĂ© du Kremlin, le BĂątiment de lâagence Tass sur le boulevard de Tver lâhĂŽtel Intourist sur la rue Gorki, le nouveau bĂątiment du siĂšge de la revue Izvestia sur la place Pouchkine Ă lâorigine de la destruction de la maison Famusov, un hĂŽtel particulier du dĂ©but du XIXĂšme siĂšcle. La construction de la Nouvelle rue Arbat, la Prospekt Kalinine, projet de lâarchitecte en chef de Moscou, favori du pouvoir, Mikhail Possokhine 1910-1989, suscite des controverses au cĆur mĂȘme de lâAcadĂ©mie dâarchitecture. En novembre 1968, AndreĂŻ Ikonnikov 1926-2001 publiait dans lâorgane officiel de lâUnion des architectes, Arhitektura SSSR son article Lâancien et la nouveautĂ© dans la composition de la ville »24, dans lequel il dĂ©nonçait le projet de Possokhine, qui avait introduit selon lui une rupture dâĂ©chelle, irrĂ©parable, dans le centre historique de Moscou Figure 9 Construction de la prospekt Kalinine Ă Moscou, architecte Possokhine, 1968. Photo illustrant lâouvrage dâAndreĂŻ Ikonnikov, Lâarchitecture de la ville, problĂšmes esthĂ©tiques de composition de la ville. Moscou Ă©ditions de la littĂ©rature sur la construction, 1972. P. 165. Une nouvelle gĂ©nĂ©ration dâarchitectes, va bientĂŽt abandonner les schĂ©mas thĂ©oriques Ă©laborĂ©s aprĂšs-guerre par des architectes thĂ©oriciens comme Vitaly Lavrov 1902-198825 ou NikolaĂŻ Baranov 1909-198926, et tente sous lâinfluence de ces diffĂ©rents Ă©vĂ©nements, de proposer de nouvelles approches. Câest le cas par exemple dâune jeune Ă©quipe de lâinstitut du Plan directeur de Moscou, qui sous la conduite de leur jeune collĂšgue, lâarchitecte Boris Eremin 1939-1998, propose un nouveau rapport Ă la ville ancienne dans leur projet prĂ©sentĂ© au concours pour la reconstruction du centre-ville de Moscou organisĂ© en 1965-1966 Fig. 10 Boris Eremin, Brigade des jeunes architectes de lâInstitut du plan directeur de Moscou, maquette du projet prĂ©sentĂ© au concours pour la reconstruction du centre de Moscou en 1966. Archives de Eremin. Moscou. Le projet de lâĂ©quipe dâEremin se distingua des autres en proposant pour la premiĂšre fois un important programme de prĂ©servation, de restauration et de reconstitution massive, non seulement de monuments, mais de quartiers entiers. En mĂȘme temps Eremin proposait de crĂ©er un nouveau centre culturel et administratif sous la forme dâune ville linĂ©aire parallĂšle Ă la ville ancienne. Sur la maquette du projet de Eremin on distingue au milieu de nombreux espaces verts, les profils de dizaines dâĂ©glises et de monuments, restaurĂ©s voire reconstituĂ©s Le projet ne fut pas adoptĂ© et fut accueilli avec raillerie par lâĂ©lite architecturale moscovite. Eremin dĂ©veloppera par la suite le concept de Retrozravitie dĂ©veloppement rĂ©troactif. LâhĂ©ritage conceptuel et esthĂ©tique de Eremin et de son atelier au MArchI deviendra tout Ă fait capital dans le dĂ©veloppement dâune Ă©cole architecturale post-moderne en URSS dans les annĂ©es 1980. Fig. 11 Couverture du roman dâOles Hontchar, Sobor La cathĂ©drale, Ă©ditions Dnipro, 1989. Le patrimoine fut aussi un lieu dâexpression de formes de dissidence, un espace de combats politiques. Le thĂšme de la destruction ou de lâabandon du patrimoine, au mĂȘme titre que les thĂ©matiques Ă©cologiques, deviennent Ă partir des annĂ©es 1960, des lieux de contestation des actions du pouvoir. Ce type de dissidence, si elle Ă©tait impensable sous Staline, nâest cependant pas sans consĂ©quences sous Khrouchtchev et sous Brejnev. Il faut par exemple mentionner le roman Sobor La cathĂ©drale de lâĂ©crivain ukrainien Oles Hontchar 1918-1995, publiĂ© en janvier 196827 Hontchar y dĂ©crit le destin dâun fonctionnaire communiste arriviste, Loboda, qui souhaite faire carriĂšre au sein dâune direction rĂ©gionale du Parti. Par zĂšle sans doute, il a pour projet de dĂ©truire un monument architectural du XVIIIĂšme siĂšcle, une cathĂ©drale orthodoxe. Ce roman sera condamnĂ© pour son nationalisme ukrainien » et sa critique acerbe de la rĂ©alitĂ© soviĂ©tique et interdit de publication jusquâen 1989. Hontchar y dĂ©nonce outre la destruction du patrimoine historique et religieux, lâeffacement dâune mĂ©moire ukrainienne inscrite dans lâespace. Il semble quâaujourdâhui le roman de Hontchar soit malheureusement redevenu dâactualitĂ©, plus encore, les remarquables travaux de relevĂ© et de restauration produits par les expĂ©ditions du GUOP au cours des annĂ©es 1940, sont aujourdâhui des archives qui Ă lâintĂ©rĂȘt quâils prĂ©sentaient pour lâhistorien, deviennent Ă nouveau prĂ©cieuses pour le restaurateur et lâurbaniste qui travaillera Ă la reconstruction des territoires dĂ©vastĂ©s par la guerre. StĂ©phane Gaessler Bibliographie. BARANOV, 1965 BARANOV NikolaĂŻ, Komposicjia centra goroda, Moscou 1965. BOYM 1994 BOYM Svetlana, Common Places Mythologies of Everyday Life in Russia, Harvard University Press, 1994. 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La derniĂšre gĂ©nĂ©ration soviĂ©tique], Moscou Novoe literaturnoe Obozrenie, 2014. Table des illustrations. Couverture Dmitri Sukhov, projet de reconstruction dâOkhotnyi Riad, intĂ©grant lâĂ©glise Sainte ParascĂšve-Vendredi-Au marchĂ© 1687 et les Palaty Troekurov sur le passage Georguievski 1691-1696, 1928, Archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou GNIMA OF-1750/1. Susev, Kokorin, Plan du Nouveau Moscou », partie du Kremlin, des arrondissements de Khamovniki et de Zamoskvorietchie, 1924. Fig. 2 Sukhov, projet de squares le long du mur de Kitay-gorod depuis la place de la Loubianka jusquâau Kremlin et aux quais de la riviĂšre Moskva, Moscou. Dessin, 10 janvier 1922. Archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou GNIMA OF-920/627. Fig. 3 D. P. Sukhov, Projet pour le palais de la culture de lâarrondissement de Simonov, fin des annĂ©es 1920. Archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou GNIMA OF-4559/988 Fig. 4 Sukhov, Ă©glise de lâIcĂŽne Grebnevskaya de la MĂšre de Dieu sur la Loubianka, 1472, 1585, 1685, dĂ©but du XVIIIĂšme siĂšcle. Moscou. Vue Ă vol dâoiseau. Projet dâamĂ©nagement du quartier. 1926. Archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou GNIMA OF-1750/3. Fig. 5 Sukhov, Projet de reconstruction dâune Ă©glise en bĂątiment civil. 1927. Verres avec diffĂ©rentes phases de transformation du bĂątiment. Archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou GNIMA OF-19/5709. Fig. 6 Ivan Fomin, Leonid Poliakov, Projet de reconstruction de la place autour de la Tour Sukharevskaja, 1933-1934. Projet de concours. AxonomĂ©trie. Archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou GNIMA OF-919/495. Fig. 7 Georgui Goltz, Projet de reconstruction de la ville de Smolensk. 1945. Archives du MusĂ©e dâarchitecture de Moscou GNIMA OF-4347/6. Fig. 8 Concours pour une affiche du GUOP Direction principale pour la protection des monuments dâarchitecture ProtĂ©gez les monuments dâarchitecture », 1946. Projet de concours sous la devise Nos trĂ©sors », GUOP. Fig. 9 Construction de la prospekt Kalinine Ă Moscou, architecte Possokhine, 1968. Photo illustrant lâouvrage dâAndreĂŻ Ikonnikov, Lâarchitecture de la ville, problĂšmes esthĂ©tiques de composition de la ville. Moscou Ă©ditions de la littĂ©rature sur la construction, 1972. P. 165. Fig. 10 Boris Eremin, Brigade des jeunes architectes de lâInstitut du plan directeur de Moscou, maquette du projet prĂ©sentĂ© au concours pour la reconstruction du centre de Moscou en 1966. Archives de Eremin. Moscou. Fig. 11 Couverture du roman dâOles Hontchar, Sobor La cathĂ©drale, Ă©ditions Dnipro, 1989. PAPERNY, 1996. [â©] BOYM, 1994. [â©] YURCHAK, 2017. [â©] ĐĐ”ĐșŃĐ”Ń ĐĄĐŸĐČĐ”Ńа ĐаŃĐŸĐŽĐœŃŃ ĐĐŸĐŒĐžŃŃаŃĐŸĐČ ĐĄĐĐ âĐ ŃДгОŃŃŃаŃОО, ĐżŃĐžĐ”ĐŒĐ” ĐœĐ° ŃŃĐ”Ń Đž ĐŸŃ ŃĐ°ĐœĐ”ĐœĐžĐž ĐżĐ°ĐŒŃŃĐœĐžĐșĐŸĐČ ĐžŃĐșŃŃŃŃĐČа Đž ŃŃаŃĐžĐœŃ, ĐœĐ°Ń ĐŸĐŽŃŃĐžŃ ŃŃ ĐČĐŸ ĐČĐ»Đ°ĐŽĐ”ĐœĐžĐž ŃаŃŃĐœŃŃ Đ»ĐžŃ, ĐŸĐ±ŃĐ”ŃŃĐČ Đž ŃŃŃĐ”Đ¶ĐŽĐ”ĐœĐžĐčâ[ DĂ©cret du Conseil des commissaires du peuple SNK Sur lâinscription, lâenregistrement et la protection des monuments dâart et dâhistoire, se trouvant en propriĂ©tĂ© de personnes privĂ©es, de sociĂ©tĂ©s ou dâinstitutions »]. [â©] ĐĐ”ĐșŃĐ”Ń ĐĄĐĐ Đ ĐĄĐ€ĐĄĐ ĐŸŃ Đб ĐŸŃĐŽĐ”Đ»Đ”ĐœĐžĐž ŃĐ”ŃĐșĐČĐž ĐŸŃ ĐłĐŸŃŃЎаŃŃŃĐČа Đž ŃĐșĐŸĐ»Ń ĐŸŃ ŃĐ”ŃĐșĐČО» [â©] ĐĄĐŸŃ ŃĐ°ĐœĐ”ĐœĐžĐ” Đž ŃĐ”ŃŃаĐČŃаŃĐžŃ ĐżĐ°ĐŒŃŃĐœĐžĐșĐŸĐČ Đ°ŃŃ ĐžŃĐ”ĐșŃŃŃŃ. 1917â1932». ĐŃĐ”ĐŸĐ±ŃĐ°Ń ĐžŃŃĐŸŃĐžŃ Đ°ŃŃ ĐžŃĐ”ĐșŃŃŃŃ. ĐąĐŸĐŒ 12. ĐĐœĐžĐłĐ° пДŃĐČаŃ. ĐŃŃ ĐžŃĐ”ĐșŃŃŃа ХХХР» ĐżĐŸĐŽ ŃДЎаĐșŃОДĐč ĐаŃĐ°ĐœĐŸĐČа. ĐĐČŃĐŸŃŃ ĐŠĐ”Đ»ĐžĐșĐŸĐČ, ĐŻŃĐ°Đ»ĐŸĐČ ĐĐŸŃĐșĐČа, ĐĄŃŃĐŸĐčОзЎаŃ, 1975 [â©] OVSIANNIKOVA, 1982, p. 263-330 [â©] ĐĐČŃŃĐœĐœĐžĐșĐŸĐČа Đ. Đ. ĐĐ· ĐžŃŃĐŸŃОО ĐĐŸĐŒĐžŃŃОО ĐĐŸŃŃĐŸĐČĐ”Ńа ĐżĐŸ ĐŸŃ ŃĐ°ĐœĐ” ĐżĐ°ĐŒŃŃĐœĐžĐșĐŸĐČ. ĐĄ. 273 Ovsiannikova, De lâhistoire de la Commission du Mossoviet pour la protection des monuments. P. 273. [â©] StĂ©phane Gaessler, MĂ©moire de Master II, Susev, FacultĂ© dâĂ©tudes slaves, Sorbonne UniversitĂ©, 2017. [â©] ĐŠĐĐĐĐ. Đ€. 966. ĐĐż. 4. Đ. 1029. Đ. 35 Archives de lâOblastâ de Moscou. [â©] PERESLEGIN, 2015, p. 86. [â©] Đб ĐŸŃ ŃĐ°ĐœĐ” ĐžŃŃĐŸŃĐžŃĐ”ŃĐșĐžŃ ĐżĐ°ĐŒŃŃĐœĐžĐșĐŸĐČ». ĐĐŸŃŃĐ°ĐœĐŸĐČĐ»Đ”ĐœĐžĐ” ĐĐŠĐĐ Đž ĐĄĐĐ Đ ĐĄĐ€ĐĄĐ ĐŸŃ Đł. [â©] LARIONOV, 1998, p. 145. [â©] RGAE fonds 9588, Opisâ 1, delo 38, L. 101. [â©] RGAE, fonds 9588, Op. 1, delo 48, l. 11. Archives de lâorganisation et de la mise en Ćuvre des travaux de restauration et de protection des monuments dâarchitecture publics en RSFSR. [â©] ĐĐŸŃŃĐ°ĐœĐŸĐČĐ»Đ”ĐœĐžĐ” ĐĄĐĐ Đ ĐĄĐ€ĐĄĐ ĐŸŃ N 996 // ĐĄĐŸĐ±ŃĐ°ĐœĐžĐ” ĐżĐŸŃŃĐ°ĐœĐŸĐČĐ»Đ”ĐœĐžĐč Đž ŃаŃĐżĐŸŃŃĐ¶Đ”ĐœĐžĐč ĐżŃаĐČĐžŃДлŃŃŃĐČа РХЀХР. â â 3. â â ĐĐŸŃĐșĐČа ĐаŃĐŸĐŽĐœŃĐč ĐĐŸĐŒĐžŃŃаŃĐžĐ°Ń ŃŃŃĐžŃОО РХЀХР. ĐĄ. 46-48. [â©] ĐĐŸĐșлаЎ ĐаŃĐ°ĐœĐŸĐČŃĐșĐŸĐłĐŸ ĐŸ ĐżŃĐŸĐČĐ”ĐŽĐ”ĐœĐžĐž пДŃĐČĐŸĐŸŃĐ”ŃĐ”ĐŽĐœŃŃ ĐŒĐ”ŃĐŸĐżŃĐžŃŃĐžĐč ĐżĐŸ ŃĐŸŃ ŃĐ°ĐœĐ”ĐœĐžŃ ĐżĐŸĐČŃĐ”Đ¶ĐŽĐ”ĐœĐœŃŃ ĐżĐ°ĐŒŃŃĐœĐžĐșĐŸĐČ Đ°ŃŃ ĐžŃĐ”ĐșŃŃŃŃ, 1944. Đ 12 Đ» 55 [â©] PERESLEGIN, 2015, p. 207. [â©] LAVROV, 1946, p. 5. [â©] DĂ©cret de mai 1947 du Conseil des ministres de RSFSR Sur la protection des monuments dâarchitecture », qui stipule que les monuments sont dĂ©clarĂ©s comme un patrimoine artistique et historique inaliĂ©nable, appartenant Ă lâhĂ©ritage de la rĂ©publique et Ă la culture nationale ». Le dĂ©cret confiait Ă©galement au GUOP de complĂ©ter les listes de monuments inscrits. [â©] ĐŃŃ Đ°ĐœĐ° ĐżĐ°ĐŒŃŃĐœĐžĐșĐŸĐČ ĐžŃŃĐŸŃОО Đž ĐșŃĐ»ŃŃŃŃŃ. ĐĐ”ĐșŃĐ”ŃŃ, ĐżĐŸŃŃĐ°ĐœĐŸĐČĐ»Đ”ĐœĐžŃ, РаŃĐżĐŸŃŃĐ¶Đ”ĐœĐžŃ ĐŃаĐČĐžŃДлŃŃŃĐČа ĐĄĐĄĐĄĐ Đž ĐŃаĐČĐžŃДлŃŃŃĐČа РХЀХР. 1917-1968. ĐĐŸŃĐșĐČа 1968, Ń. 158-163. [â©] VOLODIN, 1960, p. 63. [â©] HAN-MAGOMEDOV, 1973, p. 75. [â©] IKONNIKOV, 1968. [â©] LAVROV, 1964. [â©] BARANOV, 1965. 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Introduction Une Ă©tude archĂ©ozoologique, aprĂšs la phase de dĂ©termination, repose sur lâanalyse de ces rĂ©sultats. Or lâabondante quantitĂ© de donnĂ©es obtenues peut complexifier lâinterprĂ©tation. Câest le cas de lâĂ©tude de la faune provenant du chĂąteau du Haut-Barr qui totalise 46 239 restes enregistrĂ©s, dont 36 178 dĂ©terminĂ©s 78%. Sâest rapidement posĂ©e la question du traitement de donnĂ©es ; dresser efficacement les contours de lâanalyse dans cette masse dâinformations, sans pour autant risquer dâen dĂ©laisser une partie1. Lâutilisation dâoutils statistiques a Ă©tĂ© la rĂ©ponse Ă cette question ; lâusage de lâACP Analyse en composantes principales et de lâAFC Analyse factorielle des correspondances a guidĂ© lâanalyse de cet important Ă©chantillon osseux. Deux exemples dâutilisation de ces mĂ©thodes de traitement statistique des donnĂ©es seront prĂ©sentĂ©s afin de montrer leur apport dans les Ă©tudes archĂ©ozoologiques. Ces outils ont permis dans un premier temps de mieux cerner la consommation carnĂ©e de la forteresse, de comprendre le sens de cette alimentation et son Ă©volution chronologique Ă travers lâutilisation dâune AFC. Dans un second temps, une ACP a Ă©tĂ© effectuĂ©e afin de distinguer les caractĂ©ristiques dâune population animal donnĂ©e et de caractĂ©riser son Ă©levage par la sĂ©lection des individus. I. Cadres et mĂ©thodes. A. Contexte historique et archĂ©ologique. Les ossements animaux proviennent du chĂąteau du Haut-Barr qui surplombe la vallĂ©e de la Zarne et la ville de Saverne Bas-Rhin. ErigĂ© au dĂ©but du XIIe siĂšcle2 sur ordre des Ă©vĂȘques de Strasbourg, il surveille la plaine dâAlsace et la route de Strasbourg via Saverne par le col des Vosges. SurnommĂ© lâĆil dâAlsace par les Strasbourgeois, le Haut-Barr est construit sur trois Ă©perons rocheux formant une longue barre de grĂšs naturel3 au sommet plat et ourlĂ© de falaises4. Fig. 1 Photo et situation du ChĂąteau du Haut-Barr Bas-Rhin. ConstituĂ© dâun simple donjon au XIIe siĂšcle, le chĂąteau est agrandi par lâĂ©vĂȘque Rodolphe sur conseil de lâempereur FrĂ©dĂ©ric Barberousse. Il achĂšte un rocher isolĂ© au bout de la barre grĂ©seuse, alors possession de lâabbaye de Marmoutier, afin de fortifier la totalitĂ© du sommet rocheux. Au donjon originel sâadjoint une tour pentagonale, un logis et une chapelle. Cette forteresse est lieu de garnison et de surveillance avant tout, mais sert Ă©galement de rĂ©sidence secondaire pour les Ă©vĂȘques de Strasbourg jusquâau XIVe siĂšcle, avant dâĂȘtre confiĂ©e Ă des Burgherren. Il sâagit de ministĂ©riaux, des vassaux des princes Ă©piscopaux, qui actent comme baillis du Haut-Barr Ă la fin du XIVe siĂšcle5. La totalitĂ© des ossements a Ă©tĂ© exhumĂ©e dans un puits inachevĂ©. SituĂ©e sur le versant Nord, au pied du pan rocheux, cette structure a Ă©tĂ© fouillĂ©e entre 1983 et 1987 sous la direction de RenĂ© Kill. LâentiĂšretĂ© du sĂ©diment a Ă©tĂ© tamisĂ©e, et la fouille sâest dĂ©roulĂ©e par unitĂ©s stratigraphiques 20 US sĂ©quencĂ©es en passes de prĂ©lĂšvements numĂ©rotĂ©es de A Ă AJ. Le puits a Ă©tĂ© creusĂ© dans la roche grĂ©seuse sur 25m de profondeur selon un plan en forme de fer Ă cheval. La chronologie sâĂ©chelonne de la fin du XIe siĂšcle au XVIIe siĂšcle. B. MĂ©thodes. Les fragments osseux exhumĂ©s du puits du Haut-Barr constituent les sources de lâĂ©tude. La dĂ©termination, suivie de lâenregistrement de ces sources, permettent de distinguer des donnĂ©es. Des informations nĂ©cessaires Ă la comprĂ©hension du dĂ©pĂŽt en seront extraites, renseignant ensuite indirectement ou non sur lâalimentation, la boucherie, lâĂ©levage, la chasse etc⊠Le but est dâĂ©tablir un lien entre les informations sĂ©lectionnĂ©es, et les questions posĂ©es. Toutes sont issues de choix, orientĂ©s selon les attentes de lâĂ©tude. Le traitement des donnĂ©es nâest pas un Ă©tat purement objectif des faits, mais rĂ©sulte de la vision subjective de lâanalyste. Dans cette Ă©tude, les questions qui ont orientĂ© lâanalyse des donnĂ©es se concentrent sur les contours de lâalimentation en viande dâun site privilĂ©giĂ©, et le contrĂŽle dâune population canine. Pour ce faire, deux outils ont Ă©tĂ© choisis pour leur large gamme dâapplication lâACP et lâAFC. Tous deux partent de la lecture de tableaux de contingences, et dĂ©crivent les relations entre individus en lignes et les variables en colonnes. LâAFC Ă©tudie ces relations de maniĂšre qualitative, en traitant individus et variables de la mĂȘme maniĂšre avant de se concentrer sur leurs ressemblances et diffĂ©rences ; lâACP le fait de maniĂšre quantitative, en analysant les individus par le biais des variables. II. Alimentation carnĂ©e dâun site privilĂ©giĂ© synthĂšse des espĂšces et classes dâĂąge consommĂ©es. La fouille du puits sâest effectuĂ©e par US, elles-mĂȘmes dĂ©coupĂ©es en passes de prĂ©lĂšvement. Ces passes forment les lignes de ce premier exemple dâoutils statistique lâAFC employĂ©e considĂšre les niveaux de prĂ©lĂšvement Ă©tiquetĂ©s de A Ă AJ comme des individus, et les espĂšces ou groupes dâespĂšces sont les variables bovidĂ©s, caprinĂ©s, poissonsâŠ.. Pour cet exemple, seules les espĂšces consommĂ©es sont prises en compte, Ă savoir les animaux de la triade domestique bĆuf, porc, caprinĂ©s, les oiseaux sauvages ou volaille, le gros gibier cervidĂ©s et sanglier et les poissons. Fig. 2 Analyse factorielle des correspondances AFC de la consommation en viande du Haut-Barr par passe de prĂ©lĂšvement numĂ©rotĂ©es de A Ă AJ. La distinction entre les animaux de la triade adultes ou juvĂ©niles sâest effectuĂ©e selon lâobservation des stades dâĂ©piphysation des ossements. LâAFC se prĂ©sente sous la forme dâun nuage de points rĂ©partis dans lâespace selon un axe orthonormĂ© fig. 2. Ces axes abscisses et ordonnĂ©s sont ce que lâon appelle des Dimensions » qui organisent les variables les espĂšces et les individus les passes de prĂ©lĂšvement selon leur inertie, câest-Ă -dire selon leur importance. Les passes sont reprĂ©sentĂ©es en bleu et les espĂšces en orange. Bien que le support soit un axe orthonormĂ©, il nâest pas possible de simplement lire les valeurs des abscisses et des ordonnĂ©es comme sur un graphique x/y classique. Pour pouvoir lire cette AFC, il convient de se repĂ©rer, non aux axes, mais Ă lâemplacement des points dans lâespace, et Ă leur proximitĂ©. Si deux points sont proches, cela signifie que leur assemblage faunique est semblable exemple les passes A et AH, et inversement. Ainsi, les passes situĂ©es Ă proximitĂ© dâune variable exemple BovidĂ©s adultes prĂ©sentent un fort taux de cette espĂšce dans sa composition faunique. Afin de faciliter la lecture, le regroupement des individus en sous-ensembles a Ă©tĂ© effectuĂ© parallĂšlement lors du calcul de lâAFC. Ce regroupement est appelĂ© Classification Ascendante HiĂ©rarchique CAH. De cette hiĂ©rarchisation des passes de prĂ©lĂšvement se dessinent six groupes regroupant la totalitĂ© des individus fig. 3. Fig. 3 Classification Ascendante HiĂ©rarchique CAH des passes ou individus selon la similaritĂ© de leurs compositions. Ces ensembles dĂ©gagent des tendances de consommation en viande et permettent une visualisation simple et concrĂšte de lâĂ©volution de lâalimentation au Haut-Barr. Ce visuel est dâautant plus clair lorsquâil est reportĂ© sur le relevĂ© de la structure du puits La principale information rĂ©vĂ©lĂ©e est la rupture dans les habitudes alimentaires entre la richesse des espĂšces prĂ©sentes jusquâau XIIIe siĂšcle et la consommation nettement plus modeste Ă partir du milieu du XIVe siĂšcle. Dans la premiĂšre moitiĂ© du stratigraphique, les espĂšces retrouvĂ©es rĂ©vĂšlent une domination de jeunes individus, notamment de cochons et de caprinĂ©s. La viande de jeunes individus est plus recherchĂ©e et nettement plus riche. Dâautant que consommer de la viande de porc suppose un Ă©levage tournĂ© uniquement vers la viande, sans aucune plus-value, contrairement aux bovins et caprinĂ©s qui apportent laitages, laine, ou force de traction. Câest dâautant plus le cas pour la consommation dâindividus juvĂ©niles. La limite dâĂąge pour la distinction avec les adultes est de 18 mois6 , mais plusieurs porcelets nâavaient que quelques semaines. Il sâagit dâune consommation de viande de grande qualitĂ© la maturitĂ© pondĂ©rale, moment oĂč lâanimal est le plus jeune pour un maximum de viande et donc de rentabilitĂ©, nâest pas attendue. Les animaux sont consommĂ©s uniquement pour la qualitĂ© de leur viande, et non pour la quantitĂ© quâils auraient pu fournir. Câest Ă©galement le cas pour les jeunes caprinĂ©s ; la consommation de viande dâagneaux ou de chevreaux est caractĂ©ristique des milieux aisĂ©s7. La totalitĂ© des restes de poissons se concentre Ă©galement dans la premiĂšre moitiĂ© du dĂ©pĂŽt. Bien quâil ne sâagit que dâespĂšces dulçaquicoles, ce qui suggĂšre une pĂȘche locale et rĂ©fute une importation de poissons marins, la prĂ©sence de lâesturgeon est de nouveau un marqueur de richesse. Lâabsence totale de restes ichtyologiques durant la seconde moitiĂ© chronologique ne fait que souligner la singularitĂ© de la premiĂšre phase dâoccupation. Fig. 4 Report des groupes dĂ©gagĂ©s par la CAH sur le relevĂ© de la structure du puits. RelevĂ© de la structure par R. Kill, DAO des US et groupes dâalimentation carnĂ©e Ph. Pauthier. Cette scission nette en deux consommations correspond Ă lâhistoire du site. Comme on lâa vu prĂ©cĂ©demment, le Haut-Barr a servi de rĂ©sidence secondaire aux Ă©vĂȘques de Strasbourg. Ă ces occupations rĂ©guliĂšres correspondent les restes fastueux des XIIe et XIIIe siĂšcles ce sont les tĂ©moins de lâalimentation des princes Ă©piscopaux. Les vestiges plus modestes sont issus de lâalimentation de leurs vassaux ou/et de la garnison Ă partir du XIVe siĂšcle. Les dominantes caprines et bovines sont largement majoritaires fig. 4 tandis que le porc sâefface, de mĂȘme que les poissons. On remarque Ă©galement la prĂ©sence dâoiseaux sauvages, rĂ©sultant aussi de la chasse. Proportionnellement, ils sont plus reprĂ©sentĂ©s Ă partir du XIVe siĂšcle, mais ils Ă©taient trĂšs prĂ©sents aux XIIe et XIIIe siĂšcles. Dâautant que les espĂšces en question Ă©taient nettement plus prestigieuses ; le faisan est attestĂ© US 8, et surtout la grue cendrĂ©e est prĂ©sente tout au long de la premiĂšre phase dâoccupation US 6-8-10-13-14-16. Cet animal est particuliĂšrement reprĂ©sentatif de la diffĂ©rence de niveau de vie il est lâun des animaux les plus recherchĂ©s pour sa chair8, et peut-ĂȘtre le plus difficile Ă chasser car nĂ©cessitant une rĂ©elle maitrise de la chasse au vol9. De nouveau, les Ă©tats antĂ©rieurs du site montrent un luxe qui disparait par la suite. MalgrĂ© tout, il ne sâagit pas non plus dâune consommation trĂšs modeste pour les Ă©tats postĂ©rieurs, dâautant que les restes de venaison cerf, chevreuil et sanglier y sont reprĂ©sentĂ©s. Il sâagit toujours dâun milieu privilĂ©giĂ© qui par son affiliation Ă la noblesse, a accĂšs au monopole de la chasse. III. Contours dâune meute de chiens de chasse. La caractĂ©ristique principale de la faune du Haut-Barr est la place dominante du chien qui dĂ©passe les 60% du nombre de restes dĂ©terminĂ©s. Ces ossements de canidĂ©s sont prĂ©sents sur la totalitĂ© du comblement de la structure, Ă lâexception des niveaux de remblais les plus rĂ©cents. Au cours de lâenregistrement du matĂ©riel osseux, des prises de mesures10 ont Ă©tĂ© systĂ©matiquement rĂ©alisĂ©es sur les os longs de canidĂ©s. Lâanalyse a clairement fait ressortir le rejet complet des carcasses. La prĂ©sence de la majoritĂ© des os du carpe, du tarse, des sĂ©samoĂŻdes, par exemple, plaide en faveur dâun tel rejet. Malheureusement en raison des difficultĂ©s rencontrĂ©es, inhĂ©rentes Ă la fouille de cette structure profonde, les squelettes nâont pu ĂȘtre individualisĂ©s et prĂ©levĂ©s entiers. Un NMI a Ă©tĂ© dĂ©comptĂ©, mais lâassociation des os entre eux pour reconstituer les squelettes de chiens aurait Ă©tĂ© bien trop hasardeuse et arbitraire. Il ne fut pas possible de remonter les squelettes lors de la phase de dĂ©termination, mais un NMI a Ă©tĂ© dĂ©comptĂ© au moins 118 chiens ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s dans ce puits. La distinction entre les formes de chiens se fait principalement par lâĂ©tude de la morphologie crĂąnienne11. Malheureusement, trĂšs peu de crĂąnes canins ont Ă©tĂ© exhumĂ©s entiers au Haut-Barr. En effet, sur la centaine dâindividus dĂ©nombrĂ©s, seuls deux crĂąnes ont Ă©tĂ© suffisamment bien conservĂ©s pour permettre de prendre les mesures adĂ©quates. Dans la mesure oĂč le puit dans lequel ces squelettes ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s est trĂšs profond, on peut supposer que les tĂȘtes furent endommagĂ©es par la chute â jusquâĂ 25 mĂštres pour les niveaux les plus anciens â et par le poids des sĂ©diments. Fig. 5 Radius droits de chiens du Haut-Barr US 5, 6, 14, 15. Le choix a donc Ă©tĂ© fait de se concentrer sur lâĂ©tude dâos longs, mieux conservĂ©s. Ces informations ont Ă©tĂ© traitĂ©es, pour chaque os long, par Analyse en Composantes Principales ACP afin de pouvoir travailler rapidement et en considĂ©rant un grand nombre dâinformations. Lâanalyse des radius est la plus intĂ©ressante car elle recense le plus dâindividus, et câest lâos le plus rĂ©vĂ©lateur de changements morphologiques12. Câest sur son ACP que repose lâĂ©tude. Fig. 6 Analyse en Composantes Principales ACP des mesures des radius de chiens du Haut-Barr Les lettres correspondent aux passes de prĂ©lĂšvement [A-AJ], les numĂ©ros servent Ă les diffĂ©rencier. Quatre mesures ont Ă©tĂ© choisies pour lâanalyse la plus grande longueur de lâos GL Greatest length, sa largeur proximale BP Breath of the proximal end, sa plus petite largeur mĂ©diale SD Smallest breath of the diaphysis et sa largeur distale BD Breath of the distal end. Tout comme pour lâAFC vue prĂ©cĂ©demment, les individus ici les radius de chiens forment un nuage de points organisĂ©s selon leurs ressemblances et diffĂ©rences. Les deux axes, appelĂ©s Dimensions » cumulent 98,82% de lâinertie. Câest-Ă -dire quâils contiennent la quasi-totalitĂ© des informations et des liens entre individus radius et variables mesures. Contrairement Ă ce quâon lâon pourrait attendre, la longueur de lâos GL nâest pas la variable principale de distinction des individus. Les autres mesures des os longs largeurs proximale, mĂ©diane et distale sont les variables les plus corrĂ©lĂ©es de lâaxe F1, ce sont celles dĂ©tenant le plus dâinformations. Cela signifie que ce nâest pas tant la taille des os que leurs variations morphologiques qui importent. Par extension, la hauteur au garrot des chiens du Haut-Barr est moins discriminante et rĂ©vĂ©latrice que ne lâest leur robustesse. Fig. 7 CAH des radius de chiens du Haut-Barr, obtenue Ă partir de lâACP ci-dessus. De nouveau, une classification ascendante hiĂ©rarchique CAH a Ă©tĂ© effectuĂ©e, et plusieurs groupes ont Ă©tĂ© obtenus Ă partir de ces rĂ©sultats. Cependant leur interprĂ©tation est plus complexe que celle des groupes obtenus en organisant les US selon la consommation carnĂ©e. Dire des radius regroupĂ©s quâils sont de petites ou de grandes tailles nâest pas suffisant le croisement des sources est nĂ©cessaire. Fig. 8 Radius de chiens du Haut-Barr selon leur hauteur au garrot en cm abscisses et leur indice de gracilitĂ© ordonnĂ©es, comparaison avec des profils de chiens contemporains numĂ©rotĂ©s de 1 Ă 1213 Tout dâabord, les profils de chiens du Haut-Barr ont Ă©tĂ© comparĂ©s Ă ceux de chiens actuels. Il ne sâagit en aucun cas de proposer une dĂ©termination des formes de chiens mĂ©diĂ©vaux Ă partir dâespĂšces actuelles ; les races » canines nâapparaissent pour la plupart quâau XIXe siĂšcle14, il serait donc anachronique dâen voir des reprĂ©sentants au Moyen Ăge. Le but est ici dâobserver la population canine du Haut-Barr selon un autre spectre de lecture, en se servant de profils moyens de races de chiens actuels comme repĂšres morphologiques visuels. La majoritĂ© des chiens, toutes pĂ©riodes confondues, se concentre sur la partie basse du graphique ; au-delĂ de 45cm de hauteur au garrot et en-deçà de 9 en indice de gracilitĂ©. Il sâagit dâanimaux Ă©lancĂ©s oĂč la taille devient le seul Ă©lĂ©ment ostĂ©ologique discriminant. Ils sont nettement plus sveltes que le profil des chiens de garde type Boxer n°8 par exemple. Leur morphologie se rapproche plus de celles du Doberman et surtout du Pointer anglais, chien de chasse par excellence. Globalement, ce groupe est encadrĂ© de part et dâautre par le Whippet et le BarzoĂŻ, formes accentuĂ©es du lĂ©vrier lâune plus petite, lâautre plus grande. Bien que nous ne disposons pas de radius de lĂ©vrier contemporain pour Ă©tablir une comparaison, il est fort probable que les chiens du Haut-Barr les plus hauts et les plus graciles sâen approchent. Le profil de lĂ©vrier, avec celui du Pointer et du berger allemand, dessinent les contours des chiens de grandes tailles du Haut-Barr. Vu les profils morphologiques dĂ©gagĂ©s, il est tout Ă fait possible quâil sâagisse de vĂ©nerie. Or la constitution et lâentretien dâune meute de chiens de chasse nĂ©cessite une attention particuliĂšre dans le choix des individus et dans leur reproduction, quâil sâagisse dâune sĂ©lection postzygotique Ă©limination ou isolation des individus non dĂ©sirĂ©s sans contrĂŽle direct sur la reproduction, ou prĂ©zygotique accouplement choisi des individus pour perpĂ©trer un phĂ©notype observable15. De cette sĂ©lection dâun cheptel canin prĂ©cis dĂ©coule une meute choisie. Ce choix sâeffectue selon des critĂšres dĂ©finis. Il ne sâagit pas encore de races » de chiens, mais de natures ». Ces natures » de chiens, pour reprendre les termes employĂ©s par Gaston PhĂ©bus, comte de Foix et auteur du plus ancien traitĂ© de chasse mĂ©diĂ©val connu16, se distinguent par leur sĂ©lection et lâusage que lâon en fait. Dans ce traitĂ©, lâauteur Ă©numĂšre plusieurs grands types de chiens qui sont les alanz, les levriers, les chiens dâoysel, et les mastinz. La description physique qui est faite de tels animaux peut correspondre Ă celle de certains des chiens du Haut-Barr. Il sâagirait alors de la population dâun chenil, comprenant plusieurs types de chiens adaptĂ©s Ă la chasse en fonction de leurs capacitĂ©s. La prise en compte de ces descriptions de chiens dans lâanalyse des canidĂ©s du Haut-Barr nous permet dâaffiner notre propos. En utilisant ces natures » canines comme clefs dâinterprĂ©tation des donnĂ©es ostĂ©omĂ©triques, tout en croisant les sources historiques et archĂ©ologiques, nous parvenons Ă distinguer des profils morphologiques cohĂ©rents. Nous pouvons proposer une interprĂ©tation logique de la population canine du Haut-Barr, et suivre son Ă©volution chronologique. Fig. 9 Proposition dâinterprĂ©tation des types de chiens prĂ©sents au Haut-Barr dâaprĂšs leurs radius. Le choix a Ă©tĂ© fait de conserver le support du graphique XY prĂ©sentĂ© prĂ©cĂ©demment, dây reporter les groupes de chiens dĂ©gagĂ©s par la CAH de lâACP et de se servir des sources historiques mĂ©diĂ©vales et modernes sur la vĂšnerie pour proposer une interprĂ©tation crĂ©dible de la population canine du chĂąteau du Haut-Barr. Les chiens de plus grandes tailles entre 55cm et 70cm au garrot sont globalement regroupĂ©s. Leur hauteur va de pair avec une certaine gracilitĂ©, avec un indice qui oscille entre 7 et 9. Ces morphologies, la ressemblance avec des profils actuels Boxer, Pointer anglais, Berger allemand et BarzoĂŻ, et la consultation de sources historiques laissent supposer la prĂ©sence de lĂ©vriers et dâalanz17 , pour reprendre la terminologie de Gaston PhĂ©bus de Foix. En poussant plus loin nos suppositions, les lĂ©vriers sont vraisemblablement les chiens les plus graciles environ 7 dâindice de gracilitĂ©, et les alanz les plus robustes entre 7,5 et 8,5. Ces derniers sont les ancĂȘtres de nos dogues actuels. Moins luxueux que les lĂ©vriers, ils sont malgrĂ© tout robustes, rapides, et trĂšs recherchĂ©s par les amateurs de vĂšnerie fig. 10. Fig. 10 Livre de Chasse de Gaston PhĂ©bus, enluminure illustrant le chapitre Si devise de lâalant et de toute sa nature ». Le second groupe qui se dessine sur le nuage de points englobe des chiens de tailles mĂ©dianes entre 45 et 55cm au garrot. Toujours selon les natures de chiens dĂ©crites plus haut, ces formes correspondent aux chiens dâoysel18. Nous savons que leur morphologie varie beaucoup tout en restant de petite taille, mais leur description physique est trĂšs succincte ; nous ne nous attarderons donc pas sur cette forme canine. Les chiens courants ont Ă©galement une description physique peu prĂ©cise, et leur morphologie semble hĂ©tĂ©rogĂšne, il est donc plus difficile dây attribuer des individus prĂ©cis du Haut-Barr, mais il est tout Ă fait probable que ce profil de chiens se mĂ©lange Ă celui des chiens dâoysel. Cependant, il existe une morphologie canine rĂ©pandue dans le monde de la chasse dont nous nâavons pas encore parlĂ©, et qui conviendrait tout Ă fait Ă la description dâun chien courant le basset. Cette espĂšce nâest pas mentionnĂ©e par Gaston PhĂ©bus, alors que cet animal est aujourdâhui iconique de la chasse Ă courre, et est considĂ©rĂ© comme un chien courant contemporain19. Dans le Livre de chasse, la description des chiens courants peut correspondre20. Lâauteur prĂ©cise que les jarrets doivent ĂȘtre droits et non courbes, mais ne prĂ©cise rien quant aux pattes antĂ©rieures de lâanimal. Or câest bien la courbure des radius, couplĂ©e Ă la petite taille qui est caractĂ©ristique du basset21. Cette dĂ©formation est prĂ©sente sur certains individus du Haut-Barr et il est tentant dây voir une variation de la nature de chiens courants dĂ©crite par Gaston PhĂ©bus. Le basset nâapparaĂźt dans aucun autre traitĂ© de chasse mĂ©diĂ©val, alors que cette forme canine est attestĂ©e archĂ©ologiquement depuis la fin de lâAntiquitĂ©22. Ce silence dans la littĂ©rature cynĂ©gĂ©tique, pour un animal aujourdâhui autant assimilĂ© Ă la chasse, peut sâexpliquer par la simple Ă©volution des pratiques de chasse. Cette forme canine ne rĂ©pondait alors pas aux critĂšres de la vĂ©nerie mĂ©diĂ©vale, il ne sâagit pas de la chasse noble » et digne dâĂȘtre consignĂ©e par Ă©crit. Il faut attendre le XVIe siĂšcle pour avoir la premiĂšre mention du basset dans La VĂ©nerie et lâAdolescence par Jacques du Fouilloux23, oĂč lâanimal est dĂ©signĂ© comme chien de terre ». Leurs jambes torses et leur petite taille leur permet de se faufiler dans les terriers de renards et de blaireaux tessons afin de les dĂ©nicher. Originellement, ces animaux sont atteints dâune forme de nanisme, mais ont Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©s et reproduits pour cette particularitĂ© physique. Il ne sâagit plus de chiens courants, mais bien dâun tout autre type dâauxiliaires de chasse utilisĂ©s couramment au Bas Moyen-Ăge. Viennent ensuite les chiens couplant une taille modeste entre 35cm et 45cm au garrot et une robustesse importante. Ceux-lĂ sont interprĂ©tĂ©s comme des chiens de garde, ceux que Gaston PhĂ©bus nomme des mĂątins. Il est Ă©galement possible quâil sâagisse dâalanz de boucherie de petite taille. Quoiquâil en soit, ces profils ne sont pas ceux dâauxiliaires de vĂ©nerie, Ă moins quâil ne soient utilisĂ©s comme renforts pour la chasse de proies lentes et imposantes ours ou sanglier. La seule morphologie que nous nâavons pas abordĂ©e est celle des chiens de trĂšs petites tailles, dont les profils ne sâapprochent dâaucune des natures de chiens dĂ©crites dans le Livre de Chasse. Ces animaux font moins de 30cm au garrot et, de par leur faible robustesse, ne correspondent Ă aucune nature canine prĂ©sente dans lâouvrage. Il ne sâagit pas de chiens de chasse ni de garde, mais de compagnie. Fig. 11 DĂ©tail de la tapisserie La Dame Ă la Licorne A mon seul dĂ©sir », reprĂ©sentation dâun chien de petite taille type spitz nain. Les chiens de type pĂ©kinois ou Ă©pagneul nain sont reprĂ©sentĂ©s sur les tapisseries de La Dame Ă la Licorne. Ils sont dĂ©tachĂ©s de lâiconographie du monde animal ils ne sont pas dans lâherbe comme le sont les autres chiens, lâun dâeux a mĂȘme le privilĂšge de siĂ©ger sur un coussin Ă proximitĂ© de la Dame Ă la Licorne fig. 11. Ce sont plus des possessions dâapparat que des animaux. Les seuls autres animaux reprĂ©sentĂ©s proches de la Dame ont une fonction symbolique le lion, la licorne, lâoiseauâŠ. Le chien miniature nâa comme fonction ou symbole que dâĂȘtre un accessoire esthĂ©tique, et sa proximitĂ© peut montrer une certaine affection envers ces animaux. Pour en revenir aux chiens type pĂ©kinois du Haut-Barr, il est clair, vu leurs gabarits, que ces animaux nâont pas de rĂŽle particulier, si ce nâest de tenir compagnie Ă leurs propriĂ©taires. Leur possession ne procure aucun bĂ©nĂ©fice, nâa aucune utilitĂ© chasse, garde ou berger, mais est une fin en elle-mĂȘme. Ils sont un luxe ; par consĂ©quent câest lâapanage ostentatoire dâune population aisĂ©e. La possession dâune meute de chasse est dĂ©jĂ un signe de richesse et un marqueur social fort. Seule une Ă©lite aux revenus consĂ©quents peut se permettre les dĂ©penses liĂ©es Ă lâachat des animaux, Ă leur Ă©levage et leur entretien, Ă la rĂ©munĂ©ration des veneurs et serviteurs nĂ©cessaires, Ă la possession de chevaux, indispensables pour suivre les limiers et leurs proies , etc. Au coĂ»t de la chasse terrestre sâajoute celui de la chasse au vol, Ă©galement attestĂ©e au Haut-Barr24. Ce chĂąteau a Ă©tĂ© le lieu de rĂ©sidence dâune Ă©lite fortunĂ©e, et les vestiges de meutes de chiens en sont lâun des marqueurs. De nouveau, lâĂ©lĂ©ment crucial dans la comprĂ©hension de la population canine du chĂąteau du Haut-Barr est la chronologie. La quasi-totalitĂ© des chiens de grandes tailles sont du XIIe siĂšcle, principalement des lĂ©vriers ou des dogues. Ces individus ont des profils trĂšs proches, ce qui se traduit par un nuage de points trĂšs resserrĂ©s fig. 9. Il sâagit dâune population choisie, Ă la reproduction contrĂŽlĂ©e et Ă lâĂ©levage encadrĂ©. Ensuite viennent quelques chiens courants et dâoiseaux se mĂ©langeant, ainsi que deux occurrences de chiens de garde et un unique chien de petit format. La rĂ©partition des formes canines du XIIe siĂšcle montre un vrai contrĂŽle de la population par la sĂ©lection dâindividus spĂ©cifiquement choisis pour la chasse, avec quelques occurrences qui sortent de ce cadre. LĂ oĂč cette premiĂšre meute montre une rĂ©elle cohĂ©rence dans le choix des morphologies, la population canine plus tardive XIVe siĂšcle est nettement plus hĂ©tĂ©rogĂšne. La quantitĂ© de chiens de grandes tailles diminue, alors que celle de chiens de courtes tailles sâaccroĂźt, aussi bien en nombre dâindividus quâen types de morphologies ; les animaux de compagnie et les chiens dits dâoiseaux fig. 11 se multiplient, et une forme proche du basset apparaĂźt alors que les dogues et lĂ©vriers disparaissent. Lâoccupation du site a changĂ© et la possession dâune meute de chien nâa plus la mĂȘme fonction ni la mĂȘme symbolique. La premiĂšre occupation du chĂąteau privilĂ©gie une meute de chasse dans les rĂšgles de lâart, alors que la fin de la pĂ©riode mĂ©diĂ©vale voit une transition vers une population canine rĂ©pondant Ă dâautres attentes la dĂ©fense, la compagnie ou lâapparat, et une forme de chasse qui a Ă©voluĂ© et est moins traditionnelle. Le dĂ©busquage de renards et la rĂ©cupĂ©ration de leur fourrure prend le pas sur la poursuite des cerfs. Tout comme nous lâavons constatĂ© dans le changement dâalimentation carnĂ©e, lâĂ©volution du chenil du Haut-Barr coĂŻncide avec le changement du type dâoccupation du chĂąteau. Dâabord lieu de rĂ©sidence ponctuel des Ă©vĂȘques de Strasbourg, la forteresse est peu Ă peu dĂ©laissĂ©e par les princes Ă©piscopaux, et cantonnĂ©e Ă son seul rĂŽle militaire Ă la fin du XIVe siĂšcle. Il est donc plausible dâenvisager un dĂ©laissement progressif du site depuis la fin du XIIIe siĂšcle par les Ă©lites, ce qui explique lâattention dĂ©croissante sur le contrĂŽle de la population canine, et la disparition des formes les plus luxueuses et nobles » de chiens lĂ©vriers/dogues. En parallĂšle apparaissent des chiens rĂ©pondant Ă des besoins plus prosaĂŻques tels les bassets pour la chasse au lapin, blaireaux et renards afin de rĂ©cupĂ©rer leur peau. Cette optique est moins celle dâun prince de lâEglise que dâun ministĂ©rial chargĂ© de lâentretien du chĂąteau et de sa garnison, et complĂ©tant ses revenus par des complĂ©ments ponctuels rĂ©cupĂ©ration de peaux et chasse dâappoint. Conclusion. Lâutilisation dâoutils statistiques nâest pas strictement indispensable Ă lâanalyse archĂ©ozoologique, mais le gain de temps et lâefficacitĂ© de rĂ©flexion ne peuvent ĂȘtre nĂ©gligĂ©s. LâAFC et lâACP ont respectivement aidĂ© Ă la comprĂ©hension de lâalimentation et de lâĂ©levage dans la forteresse du Haut-Barr. Ces deux thĂ©matiques sont le centre de toute analyse archĂ©ozoologique. Le lien Ă©troit avec lâhistoire du site rend ces exemples particuliĂšrement parlants. Mais comme nous lâavons vu en seconde partie, le seul recours Ă la mĂ©thode statistique nâest pas suffisant pour lâĂ©tude de la faune, et le traitement de donnĂ©es donne une infinitĂ© dâinterprĂ©tation. Câest pourquoi il est important de les manier avec discernement en choisissant les questions posĂ©es et en croisant les sources disponibles. Lâobjectif est de se servir Ă la fois de la lecture mĂ©thodique dâun document par des outils mathĂ©matiques, et de la rĂ©flexion de lâarchĂ©ologue. Dans le cas prĂ©sent, le traitement de lâimportante quantitĂ© dâinformations a permis dâisoler des groupes dâanimaux, en se posant en amont la question de leur consommation alimentation en viande, et de leur utilisation vĂ©nerie. Avec ces deux seuls Ă©lĂ©ments, la comprĂ©hension globale de la faune du chĂąteau du Haut-Barr est en grande partie complĂ©tĂ©e, et le contexte Ă©litaire du site corrobore les observations archĂ©ozoologiques. Phillipe Pauthier Bibliographie. Alpak H., MutuĆ R., Onar V. 2004 Correlation analysis of the skull and long bone measurements of the dog, Annals of Anatomy â Anatomischer Anzeiger, 186â4, p. 323â330. Arbogast 1993 ArchĂ©ozoologie et fouilles anciennes du chĂąteau du Haut-Koenigsbourg Haut-Rhin, Cahiers alsaciens dâarchĂ©ologie, dâart et dâhistoire, p. 197â206. 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Fig. 2 Analyse factorielle des correspondances AFC de la consommation en viande du Haut-Barr par passe de prĂ©lĂšvement numĂ©rotĂ©es de A Ă AJ. Fig. 3 Classification ascendante hiĂ©rarchique CAH des passes selon la similaritĂ© de leurs compositions. Fig. 4 Report des groupes dĂ©gagĂ©s par la CAH sur le relevĂ© de la structure du puits. RelevĂ© de la structure par R. Kill, DAO des US et groupes dâalimentation carnĂ©e Ph. Pauthier. Fig. 5 Radius droits de chiens du Haut-Barr, Photo par Ph. Pauthier. Fig. 6 Analyse en Composantes Principales ACP des mesures des radius de chiens du Haut-Barr Les lettres correspondent aux passes de prĂ©lĂšvement, les numĂ©ros servent Ă les diffĂ©rencier. Fig. 7 CAH des radius de chiens du Haut-Barr, obtenue Ă partir de lâACP ci-dessus. Fig. 8 Radius de chiens du Haut-Barr selon leur hauteur au garrot en cm abscisses et leur indice de gracilitĂ© ordonnĂ©es, comparaison avec des profils de chiens contemporains numĂ©rotĂ©s de 1 Ă 12, tableau dâaprĂšs Colominas 2016. Fig. 9 Proposition dâinterprĂ©tation des types de chiens prĂ©sents au Haut-Barr dâaprĂšs leurs radius. Fig. 10 Livre de Chasse de Gaston PhĂ©bus, enluminure illustrant le chapitre Si devise de lâalant et de toute sa nature », numĂ©risation sur Gallica par la BNF, identifiant ark/12148/btv1b52505055c Fig. 11 DĂ©tail de la tapisserie La Dame Ă la Licorne A mon seul dĂ©sir », reprĂ©sentation dâun chien de petite taille type spitz nain, Photo par Salix 2014 photo libre de droit. La dĂ©termination et lâanalyse de ce site ont Ă©tĂ© effectuĂ©es par Ph. Pauthier dans le cadre de sa thĂšse, sous la direction de S. Balcon-Berry et la tutelle de B. Clavel. Cette thĂšse repose sur lâĂ©tude de 4 sites pour un total dĂ©passant les 90 000 restes enregistrĂ©s. [â©] Voire dĂ©but XIe siĂšcle. [â©] DâoĂč son nom le Haut-Barr Hohbarr en allemand. [â©] Haegel 1993. [â©] Haegel 1993. [â©] DâaprĂšs Marinval-Vigne 1993, p. 213. [â©] Clavel 2001, p. 84. [â©] Strubel, Saulnier 1994, p. 106. [â©] Aurell 1996. [â©] Von den Driesch A., 1976. [â©] Lepetz 1996. [â©] Colominas 2016. [â©] Von Den Driesch, Peters 2003 ; Colominas 2016. [â©] Lord . 2016. [â©] Lord 2016. [â©] Tilander 1971. [â©] Strubel, Saulnier 1994, p. 112. [â©] Tilander 1971, p. 135. [â©] DâaprĂšs le standard Ă©tabli par la FĂ©dĂ©ration cynologique internationale. [â©] Tilander 1971, p. 127. [â©] Rodet-Belarbi, Forest 2010, p. 58. [â©] Rodet-Belarbi, Forest 2010, p. 57. [â©] Du Fouilloux, Boucher, 1614, p. 71. [â©] Plusieurs oiseaux de proie, dont un squelette dâautour des palombes, ont Ă©tĂ© dĂ©couverts dans ce mĂȘme puits. [â©] Article Ă©crit par Baptiste Dumas-Piro TĂ©lĂ©charger lâarticle au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le jeudi 20 janvier 2022. FigĂ©e dans son asymĂ©trie, câest inachevĂ©e que lâĂ©glise Saint-Sulpice sâoffre au regard. LaissĂ©e en lâĂ©tat lorsquâĂ©clata la RĂ©volution, sa façade principale constitue une composante majeure de ce qui fut lâun des chantiers parisiens phares de la fin du Grand SiĂšcle et du XVIIIe siĂšcle. Toutefois, Saint-Sulpice est Ă©galement un monument du XIXe siĂšcle, de profondes transformations lui ayant Ă©tĂ© apportĂ©es tout au long de la pĂ©riode concordataire. Câest dans un contexte rythmĂ© par le Concordat quâune restauration de lâensemble du monument fut dĂ©cidĂ©e, mais quâune ultime tentative dâachĂšvement de cette façade resta finalement un projet avortĂ©. La nature des dĂ©bats qui eurent lieu Ă cette occasion permet dâaborder plus largement, pour la pĂ©riode de la monarchie de Juillet, la question de la perception de la ville et de ses diffĂ©rentes composantes, quâelles soient monumentales ou modestes, publiques ou privĂ©es, et plus particuliĂšrement la perception dĂ©doublĂ©e du Paris moderne et du Paris ancien. Celle-ci nâĂ©tait pas le fait du XIXe siĂšcle ; au XVIIe siĂšcle dĂ©jĂ des publications attestent de ce processus dâĂ©volution des mentalitĂ©s, mais un basculement sâopĂ©ra progressivement Ă compter des annĂ©es 1830, le Paris dâantan cessant progressivement de faire lâobjet dâun jugement nĂ©gatif1. Cette perception modifiĂ©e favorisa la mise en place progressive dâune sĂ©rie de mesures devant permettre de conserver des architectures anciennes jugĂ©es dignes dâintĂ©rĂȘt, ultĂ©rieurement dĂ©finies en tant que patrimoine. La restauration et lâachĂšvement de Saint-Sulpice permettent dâapprocher les dĂ©bats qui portaient sur la frontiĂšre de ce Paris double. Si les Ă©difices mĂ©diĂ©vaux et ceux de la Renaissance appartenaient indubitablement au vieux Paris, un monument comme Saint-Sulpice, datant en grande partie de la pĂ©riode moderne et dont la construction se poursuivait encore dans les ultimes annĂ©es de lâAncien rĂ©gime, Ă©tait plus complexe Ă rattacher Ă lâune de ces deux catĂ©gories. Il est donc proposĂ© de resituer Saint-Sulpice dans le contexte plus gĂ©nĂ©ral du Paris des annĂ©es 1830 et 1840 en sâattachant aux dĂ©marches qui lâintĂ©graient ou lâexcluaient de ce qui Ă©tait en passe de devenir du patrimoine. Il sâagit pour ce faire de se fonder en grande partie sur des archives administratives qui rendent compte des diffĂ©rents argumentaires dĂ©veloppĂ©s pour mener Ă son terme ce chantier. I. Une restauration dâenvergure pour lâĂ©glise Saint-Sulpice Lorsque la restauration de lâĂ©glise Saint-Sulpice fut dĂ©cidĂ©e au milieu des annĂ©es 1830, tout chantier religieux en France, y compris ceux des Ă©glises paroissiales, Ă©tait encadrĂ© depuis 1802 par le Concordat. Concernant la capitale, la plupart des Ă©glises paroissiales Ă©taient la propriĂ©tĂ© de la Ville de Paris pour le compte de laquelle agissait la prĂ©fecture de la Seine. Tout au long du siĂšcle, Ă lâexception de lâĂ©phĂ©mĂšre IIe RĂ©publique, la capitale nâeut pas un maire pour premier magistrat, mais un prĂ©fet directement nommĂ© par le souverain2. La prĂ©fecture Ă©tait donc le principal dĂ©cisionnaire quant aux interventions Ă mener Ă Saint-Sulpice. La dĂ©marche de la prĂ©fecture lâamena Ă sâintĂ©resser au monument avant lâĂ©glise comme tout Ă©difice public dâimportance, Saint-Sulpice Ă©tait en mesure de rehausser le prestige de la capitale Ă une Ă©poque oĂč le regard des nations europĂ©ennes constituait une vĂ©ritable obsession. Ă partir de la fin des annĂ©es 1820, un phĂ©nomĂšne Ă©mergea qui devint pleinement effectif autour de 1840, Ă savoir que les nouvelles Ă©glises paroissiales parisiennes, suivant un phĂ©nomĂšne national, gagnĂšrent davantage en visibilitĂ© au sein de leur environnement outre une monumentalitĂ© nouvelle, leurs abords furent conçus ou modifiĂ©s pour leur permettre de rester visibles Ă de longues distances, tout en servant de centre organisationnel Ă leur environnement. De ce fait, lâintĂ©rĂȘt de la prĂ©fecture de la Seine pour Saint-Sulpice peut sâexpliquer au regard des chantiers contemporains, en particulier celui de la nouvelle Ă©glise Saint-Vincent-de-Paul dans le quartier du faubourg PoissonniĂšre. Les deux tours encadrant leur façade principale tĂ©moignent dâune filiation entre les deux monuments laquelle, bien que lointaine et partielle, atteste quâun vocabulaire local a Ă©tĂ© employĂ© pour faire de Saint-Vincent-de-Paul une composante fĂ©dĂ©ratrice de son environnement fig. 1 et 2. Ce parti-pris esthĂ©tique constituait une rupture avec la plupart des Ă©glises paroissiales Ă©levĂ©es dans les derniĂšres dĂ©cennies de lâAncien RĂ©gime et sous la Restauration, dont les dimensions restreintes leur faisaient garder une relative discrĂ©tion. Cette rapide comparaison permet de comprendre que la prĂ©fecture ait eu Ă cĆur dâintervenir Ă Saint-Sulpice et dâachever sa façade dont les tours sont les signalĂ©tiques qui affirment la prĂ©sence de lâĂ©glise Ă la fois dans son quartier, mais aussi au travers de la ville. façade principale de lâĂ©glise Saint-Sulpice, XVIIe-XVIIIe siĂšcle, Paris. Fig. 2 Jacques Ignace Hittorff, Ă©glise Saint-Vincent-de-Paul, 1824-1844, Paris. La prĂ©fecture ne jouissait cependant pas dâune libertĂ© absolue dans sa gestion des Ă©difices religieux, devant composer avec dâautres intervenants. Son droit de propriĂ©tĂ© Ă©tait grevĂ© dâune servitude elle Ă©tait dans lâobligation de mettre lâĂ©glise Ă la disposition de la fabrique, tout en y garantissant le bon exercice du culte. La fabrique, Ă©tablissement public rĂ©tabli par le Concordat, Ă©tait administrĂ©e par un conseil de fabrique. Celui-ci Ă©tait composĂ© de clercs et de laĂŻcs3 ; le curĂ© en Ă©tait membre de droit, ainsi que le maire dâarrondissement4 . La fabrique Ă©tait donc affectataire des lieux et, Ă ce titre, le conseil de fabrique Ă©tait Ă mĂȘme de sâimmiscer dans le chantier de Saint-Sulpice. Il Ă©tait habilitĂ© Ă donner son opinion, parlementer pour faire valoir ses arguments auprĂšs de la prĂ©fecture Ă laquelle il restait nĂ©anmoins soumis. Son rĂŽle Ă©tait Ă©galement valorisĂ© dans la mesure oĂč, Ă©tant Ă la fois en relation directe avec la communautĂ© des fidĂšles et les services de la prĂ©fecture, il avait la capacitĂ© de se faire le lien indispensable entre la municipalitĂ© et les catholiques »5 . La dĂ©coration des Ă©glises Ă©tait en thĂ©orie Ă la charge des fabriques6, mais la prĂ©fecture de la Seine en dĂ©cida autrement en mettant en place un ensemble de services exclusivement dĂ©diĂ©s Ă ces questions. Les dĂ©penses affectĂ©es aux commandes dâĆuvres Ă©taient donc assumĂ©es par la prĂ©fecture Ă lâaide de budgets spĂ©cialement consacrĂ©s aux beaux-arts7 , mais il Ă©tait rĂ©current dans la pratique quâelle demandĂąt aux fabriques de concourir Ă la dĂ©pense, amenant parfois Ă un partage des frais engagĂ©s. Câest dans ce contexte quâĂ partir de 1836 la prĂ©fecture mit sur pied un ambitieux programme de travaux visant Ă restaurer et dĂ©corer Saint-Sulpice. Cependant, les membres du conseil de fabrique entendirent sâen faire des acteurs essentiels, allant jusquâĂ affirmer que lâinitiative dâun tel chantier leur revenait, assurant que ce travail si important pour la dĂ©coration de lâĂ©glise et lâembellissement de la Ville a Ă©tĂ© provoquĂ© par nous depuis prĂšs de deux ans8 ». Leur assertion se vĂ©rifie dans la mesure oĂč il leur incombait de faire connaĂźtre Ă la prĂ©fecture les besoins de lâĂ©glise, mais il est toutefois Ă©vident que la prĂ©fecture aurait entrepris dâimportants travaux compte tenu de lâimportance dâun tel monument. Ces interventions sâinscrivent dans la politique artistique et patrimoniale que la prĂ©fecture avait gĂ©nĂ©ralisĂ©e Ă lâensemble des Ă©glises paroissiales parisiennes, la majoritĂ© dâentre elles ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© de travaux dâentretien, de restaurations parfois poussĂ©es, mais Ă©galement de mesures prises pour en assurer la dĂ©coration. Ce programme de travaux avait Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă lâensemble du monument. La premiĂšre Ă©tape concerna le grattage et le nettoyage de lâensemble des parois intĂ©rieures dont le succĂšs fit Ă©crire que cet immense vaisseau semble, par la coquetterie de cette toilette, avoir repris un ensemble plus imposant9». Ce nettoyage fut dâautant plus apprĂ©ciĂ© quâil Ă©tait respectueux de lâĂ©difice Si nous approuvons le systĂšme de nettoyage qui a Ă©tĂ© employĂ© Ă [âŠ] Saint-Sulpice, nous nous Ă©lĂšverons toujours contre le systĂšme de grattage des Ă©difices avec le ciseau ou tout autre instrument. Dans le premier cas, la puretĂ© des lignes et la dĂ©licatesse des sculptures ne reçoivent aucune altĂ©ration. Dans le second, toute lâharmonie disparaĂźt. La main souvent maladroite de ces artistes Ă la journĂ©e quâon appelle des tailleurs de pierre, dĂ©nature lâĆuvre originale qui fait nos La chapelle de la Vierge connut quant Ă elle une restauration poussĂ©e sous la direction de Victor Baltard, en sa qualitĂ© dâinspecteur des travaux dâart de la Ville de Paris, qui lui redonna son ancien Ă©clat » et la fit redevenir lâun des objets les plus dignes dâattirer lâadmiration des Ă©trangers11 ». En parallĂšle, de nombreuses commandes furent passĂ©es en vue de complĂ©ter la dĂ©coration de lâĂ©glise, essentiellement des peintures murales pour les chapelles latĂ©rales, ce qui correspondait Ă une dĂ©marche plus gĂ©nĂ©rale de la prĂ©fecture qui recouvrait les parois de ses diffĂ©rentes Ă©glises12. Dâautres commandes devaient Ă©galement permettre de complĂ©ter des ensembles restĂ©s lacunaires. Ce fut le cas pour lâensemble sculptĂ© par Edme Bouchardon dont dix statues avaient Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©es sur les vingt-quatre initialement prĂ©vues. La prĂ©fecture en commanda deux autres aux sculpteurs Antoine Desboeufs 1793-1862 et Jules Antoine Droz 1804-1872 pour complĂ©ter lâensemble13. Il y eut pourtant des hĂ©sitations quant Ă la possibilitĂ© de laisser en lâĂ©tat cet ensemble sculptĂ© du XVIIIe siĂšcle pour en prĂ©server lâunitĂ©, dans un souci dâharmonie et de cohĂ©rence. Le conseil de fabrique considĂ©rait quâ il y aurait ce semble, dĂ©savantage sous le rapport de lâart Ă y placer deux statues qui, fussent-elles de bonne exĂ©cution, viendraient nĂ©anmoins rompre lâunitĂ© qui rĂšgne dans la suite des dix statues de Bouchardon14 ». Si des commandes furent finalement passĂ©es, il convient de relever un souci, non pas thĂ©ologique mais esthĂ©tique et historique, de prĂ©server un ensemble cohĂ©rent, quand bien mĂȘme il serait lacunaire. En parallĂšle, de nombreux remaniements furent dĂ©cidĂ©s certaines tribunes furent supprimĂ©es et quelques anciennes fĂ©rures [sic] qui dĂ©paraient lâaspect du monument15 » furent ĂŽtĂ©es, ce qui dĂ©montre la volontĂ© de restaurer et complĂ©ter un monument du siĂšcle prĂ©cĂ©dent auquel il convenait de rendre son intĂ©gritĂ©. Ce chantier concerna Ă©galement les abords de lâĂ©glise un Ă©clairage public fut installĂ© sur la place ainsi quâau niveau de lâentrĂ©e de lâĂ©glise et une imposante fontaine rĂ©alisĂ©e par Louis Visconti 1791-1853 fut intĂ©grĂ©e Ă la vaste place en cours dâamĂ©nagement. La place, envisagĂ©e dĂšs le dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, Ă©tait un projet indissociable de la façade, devant permettre de la mettre en valeur, mais il avait Ă©tĂ© jusquâalors reportĂ©. II. LâachĂšvement de la façade de Saint-Sulpice la naissance dâun dĂ©saccord et lâarbitrage du conseil des bĂątiments civils LâachĂšvement de la façade fut donc dĂ©cidĂ© dans le cadre du chantier gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă lâensemble du monument, de ses Ćuvres et de ses abords. Les travaux projetĂ©s concernaient le portail et les deux tours, dites du Nord et du Midi. LâasymĂ©trie de ces tours Ă©tait dâautant plus importante puisque, comme cela a Ă©tĂ© rappelĂ©, elles constituaient des signalĂ©tiques importantes dans le paysage urbain. Câest Ă cette occasion quâun profond dĂ©saccord vint opposer fabrique et prĂ©fecture qui poursuivaient pourtant un objectif commun les divergences ne portaient pas sur le principe mĂȘme de lâachĂšvement des tours, mais sur les modalitĂ©s de celui-ci. Il nâĂ©tait pas question dâintervenir sur la tour du Nord fig. 3 terminĂ©e par lâarchitecte Jean François Chalgrin 1739-1811 en 178116. En revanche, la tour du Midi fig. 4 cristallisa les dĂ©bats. La prĂ©fecture souhaitait conserver lâasymĂ©trie de la façade en la faisant achever selon le projet dâorigine de lâarchitecte Giovanni NiccolĂČ Servandoni 1695-1766. La fabrique, elle, souhaitait que cette mĂȘme tour soit reconstruite selon les plans de Chalgrin, câest-Ă -dire en faire la rĂ©plique exacte de la tour du Nord. Ces divergences dâopinion peuvent ĂȘtre rattachĂ©es Ă des rĂ©flexions menĂ©es avant 1836. Les archives de la paroisse gardent trace de trois rĂ©flexions sur lâachĂšvement des tours17 Le premier [projet] consisterait Ă Ă©lever la tour du Sud et Ă la rendre en tout semblable Ă celle du Nord. Le second [âŠ] ferait terminer la sculpture de la tour du Sud, en lui conservant du reste sa forme » Ce second projet aurait Ă©tĂ© en partie liĂ© Ă une croyance populaire » faisant obstacle Ă la dĂ©coration de deux tours semblables, genre de dĂ©corations qui serait exclusivement rĂ©servĂ© pour les cathĂ©drales19 » Ce dernier argument ne pouvait cependant avoir cours puisquâau mĂȘme moment des Ă©glises comme Saint-Vincent-de-Paul Ă©taient dotĂ©es de tours Ă la symĂ©trie parfaite. Le troisiĂšme projet aurait dĂ» Ă©galement rendre les tours symĂ©triques, mais eut entraĂźnĂ© la modification de toutes deux Le troisiĂšme projet [âŠ] consisterait 1° Ă faire dĂ©molir dans la tour du Nord tout ce qui excĂšde les frontons surmontant le premier ordre dâarchitecture, 2° Ă faire Ă©galement dĂ©molir dans la tour du Sud tout ce qui excĂ©derait la hauteur des frontons qui viennent dâĂȘtre indiquĂ©s, 3° enfin, Ă affecter le prix de la vente des pierres abattues, Ă lâachĂšvement de la tour du Sud en lui donnant la forme extĂ©rieure quâaurait alors celle du » Ce dernier projet nâeut aucune suite aprĂšs 1838, tandis que les deux premiers rĂ©sument dĂ©jĂ les opinions divergentes de la prĂ©fecture et du conseil de fabrique. Fig. 3 Jean François Chalgrin, tour du Nord de lâĂ©glise Saint-Sulpice, annĂ©es 1780, Paris La prĂ©fecture de la Seine Ă©tait en position de force, puisque le conseil de fabrique ne pouvait rendre que des avis facultatifs et consultatifs. Cependant, un arbitre intervint pour dĂ©cider de la marche Ă suivre, en lâoccurrence le conseil des bĂątiments civils. DĂ©pendant du ministĂšre de lâIntĂ©rieur, il sâagissait dâun organe permettant Ă lâĂtat dâexercer une forme de tutelle sur lâensemble des chantiers publics. Plus prĂ©cisĂ©ment, la compĂ©tence de ce conseil portait sur tout chantier auquel de lâargent public Ă©tait consacrĂ©, ce qui prenait la forme dâun examen par ce conseil. En amont de la rĂ©alisation de tout projet, un rapport Ă la forme prĂ©alablement dĂ©finie lui Ă©tait soumis, lequel Ă©tait accompagnĂ© dâun dossier graphique21. Il pouvait alors procĂ©der Ă un examen du projet avant de rendre un avis contraignant. De ce fait, il fut en mesure dâimprimer sa marque Ă lâensemble des chantiers publics Ă Paris comme dans le reste de la France jusquâĂ sa dissolution en 1848 du fait dâun long dĂ©clin durant lequel son action sâĂ©tait vue progressivement critiquĂ©e, puis dĂ©savouĂ©e. Il a donc joui dâun vaste champ de compĂ©tences tout au long de la premiĂšre moitiĂ© du siĂšcle, ce qui Ă©tait rĂ©sumĂ© par lâun de ses membres, Charles Gourlier, lequel affirmait, non sans lyrisme, que le conseil embrasse depuis le monument le plus somptueux jusquâau moindre Ă©difice dâutilitĂ© publique, depuis le palais des autoritĂ©s suprĂȘmes jusquâĂ lâĂ©glise de village la plus modeste », avant de souligner quâil est de lâintĂ©rĂȘt le plus Ă©levĂ©, le plus gĂ©nĂ©ral, tant au point de vue de lâart que sous le rapport administratif, je dirais mĂȘme politique22 ». Son champ de compĂ©tence Ă©tait Ă©galement Ă©tendu du fait de la nature-mĂȘme de son action, pouvant formuler une apprĂ©ciation Ă©conomique, technique et esthĂ©tique sur les projets qui lui Ă©taient soumis23 . Dans le cadre de lâachĂšvement de Saint-Sulpice, câest la question esthĂ©tique qui Ă©tait au cĆur des prĂ©occupations des diffĂ©rentes parties en prĂ©sence. III. Servandoni ou Chalgrin ? Une dĂ©marche historienne prĂ©sidant Ă lâachĂšvement de la façade Pour trancher la question de lâachĂšvement de la tour du Midi, le conseil des bĂątiments civils dĂ©cida de procĂ©der Ă des recherches sur lâhistorique de la façade, câest-Ă -dire de dĂ©terminer avec prĂ©cision les diffĂ©rentes phases de sa conception et les personnalitĂ©s sây Ă©tant impliquĂ©es tout au long du XVIIIe siĂšcle. Cette dĂ©marche devait permettre de dĂ©finir le plus prĂ©cisĂ©ment possible les interventions futures afin quâelles soient respectueuses du monument. Le premier rapport du conseil des bĂątiments civils, rendu le 16 janvier 1838, atteste quâil a poursuivi les dĂ©marches amorcĂ©es au sein de la prĂ©fecture de la Seine, comme le laisse comprendre Hubert Rohault de Fleury 1777-1846 dans un rappel introductif [âŠ] lâarchitecte des Ă©glises de Paris chargĂ© de prĂ©parer le devis du ravalement de la tour du Midi de lâĂ©glise Saint-Sulpice, a prĂ©sentĂ© [âŠ] un rapport par lequel il Ă©tablit que Servandoni fit le portail en 1733 ; que son successeur Oudot de Mac Laurin [sic] fit les deux tours en 1766 et que dix ans aprĂšs M. Chalgrin fut chargĂ© de mettre ces deux tours dans les formes projetĂ©es par Servandoni ce quâil ne put exĂ©cuter que pour la tour du Nord ; et conclu en proposant de terminer la tour du Midi de la mĂȘme maniĂšre. [âŠ] les faits citĂ©s nâayant pas Ă©tĂ© trouvĂ©s dâune exactitude Ă©vidente, le conseil ajourna la dĂ©libĂ©ration afin que ses membres pussent se livrer Ă des recherches pour Ă©clairer les » Câest donc Ă la prĂ©fecture, et non au conseil, quâil faut imputer la dĂ©marche consistant Ă procĂ©der Ă des recherches, notamment en archives, pour reconstituer la chronologie du chantier. Les trois noms dâarchitectes concernĂ©s ressortent Servandoni, Oudot de Maclaurin ?-aprĂšs 1772 et Chalgrin. Toutefois, le conseil jugea ces recherches insuffisantes, dĂ©cision fondĂ©e dans la mesure oĂč elles Ă©taient incomplĂštes et recĂ©laient diffĂ©rentes erreurs. AprĂšs sâĂȘtre livrĂ©s Ă des recherches complĂ©mentaires, les membres du conseil considĂ©rĂšrent quâ il y a lieu de prĂ©ciser que Servandoni avait projetĂ© les tours mais ne les avait Ă©levĂ©es que jusquâĂ la hauteur des premiĂšres arcades ; que son successeur Oudot de Mac Laurin [sic] les acheva sur des dessins diffĂ©rens [sic] ; et quâenfin M. Chalgrin a enveloppĂ© la tour du Nord dâune construction qui ne reproduit pas les formes adoptĂ©es par Servandoni, mais qui fut jugĂ©e plus en harmonie avec lâarchitecture du portail25 ». Ces informations supplĂ©mentaires permettent dâexpliquer lâune des raisons des modifications introduites par Chalgrin, Ă savoir que les nouvelles tours projetĂ©es devaient permettre de monumentaliser davantage Saint-Sulpice en introduisant une nouvelle esthĂ©tique jugĂ©e adaptĂ©e aux proportions du reste de la façade26. Le conseil, Ă la vue de ces Ă©lĂ©ments nouveaux, trancha temporairement en faveur du projet de Chalgrin Convient-il de terminer la tour du Midi en lâenveloppant dâune construction semblable Ă celle de la tour du Nord. La question est rĂ©solue » Fig. 4 Giovanni NiccolĂČ Servandoni, tour du Midi de lâĂ©glise Saint-Sulpice, annĂ©es 1730, Paris Le second rapport, en date du 26 mai 1838, gagne en prĂ©cision, avec davantage de dĂ©tails sur la conception de la façade et de ses deux tours. Achille Leclere 1785-1853, en sa qualitĂ© de rapporteur, revient plus en dĂ©tails sur les projets et les rĂ©alisations des diffĂ©rents architectes, tout en soulignant une nouvelle fois les raisons de lâabandon du projet de Servandoni auquel fut substituĂ© celui de Chalgrin Il est probable que lors de lâachĂšvement de ces tours, lâeffet quâelles produisaient nâayant pas rĂ©pondu Ă lâensemble de cette façade, on demanda de nouveaux projets dont la dĂ©coration fut plus en harmonie avec les deux ordres infĂ©rieurs. M. Chalgrin en fut chargĂ© en 1762 [âŠ]. La tour du Nord a seule Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e et elle en fut entiĂšrement achevĂ©e en 1780, celle du midi nâa Ă©tĂ© que commencĂ©e [âŠ].28 » Le rapporteur conclut sa dĂ©monstration en expliquant quâ en rĂ©sumĂ©, il me semble prouvĂ© que les tours primitives sont celles du projet de Servandoni et que Maclorain [sic] nâa Ă©tĂ© chargĂ© que de lâexĂ©cution, et quant Ă la dĂ©coration extĂ©rieure de la tour du Nord elle est de Chalgrin29». Ces explications, plus fournies que celles contenues dans le premier rapport, ne sont en revanche pas trĂšs dĂ©taillĂ©es. La façade a connu diffĂ©rentes Ă©volutions et a Ă©tĂ© au cĆur de nombreux projets qui, pour certains, sont restĂ©s lettre morte ou nâont Ă©tĂ© que partiellement rĂ©alisĂ©s30. Toutefois, la concision que lâon trouve dans les conclusions formulĂ©es sâexplique en partie par le fait quâil sâagissait pour le rapporteur de se fonder sur lâexistant. Le conseil changea dâopinion entre le premier et le second rapport. Dans le premier, il concluait quâil fallait rendre les deux tours symĂ©triques en faisant de la tour du Midi la copie conforme de la tour du Nord. Ă lâinverse, dans son second rapport il se rangea du cĂŽtĂ© de la prĂ©fecture en affirmant que lâasymĂ©trie devait ĂȘtre conservĂ©e. Cela a de quoi surprendre lorsque lâon sâattache aux thĂ©ories que le conseil entendait dĂ©fendre, ses membres Ă©tant les fervents dĂ©fenseurs des idĂ©es dâAntoine Chrysostome QuatremĂšre de Quincy 1755-1849 qui avait trouvĂ© en Chalgrin une figure Ă mĂȘme de mettre en application ses idĂ©es. Le thĂ©oricien, qui pouvait entrer Ă son grĂ© au Conseil des BĂątiments civils »31 , avait notamment encensĂ© son Ă©glise de Saint-Philippe-du-Roule qui rompait avec lâarchitecture des Ă©glises jĂ©suites hĂ©ritĂ©es de la Contre-RĂ©forme32. Il eut semblĂ© naturel que le conseil dĂ©fendisse le projet de Chalgrin, en cherchant par la mĂȘme occasion Ă donner une symĂ©trie parfaite Ă Saint-Sulpice. Or, il prĂ©fĂ©ra laisser la prĂ©fecture libre de concrĂ©tiser les desseins de Servandoni. Ce revirement pourrait en partie sâexpliquer au regard de lâĂ©volution plus gĂ©nĂ©rale de la politique du conseil quâil lui fallut redĂ©finir sous la monarchie de Juillet. Le conseil des bĂątiments civils faisait lâobjet de nombreuses attaques, en particulier de la part des dĂ©fenseurs des monuments anciens. Parmi eux, le comte de Montalembert 1810-1870 dĂ©criait le vandalisme constructeur »33 des diffĂ©rentes instances officielles qui condamnaient rĂ©guliĂšrement des monuments anciens en dĂ©cidant de leur reconstruction, dans lâidĂ©e de leur substituer un nouvel Ă©difice Ă©levĂ© Ă moindres frais. Le conseil dĂ©cidait rĂ©guliĂšrement de destructions complĂštes suivies de reconstructions, comme ce fut le cas pour de nombreuses Ă©glises. Si vers 1825 il rejetait rĂ©guliĂšrement les projets dâagrandissements pour favoriser les reconstructions, il en alla diffĂ©remment une dĂ©cennie plus tard. Cette attitude dĂ©montre quâil avait Ă©tĂ© sensibilisĂ©, de grĂ© ou de force, Ă la valeur nouvellement donnĂ©e Ă ces monuments34. Le revirement du conseil en faveur du projet de Servandoni peut lui aussi dĂ©couler de cette sensibilisation, lâamenant Ă soutenir lâachĂšvement de la tour du Midi suivant une logique archĂ©ologique », dâoĂč les recherches prĂ©alables en archives pour Ă©tablir un historique. Il en allait de la survie du conseil, son action Ă©tant de plus en plus dĂ©criĂ©e. IV. LâintĂ©gration de la façade au patrimoine parisien On comprend Ă la lumiĂšre du dernier rapport que les diffĂ©rends opposant prĂ©fecture et conseil de fabrique dĂ©passaient le seul cadre esthĂ©tique ; câest leur perception du monument qui diffĂ©rait, ce qui dĂ©note une comprĂ©hension diffĂ©rente de ce qui Ă©tait susceptible dâintĂ©grer le patrimoine. Le rapporteur prit soin de rĂ©sumer leurs positions Deux opinions sont en prĂ©sence, dont le conseil de la Seine se fondant sur les intĂ©rĂȘts de lâart et le respect dĂ» aux Ćuvres des maĂźtres et voudrait poursuivre les desseins originels de Servandoni en terminant la tour du Midi conformĂ©ment Ă ce dessein, lâautre faisant passer avant tout lâensemble du monument, et trouvant les formes de la tour du Nord exĂ©cutĂ©es sur le dessein de Chalgrin, plus en harmonie avec le style de la façade, prĂ©fĂ©rerait quâon exĂ©cutĂąt celle du Midi sur le mĂȘme modĂšle que celle du » La prĂ©fecture sâattachait Ă la conservation dâune composante de lâĂ©difice, tandis que la fabrique songeait Ă lâharmonie globale du monument. Le conseil de fabrique, face au revirement opĂ©rĂ© par le conseil des bĂątiments civils, continua Ă plaider sa cause ; il espĂ©rait ce faisant quâil soit procĂ©dĂ© Ă un nouvel examen du projet suivant les dispositions dâune loi portant sur lâachĂšvement de diffĂ©rents monuments publics36. Selon lui, lâerreur du conseil des bĂątiments civils reposait sur une mauvaise apprĂ©ciation de lâanciennetĂ© de lâĂ©glise Lâavis adoptĂ© a Ă©tĂ© quâil fallait conserver au monument son caractĂšre dâantiquitĂ© ! En vĂ©ritĂ©, la personne qui a Ă©mis cette opinion et qui lâa soutenue avec une persĂ©vĂ©rance remarquable, nâa sans doute pas voulu se rappeler quâun monument qui nâa pas encore cent ans nâest pas ancien [âŠ].37 » Les fabriciens insistaient sur le fait que lâĂ©glise nâĂ©tait pas suffisamment ancienne pour que lui soit appliquĂ©e une dĂ©cision davantage conforme Ă un monument mĂ©diĂ©val, du moins antĂ©rieur au siĂšcle prĂ©cĂ©dent. [âŠ] il nây a pas Ă faire application au monument moderne de lâĂ©glise Saint-Sulpice, des rĂšgles qui doivent ĂȘtre religieusement observĂ©es nous le reconnaissons avec lui, pour la conservation des monumens [sic] antiques mĂȘme avec leurs imperfections, parce quâelles portent avec elles le cachet de lâĂ©poque, et sont souvent autant de documens [sic] » Ils ne faisaient pas la critique dâune mĂ©thode se gĂ©nĂ©ralisant en faveur de la conservation et de la restauration des Ă©difices anciens ; ils ne contestaient pas non plus Ă Saint-Sulpice sa qualitĂ© de monument, tout au contraire la revendiquaient-ils. En revanche, ils dĂ©sapprouvaient que lâĂ©glise fĂ»t considĂ©rĂ©e comme un Ă©lĂ©ment patrimonial. Les fabriciens sâappuyaient sur une vision rationaliste du monument en invoquant son harmonie gĂ©nĂ©rale. Ils souhaitaient que soit poursuivi le chantier de Chalgrin qui avait Ă©tĂ© interrompu par la Terreur, donc par un Ă©vĂ©nement indĂ©pendant dudit chantier39. Ils allĂšrent jusquâĂ menacer du risque dâun scandale induit par une dĂ©pense trop coĂ»teuse qui aurait attirĂ© les foudres de lâopinion publique sur la prĂ©fecture, mais Ă©galement sur lâĂtat Cette dĂ©pense bien certainement motiverait de toute part des plaintes dont la presse serait lâorgane, et la Ville se verrait en quelque sorte forcĂ©e peu de tems [sic] aprĂšs, par la force de lâopinion, de faire enfin procĂ©der au seul moyen rationnel, celui de la construction de deux tours » Les fabriciens avaient par ailleurs compris lâimportance que pouvait revĂȘtir pareil chantier aux yeux de lâopinion. La presse fournissait de nombreux comptes-rendus des grand travaux parisiens et se faisait rĂ©guliĂšrement le relais des attentes du public. Des regrets portaient depuis de nombreuses annĂ©es sur des Ă©difices qui datent dâun siĂšcle et qui attendent encore la derniĂšre main de lâarchitecte » parmi lesquels Saint-Sulpice, avec ses ornemens [sic] Ă peine dĂ©grossis41 ». MalgrĂ© leurs efforts, les fabriciens nâobtinrent pas gain de cause, la prĂ©fecture ne revenant pas sur sa volontĂ© de conserver lâĆuvre des maĂźtres » disparus, ce qui traduit donc la volontĂ© dâintĂ©grer le monument Saint-Sulpice au patrimoine parisien qui continuait dâĂȘtre inventĂ©. Cette dĂ©marche peut sembler assez novatrice pour un Ă©difice aussi rĂ©cent lâĂ©rection de lâĂ©glise avait Ă©tĂ© entamĂ©e Ă la fin du XVIIe siĂšcle, sa consĂ©cration eut lieu en 1745, mais elle nâĂ©tait toujours pas achevĂ©e lorsque la RĂ©volution Ă©clata, lĂ©gitimant les propos du conseil de fabrique affirmant que Saint-Sulpice nâavait pas encore fĂȘtĂ© son centenaire. Au mĂȘme moment, la prĂ©fecture nâhĂ©sitait pas Ă faire dĂ©truire des monuments de la mĂȘme pĂ©riode, voire plus anciens. Aussi, la protection du Vieux Paris faisait difficilement obstacle aux besoins de la ville nouvelle. Lâancien couvent des Petits-PĂšres en atteste son double cloĂźtre superposĂ© Ă©difiĂ© en 1740 fut dĂ©truit en 1843 par dĂ©cision de la prĂ©fecture42. Des Ă©difices plus anciens disparurent Ă©galement, telles les Ă©glises Saint-CĂŽme et Saint-Pierre-aux-BĆufs qui durent cĂ©der la place Ă de nouvelles percĂ©es. En 1840, la prĂ©fecture envisageĂąt Ă©galement la destruction dâune partie des ailes du CollĂšge des Quatre nations afin dâĂ©largir les quais de Seine et faciliter la circulation fluviale. La Commission des monuments historiques chercha Ă intervenir, son prĂ©sident confiant Ă ses autres membres que le prĂ©fet paraĂźt trĂšs dĂ©terminĂ© en faveur du projet de mutilation du palais de lâInstitut »43, bien quâil sâagisse selon lui du seul ouvrage restĂ© intact de Le Vau, architecte cĂ©lĂšbre de lâĂ©poque »44. Ces quelques exemples dĂ©montrent que la prĂ©fecture nâĂ©tait pas une administration conservatrice dĂ©fendant coĂ»te que coĂ»te une vision patrimoniale de la ville. La rĂ©putation dâun architecte et la renommĂ©e attachĂ©e Ă son nom pouvaient cependant constituer un atout dĂ©cisif pour Ă©viter la destruction ou lâaltĂ©ration dâun monument, la prĂ©fecture renonçant finalement Ă la destruction partielle du bĂątiment de Louis Le Vau 1612-1670. Dans le cas de Saint-Sulpice, le nom de Servandoni semble avoir Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©ment un argument qui, aux yeux de la prĂ©fecture, rendait lĂ©gitimes ses desseins dâachĂšvement, davantage que la datation de la tour du Midi. V. LâĂ©chec du projet dâachĂšvement de la tour du Midi un ajournement devenu abandon Le projet dâachĂšvement de la façade resta finalement lettre morte ; seule la balustrade entre les deux tours fut rĂ©alisĂ©e tardivement, vers 1870. Un problĂšme de financement de lâopĂ©ration est probablement Ă lâorigine de son report, puis lâajournement se transforma en abandon. La prioritĂ© fut donnĂ©e Ă lâamĂ©nagement des abords, ainsi quâĂ la rĂ©fection et Ă lâembellissement de lâintĂ©rieur du monument, les commandes continuant de se succĂ©der tout au long des annĂ©es 1840. Il est encore fait mention de lâachĂšvement de la tour en 1842 les fabriciens expliquĂšrent alors que les travaux de dĂ©coration devaient toucher Ă leur fin en 1846 et quâ immĂ©diatement aprĂšs, on sâoccupera des travaux extĂ©rieurs, notamment de lâachĂšvement de la tour [âŠ]. Ce grand travail [âŠ] est dâautant plus dĂ©sirable, que lâaspect de la tour [âŠ] fait une fĂącheuse disparate avec le dĂ©veloppement imposant du grand portail45 ». Son achĂšvement eut certainement Ă©tĂ© une prioritĂ© plus pressante pour la prĂ©fecture sâil sâĂ©tait agi dâun monument plus ancien, Ă une Ă©poque oĂč lâon cherchait notamment Ă achever » les grandes cathĂ©drales gothiques. Il est probable que les fabriciens comme les fonctionnaires de la prĂ©fecture et les membres du conseil des bĂątiments civils restĂšrent finalement assez indiffĂ©rents quant au fait de savoir si lâĂ©glise Saint-Sulpice devait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un monument antique » ou moderne ». La protection de ce qui devait former le Vieux Paris relevait gĂ©nĂ©ralement dâinitiatives privĂ©es ou dâactions menĂ©es par la commission des monuments historiques qui, bien que rattachĂ©e au ministĂšre de lâIntĂ©rieur, ne jouissait pas dâun grand pouvoir dĂ©cisionnaire et Ă©tait souvent dans lâobligation de se limiter Ă des actions de sensibilisation. Il est intĂ©ressant de considĂ©rer la prĂ©sence de trois dĂ©cisionnaires amenĂ©s Ă se prononcer sur une question patrimoniale », alors quâils nâavaient aucune appĂ©tence particuliĂšre pour la conservation des monuments historiques. Comme cela a dĂ©jĂ Ă©tĂ© Ă©voquĂ©, le conseil des bĂątiments civils sâĂ©tait saisi de ces questions pour assurer sa propre survie. Il semble Ă©galement trĂšs probable que les ambitions des fabriciens nâallaient pas plus loin que la seule question esthĂ©tique, dans une volontĂ© de voir achever un monument devenu rationnel et symĂ©trique. Dans une logique similaire, la dĂ©termination de la prĂ©fecture a pu relever en premier lieu dâun argument financier achever la tour du Midi conformĂ©ment au projet de Servandoni eut essentiellement consistĂ© Ă en faire exĂ©cuter lâornementation extĂ©rieure, le gros-Ćuvre Ă©tant dĂ©jĂ rĂ©alisĂ©. Il eut fallu augmenter les fonds Ă consacrer Ă ce chantier pour suivre le dessein de Chalgrin. Le coĂ»t de financement Ă©tait depuis longtemps un problĂšme de taille ; sur les trois possibilitĂ©s dâachĂšvement formulĂ©es avant 1836, deux devaient permettre de rĂ©duire la dĂ©pense, en particulier la derniĂšre portant encore plus loin les raisons dâĂ©conomie46 ». Si la prĂ©fecture pouvait trouver un intĂ©rĂȘt dans la conservation des monuments anciens, elle pouvait Ă©galement prendre lâinitiative de leur destruction. Elle soumettait ses dĂ©cisions de protection Ă deux critĂšres majeurs, Ă savoir le coĂ»t et lâutilitĂ©. Ainsi, pour la prĂ©fecture comme pour le conseil de fabrique, leurs argumentaires dĂ©coulaient du rĂ©sultat escomptĂ© et non lâinverse. Les raisonnements que tous dĂ©veloppaient restent cependant dâun grand intĂ©rĂȘt, dĂ©montrant quâils Ă©taient conscients des dĂ©bats et enjeux nouveaux portant sur un patrimoine qui Ă©tait en train dâĂȘtre inventĂ© par leurs contemporains dans un contexte dâĂ©volution des mentalitĂ©s. Il fallut attendre les derniĂšres dĂ©cennies du XIXe siĂšcle pour que la protection des monuments du XVIIIe siĂšcle rĂ©unisse des suffrages plus nombreux47. Or, le dĂ©bat portant sur lâachĂšvement de Saint-Sulpice sous la monarchie de Juillet, sâil avait dĂ» se poser Ă nouveau, nâaurait pas portĂ© sur le fait de savoir sâil fallait achever la tour du Midi en suivant un projet plutĂŽt quâun autre, mais davantage sâil sâagissait dâachever ou de laisser en lâĂ©tat ladite tour. Câest prĂ©cisĂ©ment dans cet Ă©tat dâinachĂšvement que Saint-Sulpice est devenue une composante incontestĂ©e du patrimoine parisien. La rĂ©flexion menĂ©e sous la monarchie de Juillet quant Ă lâachĂšvement de cette façade aura cependant Ă©tĂ© un Ă©pisode, restĂ© rare Ă Paris, permettant de jauger lâĂ©volution progressive de ce patrimoine et, ce faisant, de comprendre oĂč pouvait se situer la frontiĂšre qui permettait Ă un monument dâĂȘtre considĂ©rĂ© comme lâune de ses composantes. Baptiste Dumas-Piro Bibliographie ANONYME, 1834 [ANONYME], Paris et ses constructions », LâArtiste, 1Ăšre sĂ©rie, t. VII, 1834, p. 225-228. ANONYME, 1843 [ANONYME], ActualitĂ©s. 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MONTALEMBERT, 1833 MONTALEMBERT Charles Forbes RenĂ© comte de, Du vandalisme en France lettre Ă M. Victor Hugo », Revue des deux mondes, 2e sĂ©rie, t. II, 1833, p. 477-524. QUATREMĂRE DE QUINCY, 1816 QUATREMĂRE DE QUINCY Antoine Chrysostome, Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Chalgrin, architecte, membre de lâancienne classe des beaux-arts de lâInstitut ⊠lue Ă la sĂ©ance publique samedi 5 octobre 1816, Paris, Institut royal de France, 1816. QUENTIN-BAUCHARD, 1903 QUENTIN-BAUCHARD Maurice, Conseil municipal de Paris, 1903 rapport au nom de la 4e Commission sur la rĂ©organisation du service des beaux-arts et des musĂ©es de la ville de Paris, Paris, Conseil municipal, 1903. SCHNEIDER, 1910 SCHNEIDER RenĂ©, QuatremĂšre de Quincy et son intervention dans les arts, 1788-1830, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1910. Table des illustrations Couverture Hippolyte Fizeau, LâĂ©glise Saint-Sulpice Ă Paris, vers 1841, photogravure, New York, The Metropolitan Museum of Art, cl. Wikimedia Fig. 1 façade principale de lâĂ©glise Saint-Sulpice, XVIIe-XVIIIe siĂšcle, Paris, cl. B. Dumas-Piro Fig. 2 Jacques Ignace Hittorff, Ă©glise Saint-Vincent-de-Paul, 1824-1844, Paris, cl. B. Dumas-Piro Fig. 3 Jean François Chalgrin, tour du Nord de lâĂ©glise Saint-Sulpice, annĂ©es 1780, Paris, cl. B. Dumas-Piro Fig. 4 Giovanni NiccolĂČ Servandoni, tour du Midi de lâĂ©glise Saint-Sulpice, annĂ©es 1730, Paris, cl. B. Dumas-Piro FIORI, 2012, p. 51 et 56. [â©] Pour la pĂ©riode qui nous intĂ©resse, le prĂ©fet de la Seine Ă©tait Philibert Barthelot, comte de Rambuteau 1781-1869, nommĂ© par Louis-Philippe en 1833 et qui conserva son poste jusquâĂ la chute du rĂ©gime. Ce dernier Ă©tait donc compĂ©tent tout au long de la restauration de Saint-Sulpice. [â©] LĂNIAUD, 1987, p. 53. [â©] DĂ©cret du 30 dĂ©cembre 1809. [â©] DELPAL, 1987, p. 69. [â©] LĂNIAUD, 2007, p. 33. [â©] La Ville de Paris, Ă partir de 1834, disposa dâun budget spĂ©cial des beaux-arts qui fut rĂ©guliĂšrement augmentĂ© au fil des annĂ©es QUENTIN-BAUCHARD, 1903, p. 57. [â©] Archives historiques de lâarchevĂȘchĂ© de Paris dĂ©sormais AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, VI/VII1 compte-rendu du conseil de fabrique de lâĂ©glise Saint-Sulpice au sujet de lâachĂšvement des tours et du portail de lâĂ©glise, 20 avril 1838. [â©] ANONYME, 1843, p. 108. [â©] Ibid., p. 109. [â©] AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, VI/VII1 brouillon dâarticle rĂ©digĂ© par le conseil de fabrique de lâĂ©glise Saint-Sulpice au sujet des travaux dâembellissements de lâĂ©glise, [ [â©] Concernant les commandes passĂ©es sous lâadministration de Rambuteau, il faut retenir la chapelle Saint-Paul dĂ©corĂ©e par Martin Drolling 1786-1851 et la chapelle des Ămes du Purgatoire par Joseph Heim 1787-1865. [â©] Desboeufs fut chargĂ© de lâAnge de la prĂ©dication et Droz de lâAnge du Martyre. Elles furent achevĂ©es et installĂ©es en 1846. [â©] AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, VI/VII1 note du conseil de fabrique de lâĂ©glise Saint-Sulpice sur les travaux accessoires rĂ©sultants du grattage gĂ©nĂ©ral de lâĂ©glise Saint-Sulpice, 12 juin 1838. [â©] Ibid. [â©] LOURS, 2014, p. 67. [â©] Nous remercions M. Vincent ThauziĂšs AHAP pour son aide prĂ©cieuse sans laquelle nous nâaurions pu localiser ces informations. [â©] AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, registres 117 Ă 121 inventaires du mobilier procĂšs-verbal dâinventaire des objets mobiliers existant dans lâĂ©glise paroissiale Saint-Sulpice de Paris au 19 juillet 1836, fol. 67. [â©] Ibid., fol. 66. [â©] Ibid., fol. 67. [â©] BOUDON, 2006, p. 195. [â©] GOURLIER, 1848, p. 7-8. [â©] Pour approfondir le rĂŽle jouĂ© par le conseil des bĂątiments civils dans le cadre de chantiers publics, nous renvoyons Ă la thĂšse dâEmmanuel ChĂąteau-Dutier CHĂTEAU-DUTIER, 2016. [â©] Archives nationales dĂ©sormais Arch. nat., F21 2533 rapport du conseil des bĂątiments civils par Hubert Rohault de Fleury, au sujet de lâachĂšvement de la tour du Midi de lâĂ©glise Saint-Sulpice Ă Paris, dossier n° 21, 16 janvier 1838. [â©] Ibid. [â©] Le nouveau projet de Chalgrin pouvait Ă©galement rĂ©pondre Ă des besoins liturgiques formulĂ©s par le curĂ© LOURS, 2014, p. 67. [â©] Arch. nat., F21 2533 rapport du conseil des bĂątiments civils par Hubert Rohault de Fleury, au sujet de lâachĂšvement de la tour du Midi de lâĂ©glise Saint-Sulpice Ă Paris, dossier n° 21, 16 janvier 1838. [â©] Arch. nat., F21 2533 rapport du conseil des bĂątiments civils par Achille Leclere, au sujet de lâachĂšvement de la façade de lâĂ©glise Saint-Sulpice, dossier n° 253, 26 mai 1838. [â©] Ibid. [â©] Pour approfondir la question des projets successifs de la façade LOURS, 2014. [â©] SCHNEIDER, 1910, p. 76. [â©] QUATREMĂRE DE QUINCY, 1816, p. 8 Enfin on vit un portique de colonnes doriques couronnĂ©es dâun fronton, remplacer ces insipides portails en placard, et Ă plusieurs ordres lâun sur lâautre, dont le moindre dĂ©faut est dâindiquer plusieurs Ă©tages, dans un Ă©difice qui nâen comporte aucun. » [â©] MONTALEMBERT, 1833, p. 485. [â©] BOUDON, 2006, p. 197-198. [â©] Arch. nat., F21 2533 rapport du conseil des bĂątiments civils par Achille Leclere, au sujet de lâachĂšvement de la façade de lâĂ©glise Saint-Sulpice, dossier n° 253, 26 mai 1838. [â©] AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, VI/VII1 compte-rendu du conseil de fabrique de lâĂ©glise Saint-Sulpice au sujet de lâachĂšvement des tours et du portail de lâĂ©glise, 12 juin 1838. [â©] Ibid. [â©] Ibid. [â©] Ibid. [â©] Ibid. [â©] ANONYME, 1834, p. 227. [â©] FIORI, 2012, p. 121. [â©] BERCĂ, 1979, p. 100. [â©] Ibid., p. 94. [â©] AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, VI/VII1 projet dâarticle de presse du conseil de fabrique de lâĂ©glise Saint-Sulpice, 15 aoĂ»t 1842. [â©] AHAP, 6e arrondissement, Ă©glise Saint-Sulpice, registres 117 Ă 121 inventaires du mobilier procĂšs-verbal dâinventaire des objets mobiliers existant dans lâĂ©glise paroissiale Saint-Sulpice de Paris au 19 juillet 1836, fol. 67. [â©] FIORI, 2012, p. 120. [â©] En cette pĂ©riode difficile, Sorbonne UniversitĂ© et sa fondation sont solidaires des Ă©tudiantes, Ă©tudiants, enseignants-chercheurs et personnels ainsi que toutes celles et ceux touchĂ©s directement ou indirectement par la guerre en Ukraine. Les actions de la Fondation Sorbonne UniversitĂ© en faveur des Ă©tudiants concernĂ©s Article Ă©crit par CĂ©cile Foussard TĂ©lĂ©charger lâarticle au format pdf. Communication prĂ©sentĂ©e le mardi 18 janvier 2022. Introduction Les ressources marines aux fondements des civilisations andines La rĂ©gion andine, conçue comme une aire culturelle sâĂ©tendant sur le quart nord-ouest de lâAmĂ©rique du Sud, est peuplĂ©e dĂšs 11 000 av. comme lâavancent plusieurs chercheurs nord-amĂ©ricains1. DâaprĂšs les mĂȘmes auteurs, il semble que les premiĂšres populations arrivent dâabord sur la cĂŽte Pacifique, en se dĂ©plaçant sur la bande littorale, avant de pĂ©nĂ©trer dans la CordillĂšre des Andes. Elles arrivent alors dans une rĂ©gion contrastĂ©e, constituĂ©e par quatre principaux types dâenvironnement fig. 1 la cĂŽte tropicale au nord cĂŽtes colombienne et Ă©quatorienne et extrĂȘme nord du littoral pĂ©ruvien, les cĂŽtes dĂ©sertiques pĂ©ruvienne et chilienne, les rĂ©gions montagneuses de la CordillĂšre des Andes recouvrant elles-mĂȘmes une grande variĂ©tĂ© de rĂ©alitĂ©s gĂ©ographiques et le bassin amazonien Ă lâest. Les premiers sites dâoccupation sĂ©dentaire apparaissent sur la cĂŽte vers 7000-6000 av. Les donnĂ©es archĂ©ologiques attestent dâune Ă©conomie de subsistance fondĂ©e essentiellement sur lâexploitation des ressources marines. Ce processus de sĂ©dentarisation fondĂ© sur une Ă©conomie maritime et non pas agricole sâexplique par lâĂ©norme richesse biologique de lâĂ©cosystĂšme du courant de Humboldt. Ce courant froid, qui longe les cĂŽtes chilienne et pĂ©ruvienne du sud vers le nord fig. 1, produit lâun des environnements marins les plus riches du monde. Ses abondantes ressources poissons, mollusques, crustacĂ©s, oiseaux marins, mammifĂšres marins, etc. auraient suffi pour assurer la subsistance des premiĂšres populations sĂ©dentaires et auraient permis le dĂ©veloppement de sociĂ©tĂ©s complexes sans quâelles aient besoin dâavoir recours Ă la production agricole. Cela a menĂ© certains chercheurs comme Michael Moseley Ă mettre en Ă©vidence les fondements maritimes des civilisations andines. MĂȘme aprĂšs la gĂ©nĂ©ralisation de lâagriculture sur la cĂŽte, qui intervient Ă partir dâenviron 2000 av. la pĂȘche et lâexploitation des ressources marines restent des pratiques trĂšs importantes au sein des sociĂ©tĂ©s cĂŽtiĂšres2. Fig. 1 Carte de la rĂ©gion andine avec les courants marins et les principaux milieux naturels. Foussard, 2021. Dans ce contexte, la navigation est un enjeu clĂ© puisquâil sâagit dâun ensemble de techniques Ă©largissant drastiquement lâaccĂšs aux environnements aquatiques et Ă leurs ressources. LâĂ©tude de la navigation prĂ©hispanique et ses enjeux. Les sources coloniales et modernes, Ă©crites Ă partir du XVIe siĂšcle, contiennent dĂ©jĂ de nombreuses descriptions des techniques de navigation autochtones. Dans un premier temps, les chercheurs du XXe siĂšcle sâappuient principalement sur ces donnĂ©es ethno-historiques, ainsi que sur des reprĂ©sentations iconographiques prĂ©hispaniques et sur des objets archĂ©ologiques bien souvent sortis de leur contexte, pour Ă©tablir les premiĂšres typologies des diffĂ©rents modĂšles dâembarcation prĂ©hispaniques et formuler les premiĂšres thĂ©ories sur la possibilitĂ© dâĂ©changes maritimes tout au long de la cĂŽte3. ParallĂšlement, depuis la fin des annĂ©es 1980 et jusquâĂ aujourdâhui, le dĂ©veloppement de lâarchĂ©ologie cĂŽtiĂšre met en Ă©vidence lâimportance des ressources marines dans lâĂ©conomie et le mode de vie des populations prĂ©hispaniques4. Actuellement, le dĂ©veloppement de lâarchĂ©ologie littorale et maritime, de lâarchĂ©ologie des Ăźles et de lâarchĂ©ologie subaquatique ouvre de nouvelles perspectives pour lâĂ©tude de la navigation prĂ©hispanique. Pourtant, il y a encore peu dâĂ©tudes globales sur la navigation prĂ©hispanique, sans doute du fait de la complexitĂ© de ce phĂ©nomĂšne dynamique, non fixĂ© sur un site ou sur un contexte archĂ©ologique donnĂ©. La navigation renvoie au contraire Ă un ensemble de pratiques et de modes de circulation, qui met souvent en relation plusieurs environnements terrestres, littoraux et aquatiques et peut mettre en relation plusieurs populations, rĂ©gions ou cultures. La navigation a une diversitĂ© dâimplications Ă la fois techniques matiĂšres premiĂšres, savoir-faire techniques, conditions environnementales⊠et socio-Ă©conomiques mode de dĂ©placement donnant accĂšs aux ressources aquatiques et ouvrant la possibilitĂ© Ă des Ă©changes commerciaux et des contacts avec des populations lointaines. Pour aborder cette diversitĂ© de problĂ©matiques, il est nĂ©cessaire de recourir Ă des types de sources et de donnĂ©es trĂšs variĂ©s et de croiser diffĂ©rentes approches. I. Une archĂ©ologie âen nĂ©gatifâ. La difficultĂ© principale pour lâĂ©tude archĂ©ologique de la navigation dans le monde andin est lâabsence dâembarcation prĂ©hispanique conservĂ©e. Il faut alors se tourner vers des donnĂ©es indirectes et faire ainsi une sorte dâarchĂ©ologie en nĂ©gatif5 » de la navigation, que ce soit par lâĂ©tude des reprĂ©sentations qui en ont Ă©tĂ© faites, des objets associĂ©s Ă la navigation qui ont Ă©tĂ© conservĂ©s ou encore des traces quâelle peut laisser dans le paysage. Les premiĂšres sources utilisĂ©es par les chercheurs sont les sources ethnohistoriques, câest Ă -dire les tĂ©moignages Ă©crits et visuels des EuropĂ©ens arrivĂ©s en AmĂ©rique du Sud Ă partir du XVIe siĂšcle. Ces sources contiennent de nombreuses descriptions et illustrations, parfois trĂšs dĂ©taillĂ©es, des embarcations et de leur utilisation, qui permettent dâavoir une idĂ©e des pratiques de navigation employĂ©es dans la rĂ©gion andine Ă lâĂ©poque de la conquĂȘte espagnole. Elles documentent au moins trois types dâembarcation les grandes embarcations en bois de balsa dotĂ©es de voile extrĂȘme nord du PĂ©rou et cĂŽte Ă©quatorienne fig. 2 permettant de naviguer en haute mer, elles servent au commerce maritime, Ă la pĂȘche et au transport maritime et fluvial6 ; les embarcations en jonc dites en totora tout au long de la cĂŽte pĂ©ruvienne elles servent principalement Ă la pĂȘche et Ă la circulation le long de la cĂŽte ; ce type dâembarcation est aussi employĂ© pour naviguer sur le lac Titicaca7 ; les embarcations en peaux dâotarie gonflĂ©es cĂŽte nord du Chili fig. 3 elles servent pour la pĂȘche et la chasse aux otaries8. Fig. 2 ReprĂ©sentation dâembarcations de la rĂ©gion de Portoviejo cĂŽte Ă©quatorienne.Benzoni, 1572. Fig. 3 Embarcation en peau dâotarie de la cĂŽte chilienne. FrĂ©zier, 1982 [vers 1720]. Certaines de ces techniques de navigation ont survĂ©cu tout au long de la pĂ©riode coloniale et sont encore employĂ©es aujourdâhui dans certaines communautĂ©s. Ainsi, les embarcations en jonc traditionnelles sont encore utilisĂ©es par les populations vivant sur les rives du lac Titicaca, mais aussi par les pĂȘcheurs de Huanchaco et des villages cĂŽtiers de la rĂ©gion de Lambayeque, sur la cĂŽte nord du PĂ©rou. Lâobservation ethnographique de ces pratiques peut fournir des informations intĂ©ressantes sur les processus de fabrication et dâutilisation de ces embarcations dâorigine prĂ©hispanique9. Mais quelle profondeur historique ont ces pratiques ? Depuis quand ont-elles existĂ© ? Existait-il dâautres formes de navigation qui nâont pas persistĂ© jusquâĂ lâarrivĂ©e des Espagnols ? Lâiconographie prĂ©hispanique apporte des informations sur lâanciennetĂ© de certaines pratiques de navigation et sur leur rĂ©partition gĂ©ographique. Les cultures de la cĂŽte nord du PĂ©rou, notamment les Mochicas dĂ©but de notre Ăšre-Xe siĂšcle, ont produit une iconographie trĂšs abondante au sein de laquelle les thĂšmes maritimes et nautiques ont une place importante. Ces reprĂ©sentations apparaissent dans la cĂ©ramique fig. 4, mais aussi sur une diversitĂ© de supports textiles, orfĂšvrerie, objets sculptĂ©s en bois, etc. Cette iconographie de la navigation est dĂ©jĂ prĂ©sente sur la cĂŽte nord du PĂ©rou bien avant la pĂ©riode Mochica, comme en tĂ©moigne une cĂ©ramique datant de lâHorizon Cupisnique-ChavĂn environ 1200-200 av. qui reprĂ©sente deux personnages en train de ramer Ă califourchon sur une embarcation en jonc. Elle se poursuit au cours des Ă©poques postĂ©rieures sur la cĂŽte nord, notamment chez les cultures ChimĂș et Lambayeque env. 700-1400 ap. Il existe aussi quelques reprĂ©sentations dâembarcation en cĂ©ramique provenant dâautres parties de la cĂŽte pĂ©ruvienne, par exemple chez les cultures Nazca cĂŽte sud du PĂ©rou, dĂ©but de notre Ăšre-650 ap. et Lima-NieverĂa cĂŽte centrale du PĂ©rou, vers 600-1100 ap. fig. 5. Ces diffĂ©rentes reprĂ©sentations attestent de lâemploi dâembarcations en jonc dĂšs lâHorizon Cupisnique-ChavĂn sur la cĂŽte nord du PĂ©rou, et Ă partir des premiers siĂšcles de notre Ăšre sur le reste de la cĂŽte pĂ©ruvienne. Fig. 4 CĂ©ramique Mochica cĂŽte nord du PĂ©rou, dĂ©but de n. siĂšcle reprĂ©sentant un pĂȘcheur sur son embarcation en totora. MusĂ©e Larco â Lima, PĂ©rou. Fig. 5 CĂ©ramique Lima-NieverĂa cĂŽte centrale du PĂ©rou, vers 600- 1100 ap. reprĂ©sentant des personnages sur des embarcations en totora, conservĂ©e au MusĂ©e Larco â Lima, PĂ©rou. Foussard, 2018. Parmi les autres objets archĂ©ologiques renseignant sur la navigation, un ensemble dâembarcations miniatures dĂ©couvertes dans des tombes tĂ©moigne de la diversitĂ© des techniques de navigation utilisĂ©es sur la cĂŽte nord du Chili et Ă lâextrĂȘme sud du littoral pĂ©ruvien. Ces embarcations miniatures font partie du mobilier funĂ©raire de tombes datant dâenviron 1000 Ă 1450 ap. qui appartiennent Ă des groupes de population cĂŽtiers, dont le mode de vie est principalement tournĂ© vers lâexploitation du milieu marin. Il sâagit de reproductions Ă petite Ă©chelle elles mesurent gĂ©nĂ©ralement entre une dizaine et une cinquantaine de centimĂštres de long dâembarcations en bois allant de modĂšles trĂšs simples Ă trois poutres Ă des assemblages plus complexes de poutres et de planches, et incluant quelques cas de canot monoxyle. Les miniatures sont souvent accompagnĂ©es de petites rames, harpons, filets et autres accessoires de pĂȘche, qui nous renseignent sur les techniques de pĂȘche11. Ces petites embarcations Ă©taient probablement dĂ©posĂ©es dans les tombes de pĂȘcheurs pour leur permettre de continuer Ă assurer leur subsistance dans lâau-delĂ . Ces dĂ©pĂŽts funĂ©raires dĂ©notent lâimportance Ă©conomique et symbolique des activitĂ©s maritimes pour ces sociĂ©tĂ©s cĂŽtiĂšres. Câest probablement cette mĂȘme idĂ©e de poursuite des activitĂ©s maritimes dans lâau-delĂ qui prĂ©side au dĂ©pĂŽt de rames et dĂ©rives sculptĂ©es en bois dans des tombes de la culture Ica-Chincha cĂŽte sud du PĂ©rou, vers 1100-1450 ap. De nombreuses rames, plus ou moins ornementĂ©es, ont en effet Ă©tĂ© dĂ©couvertes dans plusieurs tombes Ica-Chincha. Malheureusement, Ă©tant issues de fouilles parfois peu rigoureuses des dĂ©buts du XXe siĂšcle, on dispose de peu dâinformations prĂ©cises sur leur contexte de dĂ©couverte. La fonction de ces rames pose question ont-elles vraiment servi Ă naviguer ou sâagit-il dâobjets conçus spĂ©cialement pour le contexte funĂ©raire ? Certains modĂšles trĂšs ornementĂ©s ont des dĂ©cors sculptĂ©s jusque sur les poignĂ©es, ce qui aurait gĂȘnĂ© leur manipulation. Dâautres sont beaucoup plus simples et paraissent tout-Ă -fait fonctionnels12. Quoi quâil en soit, mĂȘme les moins fonctionnels sont assurĂ©ment inspirĂ©s de vraies rames, qui devaient servir non seulement Ă ramer mais aussi probablement Ă gouverner les embarcations Ă la maniĂšre dâavirons. Malheureusement, nous ne savons pas Ă bord de quel type dâembarcation elles Ă©taient utilisĂ©es. Les donnĂ©es archĂ©ologiques et ethno-historiques montrent quâau cours de la pĂ©riode Ica-Chincha, les embarcations en jonc sont prĂ©sentes sur toute la cĂŽte pĂ©ruvienne. Cependant, les pĂȘcheurs actuels qui les utilisent et les descriptions ethno-historiques montrent que câest plutĂŽt avec une canne fendue dans le sens de la longueur appelĂ©e canalete que lâon rame sur les embarcations en jonc13. Les rames en bois dâIca-Chincha sont plus proches de celles associĂ©es aux grandes embarcations Ă voile de la cĂŽte Ă©quatoriale dĂ©peintes dans les sources ethno-historiques fig. 2. Mais, Ă ce jour, aucune donnĂ©e archĂ©ologique ou ethno-historique ne dĂ©montre la prĂ©sence de grandes embarcations en bois et Ă voile dans la rĂ©gion dâIca-Chincha pour les pĂ©riodes prĂ©hispaniques. Peut-ĂȘtre faut-il y voir le signe de liens culturels et/ou socio-Ă©conomiques entre les peuples de la rĂ©gion de Chincha et ceux du littoral nord-andin, possiblement par voie maritime, comme lâavancent certains dâinformations archĂ©ologiques et ethno-historiques seraient nĂ©cessaires pour le confirmer. De nombreux autres objets archĂ©ologiques apportent des informations sur les techniques de pĂȘche et de navigation ancres, plombs de filet de pĂȘche, hameçons, pointes de harpon, etc. Certains chercheurs ont aussi identifiĂ© sur des sites archĂ©ologiques cĂŽtiers des objets ayant servi Ă la fabrication des embarcations. Les copunas en sont un exemple. Il sâagit de petits tubes en os servant Ă gonfler au souffle les flotteurs en peau dâotarie des embarcations nord-chiliennes fig. 3. Ce processus de fabrication est dĂ©crit dans plusieurs sources ethnohistoriques. Il existe quelques exemples archĂ©ologiques de copuna, dâailleurs souvent associĂ©s Ă des fragments de peau dâotarie, et gĂ©nĂ©ralement issus de tombes tardives vers 1000-1450 ap. de la cĂŽte nord du Chili15. Mais, parmi les restes de poissons de haute mer dâun amas coquillier trĂšs ancien de la cĂŽte chilienne le site dâAgua Dulce, datant dâenviron 5000 av. un tube en os semblable a Ă©tĂ© identifiĂ© comme une possible copuna. Cela suggĂšre donc que la pĂȘche Ă bord dâembarcations en peaux dâotarie gonflĂ©es Ă©tait dĂ©jĂ pratiquĂ©e Ă Agua Dulce vers 5000 av. Outre les objets et accessoires de navigation, certains contextes archĂ©ologiques apportent en eux-mĂȘmes des informations sur les pratiques de navigation prĂ©hispanique. Ainsi, la prĂ©sence en quantitĂ© significative de restes archĂ©ologiques sur les Ăźles, que ce soit le long de la cĂŽte Pacifique ou sur le lac Titicaca, implique lâemploi dâembarcations pour sây rendre et y transporter des biens et produits. Le long de la cĂŽte pĂ©ruvienne, par exemple, se trouvent de nombreuses petites Ăźles et Ăźlots rocheux attractifs pour leurs ressources haute biodiversitĂ© marine autour des Ăźles, colonies dâotaries et dâoiseaux marins trĂšs productifs en guano fertilisant produit par les excrĂ©ments dâoiseaux marins. Ces petites Ăźles ne sont pas habitĂ©es par les hommes de maniĂšre permanente Ă cause de lâabsence de sources dâeau potable, mais les donnĂ©es archĂ©ologiques montrent quâelles sont intensĂ©ment frĂ©quentĂ©es dans le cadre dâactivitĂ©s dâextraction de leurs ressources ainsi que pour des activitĂ©s funĂ©raires et des dĂ©pĂŽts dâoffrandes. La distribution des restes archĂ©ologiques sur les diffĂ©rentes Ăźles suggĂšre dâailleurs que de longs trajets maritimes pouvaient avoir lieu, puisque des objets archĂ©ologiques identifiĂ©s comme Ă©tant de styles Mochica et ChimĂș statuettes en bois auraient Ă©tĂ© trouvĂ©s sur les Ăźles Chincha, sur la cĂŽte sud du PĂ©rou. Ceci indiquerait une circulation et/ou des Ă©changes entre la cĂŽte nord et la cĂŽte sud du PĂ©rou dĂšs lâĂ©poque Mochica17. Enfin, le littoral, cette interface entre le milieu terrestre et le monde aquatique, est un contexte clĂ© pour lâĂ©tude de la navigation. LâarchĂ©ologie de la zone littorale peut permettre dâidentifier des restes de structures portuaires ou dâautres amĂ©nagements de rives associĂ©s Ă des activitĂ©s de navigation quais, embarcadĂšres, rampes dâaccĂšs, etc.. Les travaux de Christophe Delaere et son Ă©quipe de lâUniversitĂ© Libre de Bruxelles sur et autour des Ăźles du lac Titicaca ont ainsi permis de mettre au jour sur lâĂźle du Soleil un renforcement de rive servant probablement dâembarcadĂšre au cours de lâĂ©poque Tiahuanaco vers 800-1150 ap. Il y a encore peu de fouilles de ce type de contexte dans le monde andin. De plus, les sites littoraux sont particuliĂšrement sujets Ă lâĂ©rosion Ă cause de lâaction de lâeau et des activitĂ©s humaines. LâarchĂ©ologie littorale ouvre tout de mĂȘme des perspectives trĂšs intĂ©ressantes pour la recherche sur la navigation prĂ©hispanique. II. Les apports dâune approche multidisciplinaire Outre les diffĂ©rentes approches archĂ©ologiques prĂ©sentĂ©es prĂ©cĂ©demment, lâĂ©tude de la navigation gagne Ă avoir recours Ă lâapport dâautres sciences ou spĂ©cialitĂ©s appliquĂ©es Ă lâarchĂ©ologie. Par exemple, les sciences environnementales et le dĂ©veloppement de la gĂ©oarchĂ©ologie apportent des donnĂ©es intĂ©ressantes, car lâĂ©tude de la navigation est indissociable de celle des milieux environnementaux dans lesquels elle est pratiquĂ©e. Pour Ă©tudier la navigation, il convient de connaĂźtre non seulement les milieux aquatiques maritimes, lacustres et fluviaux mais aussi le milieu terrestre, qui fournit les matiĂšres premiĂšres permettant de construire les embarcations, comme le bois de balsa, dans les forĂȘts tropicales des cĂŽtes Ă©quatorienne et de lâextrĂȘme nord du PĂ©rou, ou les diffĂ©rentes espĂšces de jonc, ou totora, tout au long des cĂŽtes pĂ©ruvienne et chilienne et sur les rives du lac Titicaca. Concernant les milieux aquatiques sur lesquels on navigue, les principaux facteurs qui permettent ou non la navigation sont les vents et les courants marins. La rĂ©gion andine du Pacifique fig. 1 est dominĂ©e par le systĂšme du courant froid de Humboldt caractĂ©risĂ© par des vents et courants dominants du sud vers le nord. Leur influence diminue Ă certaines saisons, mais globalement ils rendent beaucoup plus difficile la navigation du nord vers le sud quâen sens inverse. Plus au nord, Ă partir de la rĂ©gion de Tumbes, agit un systĂšme complexe de courants et de contre-courants chauds, avec leurs implications propres pour la navigation19. Ces milieux ont Ă©voluĂ© au cours du temps. Si la configuration environnementale du littoral andin est restĂ©e Ă peu prĂšs stable des Ă©poques prĂ©hispaniques Ă aujourdâhui, il faut tout de mĂȘme mentionner un changement important qui survient Ă la pĂ©riode de transition entre le PlĂ©istocĂšne et lâHolocĂšne. Cette pĂ©riode est marquĂ©e par un rĂ©chauffement climatique gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă lâorigine de la dĂ©glaciation, qui provoque Ă son tour une augmentation du niveau de la mer Ă partir dâenviron 8000 av. qui atteint sa position actuelle vers 4000 av. Dans les zones oĂč le plateau continental est large et en pente douce â ce qui est le cas pour une bonne partie de la cĂŽte pĂ©ruvienne, cette augmentation du niveau de la mer a fait reculer la ligne de cĂŽte de plusieurs mĂštres voire kilomĂštres, submergeant les sites archĂ©ologiques les plus anciens qui Ă©taient situĂ©s dans la proximitĂ© immĂ©diate de la mer. La non-prise en compte de ce phĂ©nomĂšne a causĂ© dâimportants biais dans lâĂ©tude archĂ©ologique des occupations les plus anciennes et menĂ© plusieurs chercheurs Ă envisager lâabsence de populations vivant dans la proximitĂ© immĂ©diate de la mer et exploitant ses ressources dans la rĂ©gion andine avant environ 4000 av. Depuis, de nombreuses recherches, notamment dans les zones oĂč le plateau continental est plus Ă©troit et abrupt et donc oĂč lignes de cĂŽte ont Ă©tĂ© prĂ©servĂ©es extrĂȘme nord et extrĂȘme sud du littoral andin, ont montrĂ© quâil y a bien des occupations cĂŽtiĂšres dĂšs 11 000 av. dont les populations sâadonnent dâailleurs principalement Ă lâexploitation des ressources marines20. Les donnĂ©es les plus anciennes suggĂ©rant lâemploi de la navigation remontent quant Ă elles Ă environ 5000 av. sur la cĂŽte nord du Chili21. Câest cette mĂȘme prise de conscience de la variabilitĂ© des lignes de cĂŽte qui a poussĂ© lâĂ©quipe de Christophe Delaere Ă mener des fouilles subaquatiques dans le lac Titicaca. Sâappuyant sur des donnĂ©es gĂ©oarchĂ©ologiques, les chercheurs se sont rendu compte que le lac avait connu une importante augmentation du niveau de lâeau vers la fin de lâĂ©poque Tiahuanaco aprĂšs 1150 ap. Les rives dâĂ©poque Tiahuanaco sont donc aujourdâhui submergĂ©es. GrĂące Ă des fouilles subaquatiques menĂ©es autour de lâĂle du Soleil, les archĂ©ologues ont retrouvĂ© les rives dâĂ©poque Tiahuanaco. Les restes archĂ©ologiques qui y ont Ă©tĂ© mis au jour tĂ©moignent dâintenses circulations sur le lac au cours de la pĂ©riode Tiahuanaco, dans le cadre dâactivitĂ©s principalement Ă©conomiques, liĂ©es Ă lâexploitation des ressources du lac22. Malheureusement, les chercheurs nâont pas encore dĂ©couvert de donnĂ©es archĂ©ologiques indiquant quelles techniques de navigation Ă©taient alors employĂ©es, mais il est probable quâil sâagissait dĂ©jĂ dâembarcations en totora, comme celles encore utilisĂ©es sur le lac aujourdâhui. Ce type de recherche montre lâintĂ©rĂȘt de lâarchĂ©ologie subaquatique pour lâĂ©tude de la navigation prĂ©hispanique. Certes, il semble illusoire dâespĂ©rer retrouver une Ă©pave prĂ©hispanique, Ă©tant donnĂ©e la nature pĂ©rissable des embarcations dâalors. En revanche, elle pourrait permettre de documenter des amĂ©nagements de rive et occupations cĂŽtiĂšres submergĂ©s ou encore des biens tombĂ©s Ă lâeau en cours de navigation ou de dĂ©chargement de produits Ă terre ancres, instruments de navigation, Ă©lĂ©ments de cargaison, etc.. Le dĂ©veloppement de lâarchĂ©ologie subaquatique dans la rĂ©gion andine est encore actuellement Ă ses dĂ©buts, mais il y a un intĂ©rĂȘt croissant pour cette mĂ©thode. Nous pouvons ainsi mentionner les fouilles subaquatiques du lac Titicaca dĂ©jĂ Ă©voquĂ©es ou encore le projet rĂ©cent de recherches subaquatiques autour des Ăźles de Pachacamac cĂŽte centrale du PĂ©rou, dirigĂ©e par RocĂo Villar archĂ©ologue travaillant pour le MusĂ©e Pachacamac et le MinistĂšre de la Culture du PĂ©rou23. Enfin, lâarchĂ©o-ichtyologie apporte elle aussi des donnĂ©es cruciales pour lâĂ©tude de la navigation prĂ©hispanique, en particulier dans les contextes les plus anciens pour lesquels on ne connaĂźt pas de reprĂ©sentation iconographique dâembarcation. Cette branche de lâarchĂ©o-zoologie consiste Ă Ă©tudier les restes de poissons trouvĂ©s sur les sites archĂ©ologiques, principalement dans des contextes domestiques oĂč sont mis au jour des dĂ©chets alimentaires issus de lâexploitation et la consommation de ressources marines. Parmi ces restes, certaines parties anatomiques des poissons, notamment les dents, les vertĂšbres ou encore les otolithes â petites concrĂ©tions calcaires situĂ©es dans les organes auditifs des poissons â permettent dâidentifier les espĂšces pĂȘchĂ©es et la taille moyenne des individus. La connaissance du comportement et de lâhabitat de ces espĂšces donne des indices sur les techniques de pĂȘche employĂ©es. Certains poissons ne peuvent a priori ĂȘtre capturĂ©s quâĂ lâaide dâembarcations, comme les poissons vivant en pleine mer dits poissons pĂ©lagiques ou les gros poissons dangereux pour lâhomme tels que les grands requins. Lorsquâils sont prĂ©sents en quantitĂ© significative et tout au long de la stratigraphie dâun site, les restes de poissons pĂ©lagiques ou de grands requins suggĂšrent donc lâemploi de techniques de navigation ayant permis leur capture et non lâappropriation opportuniste dâindividus Ă©chouĂ©s ou Ă©garĂ©s prĂšs des cĂŽtes, ce qui est un Ă©vĂ©nement statistiquement assez rare24. Câest lâidentification de ce type de bio-indicateur » de navigation qui a permis Ă une Ă©quipe chilienne de documenter lâemploi dâembarcations sur la cĂŽte nord du Chili dĂšs 5000 av. Sur le site dâAgua Dulce, les chercheurs ont en effet constatĂ© de la prĂ©sence rĂ©currente de dents et vertĂšbres de diffĂ©rents poissons pĂ©lagiques espadon, marlins et certaines espĂšces de requin. Câest Ă ce jour la preuve la plus ancienne de lâemploi de la navigation dans le monde andin25. Sur la cĂŽte pĂ©ruvienne, les preuves sont plus tardives. Les recherches de Gabriel Prieto Ă Gramalote cĂŽte nord du PĂ©rou suggĂšrent quâelles remontent Ă environ 1500-1200 av. Mais cela est peut-ĂȘtre liĂ© Ă la submersion HolocĂšne des sites cĂŽtiers prĂ©-4000 av. mentionnĂ©es prĂ©cĂ©demment, qui fait que de nombreuses donnĂ©es sont manquantes pour les occupations cĂŽtiĂšres les plus anciennes. Conclusion La nĂ©cessitĂ© dâune approche multiple. Ce panorama des enjeux et mĂ©thodes possibles pour lâĂ©tude de la navigation prĂ©hispanique montre bien la nĂ©cessitĂ© de recourir Ă une approche multiple, que ce soit en termes thĂ©matiques, mĂ©thodologiques, ou en termes dâĂ©chelles. La navigation renvoie en effet Ă une diversitĂ© de pratiques ayant des implications Ă la fois techniques matiĂšres premiĂšres, techniques de fabrication, savoir-faire nautiques, possibilitĂ©s environnementales, etc. et socio-Ă©conomiques exploitation des ressources aquatiques, Ă©changes et contacts maritimes, voire parfois symboliques â comme en tĂ©moignent les diffĂ©rents dĂ©pĂŽts funĂ©raires mentionnĂ©s dans ce travail. Il sâagit donc dâĂ©tudier non seulement la navigation en tant que telle mais surtout ses apports et son rĂŽle dans le dĂ©veloppement et le fonctionnement des sociĂ©tĂ©s prĂ©hispaniques. Pour apporter le plus dâinformations possibles sur cet ensemble complexe de problĂ©matiques, il est nĂ©cessaire de recourir Ă une archĂ©ologie Ă la fois terrestre, littorale et maritime, et de croiser les diffĂ©rents types de sources et de donnĂ©es. La diversification des mĂ©thodes archĂ©ologiques produite par lâapport dâautres disciplines scientifiques gĂ©oarchĂ©ologie, archĂ©ologie subaquatique, archĂ©o-zoologie offre alors des ressources prĂ©cieuses. Enfin, pour cette Ă©tude transversale, il convient de faire une archĂ©ologie Ă plusieurs Ă©chelles. Il sâagit en effet de documenter dâabord les pratiques de navigation locales, pour pouvoir ensuite identifier des dynamiques rĂ©gionales, puis plus globales Ă lâĂ©chelle du monde andin, voire de lâAmĂ©rique prĂ©hispanique en gĂ©nĂ©ral pratiques communes de navigation, routes maritimes, etc.. Seule cette dĂ©marche mĂ©thodique et Ă©chelonnĂ©e permettra dâĂ©valuer les thĂ©ories qui traversent le monde acadĂ©mique sur lâexistence de rĂ©seaux dâĂ©changes et de contacts maritimes lointains dĂšs les Ă©poques prĂ©hispaniques. Bibliographie ACOSTA, 1894 [1590] ACOSTA JosĂ© de, Historia natural y moral de las Indias, Tome 1, Madrid Imprimeur RamĂłn AnglĂ©s, 1894 [1590]. 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Fig. 1 Carte de la rĂ©gion andine avec les courants marins et les principaux milieux naturels. Foussard, 2021. Fig. 2 ReprĂ©sentation dâembarcations de la rĂ©gion de Portoviejo cĂŽte Ă©quatorienne. Benzoni, 1572 folio 164. Fig. 3 Embarcation en peau dâotarie de la cĂŽte chilienne. FrĂ©zier, 1982 [vers 1720] Planche XVI, p. 115. Source de lâimage document numĂ©risĂ© relevant du domaine public. Fig. 4 CĂ©ramique Mochica cĂŽte nord du PĂ©rou, dĂ©but de n. siĂšcle reprĂ©sentant un pĂȘcheur sur son embarcation en totora. MusĂ©e Larco â Lima, PĂ©rou Catalogue en ligne du MusĂ©e Larco Fig. 5 CĂ©ramique Lima-NieverĂa cĂŽte centrale du PĂ©rou, vers 600-1100 ap. reprĂ©sentant des personnages sur des embarcations en totora, conservĂ©e au MusĂ©e Larco â Lima, PĂ©rou. Foussard, 2018. RADEMAKER et al., 2013, p. 34-45 lâarticle prĂ©sente les rĂ©sultats dâune base de donnĂ©es rassemblant toutes les datations au carbone 14 connues pour les sites archĂ©ologiques pĂ©ruviens datant du PleistocĂšne Final Ă lâHolocĂšne Moyen. La base de donnĂ©es prend en compte les datations issues de publications scientifiques et pour lesquelles sont documentĂ©s le matĂ©riau et la provenance des Ă©chantillons datĂ©s, les mĂ©thodes de datation et de calibration employĂ©es et le laboratoire de datation. Nous ne pouvons restituer lâensemble de ces informations ici mais renvoyons Ă la rĂ©fĂ©rence bibliographique. Certes, les connaissances ont dĂ» Ă©voluer depuis 2013, mais ce travail donne tout de mĂȘme une vision dâensemble qui nous semble encore pertinente sur les donnĂ©es archĂ©ologiques les plus anciennes au PĂ©rou. [â©] BURGER, 1992, p. 11-57 ; LAVALLEÌE, 1994, p. 271-273 ; MOSELEY, 1975 ; SANDWEISS, 2008, p. 145-156. [â©] BUSE DE LA GUERRA, 1977 ; EDWARDS, 1965. [â©] PRIETO, 2013, p. 39-54 ; SANDWEISS, 2008, p. 145-156. [â©] Formule de lâauteur. [â©] BENZONI, 1572, p. 164-165 ; JUAN & ULLOA, 1748, p. 261-266. [â©] ACOSTA, 1894 [1590], p. 235-236 ; ORBIGNY, 1839-1843, p. 396. [â©] FREÌZIER, 1982 [eÌcrit vers 1720], p. 114-116 ; VIVAR, 1966 [1558], p. 10-12. [â©] PRIETO, 2016, p. 141-188 ; VILCA APAZA, 2019, p. 960-973. [â©] PRIETO, 2016, p. 172-181 dans les pages indiquĂ©es sont prĂ©sentĂ©es plusieurs piĂšces en cĂ©ramique appartenant aux cultures mentionnĂ©es dans ce travail, y compris la piĂšce datant de lâHorizon Cupisnique-ChavĂn dĂ©crite dans le paragraphe prĂ©cĂ©dent. [â©] NĂĂEZ ATENCIO, 1986, p. 11-35 ; ORTIZ SOTELO, 2003, p. 123-135. [â©] BUSE DE LA GUERRA, 1977, Volume 2, p. 125-477 ; HEYERDAHL,1952, p. 550-553. [â©] GARCILASO DE LA VEGA, 1918 [1609], p. 206 ; PRIETO, 2016, p. 165. [â©] BARRAZA LESCANO, 2017, p. 416-443 ; ROSTWOROWSKI, 1970, p. 135-178. [â©] NĂĂEZ ATENCIO, 1986, p. 11-35. [â©] OLGUĂN et al., 2014, p. 177-192. 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Peut-ĂȘtre que les critĂšres de qualitĂ© varient dâune Ă©poque Ă une autre mais pour une mĂȘme Ăšre temporelle est-ce que les critĂšres de qualitĂ©s de la laine sont perçus de la mĂȘme maniĂšre sur des aires gĂ©ographiques diffĂ©rentes ? Pour rĂ©pondre Ă notre sujet, nous avons choisi deux sites archĂ©ologiques un provenant du parc Lyon-Saint-Georges en France et le second de Gol Mod en Mongolie. Le premier site correspond Ă la dĂ©couverte dâĂ©paves contenant de nombreuses fibres de laine. Le second est une nĂ©cropole princiĂšre contenant, dans les chambres funĂ©raires, des Ă©chantillons de textiles. LĂ aussi, plusieurs fibres de laine ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© identifiĂ©es. Ces deux sites datent de la mĂȘme pĂ©riode, Ier-IIIe siĂšcle de notre Ăšre et se trouvent tout de deux de part et dâautres de la route de la Soie. Si le deuxiĂšme site comprend probablement des laines de bonne qualitĂ© puisque jugĂ©es dignes dâĂȘtre enterrĂ©es avec le dĂ©funt, le premier site comprend des laines dâusage courant puisquâil sâagit de bateaux de commerce dont des morceaux de textiles ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour Ă©viter Ă ceux-ci de couler. Aussi existe-t-il des aspects communs Ă lâutilisation de cette matiĂšre en Europe et en Asie centrale entre le Ier et le IIIe siĂšcle de notre Ăšre ? Introduction LâHistoire des textiles est dâabord lâhistoire dâun matĂ©riau. On peut aussi lire en lui lâhistoire du monde, des civilisations, du commerce, des accords et des Ă©changes. Le mot textile vient du latin texere signifiant tisser », tresser », ou construire »1 . Pour quâun textile existe, il faut de quoi le construire et câest lĂ que les fibres entrent en jeu. Un textile nâexiste pas sans des fibres. Ce sont des Ă©lĂ©ments dâaspect filamenteux susceptible dâĂȘtre tissĂ© ou filĂ© qui vont former le textile Ă proprement parler. Les fibres deviennent parfois un sujet de convoitise, participant de cette maniĂšre Ă la grandeur dâune civilisation. Dans la pĂ©riode antique, le lin est associĂ© Ă lâĂgypte, au Proche et Moyen-Orient ; le coton Ă lâInde ; la soie Ă la Chine et la laine aux peuples pastoraux de lâAsie centrale Ă lâEurope2 .Ce schĂ©ma reste une vision gĂ©nĂ©rale et il ne faut pas estimer quâil fut vrai pour toute la pĂ©riode antique. Il peut y avoir des variantes qui dĂ©pendent dâun moment et dâune aire gĂ©ographiques Ă une autre. Les fibres sont facilement transportables et peuvent ĂȘtre Ă©changĂ©es sur des distances longues autant que courtes. Câest ainsi que des peuples vivant sous des climats tout Ă fait opposĂ©s Ă celui sous lesquels les fibres peuvent grandir, sont suceptibles de les dĂ©couvrir. Parce quâelles sont rares et/ou parce quâelles ont une qualitĂ© particuliĂšre, elles sont prĂ©cieusement gardĂ©es ou au contraire sont exportĂ©es sous forme de produits bruts ou de produits finis. Et câest de cette maniĂšre que certaines cultures vont acquĂ©rir une renommĂ©e marchande en lien avec cette fibre. Lâune des fibres qui nous intĂ©resse tout particuliĂšrement est la laine. DâaprĂšs les dĂ©couvertes archĂ©ologiques, on sait que cette fibre est beaucoup apprĂ©ciĂ©e en Europe et en Asie centrale, ce qui est une trĂšs large limite gĂ©ographique. Donc plusieurs interrogations dĂ©coulent de cette observation. Existe-t-il une seule qualitĂ© de laine pour plusieurs tissus ou diffĂ©rentes qualitĂ©s pour plusieurs types de tissu ? Peut-ĂȘtre que les critĂšres de qualitĂ© varient dâune Ă©poque Ă une autre, mais pour une mĂȘme Ăšre temporelle est-ce que les critĂšres de qualitĂ©s de la laine sont perçus de la mĂȘme maniĂšre sur des aires gĂ©ographiques diffĂ©rentes ? Pour tenter de rĂ©pondre Ă ces questions, on choisit deux sites archĂ©ologiques de rĂ©gions diffĂ©rentes, mais contemporains, offrant un large Ă©chantillon de textiles en laine. Ensuite, nous comparons les fibres par ce qui permet gĂ©nĂ©ralement de dĂ©finir les qualitĂ©s de la laine afin dâobserver les ressemblances et les diffĂ©rences. Les deux sites archĂ©ologiques que nous avons choisis sont dâune part le parc Lyon-Saint-Georges en France et dâautre part Gol Mod en Mongolie. Le premier site correspond Ă la dĂ©couverte dâĂ©paves contenant de nombreuses fibres de laine. Le second est une nĂ©cropole princiĂšre contenant dans les chambres funĂ©raires des Ă©chantillons de laine. Certes, ces deux sites sont gĂ©ographiquement opposĂ©s, mais datent tous deux de la mĂȘme pĂ©riode, Ier-IIIe siĂšcle de notre Ăšre. Ă travers les deux corpus contemporains de laines, peut-on dĂ©cocter lâexistence dâaspects communs Ă lâutilisation de cette matiĂšre en Europe et en Asie centrale entre le Ier et le IIIe siĂšcle de notre Ăšre ? I. De la laine au fil Sont appelĂ©s laine les poils Ă©pais, doux et frisĂ©s des animaux Ă toison aptes Ă ĂȘtre filĂ©s. La toison est lâensemble des poils sĂ©crĂ©tĂ©s par le bulbe pileux de la peau dâun animal. Câest donc une fibre dâorigine animale. GrĂące aux dĂ©couvertes archĂ©ologiques, il est attestĂ© que de nombreuses espĂšces domestiquĂ©es et non domestiquĂ©es ont servi Ă la fabrication de fibres animales en Europe protohistorique chameau, la vache, cheval, la chĂšvre et le mouton par exemple. La laine possĂšde de nombreuses qualitĂ©s elle protĂšge du froid, de lâhumiditĂ© et est Ă©lastique et solide. La domestication du mouton et plus largement des ovicaprinĂ©s remonte au nĂ©olithique. La domestication des animaux reprĂ©sente un intĂ©rĂȘt multiple puisquâelle produit viande, cuir, lait et toison. Avec le lin, la laine fournit la majoritĂ© de la production des fibres textiles de lâEurope jusquâen Haute Asie pendant de nombreux siĂšcles3 . La toison dâun animal dĂ©veloppe des poils hĂ©tĂ©rogĂšnes selon la partie du corps. En fonction des poils sĂ©lectionnĂ©s, les qualitĂ©s de laine varient et certaines peuvent mĂȘme valoir des prix dâor. Le mouton est un bon exemple pour expliquer ces diffĂ©rences de qualitĂ©. Sa toison se compose dâune double robe une composĂ©e de poils courts, fins et ondulĂ©s la laine et le crin et une autre de poils durs et grossiers les jarres. Les laines au niveau de la gorge, du dessous du ventre et des autres endroits susceptibles dâavoir des crottes attachĂ©es sont appelĂ©es crotons » ou crotins ». Elles sont gĂ©nĂ©ralement mises au rebut ou rĂ©servĂ©es au tissage dâĂ©toffes plus grossiĂšres. Celles du niveau de la queue et des cuisses sont aussi considĂ©rĂ©es comme de mauvaises qualitĂ©s. Ă lâinverse, les meilleures laines, appelĂ©es mĂšre-laine », sont sur le dos du mouton, au niveau du cou et sur les Ă©paules4. Les mammifĂšres Ă poils et les moutons en particulier, dĂ©veloppent leur toison en fonction de lâenvironnement dans lequel ils Ă©voluent. Ainsi dans les pays au climat humide, la toison des moutons est constituĂ©e de longues mĂšches lisses afin que lâeau ruisselle. A lâinverse dans les pays au climat plus chaud, leur toison est plus dense et les fibres de laine sont trĂšs serrĂ©es. Mais le climat nâest pas un des seuls critĂšres de modifications des toisons, lâaction de lâhomme y est aussi pour beaucoup, car celui-ci a cherchĂ© au cours du temps Ă obtenir des toisons uniformes, faciles Ă utiliser pour la fabrication de textile et efficaces contre le chaud et le froid5. Un chercheur, Micael Ryder a, depuis les annĂ©es 1950, tentĂ© de dresser un schĂ©ma de lâĂ©volution des espĂšces de moutons dans lâAntiquitĂ©. Il a utilisĂ© diffĂ©rentes sources les vestiges archĂ©ologiques sont les plus nombreux, mais il existe aussi des reprĂ©sentations de mouton dans lâAntiquitĂ© et quelques races primitives existent encore soit parce quâelles ont fui la captivitĂ© pour rester sauvages soit parce quâelles sont Ă©levĂ©es dans des rĂ©gions isolĂ©es6. LâespĂšce actuelle la plus proche de celle de la pĂ©riode nĂ©olithique est le mouflon sauvage qui survit encore en Corse et en Sardaigne. Ă cette pĂ©riode des premiĂšres sĂ©lections, la fourrure des moutons Ă©tait de couleur marron foncĂ© et Ă©tait constituĂ©e Ă lâextĂ©rieur de jarres grossiers qui tombaient chaque annĂ©e et une sous toison fine et laineuse que le mouton perdait Ă©galement. Ces moutons sont appelĂ©s moutons primitifs ils ne dĂ©veloppent pas encore de laine et leur toison est appelĂ©e toison crineuse. Si au NĂ©olithique final, les fibres vĂ©gĂ©tales restent la premiĂšre matiĂšre textile utilisĂ©e dans certaines rĂ©gions du nord de lâEurope, lâĂ©levage du mouton sâest accru. Câest ainsi quâĂ force de sĂ©lection, les jarres externes sâaffinent et perdent de leur rudesse. Ă lâinverse, le duvet sâĂ©paissit et devient plus laineux surement en raison dâune rĂ©action biologique concomitante. Deux types de moutons primitifs apparaissent au dĂ©but de lâĂąge du Bronze un au Moyen-Orient vers 3000 av. et un autre dans les pays du nord de lâEurope, vers 1600-1500 av. Leur toison est nommĂ©e moyennement crineuse. Un autre type de toison apparaĂźt Ă©galement, dĂ» Ă une rĂ©duction supplĂ©mentaire du diamĂštre des jarres, la toison de finesse moyenne. La laine est en effet moyennement fine et se confond avec le duvet. Il existe encore un type de mouton semblable Ă ceux de lâĂąge du Bronze, apportĂ© par les premiers occupants des Ăźles de Saint-Kilda le mouton de Soay. Celui-ci est le descendant direct des espĂšces sauvages apportĂ©es sur lâĂźle par les occupants dâoĂč leur squelette est trĂšs proche comparativement. Les diamĂštres de leurs fibres correspondent Ă la fois aux toisons moyennement crineuses et aux toisons de finesse moyenne de lâĂąge du Bronze. Au premier Ăąge du Fer, la laine se diffuse largement, en Europe notamment. Les deux types de toisons vues prĂ©cĂ©demment existent toujours, mais deux changements apparaissent. La palette de couleurs sâĂ©largit vers le marron, le noir et le blanc. Par ailleurs, certaines races de moutons ont cessĂ© de muer. Lâintroduction des forces ciseaux de tonte peut ĂȘtre une explication Ă ces phĂ©nomĂšnes. A la fin de lâĂąge du Fer, lâĂ©levage sĂ©lectionnĂ© afin dâobtenir une croissance continue du pelage entraine une nouvelle Ă©tape dans lâĂ©volution des moutons Ă toison moyennement crineuse. Chez certaines espĂšces de cette catĂ©gorie, les jarres grossiers sont devenus de vĂ©ritables poils. On parle alors de toison crineuse. Les derniĂšres transformations de la toison des moutons sont observables sous lâEmpire Romain. AprĂšs lâintroduction de nouvelles espĂšces, la toison de finesse moyenne Ă©volue en trois directions. Les fibres fines ont grossi et forment une toison de finesse moyenne. Les fibres moyennes des jarres sâaffinent encore et donnent une toison fine. Enfin, les diamĂštres extrĂȘmes des fibres de la toison de finesse moyenne ont convergĂ© pour donner la toison semi-fine. Câest Ă cette pĂ©riode que sâeffectuent les derniĂšres transformations des moutons. Le mĂ©rinos correspond Ă cette derniĂšre Ă©tape bien quâil soit apparu en Espagne au Moyen-Age. Il est aujourdâhui le premier producteur de laine au monde. Il porte une toison de laine uniformĂ©ment fine et blanche et ne mue pas. Les besoins textiles ont au cour du temps influĂ© sur lâobtention de diffĂ©rentes qualitĂ©s de toison des fibres fines et homogĂšnes, grossiĂšres, une laine forte⊠Les exigences ont Ă©voluĂ© en parallĂšle avec les moyens de perfectionnement technologiques influençant les toisons. Par cela, il faut entendre, par exemple, les techniques de rĂ©cupĂ©ration de la toison arrachage, tonte. Et aussi lâimportation dâun savoir-faire » pour amĂ©liorer les troupeaux dâorigine, ou lâimportation de troupeaux dâautres rĂ©gions, ou encore lâintroduction de reproducteurs qui sont croisĂ©s avec le cheptel indigĂšne7. II. Protocole expĂ©rimental Nous avons vu les espĂšces de moutons les plus prĂ©sentes dans lâAntiquitĂ©, il sâagit maintenant de les reconnaĂźtre. Lâobservation des fibres nâest pas toujours trĂšs simple et la facilitĂ© Ă les identifier dĂ©pend de lâĂ©tat de conservation de celles-ci. Plusieurs outils technologiques existent pour amoindrir cette difficultĂ©. Loupe binoculaire Pour une premiĂšre Ă©tude, la loupe binoculaire est idĂ©ale. Afin de nous rendre compte de lâĂ©tat de conservation des Ă©chantillons et pour Ă©tablir une premiĂšre identification, nous souhaitons les observer en vue longitudinale. Les Ă©chantillons sont dâabord examinĂ©s dans leur ensemble avant de prĂ©lever quelques fibres qui sont ensuite dĂ©posĂ©es dans un liquide dâimmersion baume du Canada ou de lâeau, entre une lame et une lamelle. Les lames prĂȘtes sont ensuite placĂ©es sous la loupe et observĂ©es sous un grossissement qui est en moyenne Ă 200 et Ă lâaide dâune lumiĂšre polarisĂ©e. Nous alternons notre observation en lumiĂšre rĂ©flĂ©chie fond clair pour dĂ©celer la forme de la fibre et en lumiĂšre diffusĂ©e fond noir pour mesurer le diamĂštre des fibres. Figure 1 Loupe binoculaire. Source photographie de Tara Chapron. Pour complĂ©ter cette premiĂšre approche, nous avons rĂ©alisĂ© des coupes transversales avec lâaide dâun microtome. La prĂ©paration scientifique est diffĂ©rente de celle vue prĂ©cĂ©demment. Le fil qui doit ĂȘtre Ă©tudiĂ©, est insĂ©rĂ© dans une gaine de TĂ©flon qui contient une solution translucide mĂ©langeant une rĂ©sine polyester, un catalyseur et un accĂ©lĂ©rateur de polymĂ©risation. Il faut attendre 24 heures Ă tempĂ©rature ambiante ou 30 minutes Ă lâintĂ©rieur dâune Ă©tuve portĂ©e Ă une tempĂ©rature de 60° C pour que le fil soit solidifiĂ©8. Cette Ă©tape une fois accomplie, la gaine est retirĂ©e et le fil est glissĂ© grĂące Ă une pince dans une gouttiĂšre porte-Ă©chantillon du fibrotome qui le maintient dans un axe alors que la lame de rasoir Ă©paisse et rigide coupe les fibres successivement. Les coupes sont finalement disposĂ©es sur une lame et maintenues Ă la lamelle par un liquide dâimmersion baume du Canada. Les coupes transversales de 15 Ă 20 ”m sont observĂ©es sous un grossissement de 500 Ă la loupe binoculaire et cette mĂ©thode nous permet de dĂ©cider plus prĂ©cisĂ©ment lâespĂšce de fibre et mĂȘme diffĂ©rencier les types de laines notamment par leur finesse. Figure 2 â Gaine de TĂ©flon et lame, Source photographie par Tara Chapron Figure 3 â Une rĂ©sine polyester, un catalyseur et un accĂ©lĂ©rateur de polymĂ©risation, Source photographie par Tara Chapron Figure 4 â Insertion de la fibre dans la gaine de tĂ©flon, Source photographie de Tara Chapron Figure 5 â Les fibres sont prĂȘtes Ă ĂȘtre solidifiĂ©es, Source photographie de Tara Chapron Figure 6 â Une flasque mobile tronconique assure le serrage, Source photographie de Tara Chapron Figure 7 â Les coupes sont dĂ©posĂ©es sur une lame et retenues par une lamelle grĂące Ă une goutte de baume de Canada, Source photographie de Tara Chapron Figure 8 â Observation des coupes au microscope, Source Photographie de Tara Chapron Le microscope Ă©lectronique Ă balayage La difficultĂ© de reconnaissance des fibres est parfois trop importante pour se contenter de la seule utilisation de la loupe binoculaire. Câest pourquoi nous avons utilisĂ© le microscope Ă©lectronique Ă balayage. Certes, il ne permet pas de voir la couleur des fibres, mais dejouer sur la nettetĂ© des vues longitudinales grĂące Ă une grande profondeur de champ et un grossissement beaucoup plus important que le microscope optique. Nous lâavons utilisĂ© pour faire des images Ă x12 000 notamment, mais il peut atteindre jusque x300 000. La prĂ©paration des fibres consiste Ă dâabord prĂ©lever un Ă©chantillon pas plus grand de 5 mm. Ensuite, il est dĂ©posĂ© sur un porte-objet plat recouvert dâun adhĂ©sif pour ĂȘtre sĂ»r que lâĂ©chantillon reste immobile pendant lâobservation. Pour rendre la surface conductrice, lâensemble est recouvert dâune fine couche dâor avant dâĂȘtre placĂ© dans lâappareil9. Le microscope numĂ©rique 3D Un autre appareil que nous avons utilisĂ© est lâHirox. Ce microscope Ă©lectronique 3D offre une grande profondeur de champ ce qui est idĂ©al pour lâobservation des fibres 50-800x. Sa tĂȘte rotative est composĂ©e de miroirs, ce qui permet de rĂ©aliser des vues en 3D et mĂȘme des captures vidĂ©o. Les captures sont de trĂšs bonnes qualitĂ©s 1200Ă1600 pixels, ce qui nâest pas non plus nĂ©gligeable. Cet outil nous a Ă©tĂ© de grande utilitĂ© Ă©galement pour les mesures des fibres. La prĂ©paration de ces derniĂšres est la mĂȘme que pour la loupe binoculaire10. Protocole dâidentification Les fibres animales soulĂšvent le mĂȘme problĂšme dâidentification que les fibres vĂ©gĂ©tales leurs ressemblances. Aussi nous avons cherchĂ© ce qui est propre aux fibres de laine de mouton les Ă©cailles des fibres dont la taille dĂ©passe les 0,5 ”m. Nous avons aussi mesurĂ© les diamĂštres afin de dĂ©finir la race11. III. Deux sites, deux aires gĂ©ographiques, une pĂ©riode Lâobjectif, nous le rappelons, nâest pas de dĂ©finir si les laines sont les mĂȘmes en Europe et en Asie centrale, mais si les critĂšres de qualitĂ© sont semblables dâune aire gĂ©ographique Ă une autre. III. A. Les textiles du Parc Saint-Georges Le premier corpus sur lequel nous avons travaillĂ©, provient du quartier Saint-George de la ville de Lyon en France. Le quartier se situe dans le Vieux-Lyon », surnom donnĂ© Ă lâassociation des quartiers Saint-Georges, Saint-Jean et Saint-Paul. Depuis 1965, ces anciens quartiers, qui devaient ĂȘtre dĂ©truits, font finalement lâobjet de restauration visant Ă faire revivre lâĂ©conomie et le commerce. Câest donc en construisant un parc de stationnement souterrain et un immeuble que plusieurs Ă©paves ont Ă©tĂ© dĂ©couvertes sur la rive droite de la SaĂŽne en bordure du quartier Saint-Georges et prĂšs de la cathĂ©drale Saint-Jean. Plus prĂ©cisĂ©ment, le site archĂ©ologique couvre une superficie totale de 3750 m2 et atteint une altitude de surface de 165,50 m avec Ă lâouest le plateau de FourviĂšre culminant Ă 300 m dâaltitude, et Ă lâest la berge12. Ces Ă©paves sont des chalands, câest-Ă -dire, des bateaux Ă fond plat, rĂ©servĂ©s aux transports de marchandises. Ces embarcations sont idĂ©ales pour lâacheminement des charges de plusieurs tonnes dans des eaux parfois peu profondes. Elles sont munies dâune voile et peuvent ĂȘtre dĂ©placĂ©es Ă la rame, par halage ou par simple dĂ©rive. Concernant la pĂ©riode antique, cinq embarcations ont Ă©tĂ© retrouvĂ©es sur la rive droite. La plus ancienne est lâĂ©pave n°8, puis les n°4, 3, 2 et 7. Leur prĂ©sence est liĂ©e aux anciens ports situĂ©s Ă proximitĂ© des Ă©paves. Notamment celui construit au dĂ©but du IIe siĂšcle, juste avant la confluence de lâancien lit de la riviĂšre et du nouveau qui correspond aussi au nord du site du parc Saint-Georges. En effet, Ă la fin du Ier siĂšcle au dĂ©but du IIe siĂšcle, le RhĂŽne se dĂ©place sur sa rive orientale libĂ©rant ainsi la SaĂŽne qui se crĂ©e un nouveau lit plus Ă lâest dans la plaine alluviale SaĂŽne nouvelle tout continuant Ă occuper son ancien tracĂ© au pied de la colline de FourviĂšre Ancienne SaĂŽne ou SaĂŽne primitive13. Câest ce milieu alluvial qui a permis la conservation des Ă©paves et des textiles retrouvĂ©s entre les planches de ces bateaux. Les textiles sont tous imprĂ©gnĂ©s de poix et trĂšs tassĂ©s en raison de leur emplacement, aussi la lecture des Ă©chantillons nâa pas toujours Ă©tĂ© trĂšs simple. Les textiles ont Ă©tĂ© placĂ©s au moment de lâassemblage, il sâagit donc de lutage et non de calfatage qui suggĂ©rerait que les textiles aient Ă©tĂ© placĂ©s aprĂšs lâassemblage. Les textiles utilisĂ©s pour ce genre de fonction sont souvent des textiles de rĂ©emploi qui ne sont pas assez usĂ©s pour ĂȘtre mis au rebut, mais trop abimĂ©s pour les rĂ©utiliser sur des vĂȘtements ou sur des tentures14. LâĂ©pave qui nous a particuliĂšrement intĂ©ressĂ©s est la n°4 puisquâelle est la plus complĂšte 4 m de largeur sur 18m de longueur. Celle-ci a plusieurs plaques de plomb et de nombreuses chevilles, ce qui indique quâelles ont subi quelques rĂ©parations ou consolidations15. Cela suppose donc quâelle a endurĂ© une longue pĂ©riode dâutilisation, les textiles peuvent ĂȘtre donc plus anciens que les bois de lâĂ©pave. Ces tissus sont non seulement intĂ©ressants pour la quantitĂ© conservĂ©e sur un mĂȘme site, parce quâils sont des tissus de rĂ©emploi non prĂ©vus pour le lutage et donc de contexte utilitaire, mais aussi parce quâils proviennent dâun lieu dâĂ©changes intensifs dont lâĂ©pave garde le souvenir. DĂšs la fin du Ier siĂšcle la Gaule est rĂ©organisĂ©e par CĂ©sar puis par Auguste pour entrer dans le cadre de lâEmpire Romain. De nouvelles provinces sont créées la Lyonnaise, lâAquitaine, la Gaule Belgique et la Narbonnaise. Lyon ou Lugdunum fondĂ©e en 43 av. est le centre de culte de Rome et dâAuguste et la capitale des Trois Gaules Lyonnaise, Aquitaine, Gaule belge. Lyon a une position gĂ©ographique stratĂ©gique qui en fait un centre commercial des plus actifs. Elle est depuis Agrippa, le point de dĂ©part de trois axes routiers principaux. Lâun se dirige vers le sud en longeant le RhĂŽne et rejoint la Via Domitia, un autre va vers le Rhin et le dernier continu jusquâĂ Saintes dans lâouest de la Gaule. Par ailleurs, elle est aussi situĂ©e Ă un croisement de plusieurs cours dâeau comme la SaĂŽne et le RhĂŽne. La Gaule a, en effet, cet avantage dâĂȘtre traversĂ©e par de nombreux axes maritimes et leurs dispositions servent dâaxes de circulation qui reviennent moins chers que les axes terrestres. Lyon sert donc Ă la fois de port fluvial pour les bateaux de haute mer remontant le RhĂŽne, et se trouvant au centre dâun nĆud routier et de routes maritimes, peut accueillir des marchandises de toutes parts dans ses entrepĂŽts. Dans lâAntiquitĂ©, lâactivitĂ© du commerce est plutĂŽt rĂ©servĂ©e Ă la ville. On y Ă©change des Ă©lĂ©ments dĂ©coratifs, du vin, de lâhuile, des cĂ©rĂ©ales, du bois, des minerais, des pierres, des matĂ©riaux de construction, des animaux, des esclaves et des produits La ville devait ĂȘtre une plateforme commerciale fort dynamique dans lâAntiquitĂ© ce qui explique, sans doute, la prĂ©sence de ces Ă©paves qui sâintĂšgrent toute dans une Ă©chelle chronologique large Ier siĂšcle au XVIe siĂšcle. Il ne faut donc pas estimer que, puisque ces textiles sont retrouvĂ©s sur ce site, ils sont nĂ©cessairement en provenance et conçus Ă Lyon. La lecture des textiles a parfois Ă©tĂ© difficile en raison de la poix qui recouvrait les Ă©chantillons. Les restaurateurs ont Ă©tĂ© contraints de se dĂ©barrasser de cette rĂ©sine afin de permettre la manipulation des Ă©chantillons et les fibres nâont pas toujours supportĂ© cette manipulation. Certaines Ă©cailles ont toutefois pu ĂȘtre conservĂ©es et permettre ainsi lâidentification des textiles en laine. Les fibres sont trĂšs hĂ©tĂ©rogĂšnes il nây a en effet pas de trace de coloration, mais les fibres sont parfois de toison pigmentĂ©e brune, chĂątain et surtout les diamĂštres sont trĂšs variĂ©s. Il nâest pas Ă©vident de dĂ©finir une fourchette de diamĂštres rĂ©currents. Une rĂ©gularitĂ© de diamĂštres autour de 20 Ă 40 ÎŒm est toutefois notable. Si les diamĂštres sont variĂ©s alors cela peut signifier que les laines proviennent de diffĂ©rentes toisons, peut-ĂȘtre mĂȘme dâespĂšces de rĂ©gions diffĂ©rentes. Si lâon compare les rĂ©sultats des diamĂštres au grafique de Ryder alors, les fibres peuvent provenir de toisons des deux derniĂšres gĂ©nĂ©rations. Figure 9 â Vue transversale de lâĂ©chantillon les fibres sont pigmentĂ©es, Source photographie de Tara Chapron Figure 10 â Vue transversale de lâĂ©chantillon les fibres ne sont pas pigmentĂ©es, Source photographie de Tara Chapron Figure 11 â Graphique des diamĂštres des fibres de laine des Ă©chantillons de lâĂ©pave 4 du parc Lyon-Saint-Geogres, Source Tara Chapron III-B. Les textiles de la nĂ©cropole de Gol Mod Le deuxiĂšme site de notre corpus se trouve en Mongolie et plus prĂ©cisĂ©ment Ă Gol Mod Ă quelques 400 km Ă vol dâoiseau Ă lâouest dâOulan-Bator, dans la province dâArkhangai et Ă 30 km au nord-ouest de Khai-khan. La dĂ©couverte de celui-ci dĂ©pend de la Mission ArchĂ©ologique Française en Mongolie fondĂ©e en 1993. Elle est la premiĂšre mission occidentale installĂ©e en Mongolie. Ă partir de 2000, la mission sâinstalle sur la nĂ©cropole aristocratique Xiongnu de Gol Mod n°1. Actuellement la nĂ©cropole sâĂ©tend sur environ 400 hectares, entre 1490 m et 1570 m dâaltitude, adossĂ©e au nord, Ă lâest et au sud Ă un massif culminant Ă 1800 m. Elle est limitĂ©e Ă lâouest par la vallĂ©e de la riviĂšre Khunian Gol. La vallĂ©e est composĂ©e de dunes dont les forĂȘts de mĂ©lĂšzes en amont attĂ©nuent les effets du vent. Câest probablement pour cette raison que ce site en Ă©tagement protĂ©gĂ© par la vĂ©gĂ©tation a plu aux constructeurs des tombes17. Le paysage de Gol Mod est constituĂ© de plusieurs tertres et, au sud de chacun, dâalignements trapĂ©zoĂŻdaux de pierres. La plus vaste de toutes les tombes est la T1, de 70 mĂštres de longueur. Elle date du dĂ©but de notre Ăšre, autrement dit, peu avant le dĂ©clin de la civilisation des Xiongnu. Câest en 2000 que les relevĂ©s de la superstructure de la tombe T1 sont pris, en 2001 la sĂ©pulture est fouillĂ©e et le 17 aoĂ»t la chambre funĂ©raire est atteinte. OrientĂ©e nord-sud, Ă 10 degrĂ©s est, la tombe 1 est au cĆur de la nĂ©cropole. La superstructure du monument 850 m2 est composĂ©e dâune terrasse trapĂ©zoĂŻdale et dâune allĂ©e funĂ©raire trapĂ©zoĂŻdale. Au centre de la terrasse, une dĂ©pression profonde de 4,2 m indique un effondrement de la chambre funĂ©raire. Cela nâest pas rare Ă Gol mod, tout comme dans les autres grandes nĂ©cropoles Xiongnu, quâĂ la suite de pillages les structures des chambres sâeffondrent. Toutefois, la profondeur est accentuĂ©e par le sondage au centre de la sĂ©pulture rĂ©alisĂ© par les prĂ©cĂ©dents archĂ©ologues18. Ă 17 mĂštres sous la terrasse se trouve la chambre funĂ©raire. Son accĂšs est protĂ©gĂ© probablement pour dĂ©courager les Ă©ventuels pilleurs et renforcer lâassise du monument. Effectivement, aprĂšs avoir creusĂ© 4 mĂštres dans le sol, les archĂ©ologues se sont retrouvĂ©s face Ă de gros blocs de pierres et de sable disposĂ©s en plusieurs couches successives formant une protection au caisson de la chambre situĂ©e en dessus. Cela nâa tout de fois pas suffi Ă protĂ©ger la tombe des voleurs puisquâun bois de Maral laissĂ© dans la tombe, a servi de pic pour ouvrir la chambre environ un siĂšcle et demi aprĂšs lâinhumation. Plusieurs objets ont Ă©tĂ© emportĂ©s par les pilleurs et le corps nâest plus dans la tombe. La chambre est de forme rectangulaire et se compose de deux coffres parallĂ©lĂ©pipĂ©diques emboĂźtĂ©s lâun dans lâautre couvrant une surface totale de 20 m. Les quelques textiles conservĂ©s dans la tombe ont Ă©tĂ© gardĂ©s grĂące Ă la profondeur de celle-ci qui les a protĂ©gĂ©s de la lumiĂšre et nâa pas laissĂ© lâair arriver jusquâĂ eux et donc empĂȘcher les bactĂ©ries et insectes de dĂ©composer les fibres19. La monumentalitĂ© de lâĂ©difice et le contenu de la tombe laissent penser quâelle devait contenir la dĂ©pouille dâun personnage de haut rang. Les premiers tests de radiocarbone indiquent que la tombe appartient Ă une pĂ©riode comprise entre 20 et 50 de notre Ăšre. Ătant donnĂ© la profondeur de la chambre et du char, la tombe peut appartenir Ă un des tout derniers shanyu dirigeant de lâempire Xiongnu. Des piĂšces mĂ©talliques de char et la prĂ©sence de trois aiguilles de mors appartenant probablement Ă deux chevaux sont des Ă©lĂ©ments reprĂ©sentatifs du pouvoir. Ils sont associĂ©es Ă des piĂšces dâimportations comme des turquoises venant de gisements dâAsie centrale et encore une alĂȘne en jade datant de la pĂ©riode des Royaumes Combattants 475-221, donc des jades de rĂ©emploi de crĂ©ations chinoises et adaptĂ©es ensuite par les orfĂšvres Xiongnu, prouvent le vaste rĂ©seau commercial mis en place par les Xiongnu. Mais ce qui nous intĂ©resse tout particuliĂšrement câest les centaines de fragments de tissus retrouvĂ©s dans la tombe. Il y a de la laine, de la soie, des gazes, des taffetas et des fourrures. Certains de ces morceaux de tissus tĂ©moignent dâĂ©ventuels Ă©changes avec la Chine20. Les Xiongnu sont majoritairement connus par les textes chinois, qui ne les dĂ©peignent pas de maniĂšre tout Ă fait objective. De la fin du IVe siĂšcle av. au milieu du IIe siĂšcle, ils sont constamment mentionnĂ©s dans les Annales historiques chinoises comme des incultes nuisant Ă la Chine. RĂ©putĂ©s Ă©galement comme peuple barbare par les Chinois, les Xiongnu sont des cavaliers semi-nomades, maĂźtres du Premier Empire des steppes depuis 220 av. environ, sâĂ©tendant de lâAltaĂŻ Ă la Mandchourie, de la TransbaĂŻkalie jusquâau-delĂ de la muraille de Chine. Leur appellation âXiongnuâ dĂ©signe Ă la fois leur empire ainsi que leur qualitĂ© de nomades pastoraux. Ce sont eux qui pour la premiĂšre fois ont unifiĂ© les peuples nomades septentrionaux de lâAsie centrale entre le IIIe siĂšcle av. et le Ier siĂšcle ap. La structure interne de lâEmpire Xiongnu est encore inconnue, mais par les diffĂ©rentes tombes dĂ©couvertes, il semble que les cultures non-Xiongnu ne seraient pas entiĂšrement remplacĂ©es par la culture Xiongnu. Il faut donc les voir davantage comme une entitĂ© non chinoise vivant au nord des Hans et unie Ă eux par une mĂȘme politique. Leurs rapports avec lâEmpire de la dynastie des Han 206 av. notre Ăšre â 220 ne cessent dâĂȘtre conflictuels. Ils Ă©tablissent tout de mĂȘme un traitĂ©, le traitĂ© Heqin, Ă lâĂ©poque des Royaumes Combattants 475-221av stipulant que la Chine doit chaque annĂ©e aux Xiongnus une certaine quantitĂ© de produits chinois denrĂ©es alimentaires et produits de luxe et dâotages. En contrepartie, les Xiongnus leur garantissent la paix Ă la frontiĂšre septentrionale de la Chine. Il nâest donc pas surprenant de trouver dans la tombe des objets dâinspiration ou dâimportation chinoise et peut-ĂȘtre mĂȘme que certains des Ă©chantillons de tissus retrouvĂ©s proviennent eux aussi de tissus dâimportation chinoise. Sâils sont de crĂ©ation Xiongnu, cela veut dire que les fibres que nous pouvons identifier peuvent ĂȘtre variĂ©es. Ă lâinverse, la steppe est un royaume de troupeaux. LĂ oĂč lâherbe est rase, il y a des moutons, des chĂšvres, des bovins, et lĂ oĂč lâherbe est haute se trouvent les chevaux et les chameaux. Toutefois, les textes chinois mentionnent quâils nâavaient pas de villes ou dâhabitats fixes donc ils ne pouvaient semer et ne pratiquaient que la chasse21. Peu de dĂ©couvertes textiles ont Ă©tĂ© faites concernant ce peuple aussi nous ne possĂ©dons pas beaucoup dâinformations concernant leurs ressources en matiĂšre de fibres. Câest pourquoi Gol Mod est dâun si grand intĂ©rĂȘt, car il peut probablement nous donner des pistes de rĂ©flexion sur les fibres quâils utilisaient et la valeur quâelles avaient pour eux. Ce corpus est diffĂ©rent de celui de Lyon, car les fibres sont beaucoup plus homogĂšnes. Les mesures rĂ©alisĂ©es pour le site de Gol Mod montrent que les fibres de laine ont Ă©tĂ© triĂ©es selon leur Ă©paisseur. En moyenne elles se concentrent entre 20 et 35 ÎŒm. Ainsi un critĂšre de qualitĂ© prĂ©cis a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© dĂ©fini lors du choix des fibres de laine. Les toisons sont toutefois de plusieurs espĂšces, possiblement de diffĂ©rentes rĂ©gions. On note toutefois une prĂ©fĂ©rence pour les toisons non pigmentĂ©es, ou du moins faiblement, des espĂšces de derniĂšre gĂ©nĂ©ration, câest-Ă -dire des espĂšces Ă toison uniforme. Figure 12 â Vue transversale de lâĂ©chantillon I, les fibres ne sont pas pigmentĂ©es, Source photographie de Tara Chapron Figure 12 â Vue transversale de lâĂ©chantillon 12, les fibres ne sont pas pigmentĂ©es, Source photographie de Tara Chapron Figure 14 â Graphique des diamĂštres des fibres de laine des Ă©chantillons de la tombe 1 du site Gol Mod, Source Tara Chapron Conclusion La laine est donc une fibre complexe, car elle peut avoir de multiples origines animales. Elle apporte aussi des qualitĂ©s diffĂ©rentes selon lâanimal ou la race choisie. AprĂšs avoir dĂ©taillĂ© les espĂšces de moutons de lâAntiquitĂ©, nous avons pu observer la diversitĂ© des toisons possibles. Et les observer plus concrĂštement sur notre corpus un contexte gallo-romain avec de nombreux Ă©chantillons dâusage quotidien et un site xiongnu, dont les Ă©chantillons rĂ©pondent Ă un usage plus noble. Nous pouvons interprĂ©ter les rĂ©sultats en terme de continuitĂ© et de rupture. ContinuitĂ©, car nous pouvons dĂ©jĂ affirmer que parmi les espĂšces choisies le mouton est la principale source animale dans les deux sites. Les choix de race de mouton sont tout aussi variĂ©s pour ces deux contextes de dĂ©couvertes. Les espĂšces qui ont cessĂ© de muer sont prĂ©fĂ©rĂ©es, il sâagit donc dâespĂšces de 2e et 3e gĂ©nĂ©ration. Rupture puisque sur un site quâil soit riche ou pauvre, en Europe ou en Haute Asie, le soin apportĂ© au choix des fibres nâest pas soumis Ă la mĂȘme exigence. Le site de Gol mod compte davantage des fibres de dimensions Ă©gales et marque une prĂ©fĂ©rence pour les fibres des toisons de derniĂšre gĂ©nĂ©ration donc de qualitĂ© uniforme. Tandis que le site de Lyon prĂ©sente des fibres de diamĂštres beaucoup plus variĂ©s, ce qui indique peut-ĂȘtre une sĂ©lection moins fine au dĂ©but du tri des poils et une plus large sĂ©lection de moutons. Au terme de cette analyse, il est donc fort probable quâil ait existĂ© des critĂšres de qualitĂ© diffĂšrent entre le 1er et le 3e siĂšcle de notre Ăšre non seulement selon les aires gĂ©ographiques, mais aussi selon le contexte noble ou pauvre. Il faudrait cependant approfondir cette Ă©tude pour dĂ©finir si cette diffĂ©rence de qualitĂ© a pu correspondre Ă une fonction prĂ©cise. Tara Chapron Bibliographie Ouvrages ANQUETIL J., 2001 ANQUETIL J., Les routes de la Laine, Paris Jean-Claude LattĂšs, 2001, p 11-394. BECK F. et CHEW H., 1989 BECK F. et CHEW H., Quand les Gaulois Ă©taient romains, Paris Gallimard, 1989, p 1-165. BRUN 2012 BRUN Techniques et Ă©conomie de la MĂ©diterranĂ©e antique, Paris CollĂšge de France/Fayard, 2012, p 1-88. 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Consultation en ligne {en ligne} electronique-balayage-7783/ dernieÌre consultation 7/09/2018 {en ligne} dernieÌre consultation 7/09/2018 Table des illustrations â Figure 1- Loupe binoculaire, Source photographie de Tara Chapron â Figure 2 â Gaine de TeÌflon et lame, Source photographie par Tara Chapron â Figure 3 â Une reÌsine polyester, un catalyseur et un acceÌleÌrateur de polymeÌrisation, Source photographie par Tara Chapron â Figure 4 â Insertion de la fibre dans la gaine de teÌflon, Source photographie de Tara Chapron â Figure 5 â Les fibres sont preÌtes aÌ eÌtre solidifieÌes, Source photographie de Tara Chapron â Figure 6 â Une flasque mobile tronconique assure le serrage, Source photographie de Tara Chapron. â Figure 7 â Les coupes sont deÌposeÌes sur une lame et retenues par une lamelle graÌce aÌ une goutte de baume de Canada, Source photographie de Tara Chapron. â Figure 8 â Observation des coupes au microscope, Source Photographie de Tara Chapron. â Figure 9 â Vue transversale de lâeÌchantillon les fibres sont pigmenteÌes, Source photographie de Tara Chapron. â Figure 10 â Vue transversale de lâeÌchantillon les fibres ne sont pas pigmenteÌes, Source photographie de Tara Chapron. â Figure 11 â Graphique des diameÌtres des fibres de laine des eÌchantillons de lâeÌpave 4 du parc Lyon-Saint-Geogres, Source Tara Chapron. â Figure 12 â Vue transversale de lâeÌchantillon I, les fibres ne sont pas pigmenteÌes, Source photographie de Tara Chapron. â Figure 13 â Vue transversale de lâeÌchantillon 12, les fibres ne sont pas pigmenteÌes, Source photographie de Tara Chapron. â Figure 14 â Graphique des diameÌtres des fibres de laine des eÌchantillons de la tombe 1 du site Gol Mod, Source Tara Chapron. 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RĂ©sumĂ© Il sâagit dâabord de mettre en lumiĂšre la spĂ©cificitĂ© du point de vue moderniste de Marden, puis dâaborder la singularitĂ© des traductions des poĂšmes de Du Fu par Kenneth Rexroth. On remarquera lâutilisation de la calligraphie et de la poĂ©sie chinoises dans certaines Ćuvres de Marden. Analyser le point de vue de la critique amĂ©ricaine moderniste sur lâart chinois traditionnel permet de montrer les aspects hĂ©tĂ©rogĂšnes de lâart de Marden qui sâopposent au discours puriste au sein du modernisme amĂ©ricain. Au fur et Ă mesure, on montrera comment la dĂ©marche de Brice Marden a pu reconstruire une expĂ©rience de vie qui dĂ©passe les limites culturelles et les catĂ©gories artistiques de son temps. Abstract I will first highlight the specificity of Mardenâs modernism and then discuss the uniqueness of Kenneth Rexrothâs translations of Du Fuâs poems. Note the use of Chinese calligraphy and poetry in some of Mardenâs work. By analysing the American modernist criticâs view of traditional Chinese art, the heterogeneous aspects of Mardenâs art that oppose the purist discourse within American modernism are shown. In the process, it will be shown how Brice Mardenâs approach was able to reconstruct a life experience that transcended the cultural boundaries and artistic categories of his time. Connu pour ses premiĂšres Ćuvres minimalistes, Brice Marden sâest inspirĂ© de la poĂ©sie et de la calligraphie chinoises, mĂ©tamorphosant les caractĂšres chinois en dessins de traits aux couleurs Sa premiĂšre sĂ©rie dâĆuvres chinoises », intitulĂ©e Etchings to Rexroth Eaux-fortes en rĂ©ponse Ă Rexroth, 1986, explore lâunivers poĂ©tique de Du Fu 712â770 ainsi que lâart calligraphique chinois Fig. 1, 2. Par la suite, il consacre plusieurs annĂ©es Ă la sĂ©rie Cold Mountain 1988-1991 Fig. 3, intĂ©grant de façon syncrĂ©tique poĂ©sie, calligraphie et peinture. Par lâentremise de la calligraphie et de la poĂ©sie chinoises, il sâest engagĂ© dans une rĂ©flexion sur la nature du modernisme qui devait durer une trentaine dâannĂ©es. Dans cet article, jâĂ©tudie le transfert sâopĂ©rant Ă deux niveaux au sein des Ćuvres chinoises â dâune langue Ă lâautre et de lâĂ©crit au langage pictural. La premiĂšre partie mettra en lumiĂšre la spĂ©cificitĂ© du point de vue moderniste de Marden tel que perçu Ă travers le thĂšme de la quotidiennetĂ© dans ses premiĂšres Ćuvres. Dans la deuxiĂšme section, la singularitĂ© des traductions des poĂšmes de Du Fu par Kenneth Rexroth sera abordĂ©e. En troisiĂšme lieu, je traiterai de lâutilisation, chez Marden, de la calligraphie et de la poĂ©sie chinoises, principalement au sein de Etchings to Rexroth, et du rapport interactif quâil Ă©tablit entre elles. Enfin, je mettrai en parallĂšle quelques traits particuliers de la critique moderniste de lâart chinois afin de montrer la relation dâintertextualitĂ© existant entre cette critique et lâart chinois, afin de cerner les aspects hĂ©tĂ©rogĂšnes de Marden contre le discours puriste au sein du modernisme. LâindubitabilitĂ© du plan pictural Les Ćuvres de Marden antĂ©rieures Ă 1985, dâun caractĂšre plat et solide, se distinguent par leur recherche dâune sensibilitĂ© littĂ©raire et spirituelle dans la quotidiennetĂ©. Les panneaux monochromes de Marden de la fin des annĂ©es 1960 aux annĂ©es 1970, dĂ©pourvus dâornement, donnent lâimpression de nâĂȘtre quâobjets, ce qui facilite le libre dĂ©ploiement de lâimaginaire du Jusquâau milieu des annĂ©es 1980, Marden affectionnait les plans aux couleurs sombres, et ses panneaux avaient souvent la taille dâun ĂȘtre humain. Ă ses peintures Ă lâhuile, il ajoutait de la cire dâabeille afin de rĂ©duire la luminositĂ© des couleurs, une technique hĂ©ritĂ©e de Johns et qui, Ă lâorigine, servait Ă accĂ©lĂ©rer la vitesse de sĂ©chage de la peinture Ă lâhuile, permettant de ce fait lâajout dâune nouvelle couche de peinture sans que la prĂ©cĂ©dente ne soit Ă partir du milieu des annĂ©es 1970, alors que Marden passe ses Ă©tĂ©s avec sa famille sur lâĂźle dâHydra, dans la mer ĂgĂ©e, il commence Ă sâinspirer de lâarchitecture et de la mythologie Dans The Grove Group I 1972-1973, Museum of Modern Art, New York, une toile gris-vert montĂ©e sur un cadre dâenviron sept centimĂštres de profondeur, lâĂ©paisse texture des couleurs Ă©voque la terre, la mer et le ciel de la MĂ©diterranĂ©e, ou lâamalgame de tons caractĂ©ristique dâune oliveraie situĂ©e sur une terre aride. Une impression dâĂ©paisseur est produite par les couches de fond apparaissant au bas de la peinture. Lâopinion de Marden selon laquelle lâart a pour objet non pas la sociologie ou la critique, mais bien la vie elle-mĂȘme, et quâil devrait donc emprunter ses formes Ă la nature, sâapparente Ă lâesthĂ©tique essentialiste de Harold Osborne, dont les thĂ©ories artistiques furent trĂšs influentes dans le domaine de lâĂ©ducation de lâart entre les annĂ©es 1950 et Osborne scinde lâart occidental en trois catĂ©gories â les arts utilitaire, naturaliste et formaliste â, et prĂ©sente les six principes de peinture dĂ©veloppĂ©s par Xie He c. 479-502. Selon lui, la recherche de lois structurelles de Mondrian se rapproche conceptuellement de la peinture Osborne adhĂšre aux thĂ©ories formalistes de Clive Bell et de Roger Fry, qui sâattachent aux principes formels de la peinture et Ă lâexpĂ©rience esthĂ©tique. Or, selon Fry, les arts chinois prĂȘtent particuliĂšrement attention Ă lâĂ©quilibre de la composition. Il identifie trois caractĂ©ristiques de lâart chinois la linĂ©aritĂ© du rythme, la continuitĂ© du rythme et la rotonditĂ© des Lâaccent que Fry met sur le caractĂšre primitif de lâart chinois sâinscrit dans la continuitĂ© de ses thĂ©ories artistiques symbolistes. RĂ©guliĂšrement, Marden joignait plusieurs panneaux de bois dans le but de reprĂ©senter des thĂšmes grecs, crĂ©ant des espaces architecturaux rĂ©els ou imaginaires grĂące aux transformations des tonalitĂ©s. Une de ses peintures en forme de montants et linteau post and lintel paintings ayant suscitĂ© beaucoup dâintĂ©rĂȘt, Thira 1979-1980, MusĂ©e national dâart moderne, Paris est composĂ©e de dix-huit panneaux de bois monochromes Ă©voquant le mythe grec de la victoire de ThĂ©sĂ©e sur le Minotaure de CrĂšte. Plusieurs aspects formels de cette Ćuvre proviennent du palais minoen de Cnossos et du style architectural dorique Fait intĂ©ressant, Thira est homonyme de thyra, qui signifie porte » en grec. Or, chaque panneau de bois colorĂ©, une fois joint aux autres, provoque une altĂ©ration de lâespace visuel au sein duquel lâintĂ©rieur et lâextĂ©rieur semblent interchangeables. Marden affirme que lâeffet produit par les couleurs et les espaces de Thira est une rĂ©action au dogme moderniste La peinture moderniste a trait Ă la façon dont les couleurs surgissent plus prĂšs de la surface et Ă la maniĂšre dont cette technique affecte lâobservateur ».9 Dans les Ćuvres grecques » de Marden, lâarchitecture et lâespace forment les deux thĂšmes Dans ses peintures en forme de montants et linteau, Marden arrive Ă crĂ©er, grĂące Ă des mĂ©langes de tons, un sentiment dâespace et de corporalitĂ© de la muraille stimulant lâimagination du spectateur, ce qui met en Ă©vidence le caractĂšre indubitable du plan pictural. La quotidiennetĂ©, lâexpĂ©rience visuelle, les allusions littĂ©raires, lâimaginaire, voire la quĂȘte spirituelle, sont des thĂšmes que Marden tente dâexpliciter dans les Ćuvres dĂ©crites plus haut. Marden lui-mĂȘme admet quâil ne sâest jamais rĂ©ellement intĂ©ressĂ© au purisme. Ainsi son image plane » peut-elle ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme une relation Ă plusieurs niveaux entre le plan et lâimage, incorporant Ă la fois temporalitĂ© et spatialitĂ©. Afin dâinsuffler de la vie Ă lâart pictural, il transcende les frontiĂšres spatio-temporelles et cherche une solution au sein des cultures asiatiques, entamant une exploration de lâunivers poĂ©tique et calligraphique chinois. La transposition empathique des poĂšmes classiques de la Chine Des premiĂšres Ćuvres chinoises » de Marden, inspirĂ©es de la poĂ©sie de Du Fu æç«710-770 et de Han Shan ćŻć±± 627-649, se dĂ©gage une sensibilitĂ© littĂ©raire Lâalbum Etchings to Rexroth comporte les traductions anglaises de trente-six poĂšmes de Du Fu, et vingt-cinq gravures Ă lâeau-forte. Chaque gravure, mesurant 49,5 par 41 centimĂštres, peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e une Ćuvre Ă part entiĂšre dâelle-mĂȘme. Fig. 1, 2.12 Les aspects figuratifs de ces gravures abstraites se rapprochent aux toiles de Jackson NĂ©anmoins, le rapport entre les gravures de cette sĂ©rie et les traductions des poĂšmes de Du Fu produisent un effet dâintertextualitĂ© aux degrĂ©s multiples. Rexroth, une des personnalitĂ©s phares de la renaissance littĂ©raire de San Francisco des annĂ©es 1950, est aussi considĂ©rĂ© comme lâun des pionniers de la beat generation. Ses Ćuvres Ă©voquent un amalgame entre les poĂ©sies de Du Fu, de D. H. Lawrence et de StĂ©phane Au dĂ©but des annĂ©es 1920, il participe activement au mouvement littĂ©raire dâavant-garde de Des annĂ©es 1920 aux annĂ©es 1930, il se lance activement dans les mouvements littĂ©raires et politiques de gauche de San Francisco, formant un groupe bohĂšme composĂ© dâartistes Ă travers ses traductions, Rexroth sâefforçait dâoffrir un abrĂ©gĂ© des classiques littĂ©raires provenant de langues diverses. Ă lâinstar dâEzra Pound, ce sont les haĂŻkus japonais qui lui ouvrent une porte dâentrĂ©e dans lâunivers poĂ©tique chinois, mais contrairement Ă Pound, Rexroth prĂ©fĂšre Du Fu et Li Qingzhao 1084-1156 Ă Li Po 701-762. Par lâentremise de Witter Bynner, Rexroth fit la connaissance dâun Ă©tudiant chinois de lâuniversitĂ© de Chicago qui lâassista dans ses projets de traduction pendant lâhiver de 1926. Les traductions de Rexroth nâavaient certes pas pour objectif de restituer fidĂšlement le style et le contenu du texte original, mais bien de transposer son essence, telle que ressentie par le traducteur, au sein du contexte de lâĂ©poque. Rexroth, pour qui les poĂšmes de Du Fu forment un modĂšle de vie et dâart, soutient que les Ćuvres poĂ©tiques de Du Fu sont Ă mĂȘme de rĂ©pondre Ă la question quel est la raison dâĂȘtre de lâart »?17 Les traductions vernaculaires de Rexroth transposent un langage chinois apparaissant aux premiers abords obscur en un anglais dĂ©pouillĂ©, accentue ainsi la vivacitĂ© de la langue chinoise plutĂŽt que lâornementation de sa forme. Afin dâopposer les valeurs dominantes de la sociĂ©tĂ© industrielle, les poĂštes san-franciscains du milieu des annĂ©es 1950 mettent plutĂŽt lâaccent sur le cĂŽtĂ© performatif de la poĂ©sie ainsi que sur la participation du public. La lecture de poĂ©sie en public, florissante dans le San Francisco du milieu des annĂ©es 1950, se veut un retour en direction dâune vision tribale de la poĂ©sie tentant de restituer la relation du poĂšte et de son audience dâavant lâavĂšnement de lâ Lors de ces rĂ©citations, les poĂštes utilisent diverses techniques de lecture, telles que lâemploi de la tonalitĂ© propre au prophĂšte, dâune rhĂ©torique intensifiĂ©e, dâun accompagnement musical ou dâune alternance entre pause et transition. Par comparaison, les lectures offertes par les poĂštes de la cĂŽte est sont trĂšs accomplies, mais leur style de rĂ©citation sâavĂšre gĂ©nĂ©ralement plus conservateur. Le concept de distanciation » Ă©laborĂ© par le courant du New Criticism avait jadis poussĂ© le poĂšte Ă sâexiler hors du poĂšme, alors quâĂ travers la performance, le poĂšte rĂ©apparaĂźt de façon concrĂšte au sein de Pour Rexroth, la traduction de poĂšmes chinois Ă©tait, dans le contexte de lâĂ©poque, une question de vie ou de mort. Il apprĂ©cie lâouvrage Science and Civilisation in China 1954, 1959 de Joseph Needham, selon qui la science chinoise aborde le naturel par empathie la nature y est perçue comme une non-intervention outrepassant le domaine des lois scientifiques, alors que lâunivers se veut un rĂ©seau de corrĂ©lation au sein duquel lâhomme et ses dĂ©sirs ne reprĂ©sentent quâun des nombreux Rexroth dĂ©plore que le systĂšme juridique de lâOccident moderne ne garantisse pas nĂ©cessairement une libre pensĂ©e politique. Rexroth faisait rĂ©fĂ©rence certainement Ă la situation des immigrants dâorigine chinoise et japonaise de lâAmĂ©rique dâaprĂšs-guerre. La Loi sur les origines nationales National Origins Act de 1924 dĂ©finie toute personne de descendance asiatique Ă lâintĂ©rieur des frontiĂšres amĂ©ricaines comme un Ă©tranger. Le Conseil de contrĂŽle dâĂtat State Board of Control de la Californie Ă©voque pour sa part la logique des diffĂ©renciations raciales et lâimpossibilitĂ© dâune assimilation rĂ©elle pour exclure les immigrants Le 19 fĂ©vrier 1942, soit un peu plus de deux mois aprĂšs lâattaque sur Pearl Harbor de dĂ©cembre 1941, le prĂ©sident Franklin Roosevelt rend public le DĂ©cret prĂ©sidentiel 9066 autorisant les commandants militaires locaux Ă dĂ©signer des zones dâexclusion », dĂ©portant ainsi toute personne dâorigine japonaise de la cĂŽte pacifique â ce qui inclue lâĂtat de Californie dans son entier et la majeure partie des Ătats dâOregon et de Washington â vers des camps de Participant activement dans le milieu politique, Rexroth fonde, avec quelques amis, le ComitĂ© amĂ©ricain pour la protection des droits civiques des citoyens amĂ©ricains dâorigine orientale American Committee to Protect the Civil Rights of American Citizens of Oriental Ancestry. Or, câest prĂ©cisĂ©ment Ă cette Ă©poque quâil entreprend la traduction de poĂšmes japonais et Ă partir de 1943, avec lâabrogation de la Loi dâexclusion des Chinois Chinese Exclusion Act, 1882, les restrictions contre lâimmigration asiatique appliquĂ©es par le gouvernement fĂ©dĂ©ral se relĂąchent sensiblement pour ce qui est des immigrants chinois, philippins et indiens, et ce jusquâĂ ce que la Loi de McCarran-Walter McCarran-Walter Act de 1952 ouvre la porte, sous certaines conditions, Ă lâimmigration asiatique, dĂ©veloppant par le fait mĂȘme une politique ayant pour but dâintĂ©grer les nouveaux arrivants asiatiques et africains au sein de la vie politique et sociale des LâhostilitĂ© du gouvernement fĂ©dĂ©ral et du peuple amĂ©ricain envers les citoyens dâorigine japonaise ne se dissipĂšrent que graduellement aprĂšs la guerre. Certaines traductions de poĂšmes de Du Fu par Rexroth sont imprĂ©gnĂ©es du contexte socio-politque de lâĂ©poque. Travelling Northward, par exemple, est une traduction dâun court extrait du poĂšme ExpĂ©dition vers le nord ććŸ, ici traduit du chinois de façon plus littĂ©rale Otus criant dans le mĂ»rier jaune, mulots creusant en dĂ©sordre une cavitĂ©; passant par un champ de bataille au cĆur de la nuit, une lune froide Ă©claire les os blanchis » Screech owls moan in the yellowing / Mulberry trees. Field mice scurry, / Preparing their holes for winter. / Midnight, we cross an old battlefield. / The moonlight shines cold on white bones ». Ă la lecture, la traduction semble plutĂŽt faire rĂ©fĂ©rence au contexte de la guerre froide en Asie, Ă©voquant chez le lecteur lâimage dâos blanchis de soldats morts pendant la guerre de CorĂ©e 1950-1953, ou alors celle dâun massacre dâune population civile. Le nous » de la traduction anglais fait peut-ĂȘtre rĂ©fĂ©rence au poĂšte-guerrier ou Ă tout autre voyageur brossant un tableau des images et sonoritĂ©s fragmentĂ©es dâun champ de bataille septentrional. En rĂ©sumĂ©, les traductions de poĂšmes chinois et japonais par Rexroth se veulent une recherche de lâuniversalitĂ© des cultures de lâAsie de lâEst. Ă travers la diversitĂ© ethnique particuliĂšre Ă la cĂŽte ouest amĂ©ricaine, Rexroth parvient Ă explorer un peu plus en profondeur la vigueur de la littĂ©rature chinoise, et, faisant appel Ă la sensibilitĂ© du lecteur contemporain, il arrive Ă faire ressortir le cĂŽtĂ© fonciĂšrement crĂ©atif du processus de traduction. LâĂ©criture transculturelle glyphe, graffiti et lettres La plupart des gravures dans Etchings to Rexroth sâapparente Ă des formes abstraites dâĂ©criture, de figures et de paysages. Or, la mĂ©thode employĂ©e par Marden pour reprĂ©senter les poĂšmes traduits se rapproche des techniques de traduction dĂ©veloppĂ©es par Rexroth câest-Ă -dire que dans le processus crĂ©atif, lâinterprĂšte se doit de sâidentifier Ă son sujet. Lâorigine de lâintĂ©rĂȘt professĂ© par Marden pour la calligraphie chinoise se situe au carrefour de la vie et de la crĂ©ation. Son Ă©pouse Helen Ă©tant Ă©prise des cultures de lâAsie, Marden fait durant lâĂ©tĂ© 1984 un tour de lâAsie dâune durĂ©e de deux Ă trois mois avec elle et ses deux filles, et se dĂ©couvre un intĂ©rĂȘt marquĂ© pour la calligraphie orientale. Vers la fin de 1984, il sâinspire plutĂŽt de la calligraphie japonaise, aprĂšs avoir vu lâexposition organisĂ©e par la Asia Society de New York et par la Japan House Le catalogue de cette exposition aborde Ă©galement le sujet de lâart calligraphique chinois, notamment dans un texte de John Hay faisant remarquer que la vitalitĂ© dâune Ćuvre calligraphique prend corps par lâentremise du pinceau et des traces dâ Pour Marden, lâart calligraphique dâAsie se veut une pure expression de formes Ă©voquant vitalitĂ© et Nâayant jamais Ă©tudiĂ© le mandarin, il sâen remet aux vues dâEzra Pound, selon qui il est possible de saisir lâessence de la langue chinoise en gardant un esprit Suivant la tendance de lâart amĂ©ricain postĂ©rieure aux annĂ©es 1960, Marden perçoit essentiellement la crĂ©ation artistique comme un acte Il est toutefois fascinĂ© par les poĂšmes chinois traduits par Il apprĂ©cie Ă©galement lâouvrage de Georges Rowley sur la peinture chinoise, qui avance lâidĂ©e que les Chinois ont une attitude face Ă la vie plus artistique que religieuse, philosophique ou scientifique. Selon Rowley, lâĂ©criture chinoise est une langue idĂ©ographique dĂ©fiant toute dĂ©finition prĂ©cise; une Ă©criture de lâimaginaire » plutĂŽt quâun outil InfluencĂ© par la mode des graffitis dans le mĂ©tro new-yorkais, il commencer Ă partir de 1986 Ă fonder ses dessins au trait sur des glyphes, ajoutant graduellement diffĂ©rentes couches de couleur aux tons variĂ©s. Alors quâentre 1985 et 1987, Marden perçoit essentiellement la calligraphie comme une forme de peinture plutĂŽt que dâĂ©criture, il sâefforce graduellement de saisir la composition des caractĂšres chinois en suivant lâordre de leurs traits, et acquiert une comprĂ©hension nouvelle de lâart calligraphique qui se rapproche beaucoup plus, selon lui, de lâĂ©nergie rĂ©elle de lâĂ©criture Dans ses Ćuvres composĂ©es de glyphes de 1986, et tout particuliĂšrement dans Etchings to Rexroth, Marden consolide ses liens avec lâexpressionisme Selon lui, les traits de ces Ćuvres sâapparentent aux ossatures de ses premiĂšres Ce nouveau type de dessin au trait, qui laisse transparaitre Ă la fois ce qui Ă©tait et ce qui nâĂ©tait pas envisagĂ© par lâartiste, ressemble Ă des idĂ©ogrammes car Ă mi-chemin entre spontanĂ©itĂ© et contrĂŽle. ComparĂ© Ă ses toiles prĂ©cĂ©dentes, peintures Ă huile plus massives, elles Ă©voquent plutĂŽt une anatomie de la peinture. Dans son album Etchings to Rexroth, Marden sâinspire Ă la fois de lâarchitecture grecque classique, de lâalchimie ainsi que de la poĂ©sie et de la calligraphie chinoises afin de relier symboliquement lâĂȘtre humain Ă la nature, la personne Ă son destin et le monde laĂŻque au spirituel. Les gravures des premiĂšre et deuxiĂšme pages de lâalbum simulent une forme dâĂ©criture ou de calligraphie dont chaque caractĂšre se veut indĂ©pendant des autres au niveau spatial. Ces deux gravures, aspirant Ă reproduire lâacte dâĂ©criture dâun poĂšme chinois et le flot dâĂ©nergie qui lui est propre Fig. 1, 2, correspondent peut-ĂȘtre aux deux premiers poĂšmes de lâalbum ayant pour thĂšme lâĂ©criture. Dans sa traduction du premier poĂšme, intitulĂ© Banquet au manoir de la famille Zuo ć€ćźŽć·Šæ°è, Rexroth compare la crĂ©ation poĂ©tique Ă lâescrime, Ă une rivalitĂ© entre deux hommes de lâaristocratie, tout en associant le poĂšme au style de vie dâun La traduction anglaise du poĂšme fait rĂ©fĂ©rence Ă un concours poĂ©tique, ce qui fait Ă©cho Ă la rĂ©citation performatif de poĂšmes par Rexroth Ă San Francisco. La relation entre Etchings to Rexroth et les graffitis mĂ©rite dâĂȘtre Ă©tudiĂ©e en profondeur. En effet, les dessins au trait de Marden possĂšdent une valeur rituelle pouvant sâapparenter Ă celle du graffiti. Marden admet lui-mĂȘme sâidentifier Ă lâart new-yorkais, ce qui dĂ©montre le lien Ă©troit quâil entretient avec le thĂšme de lâespace urbain. Les graffitis du mĂ©tro new-yorkais se veulent, depuis le dĂ©but des annĂ©es 1970, lâexpression dâune sous-culture de jeunes artistes se qualifiant eux-mĂȘmes dâ Ă©crivains » writers. Dans un premier temps, leur art se concentre sur des dessins au trait, et ce nâest que plus tard que des tons de couleur y sont La forme des graffitis varie du tag cursif Ă la piĂšce piece multicolore. Mais diffĂ©rents styles de graffiti peuvent Ă©galement se rĂ©fĂ©rer Ă des groupes ethniques distincts, ce qui reflĂšte le caractĂšre interculturel propre Ă une sociĂ©tĂ© dâimmigration. Ă partir du milieu des annĂ©es 1980, le dĂ©bat ayant trait au graffiti dans la rĂ©gion de la baie de San Francisco sâest axĂ© sur le droit dâusage de lâespace public par des groupes dĂ©favorisĂ©s, ainsi que sur le conflit entre propriĂ©tĂ©s publique et Dans le contexte new-yorkais, les traces simulant lâĂ©criture chinoise que Marden abandonne sur les pages sâapparentent Ă un vestige dâune reprĂ©sentation théùtrale intime. Une marque est laissĂ©e par le corps en mouvance de lâartiste, tel un graffiti dâadolescent, en rĂ©ponse Ă la mode des critiques dâart de lâĂ©poque sâopposant Ă la peinture. Lâalbum Etchings to Rexroth semble faire rĂ©fĂ©rence Ă©galement Ă lâhistoire de lâĂ©criture poĂ©tique en Californie. Marden avait lu les traductions des poĂšmes de Han Shan par Gary Son intĂ©rĂȘt pour la calligraphie est-asiatique vient de Helen, qui a grandi en Californie. Dans sa carte 13 Helenâs Valentine 1986, Marden sâinspire de la calligraphie chinoise pour cĂ©lĂ©brer son union avec Helen, crĂ©ant deux silhouettes dansantes Ă partir de formes dâĂ©criture rudimentaires. Ăvoquant une gamme de sentiments complexes, ces traces calligraphiques indistinctes, telle une confession saccadĂ©e ou tel un ancien poĂšme mural éĄćŁè©©, ne se laissent interprĂ©ter aisĂ©ment. Au sein de la poĂ©sie de la dynastie Tang, la tradition chinoise de poĂ©sie murale se veut principalement la trace dâune visite Ă un ermite. Le deuxiĂšme poĂšme de lâalbum, intitulĂ© Ăcrit sur le mur de lâermitage de Zhang Written on the Wall at Changâs Hermitage, éĄćŒ”æ°é±ć± , est prĂ©cisĂ©ment un poĂšme mural comparant la retraite libre dâun ami au dĂ©senchantement du poĂšte. Au dix-septiĂšme siĂšcle, en Chine, la poĂ©sie murale devient un moyen dâexprimer la mĂ©lancolie du poĂšte et dâoffrir aux gĂ©nĂ©rations futures la possibilitĂ© de lui rendre hommage Ă travers le partage dâune peine transcendant les frontiĂšres En Californie, les vestiges de poĂšmes muraux dĂ©couverts en 1970 tĂ©moignent de la mĂ©moire de la communautĂ© chinoise. Entre 1910 et 1940, suite Ă la mise en Ćuvre de la Loi dâexclusion des Chinois, environ 175 000 immigrants dâorigine chinoise furent dĂ©tenus pour interrogation Ă Angel Island dans la rĂ©gion de San Francisco. Bon nombre dâentre eux gravĂšrent des poĂšmes dans les casernes de bois afin dâexprimer leur affliction ou leur mĂ©contentement envers le gouvernement amĂ©ricain. Cependant, ces poĂšmes muraux Ă©taient perçus par les reprĂ©sentants gouvernementaux comme un dommage causĂ© de façon illĂ©gale Ă la propriĂ©tĂ© publique. En 1983, sous la pression de groupes dâimmigrants dâorigine asiatique, la Station dâimmigration dâAngel Island fut dĂ©signĂ©e Site historique national ».40 Suite Ă la publication des poĂšmes muraux du lieu, une sĂ©rie de dĂ©bats publics reliĂ©s aux communautĂ©s dâorigine asiatique LâĂ©criture chinoise dans le contexte amĂ©ricain acquiert alors un sens de tragĂ©die transculturelle, plus visuelle que verbale. Ă travers les Ćuvres dâune grande théùtralitĂ© de Rexroth et Marden, lâengagement du spectateur-lecteur est sollicitĂ©. Face Ă la neige Dui xue ć°éȘ dĂ©peint une situation semblable Ă celle de lâimpuissance du dĂ©tenu mentionnĂ©e plus haut En provenance de nombreuses prĂ©fectures, les nouvelles ont cessĂ© ; je mâassieds, soucieux, Ă©crivant dans le vide » æžć·æ¶æŻæ·ïŒæćæŁæžç©șShu zhou xiaoxi duan, chou zuo zheng shu kong. La traduction de Rexroth semble faire rĂ©fĂ©rence Ă un lieu oĂč la libertĂ© dâexpression serait absente Partout, les hommes parlent Ă voix basse; / Je rumine sur la futilitĂ© des lettres » Everywhere men speak in whispers / I brood on the uselessness of letters ». ConfrontĂ©s Ă un mĂȘme rapport au tragique transcendant les frontiĂšres spatio-temporelles, lâaffinitĂ© empathique ressentie par le poĂšte et le peintre met en valeur la libertĂ© dâexpression et suggĂšre une rĂ©interprĂ©tation du concept dâautonomie artistique. En partant dâune fascination singuliĂšre pour les caractĂšres chinois, Marden sâinspire graduellement de lâĂ©criture ossĂ©caille, des inscriptions sur tablette, des gravures et des impressions chinoises. Or, sa tendance Ă mettre lâaccent sur lâaspect visuel des caractĂšres chinois se veut en continuitĂ© avec la tradition orientaliste de lâEurope du dix-neuviĂšme siĂšcle. Les sinologues de cette Ă©poque percevaient lâĂ©criture alphabĂ©tique comme le produit dâune culture ayant atteint un niveau civilisationnel Ă©levĂ©, alors que la nature intrinsĂšquement visuelle des idĂ©ogrammes chinois dĂ©montrait, selon eux, comment ces derniers demeurent prĂšs de lâorigine des choses. LâĂ©crivain amĂ©ricain Ralph Waldo Emerson voyait par exemple dans lâĂ©criture chinoise une langue naturelle aux prĂ©dispositions Mais la particularitĂ© de Marden se situe au niveau de son apprĂ©ciation profonde de lâuniversalitĂ© des poĂšmes de Du Fu en tant que sujet parlant. Par consĂ©quent, il tente de transposer visuellement les poĂšmes de Du Fu par lâentremise dâun art abstrait et contemporain, qui ne se limite guĂšre Ă une description dâun exotisme et incorpore certains Ă©lĂ©ments distinctifs de la peinture figurative. Marden produit, entre 1987 et 1991, une sĂ©rie de six peintures Ă lâhuile intitulĂ©e Han Shan, dont les caractĂšres simulĂ©s sâapparentent Ă la calligraphie cursive dite sauvage » de lâAutobiographie du moine Chan Huaisu æ·çŽ 725-785. Alors que les caractĂšres des deux premiĂšres toiles Ă©voquent des figures humaines dansantes, les quatre toiles suivantes tentent plutĂŽt de rĂ©vĂ©ler le rapport entre les traits sinueux et le fond pictural, et de mettre ainsi en lumiĂšre le processus de rĂ©flexion â de lâĂ©puisement Ă lâouverture â propre Ă la mĂ©ditation de type Chan zen pratiquĂ©e de façon assise devant un mur Fig. 3.43 Il est possible que Marden ait utilisĂ© le pouvoir Ă©mancipateur de lâĂ©criture chinoise afin de communiquer la libertĂ© de lâartiste. LâĂ©criture chinoise et lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© du modernisme Pour la critique dâart amĂ©ricaine dâaprĂšs-guerre, la sensibilitĂ© littĂ©raire de la poĂ©sie et de la calligraphie chinoises, dans leur rapport Ă lâavant-garde, se trouvent en position dâaltĂ©ritĂ© ou alors dâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©. Ici, lâaltĂ©ritĂ© se rĂ©fĂšre Ă un autre inassimilable, alors que lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© est en lien avec la diversitĂ© culturelle propre au mode de vie moderne. En fait, certains critiques dâart contemporains perçoivent les Ćuvres de Marden comme une rĂ©fĂ©rence passagĂšre Ă la poĂ©sie et Ă la calligraphie chinoises. Selon Yve-Alain Bois, la technique sĂ©quentielle de ses peintures comme basĂ©e sur une temporalitĂ© fragmentĂ©e plutĂŽt quâun processus dâĂ©criture ou de croquis allant rĂ©ellement de lâavant, et les effets picturaux produits par les symboles textuels de ces Ćuvres seront analogues Ă la structure interne du corps Ces arguments se veulent en continuitĂ© avec les vues de Clement Greenberg. Pour ce dernier, chez Franz Klein et Mark Tobey le rapport entre les dessins au trait purs et la calligraphie chinoise est dĂ» Ă un concours de circonstances, car lâexpressionisme abstrait se veut un produit interne Ă la tradition artistique Dans les annĂ©es dâaprĂšs-guerre, Greenberg Ă©labore un formalisme accentuant le cloisonnement entre les genres artistiques et lâexclusivitĂ© de leurs moyens matĂ©riels En revanche, lâhistorien de lâart Meyer Schapiro estime que lâart moderne est nĂ© dans les annĂ©es 1830 et que les Ćuvres relevant de cette catĂ©gorie se caractĂ©risent par leur capacitĂ© Ă relever le dĂ©fi dâaccueillir toute nouvelle possibilitĂ© et Ă intĂ©grer lâexpĂ©rience, les connaissances et les concepts particuliers Ă leur Peter BĂŒrger tient Ă distinguer entre modernitĂ© et avant-garde, affirmant que lâesthĂ©tisme de la fin du XIXe siĂšcle a su dĂ©velopper une indĂ©pendance artistique, et quâainsi, il a suscitĂ© la rĂ©action de lâavant-garde du dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle qui sâest efforcĂ©e de renouveler la recherche dâun rapport entre art et Depuis le milieu des annĂ©es 1970, le postmodernisme amĂ©ricain, dans son maintien dâune sensibilitĂ© futuriste caractĂ©ristique de lâavant-garde, se rapproche des diffĂ©rents mouvements, des personnalitĂ©s phares et des intentions de lâavant-garde europĂ©enne du dĂ©but du vingtiĂšme Le postmodernisme amĂ©ricain des annĂ©es 1970 se trouve en fait Ă reprĂ©senter une sous-catĂ©gorie du modernisme, alors que jusquâau milieu des annĂ©es 1980, le postmodernisme devient, grĂące Ă la participation dâintellectuels europĂ©ens, la face la plus contestatrice de la En rĂ©sumĂ©, la structure ouverte de lâart dâavant-garde entraĂźne lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© de lâĆuvre, que ce soit au niveau de sa forme ou de son contenu. Du fait, lâusage dâĂ©lĂ©ments artistiques provenant de cultures diverses, quâil sâappuie sur la quĂȘte de lâhĂ©tĂ©rogĂšne du modernisme ou non, laisse transparaĂźtre un examen de soi chez lâartiste. De la fin de la Seconde Guerre mondiale aux Ă©checs subis par les troupes amĂ©ricaines lors de la Guerre du Vietnam en 1961, lâorientalisme devient un problĂšme social et artistique majeur. Durant cette pĂ©riode, dans le but de promouvoir lâexpansion amĂ©ricaine Ă travers le monde, les leaders amĂ©ricains dâune certaine idĂ©ologie propre Ă la guerre-froide supportent le multi-ethnisme et le multi-culturisme. Tout particuliĂšrement durant lâĂ©poque post-McCarthy, la politique Ă©trangĂšre des Ătats-Unis passe, de 1953 Ă 1959, dâun certain isolationnisme Ă une politique dâintĂ©gration culturelle mettant lâaccent sur lâAsie et sâinspirant du Front populaire de lâUnion soviĂ©tique afin dâĂ©tablir une communautĂ© La politique de la guerre-froide a pour mission dâexporter la culture populaire amĂ©ricaine plutĂŽt que dâassimiler les cultures dâAsie au sein de la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine. InfluencĂ©s par la poĂ©sie moderne, les artistes euro-amĂ©ricains commencent, aprĂšs le milieu du vingtiĂšme siĂšcle, Ă apprĂ©cier le caractĂšre visuel des idĂ©ogrammes chinois et Ă sâinspirer de la poĂ©sie et de la calligraphie Franz Klein sâapproprie le trait blanc volant, il passe dâune dĂ©monstration de la puissance de lâaction unique Ă des plans picturaux noirs et Ă des espaces expansifs et ouverts. Dâun cĂŽtĂ©, la diversitĂ© des mĂ©diums artistiques sâamplifie, alors que dâun autre cĂŽtĂ©, lâĂ©cart formel entre les traits et le plan pictural permet une variĂ©tĂ© encore plus grande dâinterprĂ©tations des Ćuvres, ce qui les dĂ©livre des limites intrinsĂšques dâune perception unique et homogĂšne. Pour Rexroth, les connotations humaines chez Tobey ont su absorber lâinfluence des traits calligraphiques chinois, mais le manque de profondeur de cette influence les empĂȘche dâatteindre la sĂ©rĂ©nitĂ© des peintures de paysage de la dynastie Song et des Ćuvres zen En 1957, Rexroth recommande, dans le magazine The Nation, un ouvrage de Mai-mai Sze intitulĂ© Le Tao de la peinture,54 quâil voit comme un excellent ouvrage dâinitiation. Cependant, il regrette que le second volume, Le manuel de peinture du jardin de graines de moutarde, ne propose que des formes de base Dans son ouvrage dâintroduction Ă lâart, Osborne consacre un chapitre Ă la peinture chinoise qui dâemblĂ©e Ă©voque le concept confucĂ©en de ren la vertu dâhumanitĂ©, et explique que le tao la voie fait rĂ©fĂ©rence Ă lâordre quasi-moral de lâunivers. Il cite Ă©galement lâintroduction du Tao de la peinture de Sze, qui fait remarquer que la peinture ne se veut pas une profession en Chine, mais bien un art de Les traductions de poĂšmes chinois ayant pour thĂ©matique la vie dâermite par les poĂštes de San Francisco visent Ă sâopposer Ă lâidĂ©ologie dominante. Les poĂšmes de Han Shan traduits par Gary Snyder, qui ont pour thĂšme la force de la nature et lâintrospection, sont particuliĂšrement populaires parmi les auteurs de la beat generation. Vers 1955, Rexroth et Snyder deviennent les principaux reprĂ©sentants de lâintroduction de la poĂ©sie classique chinoise au sein de la population amĂ©ricaine. Leur mĂ©thode de traduction se fonde donc sur une intĂ©gration culturelle Ă double-sens. Quoique les poĂštes du San Francisco retiennent surtout lâintĂ©gration de lâindividu au sein de son environnement, chacun dâentre eux aborde diffĂ©rents aspects de la relation entre humain et nature. Les poĂštes de paysages naturels tels que Rexroth et Snyder explorent les rĂ©gions sauvages de diverses maniĂšres. Rexroth aime Ă intĂ©grer certains Ă©lĂ©ments historiques Ă ses biographies, et excelle tout particuliĂšrement dans son interprĂ©tation historique des paysages. Il joue ainsi le rĂŽle du philosophe errant, percevant la façon avec laquelle le monde naturel reflĂšte le monde Pour sa part, Snyder pense que la poĂ©sie doit ĂȘtre ancrĂ©e dans la vie culturelle dâune communautĂ© et que cette vie culturelle encourage â et fait Ă©cho Ă â la prise de conscience, parmi la communautĂ©, de sa propre assise au sein de lâenvironnement naturel. Pour cette raison, le poĂšte doit observer la nature du point de vue de la politique et de la culture. Le traducteur-poĂšte devient ainsi mĂ©diateur de lâaltĂ©ritĂ© de la En dâautres termes, pour les poĂštes san-franciscains, la ville, la nature ainsi que les cultures de lâAsie sont toutes Ă lâorigine dâune culture plurielle ainsi que dâune certaine hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©. Et lâartiste doit ajuster sa crĂ©ation Ă lâorigine de son inspiration. Dans le contexte orientaliste des Ătats-Unis dâaprĂšs-guerre, les discours se voulant plus comprĂ©hensifs ont tendance Ă attirer davantage lâattention des admirateurs dâart chinois au sein du grand public amĂ©ricain. George Rowley sâoppose au dĂ©veloppement artistique occidental quâil perçoit comme Ă sens unique, ce qui le pousse Ă explorer les formes et les thĂ©matiques de lâart chinois. Selon lui, les deux plus grandes influences sur la peinture chinoise furent les pensĂ©es taoĂŻstes et confucĂ©ennes. La premiĂšre inspira le contenu dynamique de lâart visuel chinois, ce qui rĂ©sulta dans une recherche, au sein des formes, dâune certaine abstraction rythmique. Pour lui, lâart chinois met lâemphase plutĂŽt sur le qi le souffle ou le jingshen lâesprit, et sa beautĂ© formelle se situe au niveau de lâintĂ©gritĂ© de son En employant un vocabulaire faisant consensus dans le monde des arts visuels modernes, la peinture chinoise dĂ©crite dâun point de vue empathique par Rowley passe donc dâune altĂ©ritĂ© inassimilable Ă un modĂšle artistique universel et concret. Les expositions rĂ©centes tĂ©moignent dâun point de vue nouveau sur lâinterculturalisme. En 2002, la galerie dâart de lâUniversitĂ© de Boston prĂ©sentait lâexposition Looking East Brice Marden, Michael Mazur, Pat Steir. Cette exposition rĂ©unit trois peintres vivant dans la rĂ©gion du grand New York afin de souligner combien, en comparaison avec la gĂ©nĂ©ration dâexpressionnistes abstraits dâaprĂšs-guerre, lâhybriditĂ© de leurs mĂ©thodes laisse transparaĂźtre certains Ă©lĂ©ments de calligraphie chinoise tels quâils ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©s au modernisme amĂ©ricain du dĂ©but du vingtiĂšme En 2009, le Guggenheim organisait une rare exposition Ă grande Ă©chelle, The Third Mind American Artists Contemplate Asia, qui valorise lâesprit tiers nĂ© de lâinteraction culturelle entre Orient et Occident, tout en portant une attention particuliĂšre Ă lâart japonais. Le peintre new-yorkais Ad Reinhardt, Ă titre dâexemple, sâefforce de rĂ©duire Ă lâextrĂȘme ses plans picturaux de façon Ă ce que le contenu se transforme dâune vision momentanĂ©e en une temporalitĂ© continue gĂ©nĂ©ralement associĂ©e Ă la phĂ©nomĂ©nologie. Il tĂąche de cette maniĂšre Ă rendre compte de la pĂ©rennitĂ© des cultures asiatiques, en se rĂ©fĂ©rant notamment aux vues du moine trappiste Thomas Pat Steir participe activement aux dĂ©bats thĂ©oriques, dâabord en rĂ©action contre le minimalisme dans les annĂ©es 1970, et ensuite Ă travers une rĂ©flexion sur le Elle excelle dans la production dâimages formĂ©es Ă partir dâune manipulation de lâĂ©coulement naturel de la peinture quâelle combine avec les gestes et mouvements propre Ă lâacte de peindre lui-mĂȘme. Elle apprĂ©cie tout particuliĂšrement les paysages mĂȘlant eau et lumiĂšre. En 1985, ses Ćuvres commencent Ă mĂ©langer le rĂ©alisme europĂ©en Ă lâimaginaire romantique de la Chine dans une Ćuvre intitulĂ©e Autumn The Wave after Courbet as though Painted by Turner with the Chinese in Mind Automne la vague dâaprĂšs Courbet et comme si peinte par Turner avec un esprit chinois. Steir, sâapproprie le thĂšme des chutes dâeau chinoises, mais sans que la toile, dans son ensemble, ne sombre dans lâhĂ©roĂŻsme De surcroĂźt, Steir emprunte la mĂ©thode de Pollock et suspend frĂ©quement de grandes toiles au mur, nâappliquant des coups de pinceau quâaprĂšs avoir Ă©claboussĂ© la toile de peinture. Elle admet avoir Ă©tĂ© profondĂ©ment inspirĂ©e par Derrida, et perçoit lâart visuel comme composĂ© de deux aspects, lâun abstrait et lâautre narratif. Elle considĂšre le titre de lâĆuvre comme un des meilleurs moyens dâexprimer le cĂŽtĂ© littĂ©raire de lâĆuvre. Sa lecture des peintures de paysage chinois et japonais met lâaccent sur lâexpĂ©rience concrĂšte de lâexistence et du corps. Elle sâintĂ©resse Ă©galement Ă la poĂ©sie et perçoit la calligraphie comme Ă©tant Ă la fois Ă©criture et forme, une thĂ©orie qui est en accord avec ses propres crĂ©ations Pour sa part, Marden sâefforce plutĂŽt de saisir le contenu figuratif et lâunicitĂ© de lâart chinois, tout en gardant un intĂ©rĂȘt particulier pour les objets quotidiens. En dĂ©veloppant la technique de transposition empathique dĂ©jĂ prĂ©sente chez Rexroth, Marden intĂšgre certains Ă©lĂ©ments de calligraphie chinoise Ă des formes situĂ©es Ă mi-chemin entre lâabstrait et le figuratif, et manifeste une acceptation de lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© propre au processus dâintĂ©gration culturelle. De cette maniĂšre, Marden a su sâaffranchir du discours moderniste orthodoxe de la cĂŽte Est et, grĂące Ă lâalternative que prĂ©sentaient lâart et le style de vie de la cĂŽte Ouest, il sâest engagĂ© dans une exploration de lâunivers de la poĂ©sie et de la calligraphie chinoises dans Etchings to Rexroth. Par une fusion complexe de divers Ă©lĂ©ments, Marden invite le lecteur ou le spectateur de cette sĂ©rie dâĆuvres Ă faire lâexpĂ©rience de lâinstantanĂ©itĂ©. Faisant Ă©cho Ă Rexroth, Marden sâappuie sur les poĂšmes de Du Fu pour en faire son porte-parole » artistique. Marden ne cesse de puiser son inspiration dans les diffĂ©rentes facettes de lâart chinois, notamment dans sa sĂ©rie Han Shan, et sâinspire, dans les annĂ©es 1990, des fresques de Dunhuang, des Ă©pitaphes de la dynastie Tang ainsi que des jardins de Suzhou, explorant de façon concrĂšte les univers particuliers de diffĂ©rents poĂštes et diverses Ćuvres, y puisant certains Ă©lĂ©ments picturaux et les intĂ©grant au thĂšme grecque de The Muses 1991-1993, Collection Daros. De 2006 Ă 2007, il parcourt le monde, faisant sa premiĂšre Ă©tape au MusĂ©e national du palais Ă Taipei, oĂč il lui fut possible dâadmirer, entre autres, les poĂšmes heptasyllabiques de Huang Tingjian 1045-1105. Dans sa sĂ©rie dâĆuvres intitulĂ©e Letters, les traits Ă©tablissent un rapport double entre forme et Dans la Second Letter Zen Spring, les traits entrelacĂ©s semblent former un cadre Ă maintes reprises, donnant ainsi une sensation de fuite et de rĂ©sistance, en rĂ©ponse au premier vers le parfum de fleur risque de bouleverser la contemplation du Chan » è±æ°Łè°äșșæŹČç ŽçŠȘFig. 4. Ainsi, Marden continue Ă rechercher une transformation de lâespace et des mouvements corporels Ă travers lâĂ©criture et la calligraphie chinoises. Cette mĂ©thode a lâavantage de transcender les stĂ©rĂ©otypes orientalistes prĂ©sents au sein de la critique dâart amĂ©ricaine et de proposer une interprĂ©tation des cultures asiatiques beaucoup plus ouverte Ă la diversitĂ©. Dans lâalbum Etchings to Rexroth, Marden reproduit lâacte dâĂ©criture et de lecture dâun poĂšme et redĂ©couvre ainsi les multiples connotations du modernisme. Une fois les symboles abstraits de lâalbum rĂ©unis, une multitude dâimages imprĂ©cises se manifeste et interagit avec les poĂšmes, ce qui a pour effet de tisser des liens entre des poĂšmes originellement indĂ©pendants. Il semblerait quâau sein de traductions de poĂšmes anciens dont le langage se veut limitrophe, ainsi quâĂ lâintĂ©rieur dâune transposition dâimages imitant lâĂ©criture chinoise en marge du courant dominant de lâart euro-amĂ©ricain, se dĂ©gage un territoire au sein duquel le modernisme parvient Ă sâautocritiquer, notamment Ă travers une ouverture de son Ă©pistĂ©mĂš lui permettant de ne plus se limiter aux rĂšgles strictes des catĂ©gorisations artistiques. Marden met lâaccent sur la relation dâentrelacs qui unie la lecture des poĂšmes Ă lâobservation des Ćuvres dâart, et arrive Ă transformer le rapport entre les deux en une force crĂ©atrice hĂ©tĂ©rogĂšne. Dans Cold Mountain V et Second Letter Zen Spring, le thĂšme de la contemplation se prĂ©sente comme une clĂŽture imaginaire du champ pictural, alors que les traits calligraphiques composent des figures dansantes au rythme variĂ©. Le transfert pictural de Marden acquiert ainsi une signification universelle en comblant le fossĂ© entre histoire et contemporanĂ©itĂ©. Ceci lui permet Ă©galement de faire obstacle Ă toute domination dâune thĂ©orie artistique particuliĂšre, de dissiper le mythe de lâhomogĂ©nĂ©itĂ© culturelle prĂ©supposĂ©e par lâorientalisme, et enfin de reconstruire une expĂ©rience de vie qui puisse transcender les limites culturelles et les catĂ©gories artistiques. Liu Chiaomei Brice Marden, Cold Mountain V Open, 1989-91. Oil on linen, x cm. Robert and Jane Meyerhoff Collection, Phoenix, Maryland. Courtesy of the artist. Fig. 4 Brice Marden, Second Letter Zen Spring, 2006-2009. Oil on linen, 244 x 366 Marks Gallery, New York. Courtesy of the artist. Bibliographie Andre, Carl. 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Voici la traduction de Marquis dHervey-Saint-Denys Il craint que les flambeaux ne sâĂ©teignent avant que le papier les ait reçus. / Chacun regarde sa large Ă©pĂ©e, et la verve sâaccroĂźt encore; / Les coupes se vident et se remplissent bien avant dans la nuit. / Enfin lâair du pays de Ou se fait entendre; on chante ce quâon a composĂ©; / Puis chacun regagne en bateau sa demeure, emportant un long souvenir ». Marquis dâHervey-Saint-Denys, PoĂ©sies de lâĂ©poque des Thang, p. 118-119. [â©]Gregory J. Snyder, Graffiti Lives Beyond the Tag in New Yorkâs Urban Underground, New York, 2009, p. 23-45; Jack Stewart et Regina Stewart, Ă©d., Graffiti Kings New York City Mass Transit Art of the 1970s, New York, 2009. [â©]Nic Hill, Piece by Piece the History of San Francisco Graffiti, Documented [enregistrement vidĂ©o], [Ătats-Unis,] 2006. [â©]Gary Snyder, Cold Mountain Poems », Evergreen Review, aoĂ»t 1956; rĂ©imprimĂ© dans Riprap and Cold Mountain Poems, Washington, 1958, p. 35-67. 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[â©]Doris von Drathen, Studio Conversations Pat Steir and Doris von Drathen; What do I seeâ What can I see? » dans Pat Steir Paintings, Milan, 2007, p. 29-44. [â©]Jeffrey Weiss, Correspondence », dans Brice Marden Letters, New York, 2010, p. 40-47. [â©] TĂ©lĂ©charger lâarticle au format pdf. Article Ă©crit par Nicola Foster, Senior Researcher en art visuel Ă lâUniversitĂ© de Southampton Solent RĂ©sumĂ© Le NĂŒshu Ă©criture fĂ©minine Ă©tait pratiquĂ© par les femmes dâune rĂ©gion reculĂ©e de la Chine avant la rĂ©volution communiste chinoise. Il sâagit dâune tradition littĂ©raire et artistique dĂ©veloppĂ©e par les femmes pour les femmes. Lo Yuenyi, artiste basĂ©e Ă Hong Kong, a produit une sĂ©rie dâĆuvres dans lesquelles elle commĂ©more les femmes qui pratiquaient autrefois le NĂŒshu. Ce faisant, elle reconnaĂźt leur travail comme un art Ă part entiĂšre et relie sa propre crĂ©ation Ă la fois Ă cette tradition fĂ©minine chinoise et Ă la tradition de lâart occidental. Abstract NĂŒshu womenâs script was practiced by women in a remote part of China prior to the Chinese Communist Revolution. It was a literary and artistic tradition developed by the women for the women. The Hong Kong based artist Lo Yuenyi produced a series of works in which she commemorates the women who once practiced NĂŒshu. In so doing she acknowledges their work as art and connects her own work to both a Chinese women tradition and the tradition of Western art. PremiĂšre rencontre avec lâĆuvre de Lo Yuen-yi En 1998, je fus invitĂ©e Ă donner un sĂ©minaire dans le cadre de ce qui Ă©tait Ă lâĂ©poque un nouveau cours de dessin de niveau maĂźtrise Ă lâĂ©cole dâart de Wimbledon, Ă Londres. Alors que le dessin Ă©tait depuis bien longtemps perçu tout juste comme une esquisse dans le discours occidental, lequel posait que seule lâĆuvre dâart achevĂ©e Ă©tait considĂ©rĂ©e comme accomplie, une nouvelle approche du dessin est nĂ©e durant les annĂ©es 1990 dans lâart occidental ». De grandes expositions ont eu lieu une sĂ©rie de prĂ©sentations de dessins organisĂ©es par le musĂ©e du Louvre Ă Paris et une exposition plus modeste Ă Londres et Ă Gand. Elles ont tentĂ© de repenser et de réévaluer le dessin dans divers contextes et selon diffĂ©rentes perspectives. Lâobjectif Ă©tait de dĂ©montrer que la collection de dessins du Louvre â dâordinaire accessible au public que sur demande â pouvait ĂȘtre montrĂ©e diffĂ©remment en Ă©tant prĂ©sentĂ©e comme contemporaine », parce que contribuant au dĂ©bat contemporain sur lâart et au-delĂ . Ainsi, des philosophes et des thĂ©oriciens de renom, plutĂŽt que des historiens dâart, ont Ă©tĂ© invitĂ©s Ă ĂȘtre commissaires de ces expositions dâĆuvres provenant des collections permanentes. La raison pour laquelle on fit appel Ă des philosophes Ă©tait dâĂ©viter les approches prĂ©sentant le dessin comme un simple travail prĂ©paratoire en vue dâune peinture, sculpture ou architecture achevĂ©e ». Câest pourquoi les expositions recherchaient ce que nous considĂ©rons aujourdâhui comme contemporain » dans une collection de dessins existante et presque oubliĂ©e. Lâautre Ă©vĂ©nement a Ă©tĂ© une exposition de dessins contemporains par des artistes femmes organisĂ©e par Catherine de Zegher et intitulĂ©e Inside the Visible [Ă lâintĂ©rieur du visible] 1994-1996. Lâexposition dĂ©fendait le point de vue selon lequel le dessin Ă©tait une pratique choisie par les femmes prĂ©cisĂ©ment parce quâelle est axĂ©e sur le processus plutĂŽt que sur le produit fini. LâidĂ©e Ă©tait nĂ©e dâun double dĂ©bat la critique de la prĂ©fĂ©rence accordĂ©e Ă lâĆuvre finale » par rapport au processus de la pratique artistique et lâaccent mis sur lâinstant de lâexĂ©cution de lâĆuvre plutĂŽt que sur lâobjet » dâart. Le sĂ©minaire a apportĂ© une perspective fĂ©ministe aux deux expositions suivantes lâexposition du Louvre organisĂ©e par Derrida, intitulĂ©e MĂ©moires dâaveugle 1990 et Inside The Visible, de Catherine de Zegher, en dĂ©veloppant plus avant le point de vue selon lequel le dessin peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le mĂ©dium prĂ©fĂ©rĂ© de certaines artistes fĂ©ministes, au moins au XXe siĂšcle. Fig. 1 Mapping [Configuration] de Lo Yuen-yi, graphite sur toile encollĂ©e, 183 Ă 244 cm, 1998. AprĂšs le sĂ©minaire, des Ă©tudiants qui y avaient assistĂ© mâont montrĂ© plusieurs de leurs Ćuvres. Jâai Ă©tĂ© intriguĂ©e par lâune dâentre elles, de grandes dimensions 183 x 244 cm, au format triptyque. Le centre du panneau central avait Ă©tĂ© laissĂ© blanc, comme si on avait voulu reprĂ©senter le vide. De lâautre cĂŽtĂ© Ă©taient dessinĂ©es deux mains en mouvement qui semblaient vouloir se rejoindre. Les deux Ă©troits panneaux latĂ©raux semblaient ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des marges sur lesquelles Ă©taient tracĂ©s verticalement ce qui me parut des caractĂšres chinois, que je ne pouvais lire. Un examen plus attentif mâa rĂ©vĂ©lĂ© que le dessin et les caractĂšres chinois avaient Ă©tĂ© effectuĂ©s au crayon graphite sur toile vierge. LâĆuvre sâintitulait Mapping [Configuration] 1998 et lâartiste se nommait Lo Yuenyi. Il Ă©tait clair que de nombreuses heures dâun travail laborieux avaient Ă©tĂ© nĂ©cessaires pour dessiner sur la toile, qui ne se prĂȘte guĂšre au dessin au crayon. La toile a Ă©tĂ© conçue en Europe comme le support de la peinture Ă lâhuile. Le dessin est plus appropriĂ© au papier et a Ă©tĂ© utilisĂ© dĂšs la Renaissance, bien que le papier soit Ă lâorigine une invention chinoise. Alors que le dessin sur papier est connu en Chine, la plupart des dessins chinois sur papier sont effectuĂ©s Ă lâencre et au pinceau et sont souvent associĂ©s Ă la calligraphie. Nombreux sont les exemples de dessins chinois sur textile, le plus souvent sur gaze de soie. La toile introduisait donc une contradiction entre lâinstrument Ă dessin et son support. Elle nĂ©cessitait un travail assidu pour amener instrument et support Ă rĂ©agir et Ă produire un rĂ©sultat. MalgrĂ© cette tension dĂ©concertante, ou peut-ĂȘtre Ă cause de la tension pĂ©nible ainsi créée, lâĆuvre semblait raffinĂ©e pour une Ă©tudiante de maĂźtrise Ăšs arts. Elle faisait rĂ©fĂ©rence Ă la fois Ă un triptyque europĂ©en, mais Ă©galement au genre de dessins chinois que jâavais vus au musĂ©e Victoria & Albert et au British Museum, gĂ©nĂ©ralement sur papier, bien quâil y ait eu aussi des rouleaux verticaux sur soie. Les deux mains du triptyque me prĂ©occupaient, car il Ă©tait difficile de dire si elles tĂątonnaient ou caressaient ce que je ne pouvais voir, ou essayaient de se rejoindre en un point invisible, ou cherchaient aveuglĂ©ment lâinvisible. Juste aprĂšs avoir animĂ© un sĂ©minaire sur MĂ©moires dâaveugle de Derrida, je rĂ©flĂ©chissais Ă une interprĂ©tation possible de cette Ćuvre frappante Ă lâaide du catalogue de lâexposition de Derrida au Louvre en 1992. Les deux mains fouineuses de Mapping de Lo Ă©voquaient une quĂȘte aveugle prĂ©sente dans plusieurs Ćuvres de lâexposition de Derrida, comme par exemple les mains dâaveugle des Ă©tudes de Coypel. Fig. 2 Attempt [La tentative] de Lo Yuen-yi, dimensions inconnues, 1998 ? Selon Derrida, le dessin prĂ©sente deux moments paradoxaux dâune part lâinvisible condition de la possibilitĂ© du dessin » et dâautre part ⊠lâĂ©vĂ©nement sacrificiel, ce qui arrive aux yeux, le rĂ©cit, le spectacle ou la reprĂ©sentation des aveugles, disons quâil rĂ©flĂ©chirait cette impossibilitĂ© Derrida, 1990, 46. LâidĂ©e de Derrida est que câest une forme dâ aveuglement », et non de vision, comme on le pense gĂ©nĂ©ralement, qui fonde la pratique du dessin. Le dessin visible naĂźt du sacrifice dâune scĂšne vue mais qui nâest plus visible. Ainsi, poursuit-il, il reprĂ©senterait cet irreprĂ©sentable. Entre les deux, dans le pli des deux, lâun rĂ©pĂ©tant lâautre sans sây rĂ©duire, lâĂ©vĂ©nement peut donner lieu Ă la parole du rĂ©cit, au mythe, Ă la prophĂ©tie, au messianisme, au roman familial ou Ă la scĂšne de la vie quotidienne, fournissant ainsi au dessin ses objets ou spectacles thĂ©matiques, ses figures, ses hĂ©ros, ses tableaux dâaveugles. Derrida, 1990, 46 LâĆuvre rĂ©clamait une explication de la relation entre les deux mains et le texte. Je ne pouvais dĂ©chiffrer les caractĂšres des deux cĂŽtĂ©s, tout ce que voyais Ă©tait les deux mains cherchant aveuglĂ©ment, et, entre les deux, la toile vierge, flanquĂ©e des deux panneaux verticaux montrant des caractĂšres chinois, dont certains Ă©taient effacĂ©s et nâĂ©taient guĂšre visibles. Dans un autre essai, Geschlecht II la main de Heidegger », Derrida se focalise sur les mains. Le terme allemand Geschlecht revĂȘt une signification complexe. Il peut Ă la fois se traduire par sexe, race, espĂšce, gĂ©nie, genre, origine, famille, gĂ©nĂ©ration ou gĂ©nĂ©alogie, communautĂ©. Selon le point de vue de Derrida, les deux mains pourraient bien reprĂ©senter une distinction de genre, de culture, de race, de gĂ©nĂ©ration ou de gĂ©nĂ©alogie. Cependant, elles pourraient Ă©galement signifier la distinction entre montrer et signifier lâinvisible, qui est la condition de la possibilitĂ© du dessin. La discussion de Heidegger sur les mains » est une tentative de repenser la dualitĂ© mĂ©taphysique entre corps et esprit, art et artisanat, naturellement pertinente pour toutes les autres distinctions dĂ©rivĂ©es comme masculin et fĂ©minin bien que Heidegger fasse de cette derniĂšre une distinction plus tardive et non fondamentale. Lâapproche du problĂšme par Heidegger par le biais des mains humaines est stratĂ©gique il tente une critique des distinctions ci-dessus mais pas de la distinction masculin-fĂ©minin. Il suggĂšre que la pensĂ©e est peut ressembler Ă lâartisanat dans la maniĂšre dâinterroger la distinction corps-esprit. La main ne fait pas que saisir et attraper, ne fait pas que serrer et pousser. La main offre et reçoit, et non seulement des choses, car elle-mĂȘme elle sâoffre et se reçoit dans lâautre. La main garde, la main porte. La main trace des signes, elle montre, probablement parce que lâhomme est un monstre. ⊠Mais les gestes de la main transparaissent partout dans le langage, et cela avec la plus grande puretĂ© lorsque lâhomme parle en se taisant. Cependant ce nâest quâautant que lâhomme parle quâil pense ⊠Toute Ćuvre de la main repose dans la pensĂ©e. Heidegger, 1959, 90 Le propos de Heidegger ci-dessus Ă©voque Mapping 1998 de Lo. Les deux mains sâĂ©tendent pour atteindre ; certainement elles gesticulent, attirent lâattention sur une langue que je ne puis lire ni comprendre ; elles signent quelque chose. Chez Heidegger, langage et pensĂ©e sont liĂ©s aux mains, Ă lâexpression corporelle, et ne sont pas seulement une activitĂ© cĂ©rĂ©brale, abstraite. Cependant langage est nĂ©cessaire Ă la pensĂ©e et rĂ©ciproquement, nous tournons dans un cercle dâoĂč nulle nouvelle langue ni pensĂ©e ne peut Ă©merger. La position de lâouvrage de Heidegger est quâĂ travers lâart et le geste des mains celui qui produit des Ćuvres dâart, qui invite, porte et accueille les autres, de nouveaux signes et par consĂ©quent un nouveau langage et une nouvelle pensĂ©e peuvent commencer dâexister. Les gestes des mains peuvent communiquer ce qui nâest pas encore articulĂ© dans un langage constituĂ©. Ils peuvent cependant rĂ©vĂ©ler des maniĂšres de dire quâune langue structurĂ©e nâexprime pas encore. Le rapport des mains Ă la fois au corps, Ă lâart et Ă la poĂ©sie est crucial pour lâexpression de la pensĂ©e selon Heidegger. Dans lâĆuvre de Lo, les mains sont immobiles et dĂ©tiennent en tant que telles un instant de silence, qui serait condition dâune nouvelle pensĂ©e et/ou dâun nouveau langage. De plus, elles sont flanquĂ©es de caractĂšres chinois, dont certains sont effacĂ©s. Elles ont bien pu tracer la calligraphie et ajoutent lĂ une tension supplĂ©mentaire se rĂ©fĂ©rant Ă elles-mĂȘmes. Elles se figent dans leur mouvement, mais lâĂ©nergie quâelles ont emmagasinĂ©e porte dâautres gestes, dâautres actions. On a lĂ un dessin de lâaction, le tracĂ© du processus du dessin. Câest Ă ce moment-lĂ que Lo me fournit lâexplication du texte ornant les deux cĂŽtĂ©s de lâĆuvre. Elle me dit que les quatorze caractĂšres sept de chaque cĂŽtĂ© fonctionnent par la combinaison de deux idĂ©ogrammes. Ceux tracĂ©s sur les marges sont constituĂ©s de lâĂ©lĂ©ment femme » Ă gauche, associĂ© Ă un autre caractĂšre qui lui donne son sens gĂ©nĂ©ral, mais il est nĂ©cessairement fĂ©minisĂ©. En tant que tel, ce signe fĂ©minin donne au terme un stĂ©rĂ©otype genrĂ©. Lo a effacĂ© cette clĂ© de chaque caractĂšre tracĂ© sur les bords de lâĆuvre, faisant ainsi perdre son sens au caractĂšre complet. Cette explication mâaida beaucoup, bien que je ne sache lire lâĂ©criture ni produire une explication satisfaisante de lâĆuvre dans son ensemble. Je nâavais eu Ă lâĂ©poque quâun contact bien superficiel avec lâart et la culture chinoises. JâĂ©tais encore consciente du fait que lâĆuvre impliquait son intĂ©gration Ă des dĂ©bats qui ne mâĂ©taient guĂšre familiers et oĂč je me sentais un peu perdue, des dĂ©bats chinois, au moins Ă lâĂ©poque, se plaçant dans la sociĂ©tĂ© sinisante et les pratiques du pays. Par Chine, il faut entendre de nombreuses entitĂ©s politiques et communautĂ©s au-delĂ , qualifiĂ©es de chinoises. DĂšs ma petite enfance, jâavais passĂ© bien des heures de bonheur dans de nombreuses collections publiques dâart chinois » du musĂ©e Victoria & Albert, du British Museum, dâEurope et dâAmĂ©rique. Jâavais quelque familiaritĂ© avec lâimpact visuel de la poĂ©sie et des paysages chinois sur papier et sur soie, sans parler dâune variĂ©tĂ© dâautres objets dâart. Jâai vu maintes Ćuvres calligraphiques et connaissais certaines prĂ©sentations europĂ©ennes de la calligraphie chinoise, de son rĂŽle dans la culture ancienne, dans la vie sociale et politique. Jâavais encore approchĂ© la Chine comme autre perspective, de par mes Ă©tudes de philosophie et dâhistoire de lâart. Fig. 3 Attempt 8 [Tentative 8] de Lo Yuen-yi, graphite sur toile encollĂ©e, 240 x 180 cm, 1998. LâintĂ©rĂȘt de Lo pour les mains se prolongea avec la sĂ©rie dâĆuvres intitulĂ©e Tentative. Tentative 8 1998 donne une premiĂšre impression de grande tension. Cependant, les deux mains y coopĂšrent, mais on se demande si elles tentent de froisser le papier ou la toile portant le dessin ou si elles veulent en façonner un objet. Le dessin de Lo devient autocentrĂ© les mains dessinant la scĂšne forment encore le dessin rĂ©alisĂ©. Cependant, on y trouve enchĂąssĂ©e lâĂ©nergie des mains maniant le support, comme si elles voulaient en presser un jus. Je pourrais continuer Ă spĂ©culer Ă partir dâautres sources europĂ©ennes. Mais il vaudrait mieux Ă ce point de lire les chinoises pour comprendre plus avant les Ćuvres. Roger Ames, qui a publiĂ© une interprĂ©tation dâun des classiques chinois La rĂ©gulation Ă usage ordinaire äžćșžy dĂ©fend le point de vue que, dans la cosmologie chinoise Produire du sens est radicalement intĂ©grĂ© ; cela provient des rapports changeants dans le monde de nos expĂ©riences dans la continuitĂ© de notre prĂ©sent » Ames, in Tsao and Ames, 2011, p. 40. Lâauteur poursuit en suggĂ©rant que câest parfaitement exprimĂ© dans le mot chinois tiyong é«çš, quâil fait remonter Ă Wang Bi çćŒŒ 226-249 laissant entendre que câest devenu un terme omniprĂ©sent Ă partir de lĂ dans les rĂ©flexions philosophiques des confucianistes. En termes simples, il dit Toute crĂ©ativitĂ© est conçue comme situĂ©e et absolument intĂ©grĂ©e une co-crĂ©ativitĂ© en collaboration. Se crĂ©er et crĂ©er son monde est un processus visant au mĂȘme but et mutuellement dĂ©pendant Ames in Tsao and Ames, 2011, p. 40. Si lâon applique ceci Ă Tentative 8, on sâexpliquera mieux pourquoi les mains et lâacte de dessiner dĂ©peint semblent contenir tant dâĂ©nergie contenue, retenant un mouvement qui doit Ă©clater en dessins et pourquoi lâĆuvre est intitulĂ©e Tentative. Lâaction de dessiner est ainsi Ă©galement le dĂ©roulement de ce qui est tracĂ© et, ce faisant, le processus de lâartiste se modelant en artiste. Cette interprĂ©tation vaudrait aussi pour lâensemble de la sĂ©rie, en particulier pour Tentative 6, dans laquelle les deux mains façonnent la clĂ© de la femme. Câest dans le contexte de la cosmologie chinoise que ce dessin prend tout son sens. Car câest en traçant et en effaçant lâidĂ©ogramme radicalement fĂ©minin et les mains qui le tracĂšrent que lâartiste tente de se constituer en tant quâartiste femme dans un environnement culturel oĂč ceci est difficile, voire impossible pour elles. Lo Yuen-yi naquit et grandit Ă Hong Kong, alors sous administration britannique, mais cependant dans une ambiance chinoise. Elle poursuivit ses Ă©tudes de beaux-arts Ă Florence, puis Ă Londres, oĂč elle acquit une meilleure connaissance des approches europĂ©ennes de lâart, de sa thĂ©orie et de son esthĂ©tique, y compris de la perception de la Chine et de sa pensĂ©e, de sa culture et de ses pratiques par les EuropĂ©ens. Cependant, son Ćuvre aussi reflĂšte en mĂȘme temps les dĂ©bats particuliers Ă Hong Kong et ses conditions sociales spĂ©cifiques, alors que la ville conservait quelque autonomie vis Ă vis de la Chine tout en se rattachant davantage au Continent. Dans la mesure oĂč le dessin-Ă©criture â et donc lâart â restent enracinĂ©s dans les valeurs confucĂ©ennes, de telles pratiques restent peu ouvertes aux femmes. Lâapparence dâoccidentalisation » de Hong Kong, son approche du dessin-Ă©criture lâart de lâencre est perçu dans une optique confucĂ©enne et reste de ce fait dâun accĂšs difficile aux femmes artistes. Le confucianisme Le mot confucianisme » est une invention europĂ©enne. Le rĂŽle de mĂ©diation jouĂ© par les missionnaires, jĂ©suites en particulier, entre le christianisme et ce quâils percevaient comme religions locales, en tentant de montrer leurs similitudes, est souvent sous-estimĂ© ou oubliĂ©. Dans son ouvrage Confucianism and Women 2006, Li-Hsiang Rosenlee soutient que Le terme de confucianisme [âŠ] est une invention » des jĂ©suites de la fin du XVIIIe siĂšcle, une invention plus quâune traduction littĂ©rale ou une image de la culture lettrĂ©e de la fin de la Chine impĂ©riale. En effet, il nâexiste aucun Ă©quivalent littĂ©ral ou conceptuel de confucianisme » en chinois. Par contre, ce que les jĂ©suites voulurent exprimer par le mot confucianisme » est le concept de ru, dont le sens [âŠ] ne dĂ©rive ni ne dĂ©pend de Confucius, puisquâil remonte avant le Confucius historique. Autrement, il serait absurde de parler de vies de confucianistes » ru avant Confucius Rosenlee, 2006, 17. Elle dĂ©clare aussi que le confucianisme est un concept perçu comme rĂ©gissant la pensĂ©e, les usages sociaux et tous les niveaux de la vie morale; un concept irrĂ©ductible aux seules Ćuvres de Confucius. Rosenlee remonte donc Ă lâorigine du mot ru, et dĂ©montre quâon le retrouve dĂšs lâorigine des documents Ă©crits. Ce qui donne son unitĂ© au concept au fil du temps est son rapport aux lettrĂ©s et aux gens de lettres. Venu le temps de Confucius, il avait pris une dimension expressĂ©ment morale, fondant son existence sur la vĂ©nĂ©ration du passĂ© pour le le bien du prĂ©sent. [âŠ] La rĂ©vĂ©rence des ru pour la tradition, y compris littĂ©raire et rituelle en une Ă©poque dâinvasions Ă©trangĂšres, devenait alors la meilleur garantie de la culture de lâĂ©lite chinoise, un synonyme de la sinitude » Rosenlee, 2006, 24. Selon Rosenlee, le confucianisme tel que dĂ©fini ci-dessus comporte une vĂ©nĂ©ration tant pour un passĂ© fondant nĂ©cessairement des hiĂ©rarchies familiales, sociales, politiques que pour la tradition lettrĂ©e de lâĂ©rudit artiste. Le confucianisme en tant que ru est associĂ© Ă la culture de lâĂ©lite en Chine ; câĂ©tait la base sur laquelle un raffinement culturel privilĂ©giant la littĂ©rature se dĂ©veloppa et fleurit pour au moins deux mille ans. Savoir lire Ă©tait une marque de statut social, recherchĂ© en tant que tel mĂȘme par ceux qui pouvaient tout juste se le permettre. Cependant, cela encouragea lâalphabĂ©tisation et la culture. Selon Dieter Kuhn, les candidats aux concours de la fonction publique sous les Song se comptaient par centaines de milliers plutĂŽt que par centaines sous les Tang » Kuhn, 2009, p. 121. Ce qui dĂ©montre combien nombreuse Ă©tait lâĂ©lite Ă©duquĂ©e, combien elle dĂ©veloppait une hiĂ©rarchie propre, alors quâelle en excluait encore la grande majoritĂ© qui ne pouvait consacrer les ressources et le temps exigĂ©s par la prĂ©paration des concours. Savoir lire nâĂ©tait cependant pas simplement la capacitĂ© Ă lire ; elle impliquait la connaissance et la frĂ©quentation de textes classiques » de Confucius ou Ă lui attribuĂ©s, des interprĂ©tations tardives ou des ouvrages antĂ©rieurs intĂ©grĂ©s par des commentateurs ultĂ©rieurs. DâoĂč la constante fluiditĂ© de ce qui fut considĂ©rĂ© au fil des Ăąges comme liĂ© Ă ou attribuĂ© Ă Confucius. Câest ce corpus de textes et de pratiques qui fut compris comme le confucianisme ». La connaissance de ce canon Ă©tait mise Ă lâĂ©preuve par le systĂšme de concours donnant lâaccĂšs aux charges publiques et ainsi un Ă©lĂ©ment essentiel de lâĂ©ducation recherchĂ©e par lâĂ©lite. Mais les concours ne faisaient pas quâencourager lâĂ©rudition, elle Ă©tait associĂ©e de prĂšs Ă la formation du caractĂšre et Ă la conduite morale. Comme je lâai montrĂ© plus haut, les anciens classiques chinois comme La rĂ©gulation Ă usage ordinaire äžćșž associent la pratique de lâĂ©criture au comportement Ă©thique. Ainsi, Craig Clunas observe que, dĂšs le IIe siĂšcle, la calligraphie dâun texte rĂ©vĂšle le caractĂšre et la force morale Clunas, 1997, 135. Les liens entre Ă©criture, poĂ©sie, dessin et moralitĂ© remontent certainement au Classique des mutations æç¶et autres anciens ouvrages canoniques. Cela explique encore la pratique de la copie de textes calligraphiĂ©s particuliĂšrement estimĂ©s. Non seulement lâexercice permet de dĂ©velopper sa technique dans cet art, mais il permet encore de se conformer au caractĂšre et Ă lâĂ©thique du maĂźtre quâon copie. Dans son article NĂ©gocier avec le passĂ©, lâart de la calligraphie dans la Chine post-maoĂŻste » 2012 Ying Lihua observe que la calligraphie chinoise combine langue, art, philosophie/pensĂ©e et poĂ©sie, et quâelle Ă©tait considĂ©rĂ©e comme la forme dâart la plus accomplie dans la Chine traditionnelle. Cependant, malgrĂ© la rĂ©volution communiste visant Ă lâĂ©tablissement dâune nouvelle organisation sociale et politique, la calligraphie a continuĂ© dâexercer un grand rĂŽle dans la Chine moderne. De plus, dit-elle, les mĂȘmes critĂšres dâapprĂ©ciation esthĂ©tique demeurent jusquâĂ nos jours, Ă trois niveaux la forme » xing comprenant le tracĂ© des traits, la structure et la composition de lâĆuvre, le rythme » lĂŒdong ou jiezou maĂźtrise du mouvement et de lâĂ©nergie appliquĂ©e, et enfin, lâesprit » ou le style » jingshen ou fengge les qualitĂ©s personnelles infusant lâĆuvre de lâartiste Ying Lihua, 2012, 37. LâintĂ©rĂȘt persistant pour la calligraphie lâart de lâencre expliquerait, au moins Ă un niveau dâanalyse, pourquoi tant dâartistes chinois contemporains la pratiquent. Peut-ĂȘtre que lâĆuvre qui se rĂ©fĂšre le plus explicitement Ă la pratique calligraphique est-elle LâĂcrit cĂ©leste Tianshu ć€©æž par Xu Bing 1988. Xu imagina quelques 4 000 caractĂšres inexistants. LâĂcrit se fit un nom hors de Chine aprĂšs son exposition Ă la 45e biennale de Venise en 1993, oĂč il fut interprĂ©tĂ© comme critique de lâabsurde gĂ©nĂ©rĂ© par la RĂ©volution culturelle. Dâautre artistes connus intĂ©grant la calligraphie dans leur Ćuvre sont Qiu Zhijie, avec son Copier mille fois le Liminaire aux PoĂšmes composĂ©s au kiosque aux OrchidĂ©es 1992-1995, oĂč il copia mille fois le classique de la calligraphie chinoise sur le mĂȘme feuillet, au point de voiler tout caractĂšre en noircissant complĂštement le papier. Zhang Huan recourut Ă une semblable approche consistant Ă copier sur une mĂȘme surface jusquâĂ la noircir complĂštement dans son Arbre gĂ©nĂ©alogique 2000. Il employa des calligraphes Ă copier son arbre gĂ©nĂ©alogique sur son visage pendant trois jours. Les trois artistes ci-dessus expliquĂšrent leur Ćuvre comme une tentative de se façonner et de retrouver un lien avec le passĂ©, personnel ou social et familial. Leur travail fut interprĂ©tĂ© comme tentatives de continuation de la longue tradition de lâĂ©criture et de la calligraphie. Dieter Kuhn soutient dans son livre LâĂąge du gouvernement confucĂ©en [The Age of Confucian Rule] 2009 que lâĂ©thique confucĂ©enne rĂ©gissait la vie des individus du berceau Ă la tombe tout autant quâelle fondait lâart de gouverner et lâadministration. Un aspect fondamental des croyances confucĂ©ennes, observe Kuhn, est que lâindividu nâest quâun maillon dans la chaĂźne joignant ancĂȘtres et futurs descendants. La mort concluait la vie, lâindividu reposait en paix, mais le trĂ©pas nâinterrompait pas les relations entre dĂ©funts et vivants. LâĂąme du cadavre dans son sĂ©pulcre pouvait apporter du bien aux vivants quand les rites Ă©taient convenablement observĂ©s Kuhn, 2009, p. 112. On peut affirmer que des artistes comme Xu Bing, dâune famille de lettrĂ©s et dâuniversitaires, envoyĂ© Ă la campagne pendant la RĂ©volution culturelle, chercha le moyen de relier Ă nouveau son Ćuvre Ă celle des maĂźtres du passĂ© et des auteurs de slogans rĂ©volutionnaires. Il fut en effet rĂ©duit Ă lâĂ©poque Ă tracer des slogans et Ă©crire des rapports. Il ressentit probablement le besoin de replacer son Ćuvre dans la succession des artistes passĂ©s et futurs. En tant quâhommes, tant Xu Bing que Gu Wenda bĂ©nĂ©ficiĂšrent dâune bonne Ă©ducation et dâancĂȘtres cultivĂ©s, leur permettant de sâintĂ©grer dans cette tradition de lettrĂ©s-artistes relativement facilement. La situation faite aux femmes artistes en Chine est plus complexe, vu quâelles ne peuvent facilement se relier Ă cette tradition trĂšs phallocentrique et patriarcale. Les concours mandarinaux ne furent jamais ouverts aux femmes. Certaines Chinoises ont pu recevoir une excellente Ă©ducation littĂ©raire, mais elles nâĂ©taient pas admises Ă concourir ou exercer de charges publiques dans la Chine impĂ©riale. Il existe certes de bien rares exemples de femmes trĂšs cultivĂ©es, comme le prouvent certains poĂšmes, dessins et peintures qui nous sont parvenus, de tels tĂ©moignages demeurent bien exceptionnels. La plupart des femmes, y compris de lâĂ©lite, Ă©taient illettrĂ©es. La sociĂ©tĂ© chinoise Ă©tait, et beaucoup soutiendront quâelle le reste, patriarcale. Alors, quâune artiste puisse exister et que ses Ćuvres soient vues comme contemporaines pose dâautant plus problĂšme. Lo ne pouvait que difficilement prĂ©senter son Ćuvre artistique comme un chaĂźnon entre ancĂȘtre et postĂ©ritĂ©. Ayant grandi Ă Hong Kong, elle subit lâinfluence des cultures chinoise comme occidentale, mais ne pouvait placer son art dans aucune. Câest ainsi quâelle fut attirĂ©e par lâĂ©criture des femmes » nĂŒshu, tradition de dessin-Ă©criture, parallĂšle en quelque sorte Ă celle des hommes lettrĂ©s, mais pratiquĂ©e par des paysannes. La pratique de lâĂ©criture des femmes prit place dans une sociĂ©tĂ© profondĂ©ment confucĂ©enne dans ses observances et ses valeurs. La piĂ©tĂ© filiale rĂ©gissait toutes les pratiques quotidiennes et le dessin-Ă©criture fut interprĂ©tĂ© de maniĂšre bien similaire Ă sa pratique par les lettrĂ©s, quoique ceci le fĂ»t par des gens de stature sociale infĂ©rieure des paysannes. Une autre tradition scripturaire celles qui pratiquĂšrent lâĂ©criture des femmes Dans ses Ćuvres antĂ©rieures, Lo prĂ©sentait lâĂ©criture chinoise comme un systĂšme imposant des stĂ©rĂ©otypes de genre, questionnant par lĂ sa propre place dans cette tradition. Dans des crĂ©ations plus tardives, elle considĂšre le nĂŒshu 愳æžcomme une tradition littĂ©raire et artistique alternative dĂ©veloppĂ©e par les femmes. Par lĂ , elle replace son Ćuvre Ă elle au cĆur dâun autre rĂ©cit des origines et dâune suite culturelle littĂ©raire, dâoĂč elle nâest pas exclue en tant que femme celles Ă©duquĂ©es dans lâĂ©criture des femmes. En outre, quand la tradition des lettrĂ©s artistes excluait, en tant que marque dâappartenance Ă lâĂ©lite, le nĂŒshu intĂ©grait, nâexcluant pas celles qui lâignoraient, mais cherchait au contraire Ă les intĂ©grer. Fig. 4 Chanson en Ă©criture nĂŒshu, Ă©crite par Hu Ci-zhu 1905â1976 au milieu des annĂ©es 1950,retranscrite par Lo Yuen-yi. Fig. 5 He Jing-kui 1930~, village de Zhaxia, canton de Shangjiangxu, 2000, photo prise par Lo Yuen-yi. LâintĂ©rĂȘt de Lo pour la tradition calligraphique et les caractĂšres chinois comme symboles de la discrimination fondĂ©e sur le genre, lâamena Ă explorer une autre forme dâĂ©criture, dite nĂŒshu littĂ©ralement Ă©criture fĂ©minine » pratiquĂ©e par les femmes de la campagne de lâarrondissement reculĂ© de Jiangyong æ±æ°žçžŁ, province du Hunan. Cette Ă©criture diffĂšre beaucoup des quelques dizaines de milliers de caractĂšres chinois hanzi æŒąćdâusage officiel. LâĂ©criture des femmes est phonĂ©tique, et on a identifiĂ© jusquâici deux mille caractĂšres transcrivant la langue locale, le parler de Chengguan ćé. Contrairement aux caractĂšres chinois inscrits dans un carrĂ©, ceux du nĂŒshu prennent la forme de losanges. LâĂ©criture fĂ©minine allait toujours de pair avec les nĂŒge 愳æ littĂ©ralement chants des femmes » ; tous deux Ă©taient pratiquĂ©s presque exclusivement par les femmes et trouvaient place dans un ensemble de pratiques rituelles et traditionnelles accomplies par elles. Comme lâobserve Lo, on trouve le nĂŒshu sur des notes, des Ă©ventails de papier et des carnets. Dâautres textes sont Ă©crits ou brodĂ©s sur des tissus. Les documents comprennent la narration dâĂ©vĂ©nements historiques, des priĂšres, des chansons populaires, de la correspondance avec des amies, des exhortations Ă la future, des biographies et des autobiographies. Mais peu dâentre eux seulement nous sont parvenus. Non seulement les matĂ©riaux des documents papier et textiles sont fragiles, mais lâusage de les brĂ»ler ou de les enterrer Ă la mort de leur propriĂ©taire, de maniĂšre quâelle puisse continuer Ă chanter et Ă Ă©crire dans lâau-delĂ signifie que bien peu dâentre eux nous soient parvenus Lo, 2014, 398-399. Fig. 6 Ăcriture nĂŒshu sur tissu rĂ©alisĂ©e par Yang Huanyi 1905â2004, ferme de Tongshanling,canton de Shangjiangxu, photo prise par Lo Yuen-yi. Les paysannes de la rĂ©gion se mariaient hors de leur village ; les distances et leurs nouvelles responsabilitĂ©s dâĂ©pouses signifiaient quâil leur Ă©tait malaisĂ©, voire impossible, de retourner dans leur village natal. Dans une structure sociale oĂč les devoirs filiaux mettaient la femme dans la situation dâavoir Ă prendre soin exclusivement de son mari et de ses beaux-parents, au moins jusquâĂ la naissance dâun fils, tout en devant se fier Ă leur soutien, la vie nâĂ©tait pas toujours facile. La pratique de lâĂ©criture et du chant des femmes leur permettait de dĂ©velopper des relations de sororitĂ© » dans leur village natal, qui pouvaient Ă©voluer vers des Ă©changes entre bourgades. Liu Feiwen suggĂšre que les pratiques du nĂŒshu Ă©taient intimement liĂ©es aux Ă©vĂ©nements majeurs de la vie des femmes. Avant le mariage, les jeunes filles se liaient de sororitĂ© jurĂ©e et sâĂ©crivaient en nĂŒshu. Quand approchaient leurs noces, les promises jouaient des lamentations avec sanglots alors quâelles allaient quitter village natal, famille et amis. Leurs compagnes et parentes prĂ©paraient des lettres Ă lâĂ©pousĂ©e en nĂŒshu sanzhaoshuäžææž Ă offrir en cadeaux Ă la mariĂ©e. AprĂšs leur mariage, les femmes comptaient sur le nĂŒshu comme source dâencouragement personnel en cas de crise ou en lâabsence de soutien de la part des hommes Liu Feiwen, 2004, 253. Les textes disponibles suggĂšrent encore quâil Ă©tait portĂ© une grande attention Ă la longueur des textes et quâune tradition dĂ©finissait les possibilitĂ©s et les rĂšgles de rĂ©daction de diffĂ©rents genres littĂ©raires. Alors que ces documents ne sont pas toujours considĂ©rĂ©s comme littĂ©rature, ils en prĂ©sentent bien des caractĂ©ristiques, quoique Ă©tant composĂ©s par des femmes en une Ă©criture autre que celle de lâĂ©lite officielle. Quand le fait dâĂȘtre versĂ© dans lâĂ©criture chinoise et les classiques distinguait lâĂ©lite, les limites entre savoir lire et illettrisme sont moins tranchĂ©es en nĂŒshu. Comme le remarque Liu Feiwen, le nĂŒshu, bien que forme Ă©crite, entend dâĂȘtre reprĂ©sentĂ© par le chant ou la psalmodie, le rendant ainsi accessible aux illettrĂ©es. De mĂȘme, le chant des femmes sous sa forme orale nĂŒge peut ĂȘtre transcrit en nĂŒshu Liu Feiwen, 2001, 1052. Comme le note Liu Feiwen, on sait que des femmes demandaient Ă leurs compagnes sachant Ă©crire le nĂŒshu de transcrire leurs biographies chantĂ©es nĂŒge. On sait encore que les Lettres Ă lâĂ©pousĂ©e » sanzhaoshu prĂ©sentĂ©es Ă la mariĂ©e, devaient ĂȘtre rĂ©digĂ©es par les compagnes de son village natal, chantĂ©es par sa parentĂšle fĂ©minine et transcrites en nĂŒshu pour ĂȘtre offertes sous forme Ă©crite. Celles qui nâen Ă©taient pas capables demandaient lâaide dâune experte en la matiĂšre. On peut encore affirmer que les spĂ©cialistes de cette Ă©criture Ă©taient connues dans leur entourage et quâelles aidaient les autres femmes Ă mettre les chants des femmes par Ă©crit en nĂŒshu. En soi, lâĂ©criture des femmes nâest pas Ă©litiste comme pouvaient lâĂȘtre la lecture et la pratique de la calligraphie dans la Chine impĂ©riale. On sait que le nĂŒshu Ă©tait connu hors de sa rĂ©gion dans les annĂ©es 1950, aprĂšs la rĂ©volution communiste de 1949. Cependant, malgrĂ© sa pratique par des paysannes et son caractĂšre intĂ©grateur, Liu Feiwen remarque que sa pratique fut taxĂ©e pendant la RĂ©volution culturelle 1966-1976 dâ Ă©criture de sorciĂšres » et ses utilisatrices prĂ©sentĂ©es comme magiciennes. Les caractĂšres chinois furent simplifiĂ©s et largement enseignĂ©s. Alors que les usages villageois changeaient sous le rĂ©gime communiste et que lâĂ©ducation devenait accessible Ă tous hommes comme femmes lâĂ©criture comme le chant des femmes furent abandonnĂ©s. Rosenlee soutient dans son Confucianism and Women a Philosophical Interpretation 2006 que cette doctrine ru devrait ĂȘtre rĂ©examinĂ©e au regard des pratiques des Ăąges passĂ©s, tentant dâexpliquer lâĂ©cart entre lâenseignement moral confucĂ©en et la rĂ©alitĂ© historique de lâoppression genrĂ©e dans la Chine impĂ©riale et ses implications dans les traditions culturelles qui rĂ©gissent aujourdâhui encore la vie sociale et politique chinoise. Pour Rosenlee, la hiĂ©rarchie pĂšre-fils fait partie intĂ©grante du confucianisme comme instrument de gouvernement. Mais les relations filiales ne peuvent ĂȘtre justifiĂ©es que par une approche morale. Elle fait donc remonter dans le passĂ© le sens de confucianisme comme ru. Ce faisant, elle montre que, si le confucianisme comme ru fut dĂ©veloppĂ© par divers souverains dans des sens lĂ©gĂšrement diffĂ©rents, les devoirs filiaux instituĂšrent une hiĂ©rarchie patriarcale, familiale et sociale qui nâa jamais radicalement changĂ© dans le temps. Mais, soutient-elle Le confucianisme ne devrait point ĂȘtre rĂ©duit Ă un ensemble de parentĂ© hiĂ©rarchisĂ©e et de rĂŽles fixĂ©s pour chacun des genres. Si lâon se tient Ă cette vision rĂ©ductrice, on nĂ©glige lâaspect dynamique du confucianisme, dont la thĂ©orie morale de la bienveillance ren ä» tout comme son insistance sur le but dâune vie quâest la culture de soi et le maintien de relations sociales convenables, correspondent Ă lâĂ©thique fĂ©ministe, au moins en thĂ©orie ⊠et sa personnalitĂ© sociale construite comme un rĂ©seau de relations Rosenlee, 2006, 16. Elle dĂ©montre les changements du sens de ru dans son analyse historique. Cependant, le rapport Ă la sĂ©pulture et aux rites du deuil chez une classe de savants nâest quâun aspect de sa signification historique. Un autre est lâidĂ©al civil de gouvernement bienveillant, insistant sur des relations dâobligations rĂ©ciproques, notamment dans le clan et entre souverain et sujet. Rosenlee soutient que ru est genrĂ© quand ren ne lâest pas. Le concept de personne ren äșș, soutient-elle est une catĂ©gorie morale dĂ©finie par des actes concrets, plutĂŽt que par des traits du genre masculin. Cependant, elle poursuit Le confucianisme ne considĂšre jamais lâindividu comme isolĂ©, autonome, dont les qualitĂ©s essentielles et les capacitĂ©s intellectuelles seraient octroyĂ©es de lâextĂ©rieur et dĂ©tenues uniquement en son intĂ©rieur. Au lieu de cela, une personne est toujours situĂ©e dans un contexte social. Une persona qua persona est une individualitĂ© en relations, car une personne sans relations est encore sans humanitĂ© Rosenlee, 2006, 39. Rosenlee cherche un moyen qui lui permettrait de sĂ©parer ce qui pose problĂšme Ă la pensĂ©e occidentale aujourdâhui de ce qui se met facilement dâaccord avec les valeurs occidentales. Aussi problĂ©matique que ça puisse paraĂźtre, il ne fait aucun doute quâun concept similaire Ă lâhumanisme occidental est ancrĂ© dans le confucianisme et que lâhumanisme comprend une attente morale. Le jĂ©suite italien Matteo Ricci 1552-1610 tenta de dĂ©peindre le confucianisme comme une forme dâhumanisme de la renaissance Ă la fin du XVIe siĂšcle. Bien que Roselee de tire pas toutes les implications du rapport entre relation enfants-parents et le concept de ren, la thĂšse quâelle dĂ©fend y tend. LâĆuvre de Lo les met en parallĂšle pour surmonter les problĂšmes des femmes artistes chinoises, qui autrement resteraient invisibles. Lo visita trois fois la rĂ©gion de lâĂ©criture des femmes entre 1998 et 2003. Ce fut lâoccasion de passer son temps avec les femmes du lieu et en particulier avec les survivantes ĂągĂ©es dĂ©sireuses de partager avec elle leurs souvenirs des jours oĂč lâĂ©criture comme le chant des femmes Ă©taient pratiquĂ©s. Elle les photographia, tenant souvent quelque Ă©chantillon dâĂ©criture des femmes et enregistra leurs mĂ©lopĂ©es nĂŒge. Sa photo de Yang Huanyi sortant de la maison avec un fascicule de nĂŒshu dans la main droite fait partie dâune sĂ©rie de photos et de vidĂ©os, tĂ©moignages sur les femmes du pays pratiquant tant lâĂ©criture que les chants des femmes. Fig. 7 Yang Huanyi sortant de la maison avec un livret dans la main droite, village de Yangjia,canton de Shangjiangxu 1998, photo prise par Lo Yuen-yi Le tableau de Lo Lettre invisible 2013 revient aux quatorze caractĂšres chinois de Configuration 1998 oĂč la clĂ© de la femme fonde la signification du caractĂšre. Nous avons ici quatorze lettres personnelles dĂ©diĂ©es Ă celles qui pratiquaient autrefois lâĂ©criture et le chant des femmes. Chaque caractĂšre chinois donne le titre dâune lettre intime et son sens est employĂ© dans la lettre qui suit. LâĆuvre consiste en lettres adressĂ©es Ă la plus ĂągĂ©e des femmes de la rĂ©gion Ă se rappeler le nĂŒshu et Ă savoir rĂ©citer des chants des femmes que Lo ait rencontrĂ©e. Son mĂ©dium ne se limite pas au visuel, ni mĂȘme Ă lâoral, câest un dessin, mais qui intĂšgre lâĂ©criture, non sans ressembler Ă ceux des lettrĂ©s chinois traditionnels, comportant souvent un poĂšme. Ă lire des textes en nĂŒshu traduits, il apparaĂźt souvent quâils se conforment Ă une structure littĂ©raire propre et sont rimĂ©s. La plupart Ă©taient Ă©crits Ă la premiĂšre personne et le rĂ©cit semble remĂ©morer des jours rĂ©volus ou des Ă©vĂ©nements qui ne sont plus. Langueur et plaintes sont courants. Bien des lettres de Lo sont accompagnĂ©es dâun document iconographique photo dâune personne, objet ou Ćuvre dâart en trois dimensions commĂ©morant les femmes et le nĂŒshu. La premiĂšre lettre de Lettre invisible 2013 dĂ©bute par le caractĂšre yan ćŠ , traduit par charmant, fascinant, captivant, le sourire captivant dâune femme, cramoisi gĂ©nĂ©reux et vert tendre » Lo, 2013, 689. La lettre est adressĂ©e Ă la vĂ©nĂ©rable MĂ©mĂ© Yang » ; la photo lâaccompagnant est de Yang Huanyi 1905-2004. Cette femme est portraiturĂ©e souriante, portant un tablier brodĂ© dâĂ©criture des femmes. La lettre remĂ©more leur rencontre et mentionne sa voix devenue rauque et un accompagnement de bruits de pompe Ă eau. Fig. 8 Yang Huanyi 1905â2004, village de Yangjia, canton de Shangjiangxu, 1998,photo prise par Lo Yuen-yi. Je reproduis ici un court extrait de la lettre de Lo Tu es toujours dans mes pensĂ©es. Je tâai Ă©voquĂ©e dans mes Ă©crits, je me suis appropriĂ© tes artefacts dans mes dessins et tout mon travail de crĂ©ation. Jâai partagĂ© tes chants avec beaucoup de gens, vieux ou jeunes, hommes ou femmes, Ă travers cultures et disciplines Lo, 2013, 689. Voici un exemple de texte en nĂŒshu traduit En tenant un stylo, jâĂ©cris avec une double traĂźnĂ©e de larmes JâĂ©cris pour rĂ©conforter ma sĆur, anxieusement Liu Feiwen, 2004, 263 On peut voir que le texte de Lo cherche Ă conserver partiellement la forme de certains textes en nĂŒshu et, ce faisant, Ă maintenir la continuitĂ© des relations filiales. Une autre lettre de Lo est placĂ©e sous le caractĂšre di 暣 traduit par sĆur cadette, Ă©pouse dâun frĂšre cadet ». Lo Ă©crit Vous savez, grand-mĂšre, un nom est essentiel. On nous donnĂ© un nom Ă la naissance. Il reprĂ©sente une personnalité⊠Lo, 2013, 690. Cette lettre est accompagnĂ©e dâune photo du dessin de Lo intitulĂ© ĂnoncĂ©s 1999. Fig. 9 Utterances [ĂnoncĂ©s] 1999 de Lo Yuen-yi, graphite sur toile encollĂ©e, 244 x 105 cm, 1998. La derniĂšre lettre renvoie Ă la premiĂšre. Elle figure sous le caractĂšre yuan ćȘ, traduit par une beautĂ©, beau, votre fille, une beautĂ© cĂ©lĂšbre, talentueuse et belle ». Ici, Lo ajoute MĂ©mĂ©, jâai fait plusieurs dessins depuis ma derniĂšre visite. GrĂące Ă la comprĂ©hension de votre pratique de lâĂ©criture des femmes⊠Lo, 2013, p. 704. Lo cite alors un chant des femmes transcrit, sans doute basĂ© sur sa dĂ©clamation par Yang En toi, je prends forme graduellement Quelle forme, demandĂ©-je Lâeau qui coule MâentraĂźne au loin Jâai pensĂ© un jour que jâĂ©tais lâeau Lâeau qui mâentraĂźne au loin Nâest plus pure Mais nâest jamais calme Lo, 2013, p. 704 Cette citation dans la derniĂšre lettre retourne Ă la mention de lâeau dans la premiĂšre, oĂč le bruit de la pompe Ă eau faisait Ă©cho Ă la voix rauque de la femme dĂ©clamant du nĂŒshu. Le temps sâest Ă©coulĂ© comme le flot⊠La lettre se conclut par ces mots Respectueusement vĂŽtre, votre humble enfant » Lo, 2013, 704. Jâai soutenu plus haut que le confucianisme, surtout dans des classiques tels que La grande Ă©tude Daxue et La rĂ©gulation Ă usage ordinaire Zhongyong lâĂ©laboration du sens Ă©tait posĂ©e de maniĂšre radicale. Ames fait usage du mot crĂ©ativitĂ© » dans la traduction quâil propose du passage suivant du Zhongyong. Dâautres versions plus kantiennes insistent sur la capacitĂ© Ă lâaction. Sa traduction du chapitre 25 dit La crĂ©ativitĂ© chen gèȘ entend sa propre prise de conscience zicheng èȘæ, et la voie dao é qui y mĂšne procĂšde dâelle-mĂȘme zidao èȘé. La crĂ©ativitĂ© » englobe quoi que ce soit wu ç© considĂ©rĂ© de son commencement Ă sa fin ; sans elle, ni ĂȘtres, ni Ă©vĂ©nements. Ainsi les gens dâexception junzi ćć prisent la crĂ©ativitĂ©. Mais ce nâest pas la simple prise de conscience de son individualitĂ©, câest tout autant ce qui accomplit les autres ĂȘtres. Prendre conscience de soi entend accomplir sa propre moralitĂ© renä» ; prendre conscience des autres ĂȘtres revient Ă faire preuve de sapience dans la prise de conscience de son propre monde zhi ç„. Ames, in Tsao et Ames, 2011, 41. èŻè èȘæäčïŒèéèȘéäčăèŻè ïŒç©äčç»ć§ăäžèŻæ ç©ăæŻæ ććèŻäčäžș莔ăèŻè ïŒéèȘæć·±èć·Čäčăæä»„æç©äčăæć·±ä»äčăæç©ç„äčăæ§äčćŸ·äčïŒćć€ć äčéäčăæ æ¶æȘäčćźäčă MĂȘme dans cette version, le passage est quelque peu opaque, mais on peut montrer, en se rĂ©fĂ©rant Ă dâautres textes et en lâappliquant Ă lâĆuvre de Lo, que le confucianisme pose toute crĂ©ativitĂ© comme situĂ©e et fondamentalement intĂ©grĂ©e se crĂ©er et crĂ©er son environnement ont un mĂȘme objet. Cependant, il y a lĂ plus que se rĂ©aliser » et son monde ». Comme le souligne Ames, la bontĂ© nâest pas la puretĂ© dâune Ăąme individuelle, mais surgit par-dessous tout de lâaccomplissement particulier dâune conduite sociale dans son rĂŽle de telle fille, de tel frĂšre ou sĆur, de telle Ă©pouse. Ce nâest que par dĂ©rivation et abstraction quâelle a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e comme qualitĂ© personnelle Ames, 2011, 43. Dans ses lettres Ă des femmes particuliĂšres pratiquant lâĂ©criture des femmes, Lo est passĂ©e dâune pratique et dâune tradition au concept plus abstrait de lâart. Ce faisant, elle prĂ©sente le travail de ces femmes comme de lâart, et, continuant dans cette voie, elle en fait aussi une tradition vivante, sâen constituant en hĂ©ritiĂšre et en praticienne de cette tradition. Elle se fait artiste chinoise pouvant prendre sa place dans cet hĂ©ritage. En mĂȘme temps, elle pratique encore la morale confucĂ©enne sous-tendant la tradition de lâĂ©criture des femmes. Cette derniĂšre est rĂ©gie par lâĂ©thique de la piĂ©tĂ© filiale. LâĂ©criture des femmes naquit » en rĂ©action aux limites imposĂ©es aux femmes par la piĂ©tĂ© filiale, tout en leur permettant de communiquer grĂące Ă ce systĂšme graphique. Contrairement Ă lâhumanisme occidental, qui mena au dĂ©veloppement de concepts comme lâautonomie, lâhumanisme confucĂ©en se fonde sur les rapports humains et est, en soi, insĂ©parable de la relation parents enfants. Lo se concentre, dans son Ćuvre tardif, non Ă une Ă©criture cultivĂ©e par les grands artistes calligraphes, mais Ă une forme toute particuliĂšre, pratiquĂ©e par des paysannes hunanaises. A lâopposĂ© de lâĆuvre de lettrĂ©s, devenant trĂšs prisĂ©e et prenant davantage encore de valeurs Ă mesure quâelle circule, celle des femmes de la rĂ©gion du nĂŒshu tomba presque dans lâoubli. Chunas note que les cinq relations » canoniques dans le confucianisme sont souverain-ministre, pĂšre-fils, frĂšres aĂźnĂ© et cadet, mari-femme et amis entre eux. LâĆuvre des femmes pratiquant le nĂŒshu circulait entre amies, en soi, hors du domaine des cinq catĂ©gories prĂ©cĂ©dentes. Comme elles ne pouvaient prĂ©tendre Ă une plus grande visibilitĂ©, leurs Ćuvres nâĂ©taient comprises quâappartenant Ă lâintime, et Ă©taient donc brĂ»lĂ©es ou enterrĂ©es avec la dĂ©funte. Le travail de Lo cherche Ă mettre ce patrimoine sous le projecteur et, par la mĂȘme occasion, Ă repositionner sa propre identitĂ© de femme artiste active. Mais ceci ne peut gagner la place de patrimoine et ĂȘtre reconnu que sâil peut circuler au-delĂ des praticiennes de lâĂ©criture des femmes. Son activitĂ© artistique pourrait bien donner une voix audible aux femmes, qui, mĂȘme quand elles pouvaient Ă©crire et communiquer, ne pouvaient le faire que dans des circonstances rendant leurs voix muettes. Comme Judith Butler et Gayatri Chakravorty le soulignent Nous ne sommes pas loin de la politique quand nous sommes dĂ©pouillĂ©es. » Butler & Chakravorty, 2007, 5. La voix des dĂ©possĂ©dĂ©s nâest entendue que quand elle on lui permet de, quâon accepte de lâentendre. Et cette voix doit ĂȘtre Ă©coutĂ©e comme celle dâun ĂȘtre humain, celle dâune communautĂ© humaine. La thĂšse de Heidegger dans Quâappelle-t-on penser ? conclut en affirmant que la pensĂ©e est liĂ© au remerciement, la pensĂ©e apparaissant comme un cadeau. Derrida dĂ©veloppe cette thĂšse en soulignant le rapport entre cadeau et obligation. Il prend Ă son compte lâinterprĂ©tation par LĂ©vinas du rapport entre cadeau, obligation et Ă©thique. DâaprĂšs ma maniĂšre de voir, certains aspects du confucianisme pourraient ĂȘtre Ă©troitement associĂ©s Ă la pensĂ©e et Ă la morale, tant de Heidegger que de Derrida. Le ton moral de certaines interprĂ©tations du confucianisme insiste toujours sur les relations et les obligations sociales, rĂ©vĂ©lĂ©es dans lâĆuvre de Lo par maniĂšre de manĆuvrer entre cultures et Ă©thiques. LâĆuvre de Lo Dessiner lâĂ©criture sâouvre sur un dialogue avec lâartiste Joseph-BenoĂźt SuvĂ©e 1743-1807. La raison du choix de ce titre vient de celui de la toile de SuvĂ©e Lâorigine du dessin, encore connue sous le titre de Dibutade ou LâOrigine du Dessin 1791. Le tableau fut peint selon les rĂšgles et les critĂšres esthĂ©tiques de lâAcadĂ©mie de peinture française. Comme tel, câest une huile sur toile de grandes dimensions reprenant un rĂ©cit classique figurant chez Pline lâAncien et dâautres sur lâorigine du dessin ». La peinture de SuvĂ©e sâinspire du rĂ©cit de la fille de Dibutade qui traça sur le mur le dessin de lâombre de la tĂȘte de son amant sur le dĂ©part. Jacques Derrida lâĂ©voque dans son catalogue dâexposition MĂ©moire dâaveugle 1992 Comme si voir Ă©tait interdit pour dessiner, comme si on ne dessinait quâĂ la condition de ne pas voir, comme si le dessin Ă©tait une dĂ©claration dâamour destinĂ©e ou ordonnĂ©e Ă lâinvisibilitĂ© de lâautre, Ă moins quâelle ne naisse de voir lâautre soustrait au voir. Derrida, 1993, 54 Le rĂ©cit prĂ©sentĂ© comme Ă©manant de SuvĂ©e semble placer lâĆuvre dans une continuitĂ© dâartistes et Ă©crivains hommes, dans un enchaĂźnement dâĆuvres plastiques ou Ă©crites. Sous son nom de plume, Lo rĂ©pond Ă Derrida en empruntant Ă lâhistoire selon Cixous. Lo adopte la perspective de Cixous, qui applique la citation ci-dessus tant au dessin quâĂ lâĂ©criture. Cixous soutient que dessin et Ă©criture sont deux aventuriers partis chercher dans les tĂ©nĂšbres » Cixous, 1998, p21. RĂ©pondant par la voix de Cixous, Lo reconstitue non seulement son propre hĂ©ritage artistique, mais aussi celui de lâesthĂ©tique et de lâhistoire de lâart. Dans le contexte chinois et de Hong Kong cependant, elle Ă©largit encore les possibilitĂ©s du dessin et de lâĂ©criture, donc de lâart comme activitĂ© fĂ©minine. Bien que toute son Ćuvre insiste sur son positionnement en tant que fille de la piĂ©tĂ© filiale soumise aux gens de statut plus Ă©levĂ©, elle Ă©labore encore de nouvelles successions artistiques, devenant ainsi un dirigeant » dans lâouverture de nouvelles perspectives en dessin/Ă©criture1. Traduit de lâanglais par Marie Laureillard et Laurent Long. Nicola Foster Bibliographie Ames, Roger T., & David L. Hall, Focusing the familiar a translation and philosophical interpretation of the Zhongyong. University of Hawaii Press, 2001. Butler, Judith, & Spivak, Gayatri Chakravorty, Who sings the Nation-State? Language, Politics, belonging. Seagull Books, 2007. Cixous, Helen, Stigmata escaping texts, Londres, Routledge, 1998. Clunas, Craig, Art in China. Oxford University Press, 1997. Dawson, Raymond, Confucius The Analects. Oxford University Press, 1993. Derrida, Jacques, MĂ©moires dâaveugle lâautoportrait et autres ruines. Paris, RĂ©union des musĂ©es nationaux, 1990. 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Plusieurs parties de ce chapitre ont Ă©tĂ© publiĂ©es dans le Journal of contemporary Chinese Art, n°1 et 2 dans un article intitulĂ© Chineseness the work of Lo Yuen-yi in memory of the women of nĂŒshu » [Sinitude, lâĆuvre de Lo Yuen-yi Ă la mĂ©moire des femmes pratiquant le nĂŒshu]. [â©] TĂ©lĂ©charger lâarticle au format pdf. Article Ă©crit par Ye Xin MaĂźtre de confĂ©rences Ă lâuniversitĂ© Paris 8. Peintre, graveur et calligraphe RĂ©sumĂ© Les jeux de texte-image pratiquĂ©s par les lettrĂ©s chinois tels Shitao, Ni Zan, Zhu Da et les artistes occidentaux moderne et contemporains comme Kandinsky, Matisse, Duchamp, Boltanski, Sophie Calle seront examinĂ©s ici en proposant de voir une concordance entre le jeu de texte-image de Matisse et la pratique picturale chinoise du lettrĂ©. Le caractĂšre chinois porte Ă la fois la signification du texte et celle de lâimage et que le trait de pinceau est essentiel autant dans la peinture que dans la calligraphie depuis le VIe siĂšcle â ce qui nâest pas le cas en Occident. Entre lâĂ©criture de lâimage et lâimage de lâĂ©criture, nous envisagerons les diffĂ©rents rapports entre Ă©criture et image conçus dans les deux mondes. Nous aborderons Ă©galement le rapport image/texte Ă travers lâautobiographie, lâautofiction et le livre dâartiste et nous rĂ©flĂ©chirons sur leurs diffĂ©rents statuts. Le livre dâartiste nous semble parfaitement reprĂ©sentatif dâune symbiose rĂ©ussie entre image et Ă©criture, voire entre Orient et Occident. Abstract The text-image games practiced by Chinese scholars such as Shitao, Ni Zan, Zhu Da and modern and contemporary Western artists such as Kandinsky, Matisse, Duchamp, Boltanski, Sophie Calle will be examined here by proposing to see a concordance between Matisseâs text-image game and the Chinese pictorial practice of the scholar. The Chinese character carries both the meaning of the text and that of the image, and the brushstroke has been essential in both painting and calligraphy since the 6th century â which is not the case in the West. Between the writing of the image and the image of the writing, we will consider the different relationships between writing and image conceived in the two worlds. We will also look at the relationship between image and text through autobiography, autofiction and the artistâs book and reflect on their different statuses. The artistâs book seems to us to be perfectly representative of a successful symbiosis between image and writing, or even between East and West. La langue du peintre Pourquoi aprĂšs avoir Ă©crit Qui veut se donner Ă la peinture doit commencer par se faire couper la langue â, ai-je besoin dâemployer dâautres moyens que ceux qui me sont propres ? »1 En 1947, Henri Matisse posait cette question dans lâintroduction de son livre dâartiste Jazz fig. 1.2 Dans ce texte manuscrit dâenviron quatre-vingts pages, qui accompagne les vingt images de ses papiers dĂ©coupĂ©s, Matisse justifie le rĂŽle dâimage que lâĂ©criture peut jouer en tant que fond sonore » de tableaux en couleur. Il livre dans le contenu de ce texte ses propres propos sur lâart mais aussi sur la vie dâun artiste. Fig. 1 Henri Matisse, Jazz, Paris, Ădition TĂ©riade, 1947. Cet excellent jeu de texte-image » conceptuel, Ă la fois intime et ouvert au public, peut ĂȘtre rapprochĂ© dâune ancienne pratique picturale chinoise, la peinture lettrĂ©e », caractĂ©risĂ©e par lâassociation de la poĂ©sie, de la calligraphie et de la peinture dans une mĂȘme Ćuvre rĂ©alisĂ©e par un mĂȘme peintre. Cette tradition qui commence, selon les textes historiques, dĂšs la dynastie des Tang vers le VIIIe siĂšcle, sâĂ©panouit sous les Song et se formalise comme langage courant sous les Yuan Ă partir du XIVe siĂšcle. DĂšs lors, la peinture est figurative, elle reprĂ©sente des paysages et ĂȘtres vivants mais elle est fortement codifiĂ©e et allĂ©gorisĂ©e, tout comme des signes dâĂ©criture. Ces codes, une fois appris par cĆur par copie, permettent une peinture rĂ©alisĂ©e de maniĂšre spontanĂ©e. De plus, sur lâespace laissĂ© vide dans la peinture, le peintre improvise son texte. Il note souvent les circonstances de la rĂ©alisation de lâĆuvre, une poĂ©sie ou un commentaire technique ou esthĂ©tique personnel. La dĂ©marche du peintre lettrĂ© qui associe peinture et Ă©criture peut ĂȘtre rapprochĂ©e de celle de Matisse lorsquâil rĂ©alise Jazz. Selon une Ă©tymologie ancienne, le mot image devrait ĂȘtre rattachĂ© Ă la racine de imitari. Nous voici tout de suite au cĆur du problĂšme le plus important qui puisse se poser Ă la sĂ©miologie des images ». Dans RhĂ©torique de lâimage, Roland Barthes pose la question La reprĂ©sentation analogique la copie peut-elle produire de vĂ©ritables systĂšmes de signes et non plus seulement de simples agglutinations de symboles ? »3 Sa rĂ©ponse est non. Le message linguistique est-il constant ? Y a-t-il toujours du texte dans, sous ou alentour lâimage ? » Sa rĂ©ponse est oui4 . Pour Barthes, toute image est polysĂ©mique », câest le message linguistique qui sert dâancrage et de relais ». Si la peinture, comme dâautres images, peut ĂȘtre un langage visuel », câest la langue parlĂ©e ou Ă©crite qui ancrerait ou relaierait un point de vue » Ă lâimage vue, lui donnerait un sens5 Le mot idĂ©e » vient de chose visible », nâest-ce pas pour dire que sans vue on ne pense pas, mais que sans un cerveau avec une mĂ©moire de lâexpĂ©rience visuelle qui pense, les yeux regardent mais ne voient rien ? Comme les Ă©crits sur la peinture ont besoin de la peinture pour exister, la peinture a besoin de lâĂ©criture pour identifier son existence, ne serait-ce que la signature des artistes, le titre des Ćuvres, la technique, la dimension, la date de crĂ©ation, le lieu oĂč elle se trouve, lâhistoire, la critique, la lĂ©gende. LâUnique Trait de Pinceau Matisse avait dĂ©jĂ avancĂ© lâidĂ©e de se couper la langue » Vous voulez faire de la peinture ? Commencez alors par vous couper la langue, car dĂ©sormais vous ne devez vous exprimer quâavec vos pinceaux. »6 Si en Europe, ne sâexprimer quâavec son pinceau » signifie uniquement peindre », ce nâest pas le cas en Chine, oĂč depuis plus de trois mille ans, les Chinois peignent et Ă©crivent avec un instrument unique le pinceau. Le caractĂšre pinceau » en chinois vient dâun pictogramme composĂ© de la main, qui tient une tige verticalement, la tige sâouvre en trois poils qui symbolisent la tĂȘte de pinceau. Le caractĂšre Ă©voluera et sâĂ©crira plus tard èż yu. Câest avec le mĂȘme signe pinceau » quâon compose le caractĂšre ç« hua trait de pinceau, tracĂ© de la limite, dessiner, dessin, peindre, peinture et æž shu Ă©crire, Ă©criture , lettre, livre, calligraphie. Des verbes aux noms, le signe pinceau » signifie en Chine Ă la fois le texte et lâimage. Cet instrument unique a donnĂ© naissance Ă une esthĂ©tique commune Ă lâĂ©criture et la peinture. Au dĂ©but du IIe siĂšcle, avec la calligraphie en style cursif apparaissent les premiers textes sur la beautĂ© du trait de pinceau. Sur une image fixe de lâĂ©criture, on admire un souffle vital » gestuel et Trois siĂšcles plus tard, Xie He considĂšre cette vitalitĂ© du tracĂ© du pinceau, propre Ă la calligraphie, comme les deux premiers des six canons de la Depuis, le trait du pinceau, Ă©lĂ©ment abstrait » de lâesthĂ©tique, est ancrĂ© dans la peinture comme dans la calligraphie. A la fin du XVIIe siĂšcle, lâEncyclopĂ©die de la peinture chinoise â Enseignements de la Peinture du Jardin grand comme un grain de moutarde de Wang Gai a rĂ©uni lâhistoire, lâesthĂ©tique et les techniques dâexpression propres au pinceau pour reprĂ©senter le En mĂȘme temps, Shitao a publiĂ© ses Propos sur la peinture de Moine Citrouille amĂšre oĂč il affirme sa thĂ©orie lâUnique Trait de Pinceau embrasse-t-il tout, jusquâau lointain le plus inaccessible et sur dix mille millions de coups de pinceau, il nâen est pas un, dont le commencement et lâachĂšvement ne rĂ©sident finalement dans cet Unique Trait de Pinceau dont le contrĂŽle nâappartient quâĂ lâhomme »10. Le coup de pinceau fixe un geste de lâhomme vivant, pour toujours. La facture du tracĂ© La moraleâ du dessin nâest pas celle de la photographie. » Dans RhĂ©torique de lâimage, Roland Barthes distingue la reprĂ©sentation figurative du dessin et de la photographie. Il accorde beaucoup dâimportance Ă la facture » du dessin qui selon lui, constitue dĂ©jĂ une connotation »11. Fang Erping, le traducteur de Barthes en chinois, utilise pour facture » le mot chinois bifa çæł littĂ©ralement maniĂšre mĂ©thode du pinceau ou crayon, plume ». Comme dans lâUnique Trait de Pinceau » de Shitao, Kandinsky sâintĂ©resse aux diffĂ©rents Ă©lĂ©ments de la peinture », il les rĂ©sume en Point et ligne sur plan. Selon lui, la ligne est la trace du point en mouvement, donc son produit »12 La peinture en Europe renonce peu Ă peu Ă son savoir-faire sur la perspective centrale, lâanatomie et lâeffet clair-obscur. AprĂšs lâinvention de la photographie, elle accentue de plus en plus le trait, la touche et la tache du pinceau. De lâimpressionnisme au pointillisme, de CĂ©zanne Ă Matisse, le coup pinceau lâemporte. Sâexprimer avec le pinceau porte dĂ©sormais aussi ce sens il ne sâagit plus dâune reprĂ©sentation exacte de la vision rĂ©elle illusoire en trompe-lâĆil, mais dâune expression gestuelle oĂč le coup de pinceau est en lui mĂȘme signe plastique13. LâarrivĂ©e du stylo et du crayon au XXe siĂšcle rompt en Chine cette culture de lâunique trait de pinceau », mais lâesprit graphologique » qui permet de sentir la personnalitĂ©, lâĂ©tat dâesprit du calligraphe fonctionne toujours avec un stylo ou un crayon. Les mauvaises habitudes » ou les dĂ©fauts » de lâĂ©criture font le style dâun calligraphe, surtout quand il avance en Ăąge. Certaines expressions anciennes reflĂštent cette idĂ©e, comme le texte câest lâhomme » wen ru qi ren æćŠć ¶äșș, lâĂ©criture, câest lâhomme » zi ru qi renććŠć ¶äșș, la peinture, câest lâhomme » hua ru qi renç«ćŠć ¶äșș et lâĂ©criture vieillit avec lâhomme » renshu julao äșșæžäż±è. Si cet unique trait de pinceau » nâappartient quâĂ lâhomme », il reprĂ©sente aussi lâhomme. Chaque tracĂ© scriptural ou pictural a sa facture », câest la facture » de chacun qui laisse son empreinte personnelle. Quand Ni Zan peint Les six Gentilshommes alors que lâempire subit la domination mongole en 1345, il utilise les arbres comme une allĂ©gorie pour exprimer sa dignitĂ© fig. 2. Trois cents ans plus tard, Zhu Da reprend le sujet sous la domination mandchoue en nommant son Ćuvre Les six Gentilshommes dâaprĂšs Ni Zan en 1694, et grĂące Ă une facture qui lui est propre, il rĂ©alise une une interprĂ©tation personnelle rĂ©ussie fig. 314. Fig. 2 Ni Zan, Les six Gentilshommes, 1345. MusĂ©e de Shanghai. Fig. 3 Zhu Da, Les six Gentilshommes dâaprĂšs Ni Zan, 1694. MusĂ©e Guimet. LâĂ©criture de lâimage Wang Genyan a dit On me demande quâest ce quâune peinture lettrĂ©e shifu hua? Ma rĂ©ponse est un seul mot pour tout dire, câest Ă©crire xie. â Cette parole est trĂšs juste. Le caractĂšre doit ĂȘtre Ă©crit et non dĂ©crit, il en est de mĂȘme pour la peinture. Une fois tombĂ©e dans la description, la peinture devient une manĆuvre vulgaire. »15 Ainsi Wang Xuehao çćžæ”© 1754-1832 dĂ©finit la peinture lettrĂ©e comme shifu hua 棫怫ç«Â», que lâon peut traduire par peinture rĂ©alisĂ©e par un mandarin ». Certains historiens ont compris ces propos sous lâangle social la peinture lettrĂ©e est celle rĂ©alisĂ©e par lâĂ©lite de la sociĂ©tĂ©, en opposition Ă la peinture des professionnels qui vivent de leur peinture. Dâautres critiques les ont compris sous un angle plus technique il sâagit du style expressif xieyi 毫æ, opposĂ© au style minutieux gongbić·„ç. Ces deux approches ne reflĂštent pas la rĂ©alitĂ©, car le style expressif nâest pas lâapanage du lettrĂ© et inversement les peintres dit lettrĂ©s » ont parfois prĂ©fĂ©rĂ© utiliser le style minutieux. De mĂȘme, si on examine les chefs-dâĆuvres de la peinture lettrĂ©e, on se rend compte que leurs auteurs ont souvent vĂ©cu de leur peinture, soit parce quâils nâont jamais eu de fonction de mandarin, soit parce quâils lâont perdue et doivent vivre de leur art16. Mais, Ă la diffĂ©rence des peintres officiels de la Cour ou des peintres artisans, ils cultivent une peinture personnelle, acquiĂšrent une notoriĂ©tĂ©, mĂȘme sâils ne sont ni fonctionnaires, ni Ă©crivains il en est ainsi de Zhu Da, Shitao ou Qi Baishi. Quand on parle de peinture Ă©crite », quel est le rapport rĂ©el entre lâacte de peindre et celui dâĂ©crire ? Peinture traditionnelle et calligraphie utilisent toutes les deux des signes appris par cĆur, sans modĂšle, ni crayonnĂ©. Au dĂ©but du VIIIe siĂšcle, Wang Wei affirmait sur la voie de la peinture, la mĂ©thode de lâeau et de lâencre est suprĂȘme »17. Cette peinture monochrome permet aux hommes de lettres dâexploiter pleinement leur expĂ©rience de la calligraphie. Elle sâinspire de la codification de la calligraphie, du coup de pinceau et de la rapiditĂ© du tracĂ© des fresques artisanales. Fortement liĂ©e Ă la pensĂ©e de la nature, cette peinture monochrome est fondĂ©e sur la reprĂ©sentation du paysage, mais aussi des fleurs, des oiseaux, des animaux et des personnages. Ă partir de lâobservation de la nature, les peintres transforment leur vision rĂ©elle en signes picturaux » qui forment un langage codifiĂ©, mĂ©morisĂ© suite Ă un entraĂźnement rĂ©pĂ©titif, comme pour lâapprentissage de lâĂ©criture des caractĂšres. AprĂšs la phase dâapprentissage de ce langage pictural codifiĂ©, la rĂ©alisation peut ĂȘtre instantanĂ©e et expressive. Câest le souffle vital » du tracĂ© qui est alors apprĂ©ciĂ© a travers les figures. LâEncyclopĂ©die de la peinture chinoise â Enseignements de la Peinture du Jardin grand comme un grain de moutarde de Wang Gai, traduit et commentĂ© en français par RaphaĂ«l Petrucci, permet dâapprĂ©cier lâimportance ce dictionnaire » de vocabulaire du langage de la peinture lettrĂ©e. Dans sa prĂ©face, Petrucci Ă©crit Lâabondance des renseignements quâil apporte, philosophiques, historiques ou techniques en font un instrument de travail de premier ordre. » Lâimage de lâĂ©criture Cette fois jâai Ă prĂ©senter des planches de couleur dans des conditions qui leur soient les plus favorables. Pour cela, je dois les sĂ©parer par des intervalles dâun caractĂšre diffĂ©rent. Jâai jugĂ© que lâĂ©criture manuscrite convenait le mieux Ă cet usage. La dimension exceptionnelle de lâĂ©criture me semble obligatoire pour ĂȘtre en rapport dĂ©coratif avec le caractĂšre des planches de couleur. ⊠Ces pages ne servent donc que dâaccompagnement Ă mes couleurs comme des asters aident dans la composition dâun bouquet de fleurs dâune plus grande importance. »18 Sur lâĂ©criture qui accompagne lâimage dans Jazz, Louis Aragon Ă©crit dans Matisse, roman Peut-ĂȘtre jamais nâa-t-on mieux fait sentir la pauvretĂ© de lâĂ©criture, le caractĂšre purement dĂ©coratif des mots⊠Et Ă chaque fois quâĂ©clatent les couleurs, jâĂ©prouve, Ă les y comparer, la supĂ©rioritĂ© de la peinture comme langage sur toute autre expression de lâhomme. »19 Aragon applaudit chez Matisse la supĂ©rioritĂ© de la peinture comme langage ». Cette bienveillance de lâĂ©crivain envers son ami peintre, est touchante mais pas forcĂ©ment convaincante si le texte de Jazz Ă©tait Ă©crit en couleur et si les papiers dĂ©coupĂ©s Ă©taient en noir et blanc, le rapport texte/image serait dĂ©jĂ diffĂ©rent. Il est vrai quâavant dâĂȘtre lue, lâĂ©criture nâest quâune image, une image abstraite ». En Chine, on considĂšre que lâĂ©criture est image de connaissance » ou reconnaissance » tushi ćè, entre image de raison » tuli ćç, comme les hexagrammes, signes symboliques du Yijing ou Livre des Mutations et image figurative » tuxing ććœą, comme peinture.20 GrĂące a sa dimension linguistique, lâimage de lâĂ©criture est non seulement capable dâexpliquer et donner un ancrage» au sens prĂ©cis Ă lâimage de raison » comme une formule de mathĂ©matiques par exemple et Ă lâimage figurative » comme la peinture ou la photographie. De plus, lâĂ©criture est capable de crĂ©er des images mentales » on dit en chinois image du cĆur » xinhuaćżç« , de dĂ©crire une scĂšne, un sentiment⊠Mais si on ne connaĂźt pas cette image de la langue, si on ne reconnaĂźt pas cette Ă©criture, on peut en rester au niveau visuel de lâimage, se contenter dâen admirer lâallure du tracĂ©, chercher la facture de tel ou tel Ă©crivain comme pour la calligraphie ou beautĂ© ou laideur pour la typographie. Matisse Ă©crit dans la postface de Jazz Jâai fait ces pages dâĂ©critures pour apaiser les rĂ©actions simultanĂ©es de mes improvisations chromatiques et rythmĂ©es, pages formant comme un fond sonoreâ qui les porte, les entoure et protĂšge ainsi leurs particularitĂ©s. »21 Selon Aragon, il a bien rĂ©ussi sur ce plan le texte manuscrit joue son rĂŽle de fond sonore » entre les signes plastiques » allĂ©goriques de Jazz. De mĂȘme, les inscriptions sur les peintures figuratives des lettrĂ©s, si on les ne traduisait pas deviendraient un fond sonore, mais le sens Ă©chapperait au lecteur. Autobiographie Que puis-je Ă©crire ? se demande Matisse pour Jazz. Je ne puis pourtant pas remplir ces pages avec des fables de La Fontaine, comme je le faisais, lorsque jâĂ©tais clerc dâavouĂ©, pour les conclusions grossoyĂ©esâ, que personne ne lit jamais, mĂȘme pas le juge et qui ne se font que pour user quantitĂ© de papier timbrĂ© en rapport avec lâimportance du procĂšs. » Matisse renonce ici au rĂŽle dâillustrateur et Ă©galement au livre de peintre traditionnel » Il ne me reste donc quâĂ rapporter des remarques des notes prises au cours de mon existence de peintre. Je demande pour elles, Ă ceux qui auront la patience de les lire, lâindulgence que lâon accorde en gĂ©nĂ©ral aux Ă©crits des peintres. »22 Si le livre dâartiste se distingue du livre de peintre », câest parce que le livre dâartiste doit concevoir un texte/image original ». Au contraire, dans un livre de peintre » oĂč le peintre illustre un texte dĂ©jĂ Ă©crit avec sa langue coupĂ©e ! comme Matisse lâavait fait pour les PoĂ©sies de StĂ©phane MallarmĂ© 1932 ou les PoĂšmes de Charles dâOrlĂ©ans 1950 avant et aprĂšs Jazz. De Jazz de Matisse aux Mots pour Rire 1974 de Christian Boltanski23, en passant par le Journal intime 1979-1992 de Sophie Calle24 , le livre dâartiste en France est souvent un jeu Ă la premiĂšre personne » â autobiographie ou autofiction, associant textes et dessins ou textes et photographies. Contrairement aux notes intimes des textes-images de LĂ©onard de Vinci qui retracent ses idĂ©es sur la crĂ©ation, ses Ă©tudes artistiques ou scientifiques publiĂ©es seulement aprĂšs sa mort, le livre dâartiste est conçu pour entendre la voix de lâartiste publiquement et raconter son histoire aux spectateurs, les toucher Ă travers une sorte de performance » intime ». Câest aussi ce qui caractĂ©rise les inscriptions des peintres lettrĂ©s chinois sur leurs peintures ils cultivaient, dĂšs le XIVe siĂšcle, des textes personnels », notaient le contexte de rĂ©alisation du tableau, des propos sur la peinture ou des poĂ©sies improvisĂ©es. GrĂące Ă Jonathan Hay, nous disposons dâune intĂ©ressante biographie de Shitao, tirĂ©e notamment de lâanalyse de prĂšs de deux cents textes de Shitao inscrits sur ses peintures. Sur chacune dâelles, Shitao a laissĂ© des traces de sa vie et de sa vision du monde en textes et en images. Ces rouleaux et albums forment une sorte de livre dâartiste » dans lequel Shitao livre des fragments autobiographiques ». Hay les a rassemblĂ©s avec des repĂšres historiques et des tĂ©moignages de ses contemporains pour reconstruire un Shitao en chair et en os », conscient que cet autoportrait comportait sans doute une part dâ autofiction » fig. 4. Il explique notamment comment un orphelin autodidacte, sans diplĂŽme, ni salaire de fonctionnaire, a pu vivre de sa peinture lettrĂ©e. Hay dĂ©voile Ă travers cette Ă©tude la modernitĂ© » de la peinture lettrĂ©e de la fin du XVIIe siĂšcle25. Fig. 4 Shitao, Scruter les monts merveilleux pour trouver mon esquisse, 1691. MusĂ©e de la CitĂ© Interdite, PĂ©kin. DâaprĂšs lâĂ©tude de Hay, Shitao avait demandĂ© Ă des portraitistes anonymes de rĂ©aliser son portrait pour des peintures quâil a qualifiĂ©es dâ autoportraits ». Dans ce cas, seuls les textes manuscrits de Shitao, oĂč se retrouve sa facture graphologique, peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme dâauthentiques autoportraits ». Ce sont dâailleurs ses calligraphies, considĂ©rĂ©es en Chine comme lâart suprĂȘme du pinceau car elles expriment lâintimitĂ© dâun artiste. Les plus grands chef-dâĆuvres sont ainsi souvent des brouillons, comme la PrĂ©face du Lanting de Wang Xizhi, lâĂloge funĂšbre de Yan Zhenqing ou le Repas froid de Su Shi. Ils touchent par lâauthenticitĂ© du premier jet et lâintimitĂ© du contenu souvent autobiographique. Les manuscrits de grandes personnalitĂ©s peuvent aussi devenir des chef-dâĆuvres tant par la calligraphie que par le contenu du texte. Ainsi pourrait-on considĂ©rer la DerniĂšre lettre de Fu Lei, rĂ©alisĂ©e la nuit du 2 septembre 1966 avant son suicide avec son Ă©pouse, comme un des plus grands chef-dâĆuvres calligraphique du XXe siĂšcle fig. 5, 6, 726. Fig. 5, 6, 7 Fu Lei, Lettre ultime Ă Renxiu, manuscrit au pinceau, 1966. Collection privĂ©e. Du rouleau au livre Les Ćuvres calligraphiques et picturales en Chine se prĂ©sentent et se transmettent sous forme de livre principalement en rouleau horizontal ou vertical ou album pliĂ© en accordĂ©on », ce qui permet Ă©galement de les rapprocher du livre dâartiste » tel quâil est conçu en Occident. Comme les Ăgyptiens, les Grecs et les Romains utilisaient le papyrus pour leur premiers livres, les Chinois ont commencĂ© par adopter des tablettes de bambou ou de bois tressĂ© pour crĂ©er des livres en forme de rouleaux. DĂšs le dĂ©but du IIe siĂšcle, la dĂ©couverte et le dĂ©veloppement du papier permet lâapparition dâun nouveau support dâĂ©criture et de peinture. La technique du montage sur rouleaux en papier et en soie apparaĂźt au Ve siĂšcle. AmĂ©liorĂ©e sous les Tang 618-907, cette technique atteint son apogĂ©e sous les Song 907-1279. En tant que rouleau pliĂ©, lâalbum en accordĂ©on permet une transition vers les livres reliĂ©s. GrĂące Ă cette forme mobile » dâĆuvre dâart, de trĂšs anciennes traces picturales ont pu ĂȘtre prĂ©servĂ©es, Ă la diffĂ©rence des grandes fresques, qui ont disparu. Chaque rouleau ou album pliĂ© ancien est Ćuvre et archive historique de lui-mĂȘme car il comporte le texte de son auteur, mais aussi des inscriptions et des sceaux des collectionneurs successifs, des critiques, des experts⊠Il peut Ă©galement ĂȘtre remontĂ© avec lâajout dâune prĂ©face ou postface rĂ©digĂ©es postĂ©rieurement. Contrairement Ă lâhabitude prise aujourdâhui dans les musĂ©es dâexposer les rouleaux horizontaux entiĂšrement dĂ©roulĂ©s, les rouleaux Ă main », Ă©taient conçus pour une lecture de droite Ă gauche selon lâhĂ©ritage de la lecture sur rouleau de tablettes Ă mesure quâon dĂ©roule lâĆuvre avec la main gauche, on la ferme avec la main droite. Lorsque le rouleau devient album pliĂ©, la lecture se fait en feuilletant les doubles pages. Une ouverture complĂšte est Ă©galement possible, lâalbum pliĂ© peut ĂȘtre exposĂ© comme un paravent, forme adoptĂ©e aujourdâhui pour les crĂ©ateurs du livre dâartiste. BĂȘte comme un peintre » Je pensais quâen tant que peintre, dĂ©clare Marcel Duchamp, il valait mieux que je sois influencĂ© par un Ă©crivain plutĂŽt que par un autre peintreâŠ, jâen ai assez de lâexpression bĂȘte comme un peintreâ. »27 Duchamp joue volontiers avec les mots. Dans Lâaventure de lâart au XXe siĂšcle, une page est consacrĂ©e au scandale de 1917 avec une photo de lâĆuvre de Duchamp intitulĂ©e Fontaine. Cette Ćuvre ne peut ĂȘtre comprise que par lâĂ©criture qui lâaccompagne Ă la fois lâinscription notĂ©e sur lâĆuvre R. Mutt » qui indique le nom du fabricant new-yorkais dâarticles sanitaires, les lĂ©gendes, le nom de lâartiste, le titre de lâĆuvre, la date de crĂ©ation, le lieu de conservation mais aussi le texte de lâartiste Le cas Richard Mutt â Lettre ouverte aux AmĂ©ricains qui permettent de comprendre son art conceptuel. Matisse, lui, ne joue pas avec les mots, il est restĂ© peintre, mais a gardĂ© sa langue il a beaucoup parlĂ© et Ă©crit sur son travail. MĂȘme si lâĂ©crivain AndrĂ© Breton estime en 1928 quâil fait parties des vieux lions dĂ©couragĂ©s et dĂ©courageants », il continue sa recherche de signes plastique » en peinture, sculpture, gravure ou papiers dĂ©coupĂ©s, tout en sâexprimant par Ă©crit et en parole tout au long de son carriĂšre28 En Occident comme Chine, lâhistoire et la thĂ©orie de la peinture ont commencĂ© par ĂȘtre Ă©crites par des peintres, puis les thĂ©oriciens, historiens et critiques dâart ont pris le pouvoir sur le discours. Delacroix sâest ainsi insurgĂ© Le pauvre artiste, exposĂ© tout nu avec son ouvraÂge, attend donc avec une vive anxiĂ©tĂ© les arrĂȘts de ce peuple qui a la fureur de juger. »29. Dâautres artistes, tel Picasso, pensent que le rĂŽle du peintre est avant tout de se consacrer Ă sa peinture Il est vrai quâon publie des anthologies de pensĂ©es dâIngres et de Delacroix ; cela donne des frissons. Quelle pensĂ©e de Delacroix peut ĂȘtre mise en balance avec son Sardanapale ? »30 Les autres parlent, moi je travaille ! ».31 Pourtant Picasso a bien compris la valeur de lâĂ©criture, un tableau nâexiste que par sa lĂ©gende et pas par autre chose », dira-t-il32. Au dĂ©but du XXe siĂšcle, la peinture lettrĂ©e est fortement critiquĂ©e en Chine par les artistes et Ă©ducateurs progressistes comme Xu Beihong. Ils remettent en cause le systĂšme dâune peinture trop codifiĂ©e, avec ses signes allĂ©goriques et rĂ©pĂ©titifs, et surtout la mĂ©thode dâapprentissage par la copie, jugĂ©e trop Ă©loignĂ©e de la rĂ©alitĂ©. Issu de cette tradition lettrĂ©e, Xu Beihong, aprĂšs des Ă©tudes en Europe, notamment en France, est devenu un fervent dĂ©fenseur en Chine du dessin rĂ©aliste occidental dâaprĂšs nature. La peinture europĂ©enne avait dĂ©jĂ dĂ©passĂ© le dĂ©fi de la reprĂ©sentation de la vision rĂ©elle quand Xu Beihong la dĂ©couvrit en Europe. Matisse a Ă©tĂ© vivement critiquĂ© par Xu Beihong en 1929 pour sa trahison » Ă la tradition picturale occidentale issue de la Paradoxalement, Xu Beihong nâa jamais abandonnĂ© lui-mĂȘme sa pratique de la peinture lettrĂ©e. Il a gardĂ© toute sa vie cet hĂ©ritage traditionnel mais en lâadaptant Ă ses propres allĂ©gories, en crĂ©ant ses propres signes picturaux issus du dessin dâaprĂšs nature, en essayant dâintroduire des notions dâanatomie, de perspective et des effets dâombre et lumiĂšre dans ses encres comme dans ses huiles sur toile. Parmi les artistes choisis pour enseigner Ă lâĂcole des beaux-arts quâil a fondĂ©e Ă PĂ©kin, on trouve les plus grands noms des peintres et dessinateurs qui ont expĂ©rimentĂ© lâassociation du texte et de lâimage, tel que Qi Baishi ou Ye Qianyu. Le retour Ă la maison Ă partir de la deuxiĂšme moitiĂ© du XXe siĂšcle, la Chine limite la libertĂ© de parole individuelle pour privilĂ©gier la parole officielle et la pensĂ©e unique ». La RĂ©volution culturelle a poussĂ© cette idĂ©ologie totalitaire Ă lâextrĂȘme, laissant des sĂ©quelles jusquâĂ aujourdâhui. Des examens de thĂ©orie politique sont ainsi encore obligatoires aujourdâhui Ă lâuniversitĂ© et aux Beaux-Arts. Les Ă©tudiants ne croient pas aux bonnes rĂ©ponses » quâils doivent apporter, mais ils jouent le jeu pour passer lâexamen. Pourtant, la forme dâexpression issue de la peinture lettrĂ©e reste prĂ©sente. Ironiquement, dans un livre dâartiste, Liu Chunjie ćæ„æ°a inventĂ© un jeu de mots en pensant individuellement » sixiangzhe ç§æłç qui se prononce de la mĂȘme maniĂšre que le mot penseur » sixiangzhe ææłè pour sâĂ©lever contre la pensĂ©e unique et la langue du bois34 fig. 8. Fig. 8 Liu Chunjie, En pensant individuellement, livre dâartiste, Shanghai, Ăditions Huadong shifandaxue, 2008. Un vieux proverbe chinois dit Quand on a un vieux balai utile Ă la maison, il vaut de lâor. » æćžćé bi zhou qian jin Dans son essai Retour Ă la maison » Shuo hui jiaèŻŽććź¶1947, Qian Zhongshu dĂ©montre comment cette mĂ©taphore du retour aux origines se trouve Ă la fois chez les taoĂŻstes, les bouddhistes, chez Platon et Pascal Nos nouvelles dĂ©couvertes, aprĂšs des difficultĂ©s et des souffrances inouĂŻes, nous donnent souvent une impression de dĂ©jĂ -vu, on croit rencontrer de nouveau une chose ancienne. Cela ne peut que nous Ă©merveiller Ah câest donc cela ! Câest ce que voulait dire la phrase sophiste de Pascal tu ne me chercherais pas si tu ne mâavais pas dĂ©jĂ trouvĂ©â»35. Que lâon envisage la peinture lettrĂ©e comme un livre dâartiste avant lâheure » ou non, peu importe. Cet hĂ©ritage est lĂ , cette forme dâexpression en texte-image est essentielle en Chine, elle peut sauver de la langue de bois de la pensĂ©e unique. Ye Xin Bibliographie Aragon, Louis, Matisse, roman, Paris, Gallimard, 1971. Barthes, Roland, Ćuvres complĂštes, tome II, 1962-1967, Paris, Seuil, 2002. Cahill, James, The Painterâs Practice How Artists Lived and Worked in Traditional China, New York, Columbia University Press, 1994. Calle, Bob, Christian Boltanski, Livres dâartiste 1969-2007, Paris, Ăditions 591, 2008. Cauquelin, Anne, Lâart contemporain, Paris, PUF, 2009. Damisch, Hubert, TraitĂ© du trait, Paris, RĂ©union des MusĂ©es Nationaux, 1995. Delacroix, EugĂšne, Ćuvres littĂ©raires, I. Etudes esthĂ©tique 1829-1863, Paris, G. CrĂšs & Cie, BibliothĂšque dionysienne, 1923. Flam, Jack, Conversations entre Matisse et TĂ©riade », dans Matisse et TĂ©riade, Arcueil, AnthĂšse, 2002, p. 19. Hay, Jonathan Painting and Modernity in Early Qing China, Press Syndicate of the University of Cambridge, Cambridge, UK, 2001. Kandinsky, Wassily, Point et ligne sur plan, Paris, Gallimard, 1991. Liu, Chunjie ćæ„æ°, ăç§æłçăEn pensant individuellement , Shanghai, Huadong shifan daxue chubanshećäžćžè性ćŠćșç瀟ïŒ2008. Matisse, Henri, Ăcrits et propos sur lâart, texte, notes et index Ă©tablis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972. Matisse, Henri, Jazz, Paris, Ădition TĂ©riade, 1947. Picasso, Pablo, Propos sur lâart, Ă©dition de Marie-Laure Bernadac et Androula Michael, Paris, Gallimard, 1998. Ryckmans, Pierre, Les propos sur la peinture du Moine Citrouille â AmĂšre, Traduction et commentaire de Shitao, Paris, Plon, 2007. Sophie Calle, Mâas-tu vue catalogue de lâexposition, Paris, Centre Pompidou, 2003. Zhang YanyuanćŒ”ćœ„é , dans Lidai minghua ji æ·ä»Łćç«èš MĂ©moires sur les peintres cĂ©lĂšbres au cours des dynasties successives, Chap. I., Beijing, Renmin meishu chubanshe, 1983. . Henri Matisse, Ăcrits et propos sur lâart, texte, notes et index Ă©tablis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 235. [â©]Album format 42 x 32,5 cm, grand in-folio, 152 pages, tirĂ© en 270 exemplaires, 250 exemplaires sur vĂ©lin dâArches numĂ©rotĂ©s de 1 Ă 250 ; 20 exemplaires non commercialisĂ©s numĂ©rotĂ©s de I Ă XX. Tous les exemplaires sont signĂ©s par lâartiste. [â©]Roland Barthes, Ćuvres complĂštes, tome II, 1962-1967, Paris, Seuil, 2002, p. 573. [â©] Aujourdâhui, au niveau des communications de masse, il semble bien que le message linguistique soit prĂ©sent dans toutes les images comme titre, comme lĂ©gende, comme article de presse, comme dialogue de film, comme fumetto ; on voit par lĂ quâil nâest pas trĂšs juste de parler dâune civilisation de lâimage nous sommes encore et plus que jamais une civilisation de lâĂ©criture lâimage sans parole se rencontre sans doute, mais Ă titre paradoxal, dans certains dessins humoristiques ; lâabsence de parole recouvre toujours une intention Ă©nigmatique., parce que lâĂ©criture et la parole sont toujours des termes pleins de la structure informationnelle. Ibid., p. 577-578. [â©] Lâancrage est la fonction la plus frĂ©quente du message linguistique ; on la retrouve communĂ©ment dans la photographie de presse et la publicitĂ©. La fonction de relais est plus rare du moins en ce qui concerne lâimage fixe ; on la trouve surtout dans les dessins humoristiques et les bandes dessinĂ©es. » Ibid. p. 580. [â©]Lâancrage est la fonction la plus frĂ©quente du message linguistique ; on la retrouve communĂ©ment dans la photographie de presse et la publicitĂ©. La fonction de relais est plus rare du moins en ce qui concerne lâimage fixe ; on la trouve surtout dans les dessins humoristiques et les bandes dessinĂ©es. » Ibid. p. 580. [â©]Deux textes sur lâĂ©criture cursive sont considĂ©rĂ©s comme fondateurs pour la thĂ©orie et lâhistoire de la calligraphie chinoise La force de lâĂ©criture cursive Caoshu shi,ăèäčŠćżă de Cui Yuan ćŽç 78-143 et Contre lâĂ©criture cursive Fei caoshu ăéèæžă de Zhao Yi è””ćŁč, 122-196. [â©]Lâhistoire et lâesthĂ©tique de la peinture a commencĂ© avec le Catalogue des peintres anciens classĂ©s par catĂ©gories Guhua pinlu, ăć€ç»ććœă, Ă©crit par le peintre Xie He è°ąè”« Ă la fin du Ve /dĂ©but du VIe siĂšcles. Il Ă©nonce les Six canons » de la peinture. Les deux premiers viennent de lâesthĂ©tique de la calligraphie dans lâharmonie du souffle, le mouvement de la vie » qiyun shengdong æ°é”çćš et dans le mode de lâos, employer le pinceau » gufa yongbi éȘšæłçšçŹ. Les quatre suivants sont plus techniques conformĂ©ment aux objets, reprĂ©senter les formes ; conformĂ©ment Ă la nature des objets, appliquer les couleurs ; disposition dans lâamĂ©nagement de lâĆuvre ; transmettre les modĂšles par la copie. » Traduction en français de Paul Pelliot [â©]ăè„ććç«ćłăLâouvrage publiĂ© par Li Yu ææŒ et Shen Xinyou æČćżć, Ă©crit et illustrĂ© par Wang Gai çæŠ, rĂ©unit vers la fin du XVIIe siĂšcle ce systĂšme des signes picturaux » dans un manuel dâapprentissage. [â©]âæ€äžç»æ¶ć°œéžżèäčć€ïŒćłäșżäžäžçŹćąšïŒæȘæäžć§äșæ€èç»äșæ€ïŒæćŹäșșäčæĄćäčèłăâ Pierre Ryckmans, Traduction et commentaire de Shitao, Les propos sur la peinture du Moine Citrouille â AmĂšre, Paris, Plon, 2007, [â©] La nature codĂ©e du dessin apparaĂźt Ă trois niveaux dâabord, reproduire un objet ou une scĂšne par le dessin oblige Ă un ensemble de transpositions rĂ©glĂ©es ; il nâexiste pas une nature de la copie picturale, et les codes de transposition sont historiques notamment en ce qui concerne la perspective ; ensuite, lâopĂ©ration du dessin le codage oblige tout de suite Ă un certain partage entre le signifiant et lâinsignifiant le dessin ne reproduit pas tout, et souvent mĂȘme fort peu de choses, sans cesser cependant dâĂȘtre un message fort, alors que la photographie, si elle peut choisir son sujet, son cadre et son angle, ne peut intervenir Ă lâintĂ©rieur de lâobjet sauf trucage ; autrement dit, la dĂ©notation du dessin est moins pure que la dĂ©notation photographique, car il nây a jamais de dessin sans style ; enfin, comme tous les codes, le dessin exige un apprentissage Saussure attribuait une grande importance Ă ce fait sĂ©miologique. » Roland Barthes, Ćuvres complĂštes, tome II, 1962-1967, Paris, Seuil, p. 582. [â©] Elle est nĂ©e du mouvement â et cela par lâanĂ©antissement de lâimmobilitĂ© suprĂȘme du point. Ici se produit le bond du statique vers le dynamique. », Wassily Kandinsky, Point et ligne sur plan, Paris, Gallimard, 1991, p. 67. [â©] Lâimportance de lâartiste se mesure Ă la quantitĂ© de nouveaux signes quâil aura introduits dans le langage plastique. » Henri Matisse, Ăcrits et propos sur lâart, Texte, notes et index Ă©tablis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 172. [â©]Une Ă©tude de Jacques GiĂšs citĂ©e par Hubert Damisch dans TraitĂ© du trait, Paris, RĂ©union des MusĂ©es Nationaux, 1995, p. 191. [â©]Wang Xuehao çćžæ”© 1754-1832, Propos sur la peinture Au Sud de la Montagne ć±±ćè«ç« » çèç äșïŒ æäșșććŠäœæŻć٫〧〫ç«ïŒæ°ïŒćȘäž ćŻ« » ćçĄäčăæ€èŻæäžșäžèŻăćèŠćïŒäžèŠæïŒç»äșŠćŠäčăäžć „æç»ïŒäŸżäžșäżć·„çŁăWang Genyan est le surnom de Wang Hui ç翏 1632-1717, un des Quatre Wang » des Qing cĂ©lĂšbres pour la peinture lettrĂ©e de paysage. [â©]Voir James Cahill, The Painterâs Practice How Artists Lived and Worked in Traditional China, New York, Columbia University Press, 1994, p. 35-74. [â©]Wang Wei, MĂ©thode de la peinture de montagne et dâeau, çç¶ăć±±æ°ŽèšŁăïŒć€«ç«éäčäžïŒæ°Žćąšæçșäžă [â©]Henri Matisse, Ăcrits et propos sur lâart, texte, notes et index Ă©tablis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 235. [â©]Louis Aragon, Matisse, roman, Paris, Gallimard, 1971, p. 795. [â©]éĄć 焿äșïŒćèŒäčææäžïŒäžæ°ćçïŒćŠè±ĄæŻäčïŒäșæ°ćèïŒććžæŻäčïŒäžæ°ććœąïŒçčȘç«æŻäčă Yan Yanzhi éĄć»¶äč 384-456 citĂ© de par Zhang YanyuanćŒ”ćœ„é , dans Lidai minghua ji æ·ä»Łćç«èš MĂ©moires sur les peintres cĂ©lĂšbres au cours des dynasties successives, Chap. I., Beijing, Renmin meishu chubanshe, 1983, p. 2. [â©]Henri Matisse, Ăcrits et propos sur lâart, texte, notes et index Ă©tablis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 240. [â©]Ibid. p. 235. [â©]Bob Calle, Christian Boltanski, Livres dâartiste 1969-2007, Paris, Ăditions 591, 2008, p. 40-41. [â©]Sophie Calle, Mâas-tu vue catalogue de lâexposition, Paris, Centre Pompidou, 2003, p. 41-54. [â©]Jonathan Hay, Painting and Modernity in Early Qing China, Press Syndicate of the University of Cambridge, Cambridge, UK, 2001. Ădition chinoise äčèż ïŒăçłæ¶ïŒæž ćäžćœçç»ç»äžç°ä»Łæ§ăïŒé±ćŁ«ćçèŻïŒäžèäčŠćșïŒćäșŹïŒ2010. [â©]Fu Lei ć é·, 1908-1966, Ă©crivain, historien dâart, est lâun des plus grands traducteurs de littĂ©rature française. La nuit du 2 septembre 1966, aprĂšs trois jours de torture et dâhumiliation, il Ă©crit cette lettre Ă son beau frĂšre pour rĂ©gler ses affaires de famille avant de mettre fin Ă ses jours. ăć é·ćź¶æžæçšżéžèăïŒHangzhou, Zhejiang guji chubansheæ”æ±ć€ç±ćșç瀟ïŒ2008, p. 123-125. [â©]CitĂ© par Anne Cauquelin, Lâart contemporain, Paris, PUF, 2009, p. 76. [â©] Matisse utilise un subterfuge subtil et surprenant dans le contexte de lâĂ©poque il se sert de certaines personnes pour sâobliger Ă livrer le fond de sa pensĂ©e par des entretiens ; il replace ses idĂ©es dans un cadre de travail par rapport auquel il peut prendre du recul, Ă tel point que lâintervieweur apparaĂźt parfois Ă nos yeux comme un intermĂ©diaire Ă travers lequel Matisse consent Ă sâexprimer sans risquer de trop sâexposer. Parmi ces intermĂ©diaires, lâun sâest rĂ©vĂ©lĂ© particuliĂšrement Ă©loquent ; il porte le nom de E. TĂ©riade. », Jack Flam, Conversations entre Matisse et TĂ©riade », dans Matisse et TĂ©riade, Arcueil, AnthĂšse, 2002, p. 19. [â©]EugĂšne Delacroix, Ćuvres littĂ©raires, I. Etudes esthĂ©tique 1829-1863, Paris, G. CrĂšs & Cie, BibliothĂšque dionysienne, 1923. [â©]Picasso, Propos sur lâart, Ă©dition de Marie-Laure Bernadac et Androula Michael, Paris, Gallimard, 1998, [â©]Ibid., [â©]Ibid., p. 169. [â©]Dans une polĂ©mique avec le critique dâart Xu Zhimo en 1929, Xu Beihong a attaquĂ© CĂ©zanne et Matisse pour leur impudente » trahison Ă la tradition picturale de la Renaissance, quâil considĂšre comme le sommet de lâart et de lâhumanisme. [â©]Liu Chunjie ćæ„æ°, ăç§æłçăEn pensant individuellement , Shanghai, Huadong shifan daxue chubanshećäžćžè性ćŠćșçç€ŸïŒ 2008. [â©]Voir âèŻŽććź¶âïŒăé±éșäčŠéïŒććšäșșçèŸčäžäșșçèŸčäžçèŸčäžçłèŻăïŒćäșŹïŒäžèäčŠćșïŒ 2002, p. 42-45. [â©] TĂ©lĂ©charger lâarticle au format pdf. Article Ă©crit par Li Shiyan, Chercheuse Ă Langarts Langages artistiques Asie-Occident RĂ©sumĂ© Cet article traite essentiellement de la maniĂšre dont les artistes chinois, au lendemain de la RĂ©volution culturelle, stimulĂ©s par lâart occidental dans ses formes les plus contemporaines, interrogent et renouvellent les formes traditionnelles de la peinture et de la calligraphie. On pourra y trouver une analyse dâun processus dâĂ©clatement des pratiques scripturales et calligraphiques du lettrĂ© sous diffĂ©rents aspects le dĂ©membrement de lâĂ©criture et ses inventions, la dĂ©composition de la technique calligraphique et la dissociation de lâensemble des quatre trĂ©sors du lettrĂ©. Ces pratiques sont accompagnĂ©es dâemprunts Ă des formes dâexpressions occidentales apparaissant comme des catalyseurs que les artistes chinois utilisent comme des moyens de transformer les expressions traditionnelles sans reprendre forcement avec elles le fil dâune histoire de lâart occidental et le sens singulier de son dĂ©veloppement dans son contexte propre. Abstract This article mainly deals with the way in which Chinese artists, in the aftermath of the Cultural Revolution, stimulated by Western art in its most contemporary forms, question and renew the traditional forms of painting and calligraphy. The book analyses the process of breaking up the scriptural and calligraphic practices of the scholar in various ways the dismemberment of writing and its inventions, the decomposition of calligraphic technique and the dissociation of the âfour treasures of the scholarâ. These practices are accompanied by borrowings from Western forms of expression, which appear as catalysts that Chinese artists use as a means of transforming traditional expressions without necessarily taking up with them the thread of a Western art history and the singular meaning of its development in its own context. Lorsque lâarticle de Li Xiaoshan æć°ć±±intitulĂ© Mon avis sur la peinture chinoise contemporaine » est publiĂ© dans le Zhongguo meishubao äžćœçŸæŻæ„Journal des beaux-arts de Chine en 1985, lâensemble des discussions autour de la phrase La peinture traditionnelle chinoise est Ă bout de ressources Zhongguohua yijing daole qiongtu molu de shihouäžćœç»ć·Čç»ć°äșç©·éæ«è·Żçæ¶ć soulĂšve une tempĂȘte dans le milieu artistique et culturel. Le texte de Li Xiaoshan Ă©voque non seulement un Ă©puisement de la peinture traditionnelle chinoise face Ă lâarrivĂ©e massive de lâart moderne et contemporain de lâOccident, mais interroge ouvertement la culture chinoise lettrĂ©e qui semblait avoir su retrouver une renaissance » aprĂšs la RĂ©volution culturelle. Le propos de Li Xiaoshan, on le sait, nâest pas nouveau, puisque la culture lettrĂ©e a Ă©tĂ© radicalement mise en cause dĂšs la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle lorsque la relation avec lâOccident devint conflictuelle. Rééquilibrer le rapport de force entre la Chine et lâOccident pour que la pensĂ©e chinoise millĂ©naire puisse trouver un nouveau souffle a toujours Ă©tĂ© la principale prĂ©occupation des Ă©lites intellectuelles. Lorsque la RĂ©volution culturelle touche Ă sa fin, lâambition de restaurer et de faire revivre cette pensĂ©e devient une nĂ©cessitĂ© nationale ardente rĂ©pondant Ă son effacement forcĂ© et sa condamnation dĂ©sastreuse. Cependant, cette renaissance » de la pensĂ©e lettrĂ©e doit se confronter Ă nouveau au monde occidental. Ainsi, le problĂšme le plus urgent Ă rĂ©soudre consiste Ă savoir comment construire une pensĂ©e nouvelle et efficace, capable de rĂ©pondre Ă la force inĂ©luctable de lâOccident qui, avec son systĂšme de pensĂ©e philosophique, son dĂ©veloppement technique considĂ©rable, son projet dâune Ă©conomie globale, etc. prĂ©tend dĂ©sormais imposer son modĂšle au monde. En tout Ă©tat de cause, lâart, en tant que pratique Ă©clairĂ©e, ne peut Ă©chapper Ă ce problĂšme lancinant. AprĂšs la RĂ©volution culturelle, le style rĂ©aliste et la peinture traditionnelle chinoise dominent lâensemble de la scĂšne picturale acadĂ©mique. Mais plutĂŽt que dâĂ©voquer le style rĂ©aliste critiquĂ© pour la premiĂšre fois par le peintre Wu GuanzhongćŽć äž 1919-2010 qui propose de rechercher une beautĂ© abstraite » chouxiangmeiæœè±ĄçŸ , je voudrais parler ici du problĂšme de la peinture traditionnelle chinoise soulevĂ© par Li Xiaoshan. Ce dernier, dans son article, esquisse Ă grand trait lâhistoire de cette peinture en concluant quâaujourdâhui, la mission des artistes ne consiste plus Ă reprendre lâhĂ©ritage des peintres modernes comme Liu Haisućæ”·çČ 1896-1994ou Lin FengmianæéŁç 1900-1991, mais de mener un mouvement novateur, capable de faire Ă©poque » huashidaićæ¶ä»Ł. Il sâagit, en effet, dâun moment oĂč les jeunes artistes font connaissance avec lâart contemporain occidental et certains aspects, jusque-lĂ ignorĂ©s, de la modernitĂ© du XXe siĂšcle. On imagine aisĂ©ment le bouleversement, le choc Ă©prouvĂ©s par ces artistes. Ce choc est un catalyseur pour ceux qui aspirent profondĂ©ment Ă combler le vide dĂ» Ă la rupture causĂ©e par la RĂ©volution, Ă rattraper le temps perdu pour rĂ©duire lâĂ©cart avec lâOccident. Si lâhistoire de lâart occidental moderne et contemporain a elle-mĂȘme subi des changements radicaux Ă cause de sa logique propre, on pense alors inĂ©vitablement que la Chine va rejoindre cette logique occidentale, puisque depuis les annĂ©es 1910 les artistes ne cessent de sâapproprier les dĂ©couvertes de lâart occidental, quâil soit classique ou moderne Xu Beihong a pu concrĂ©tiser lâunion de lâart et la science dans sa peinture, le fauvisme a pu ĂȘtre repris Ă travers la peinture de Liu Haisu, la nĂ©cessitĂ© intĂ©rieure » de Kandinsky a Ă©tĂ© analysĂ©e et comparĂ©e avec le souffle rĂ©sonnance » qiyun shengdongæ°é”çćš par Feng Zikai⊠Un changement radical prolongeant cette longue histoire et nâignorant cependant pas lâhĂ©ritage de la peinture traditionnelle chinoise est devenu une nĂ©cessitĂ© qui pourrait, selon certains artistes, permettre de rejoindre lâart contemporain occidental pour fonder, en mĂȘme temps, un art chinois inscrit dans lâĂąge contemporain. Je pense que câest dans ce sens que lâon doit comprendre lâexpression faire Ă©poque », qui manifeste une volontĂ© dâĂȘtre acteurs Ă part entiĂšre de la scĂšne artistique, capables dâinventer de nouvelles formes, et de rivaliser avec lâart occidental. Les artistes chinois ont deux atouts en main, dâun cĂŽtĂ© la richesse de la culture traditionnelle lettrĂ©e, de lâautre cĂŽtĂ© lâĂ©tude de lâhĂ©ritage avant tout formel peinture, sculpture de lâart occidental et ses dĂ©passements sous toutes les formes collage, installation, performance, happening, photographie, vidĂ©o⊠qui, aux yeux des artistes chinois, pourraient donner des moyens formidables pour interroger et renouveler les forme traditionnelles de la peinture et de la calligraphie. Mais avant dâaborder cette aventure, je dois rappeler lâun des traits essentiels de la modernitĂ© occidentale. On sait que dans lâĂ©volution de lâhistoire de lâart moderne occidental, il y a eu un Ă©clatement » de la forme la couleur, le dessin, la surface, la matiĂšre, chacun de ces Ă©lĂ©ments a revendiquĂ© la premiĂšre place dans des dĂ©marches diverses. De mĂȘme, lâĂąge contemporain a proposĂ© un champ Ă©largi de lâart aux frontiĂšres indĂ©cises. Toutes ces problĂ©matiques historiques sont bien vues, je pense, par les artistes chinois. Dans le dĂ©veloppement des divers courants repris par ces derniers, lâart conceptuel guannian yishu è§ćż”èșæŻ, lâabstraction au lavis shuimo chouxiangæ°Žćąšæœè±Ą, le Maximalisme jiduozhuyiæć€äž»äč, le Calligraphisme shufazhuyiäčŠæłäž»äč1, on peut constater quâil existe aussi un Ă©clatement » notable de la pratique du lettrĂ©, dont certains aspects viennent nourrir des expressions diverses peinture, installation, performance, photographie, etc. on pourrait nommer ce phĂ©nomĂšne le dĂ©membrement » de lâĂ©criture, la dĂ©composition » de la technique calligraphique et la dissociation » de lâensemble des quatre trĂ©sors du lettrĂ© wenfangsibaoææżććź, qui peuvent ĂȘtre repris sĂ©parĂ©ment dans certains gestes artistiques. Le dĂ©membrement de lâĂ©criture et ses inventions Le dĂ©membrement Dans les annĂ©es 1980 de nombreux artistes introduisent lâĂ©criture chinoise dans leurs Ćuvres. Cette dĂ©marche nous fait penser au courant de lâart conceptuel amĂ©ricain dans lequel les artistes font intervenir des signes et des mots censĂ©s prĂ©senter un rĂ©el rĂ©duit Ă la seule rĂ©alitĂ© du langage. Or, dans les Ćuvres des artistes chinois que jâĂ©voque ici, les Ă©critures sont comme considĂ©rĂ©es comme des tromperies vouĂ©es Ă lâabsurditĂ©. Autrement dit ces artistes, classĂ©s aujourdâhui par certains critiques dâart chinois dans le courant de lâart conceptuel chinois zhongguo guannian yishu äžćœè§ćż”èșæŻ, nâont pas, en fait, grand-chose Ă voir avec les artistes amĂ©ricains mettant lâaccent sur la littĂ©ralitĂ© autorĂ©fĂ©rentielle. TrĂšs probablement, les artistes chinois ont interprĂ©tĂ© les Ćuvres conceptuelles amĂ©ricaines Ă leur maniĂšre, aucun dâentre eux nâa revendiquĂ© une Ă©tude approfondie consacrĂ©e aux artistes conceptuels. Les artistes chinois empruntent juste la forme lâapparence de cet art en injectant » un contenu vouĂ© Ă une situation culturelle spĂ©cifiquement chinoise. Lâun des premiers artistes ayant entrepris de dĂ©membrer lâĂ©criture est Gu Wendaè°·æèŸŸ nĂ© en 1955. Dans les annĂ©es 1980, il poursuit des Ă©tudes de peinture traditionnelle chinoise Ă la China Academy of Art. Comme lâĂ©nonce la formule trĂšs connue shuhua tongyuanäčŠç»ćæș la peinture et la calligraphie ont la mĂȘme origine », on peut imaginer quâil est Ă©galement trĂšs habile Ă la calligraphie. En sâinspirant de la philosophie du langage de Wittgenstein, de lâĂ©tude de lâĂ©criture sigillaire et des nombreuses fautes dans lâemploi des caractĂšres sur lesDazibao〧㿄Journaux Ă grands caractĂšres pendant la RĂ©volution culturelle, lâartiste, dans une sĂ©rie dâĆuvres intitulĂ©e Yishi de wangchao é怱ççæ, Mythos Of Lost Dynasties Mythes des dynasties perdues, 1983-862, Ă©crit volontairement des caractĂšres erronĂ©s et fautifs3. Quelques Ćuvres de cette sĂ©rie peuvent ĂȘtre citĂ©es ici Wei zhuanshu linmo benshiäŒȘçŻäčŠäžŽæčæŹćŒ, Pseudo-seal Scripture in Calligraphic Copybook Format Pseudo-Ă©criture sigillaire dans le format du cahier dâĂ©criture dans laquelle lâartiste introduit des caractĂšres fautifs du style sigillaire en les juxtaposant Ă des vrais caractĂšres du mĂȘme style ; Jingguan de shijieéè§çäžç, Tranquillity Comes From Meditation Un monde de contemplation silencieuse, selon le titre en chinois dans laquelle lâartiste introduit des caractĂšres fautifs cuobiezi éć«ćen renversant lâorientation de tout ou partie des sinogrammes, en retournant lâĂ©criture en miroir ou bien en faisant des erreurs dans lâĂ©criture ; Wopiyue sannansannĂŒ shuxiede jingziææčé äžç·äžć„łäčŠćçéć, Fake Characters Written By Three Men And Three Women Le caractĂšre silence » Ă©crit respectivement par trois femmes et trois homme, corrigĂ© par moi dans laquelle lâartiste se comporte en maĂźtre de calligraphie il corrige en mettant une croix ou un cercle rouges sur les caractĂšres é Ă©crits de diverses maniĂšres fautives par les spectateurs Ă qui il avait demandĂ© dâĂ©crire ces mots. Toutes les Ă©critures altĂ©rĂ©es dans ces Ćuvres sont magnifiquement calligraphiĂ©es sur des papiers de Xuan xuanzhi柣çșž de trĂšs grandes dimensions. Il existe une sorte dâincohĂ©rence entre les caractĂšres erronĂ©s et fautifs et la pratique raffinĂ©e et Ă©rudite du lettrĂ©. Cependant, le caractĂšre fautif du style sigillaire reste beaucoup plus problĂ©matique parce que trĂšs peu de Chinois parviennent Ă lire lâĂ©criture sigillaire. Le fait de mĂ©langer les caractĂšres fautifs Ă de vrais caractĂšres peut tromper le spectateur. Une dĂ©fiance envers lâĂ©criture et la culture est ainsi exprimĂ©e. Quant aux caractĂšres fautifs du style rĂ©gulier, ils sont souvent inscrits sur des fonds rĂ©alisĂ©s par lâutilisation en alternance des techniques des encres superposĂ©es jimofaç§Żćąšæł, de lâencre brisĂ©e pomofaç Žćąšæł ou de lâencre Ă©claboussĂ©e pomofaæłŒćąšæł, qui donnent lâaspect dâune nappe. Ces fonds peuvent revĂȘtir des qualitĂ©s rĂ©pondant aux six couleurs » liucaić ćœ© de la tradition, allant du blanc baiçœ jusquâau noir hei é» en passant par le sec ganćčČ, le mouillĂ© ou fluide shi æčż, lâĂ©pais nongæ”, le pĂąle danæ·Ą. Aux yeux de lâartiste, les Ă©critures erronĂ©es superposĂ©es Ă un fond rĂ©alisĂ© au lavis offrent la possibilitĂ© de conduire la calligraphie traditionnelle vers la peinture abstraite au lavis shuimo chouxianghuaæ°Žćąšæœè±Ąç»4 puisquâon peut considĂ©rer que le caractĂšre erronĂ© nâest plus un caractĂšre mais simplement une image abstraite5 . Ce glissement de la calligraphie vers la peinture abstraite chouxiang huihuaæœè±Ąç»ç» â terme occidental introduit en Chine dans les annĂ©es 1910 â tend Ă dĂ©passer notre façon habituelle de concevoir [dans le sens de goĂ»ter » pinć] une Ćuvre calligraphique. Notre perception est ainsi conduite Ă la frontiĂšre entre une Ćuvre calligraphique au sens traditionnel et une peinture moderne » dite abstraite » au sens occidental. La peinture abstraite » de Gu Wenda nous donne ainsi Ă voir une des possibilitĂ©s de fonder un art abstrait »6 proprement chinois avec les sources traditionnelles. Le caractĂšre erronĂ© est aussi employĂ© par Wu ShanzhuanćŽć±±äž nĂ© en 1960. Dans les annĂ©es 1980 cet artiste rĂ©alise une sĂ©rie intitulĂ©e Hongse youmoçșąèČćčœé» Humour rouge, 1987-88 contenant quatre parties Dazibao〧㿄 Journaux Ă grands caractĂšres, Hongyin çșąć° Sceau rouge, Hongqipiaopiao çșąæéŁéŁDrapeau rouge flottant et Dashengyić€§çæ Grand business. Dans la partie Drapeau rouge flottant », on trouve des caractĂšres erronĂ©s Ă©crits en gros traits noirs cadrĂ©s par des papiers blancs en forme de losange collĂ©s rĂ©guliĂšrement sur un drapeau rouge. Devant ce drapeau affichĂ© sur un mur, lâartiste fait le geste de prĂȘter serment avec son bras gauche. EnregistrĂ©e sous forme de photographie, lâĆuvre est aussi nommĂ©e Cuobiezi qizhi de xuanyanéć«ćæćžćç柣èȘ PrĂȘter serment devant un drapeau avec des caractĂšres erronĂ©s, 1988. Elle nous offre une scĂšne Ă la fois familiĂšre et ridicule. FamiliĂšre, parce que la majoritĂ© des spectateurs reconnaĂźt cette expĂ©rience solennelle de prĂȘter serment » ; ridicule, parce que jamais on ne prĂȘte serment en levant le bras gauche devant des caractĂšres erronĂ©s. Mais câest bien cette expĂ©rience ridicule que lâon a vĂ©cue pendant la RĂ©volution culturelle les caractĂšres erronĂ©s apparaissaient souvent dans les Journaux Ă grands caractĂšres, considĂ©rĂ©s cependant comme des mots dâordre que lâon devait respecter scrupuleusement. LâĆuvre rend dĂ©risoire la politique dictatoriale de la RĂ©volution. On peut aussi Ă©voquer les installations rĂ©alisĂ©es dans la mĂȘme sĂ©rie imitant tout Ă fait lâatmosphĂšre de la RĂ©volution, mais au lieu dây trouver les mots dâordres attendus, on lit Cet aprĂšs-midi il y a une coupure dâeau », Trois centimes pour un demi-kilo de chou blanc », Je suis rentrĂ© Ă la maison »⊠Ces phrases renvoyant au quotidien placĂ©es dans un contexte visuellement imposant offrent tout Ă coup une lĂ©gĂšretĂ© rendant le credo dâune dĂ©cennie invalide. Les caractĂšres fautifs cuobiezi éć«ć de Gu Wenda et de Wu Shanzhuan restent encore lisibles et prononçables, tandis que ceux de Xu Bing ćŸć° nĂ© en 1955 sont entiĂšrement illisibles. Ils se trouvent dans lâĆuvre intitulĂ©e 怩äčŠtianshu, Book From the Sky Livre du ciel, 1987-19917. LâĆuvre comporte trois Ă©lĂ©ments rouleaux, codex et panneaux muraux. Les trois Ă©lĂ©ments imitant respectivement le rouleau des Han, le codex des Tang et le rouleau suspendu de la calligraphie, sont soigneusement fabriquĂ©s de la main de lâartiste8. Lâensemble des livres a Ă©tĂ© imprimĂ© Ă lâaide dâun rĂ©pertoire de 4000 caractĂšres, rĂ©alisĂ©s Ă©galement par lâartiste lui-mĂȘme Ă lâaide de la technique des caractĂšres mobiles de lâimprimerie, faits de bois, cĂ©lĂšbre invention chinoise. Jusquâici, on peut constater un travail minutieux et laborieux qui prĂ©tend revisiter une culture millĂ©naire. Si lâon sâapproche des textes pour les lire, on sâaperçoit que tous les caractĂšres ayant lâapparence de lâĂ©criture chinoise sont illisibles, y compris pour les Chinois eux-mĂȘmes9. En effet, pour rĂ©ussir Ă tromper le spectateur, lâartiste dĂ©compose les radicaux pianpangbushoućæéšéŠ de sinogrammes existants afin de dĂ©manteler les deux systĂšmes fondamentaux de la composition du caractĂšre celui de la rĂ©union sĂ©mantique huiyiäŒæ et celui de lâassociation de la forme et du son xingshengćœąćŁ°. Câest ainsi que chaque caractĂšre inventĂ©, malgrĂ© ses traits Ă©lĂ©gants, malgrĂ© sa structure respectant strictement la rĂšgle de la composition graphique, est illisible en raison de lâincohĂ©rence de la combinaison des divers Ă©lĂ©ments. La stratĂ©gie de lâartiste est de faire basculer la culture savante dans lâabsurditĂ©. Cette absurditĂ© se manifeste Ă travers une installation, trĂšs probablement inspirĂ©e de celles de lâOccident. On peut trĂšs bien la considĂ©rer comme un environnement » puisque durant la visite, le corps du spectateur peut entrer dans lâespace de lâĆuvre et il est totalement entourĂ© par lâĆuvre. En ce sens le spectateur est entiĂšrement immergĂ© dans lâabsurditĂ© lorsquâil tente de dĂ©chiffrer le contenu des livres et sa participation devient aussi partie prenante de lâĆuvre. Celle-ci pourrait, en quelque sorte, refroidir lâenthousiasme de certains intellectuels qui, au sortir de la RĂ©volution culturelle, voulaient tout au contraire rĂ©habiliter la culture savante. Le message de lâartiste est clair, son but nâest pas de dĂ©membrer seulement lâĂ©criture mais aussi la pensĂ©e millĂ©naire, reprĂ©sentĂ©e ici sous la forme de livres classiques rĂ©alisĂ©s par la technique de lâimprimerie dont le peuple chinois est si fier. Wang Nanmingçćæș nĂ© en 1962, quant Ă lui, dĂ©membre ses Ă©critures dâune maniĂšre totalement diffĂ©rente. Il calligraphie dâabord ses Ă©critures sur du papier de Xuan, ensuite il froisse chaque feuille en boule, puis il rassemble toutes les boules pour former tantĂŽt un cube, tantĂŽt un parallĂ©lĂ©pipĂšde rectangle, un ballon, un canapĂ©, une toile accrochĂ©e au mur avec une grande fantaisie. Enfin, lâartiste dispose toutes ces formes en papier dans une piĂšce vide pour que le visiteur puisse les contempler. LâĆuvre est intitulĂ©e Ziqiu xiliećççł»ć La sĂ©rie des Ă©critures en boule, 1993. Les Ă©critures calligraphiques ne sont plus bidimensionnelles mais sâinscrivent dans un espace Ă trois dimensions. On ne peut plus contempler les traits de chaque caractĂšre puisquâils sont corrompus par le froissement des boules. Les traits calligraphiques sont devenus une sorte de motif abstrait qui domine lâensemble de lâinstallation. Lâinvention AprĂšs avoir dĂ©membrĂ© lâĂ©criture commune, certains artistes inventent de nouvelles rĂšgles pour crĂ©er de nouvelles Ă©critures. La dĂ©marche de Xu Bing et celle de Gu Wenda en sont deux exemples. LâĆuvre Xin yingwen shufaæ°è±æäčŠæł, New English Calligraphy Nouvelle calligraphie anglaise, 1994-1998 de Xu Bing prĂ©sente un nouveau systĂšme dâĂ©criture oĂč chaque lettre de lâalphabet anglais ou latin a sa contrepartie formelle dâesprit chinois ; les lettres anglaises sont arrangĂ©es dans une matrice carrĂ©e pour ressembler aux caractĂšres chinois, cependant elles restent lisibles en anglais. Par une schĂ©matisation des traits, Xu Bing transforme dâabord les traits de lâalphabet en reprenant les huit traits fondamentaux chinois trait horizontal ; trait vertical ; point ; crochet ; trait relevĂ© ; trait jetĂ© ; trait jetĂ© court et trait appuyĂ©. Par exemple la lettre I » se compose de deux traits horizontaux et un trait vertical, et Ă©quivaut au caractĂšre chinois ć·„ » ; O » est devenue une forme carrĂ©e ćŁ Â» ; T » est devenue le caractĂšre chinois äž Â». Ici on peut parler de pictogrammes. Les lettres sont transformĂ©es en traits de caractĂšres chinois mais restent toujours des figurations de lettres. Ensuite, lâartiste construit chaque mot anglais en suivant les structures de combinaison dans une forme carrĂ©e afin de ressembler encore Ă lâĂ©criture chinoise. Par exemple, le mot ART est rangĂ© en shangxia jiegouäžäžç»æ structure de haut en bas » et tracĂ© en suivant lâordre des lettres et lâordre des traits du caractĂšre chinois. Un autre exemple simple est celui du mot THE dont lâordre des lettres donne dâabord T, ensuite H et E. Dans la nouvelle calligraphie de Xu Bing, il est Ă©crit HTE. Mais le T attire beaucoup plus notre regard que H et E. Et on commence notre saisie par le T du milieu qui sert de pivot sur lequel sâĂ©quilibrent le H Ă gauche, puis le E Ă droite â le mĂȘme ordre que celui de lâanglais, et on garde en mĂȘme temps une des rĂšgles de composition des traits du caractĂšre chinois xian zhongjian hou liangbianć äžéŽć䞀èŸč dâabord le milieu, puis les deux cĂŽtĂ©s ». La New English Calligraphy est ainsi vĂ©ritablement enracinĂ©e dans la calligraphie chinoise. Xu Bing a prĂ©parĂ© une paire de livres. Lâun est intitulĂ© Introduction to Square Word Calligraphy Introduction Ă la calligraphie cadrĂ©e, lâautre est nommĂ© Square Word Calligraphy Red Line Tracing Book Le cahier de la calligraphie cadrĂ©e prĂ©-tracĂ©e de ligne rouge. Ces deux livres sont des manuels dâenseignement de la calligraphie anglaise mais Ă la façon de la calligraphie chinoise. Dans le premier, les lettres anglaises sont arrangĂ©es dans une matrice carrĂ©e. Sa mise en forme des calligraphies blanches sur noir est inspirĂ©e de la reproduction de lâestampage prĂ©levĂ© dâaprĂšs des originaux du style rĂ©gulier10 des anciens grands maĂźtres de calligraphie11. Dans le mĂȘme manuel, lâartiste introduit Ă©galement les principes traditionnels pour lâapprentissage12 et lâĂ©tude des huit traits fondamentaux en prenant le mot anglais Lag au lieu du sinogramme æ°ž yong constant, dans lequel les jeunes Ă©lĂšves chinois rencontrent tous les traits fondamentaux Ă©xigĂ©s. Pour lâĂ©lĂšve, savoir exĂ©cuter les traits ne suffit pas, il faut aussi apprendre Ă centrer le caractĂšre. Câest pour cette raison que lâartiste a prĂ©parĂ© ce deuxiĂšme manuel Square Word Calligraphy Red Line Tracing Book pour que les lecteurs puissent apprendre dâune maniĂšre orthodoxe ». Dans lâĆuvre participative intitulĂ©e Classroom Calligraphy Salle de classe de calligraphie, 1995, lâartiste transforme une salle dâexposition de lâInstitut of Contemporary Art Ă Londres en salle de classe des bureaux sont disposĂ©s dont chacun possĂšde les quatre trĂ©sors du lettrĂ© et les deux manuels mentionnĂ©s ci-dessus. Une vidĂ©o nommĂ©e Elementary Square Word Calligraphy Instruction Instruction de la calligraphie cadrĂ©e Ă©lĂ©mentaire est Ă©galement projetĂ©e pendant lâexposition. Lâensemble de lâinstallation invite les spectateurs Ă apprendre ce nouveau systĂšme dâĂ©criture anglaise. Lâambiance de cette exposition ressemble Ă celle dâune classe dâĂ©cole primaire chinoise qui propose aux Ă©lĂšves de reproduire des Ă©critures calligraphiques dans leur cahier en se servant des modĂšles dâun maĂźtre. Les spectateurs occidentaux peuvent ainsi faire connaissance avec la calligraphie chinoise restant cependant dans des mots anglais lisibles. Mais ils trouvent immanquablement que câest un dĂ©fi quand ils essayent dâidentifier chaque mot prĂ©sentĂ© dans le manuel de lâartiste. En effet, lâĂ©criture anglaise comme systĂšme linĂ©aire est dĂ©jĂ enracinĂ©e dans leur pensĂ©e et brusquement ils doivent apprendre un autre systĂšme, celui du sinogramme vu de face » pour dĂ©chiffrer les mots. La dĂ©marche de Gu Wenda intitulĂ©e Gushi jianci è°·æ°çźèŻou Zhongguojianci äžćœçźèŻ, Guâs Phrase Stone StĂšles Expressions simplifiĂ©es de Gu ou Expressions chinoises simplifiĂ©es, 2004 â traduction fidĂšle au chinois et diffĂ©rente, comme on le voit, de lâanglais consiste Ă©galement Ă inventer un nouveau systĂšme dâĂ©criture. Lâartiste combine deux caractĂšres dans un seul ou simplifie les proverbes ayant quatre caractĂšres en deux. Le binĂŽme yin yangéŽéłpar exemple, ayant la mĂȘme clĂ©, lâ oreille gauche », est disposĂ© dans un seul caractĂšre dont la partie gauche garde lâ oreille gauche » et la partie droite est composĂ©e de la lune et du soleil. La mĂȘme mĂ©thode est aussi utilisĂ©e pour les binĂŽmes comme jianghuæ±æč riviĂšres et lacs, chenfuæČæ”źsombrant et flottant, etc. Lâintention de lâartiste cette fois-ci nâest pas de dĂ©membrer lâĂ©criture mais de crĂ©er un systĂšme dâĂ©criture plus facile Ă reconnaĂźtre, comprendre, mĂ©moriser et utiliser13. Les mots sont prĂ©sentĂ©s soit sous forme dâestampage rĂ©ellement prĂ©levĂ© sur pierre soit sous forme de papier de Xuan au lavis. Les deux artistes ont connu un grand succĂšs aux Ătats-Unis, car selon les critiques et les historiens, leurs Ćuvres sont comparables Ă celles des artistes conceptuels, pour qui seul le texte peut nous faire rĂ©ellement prendre connaissance du contenu dâune Ćuvre. Lâart est ainsi une Ă©nonciation dont le prĂ©dicat ne dit rien de plus que le sujet et qui reste vrai en vertu de sa forme seule, quelle que soit la valeur de vĂ©ritĂ© des Ă©noncĂ©s qui la composent14 ⊠» En ce sens, le spectateur se trouve non seulement privĂ© de tout recours Ă lâimagination, mais aussi de toute possibilitĂ© de se rĂ©fĂ©rer Ă une approche esthĂ©tisante. Pourtant, Ă la diffĂ©rence de cette lecture rĂ©ductrice lĂ©gitime inspirĂ©e par lâart conceptuel, les Ă©critures de Xu Bing et de Gu Wenda peuvent ĂȘtre vues comme transgressant la frontiĂšre entre lisible et illisible, perturbant notre logique habituelle et stimulant notre esprit. De plus, on peut apprĂ©cier la dĂ©licatesse de la reliure et lâĂ©lĂ©gance de la mise en page des livres anciens Book From the Sky, savourer le rythme de la calligraphie chinoise dĂ» Ă la pression exercĂ©e sur le pinceau et Ă la vitesse de rĂ©alisation du tracĂ© Ă©manant du souffle de lâauteur New English Calligraphy, Guâs Phrase Stone StĂšles. La pratique traditionnelle du lettrĂ© est ainsi subtilement corrompue. Cependant, il ne faut pas oublier que le spectateur est obligĂ© dâentrer dans les systĂšmes dialoguants proposĂ©s par les artistes et cela demande beaucoup de concentration de sa part. En ce sens aussi, on peut dire que les Ćuvres des deux artistes font seulement partiellement rĂ©fĂ©rence Ă lâart conceptuel occidental. Parmi les nombreuses Ćuvres de ces deux artistes prĂ©sentant lâĂ©criture comme matĂ©riau, on peut aussi Ă©voquer une sĂ©rie des peintures intitulĂ©e Wenzi shanshuiæćć±±æ°ŽLandscript Ăcriture de montagne-eau, 2001 de Xu Bing. Pour cette Ćuvre, lâartiste entreprend de xie fengjingćéŁæŻĂ©crire dâaprĂšs nature en introduisant les sinogrammesè cao herbe, æš mu bois, ć±± shan montagne, çł shi pierre, ćtu terre, æ°Žshui eau, éž niao oiseau, etc. dans son Ćuvre. Sur le papier, lâimage de la montagne est ainsi saturĂ©e du caractĂšreć±± dâune maniĂšre rĂ©pĂ©titive, celle de lâarbre est remplacĂ©e par le caractĂšreæš, tandis que celle de lâoiseau est remplacĂ©e par le caractĂšreéž envolé⊠De loin, la peinture reste plus au moins une peinture de paysage au sens traditionnel ; de prĂšs, elle apparaĂźt comme une transcription des sinogrammes. Cette dĂ©marche qui renvoie Ă lâĂ©criture pictographique xiangxingwenziè±Ąćœąæć voudrait dĂ©manteler la notion de calligraphie shufa äčŠæł qui se traduit littĂ©ralement par la rĂšgle dâĂ©crire »15. Car le fait dâĂ©crire rapidement les sinogrammes dans une volontĂ© de reprĂ©sentation dâaprĂšs nature permet Ă lâartiste dâoublier toutes les rĂšgles faæłfa Ă©tablies par les lettrĂ©s Ă lâĂ©poque Tang16. Devant une telle Ćuvre, le spectateur ne peut ni contempler la cohĂ©rence dâune peinture de montagne-eau ni scruter le souffle de lâĂ©criture. La peinture et la calligraphie du lettrĂ© sont transgressĂ©es et deviennent des expressions reprenant un aspect de lâart conceptuel occidental, celui de la littĂ©ralitĂ© autorĂ©fĂ©rentielle. La dĂ©composition de la technique de la calligraphie Qiu Zhijieé±ćżæ° nĂ© en 1969 dans son Ćuvre intitulĂ©e Zuoye yihao chongfu shuxie lantingxu yiqianbian äœäžäžć· éć€äčŠćć °äșćșââäžćé Devoir n° 1 copier 1000 fois la PrĂ©face du recueil du Pavillon des OrchidĂ©es17 non seulement dissout lâĂ©criture mais dĂ©compose la technique de la calligraphie. Entre 1990 et 1995, tous les jours, lâartiste copie le texte classique du fameux calligraphe Wang XizhiççŸČäč env. 303-361 sur le mĂȘme papier de Xuan. Ă la fin de la rĂ©alisation, on ne distingue plus lâĂ©criture car le papier est saturĂ© dâune masse textuelle Ă©crite Ă lâencre de Chine de forme rectangulaire. Le geste quotidien inlassable de lâartiste, reprenant celui de lâĂ©lĂšve copiant son maĂźtre, rend hommage au texte du maĂźtre. Mais le fait dâĂ©crire sans relĂąche sur un seul papier dissout la pensĂ©e orthodoxe selon laquelle il faut dâabord sâĂȘtre rempli la vue des chefs-dâĆuvre anciens avant de prendre soi-mĂȘme le pinceau » mubao qiandai qiji fangke xiabiçźé„±ć代ć„èżčæčćŻäžçŹ 18. Lâartiste conserve lâensemble de la connaissance traditionnelle de la calligraphie dans le processus de sa rĂ©alisation, mais le rĂ©sultat ultime de lâĆuvre efface cette connaissance. Car on ne peut ni apprĂ©cier les traits Ă©manant du souffle de lâartiste, ni contempler le rapport du vide/plein nĂ© de lâunion de lâencre et du papier du Xuan immaculĂ©, ni apprĂ©cier la technique du maniement du pinceau yongbi çšçŹ de lâartiste. Lâastuce de lâartiste consiste Ă utiliser cette connaissance et Ă la faire se dissoudre elle-mĂȘme. Ainsi, toutes les techniques ont disparu dans une masse noire Ă lâencre de Chine. Une fois ce but atteint, il naĂźt ainsi une nouvelle forme dâart susceptible de dĂ©passer lâhĂ©ritage traditionnel. DĂšs lors, on nâest plus orientĂ© vers le jugement lettrĂ© traditionnel, mais conduit vers un nouvel Ă©pisode dans lequel lâartiste dialogue volontiers avec lâhistoire de lâart occidental moderne et contemporain. Lâaspect de lâĆuvre nous ferait sans doute penser Ă celle de Malevitch intitulĂ©e CarrĂ© noir sur fond blanc. La technique du maniement du pinceau se dilue dans lâĆuvre de Qiu Zhijie, tandis que chez Li Huashengæćç nĂ© en 1944, elle se dĂ©compose. Dans les annĂ©es 1980, Li Huasheng Ă©tait reconnu dans le milieu artistique grĂące Ă ses peintures Ă lâencre de Chine. Ensuite il part aux Ătats-Unis et Ă©prouve un grand choc face Ă lâart occidental. Pendant dix ans, il sâisole et rĂ©flĂ©chit sur sa propre dĂ©marche. Il pense que la peinture traditionnelle chinoise a atteint son sommet aux Ă©poques Tang 618-907 et Song 960-1279 et a poursuivi ensuite son chemin jusquâĂ lâĂ©poque de Huang Binhong é»ćźŸèč 1865-1955 Ă partir de qui elle ne pouvait plus Ă©voluer. En tant quâartiste, devant cette impasse, il ne peut rien proposer dâautre que de commencer Ă Ă©liminer les sujets principaux de la peinture traditionnelle chinoise19. LâĆuvre intitulĂ©e â est le rĂ©sultat de cette dĂ©marche ultime. Le papier de Xuan est entiĂšrement couvert par une sorte de grille trĂšs fine. En regardant de prĂšs, on constate que lâartiste a dĂ» tracer et retracer plusieurs fois le dessin des veines particuliĂšres au papier de Xuan qui absorbe dĂ©licatement et graduellement lâencre. Ici lâartiste emploie la technique nommĂ©e wulouhen㱿Œç ce qui signifie comme de lâeau qui coule sur un mur » pour que chaque ligne sâĂ©lançant du dĂ©but Ă la fin soit dâune seule venue sans reprise, sans souffle interrompu. Li Huasheng est dĂ©sormais classĂ© dans le courant du Maximalisme jiduozhuyiæć€äž»äč20, concept proposĂ© en 2001 par le critique dâart Gao Minglué«ćæœ nĂ© en 1949. Le terme Maximalisme » fait implicitement rĂ©fĂ©rence, par antiphrase, au Minimalisme occidental et souligne ainsi une diffĂ©rence malgrĂ©, parfois, une affinitĂ© visuelle avec le Minimalisme. Selon Gao Minglu, la dĂ©marche de Li Huasheng, Qiu Zhijie ainsi que Xu Bing rejoignent lâĂ©cole bouddhiste du Nord dite du gradualisme jianwuæžæ dont le fondateur fut Shenxiuç„ç§ 606-70621. Au contraire de Huineng æ §èœ 638-713, maĂźtre du subitisme dunwu 饿æ, Shenxiu propose une ascĂšse rĂ©pĂ©titive et mĂ©ditative et nous invite Ă essuyer sans cesse le miroir de notre esprit pour quâil soit sans poussiĂšre et pour que nous puissions atteindre le vide spirituel. Aux yeux de Gao Minglu, ces trois artistes peuvent justement trouver cette dimension du vide bouddhique par leurs gestes rĂ©pĂ©titifs et inlassables22. En suivant cette logique, on constate que montrer la trace du pinceau pour elle-mĂȘme ou montrer lâusage du support dans ses possibilitĂ©s ne sont pas les premiĂšres prĂ©occupations des artistes, comme cela fut le cas pour ceux de lâOccident. Autrement dit, le but recherchĂ© des artistes chinois nâest pas celui dâune analyse critique des conditions de lâart, mais un pur hommage Ă la forme dans un travail effectif qui porte lui-mĂȘme une signification dâascĂšse et de mĂ©ditation. En effet, le processus mĂ©ditatif rĂ©pĂ©tĂ© qui peut aller jusquâĂ lâinfini sâoppose aux dĂ©chaĂźnements des forces de production nouvelles dĂšs la fin des annĂ©es 1980 en Chine. Le geste rĂ©pĂ©titif qui pourrait atteindre le vide bouddhique suscite finalement un regard critique sur lâexigence de productivitĂ© imposĂ©e Ă la sociĂ©tĂ© chinoise. La dissociation des matĂ©riaux des quatre trĂ©sors Auparavant, les quatre trĂ©sors Ă©taient indispensables Ă la pratique lettrĂ©e. Avec lâintroduction de lâart contemporain occidental, les artistes ne se contentent plus dâexploiter encre, pinceau, papier, pierre Ă encre, ces quatre trĂ©sors de toujours. Ils sâapproprient en particulier la performance, lâinstallation, la calligraphie comme des modes dâexpressions majeurs, oĂč ils trouvent une autre libertĂ©. Lâartiste Song Dong ćźćŹ nĂ© en 1966, Ă partir de 1995, commence Ă Ă©crire son journal Ă lâaide dâun pinceau sur une pierre quâil a trouvĂ©e dans la nature. Au lieu dâutiliser lâencre et le papier de Xuan, il Ă©crit avec de lâeau sur la pierre. La trace du pinceau ne reste visible que quelques minutes, les Ă©critures sâĂ©vaporent dans lâair. Seule la pierre connaĂźt lâintimitĂ© de lâauteur. Lâartiste Ă©crit son journal de cette maniĂšre pendant trois ans et il lâa nommĂ© Shuixie rijiæ°Žćæ„èź° Journal Ă©crit avec de lâeau, 1995-98. Journal Ă©phĂ©mĂšre, geste hic et nunc. Le processus de la rĂ©alisation et le moment dâinscription sont devenus le cĆur de cette Ćuvre qui est enregistrĂ©e sous forme de photographie. La dissociation des quatre trĂ©sors du lettrĂ© donne ainsi Ă voir la possibilitĂ© de rĂ©aliser une Ćuvre qui sâinscrit dans lâĂ©coulement du temps. Câest grĂące Ă la photographie et ses usages multiples dans le champ artistique occidental depuis les annĂ©es 1960, quâil est dĂ©sormais possible dâenregistrer une performance dâici et maintenant ou une Ćuvre Ă©phĂ©mĂšre du Land Art. Je pense que Song Dong a trĂšs bien saisi cette maniĂšre dâapprĂ©hender son Ćuvre. Le fait de ne pas laisser la trace de lâencre est dĂ©sormais possible grĂące Ă lâenregistrement instantanĂ© photographique. Le Jiapućź¶è°±, Family Tree Arbre gĂ©nĂ©alogique, 2000 de Zhang HuanćŒ æŽč nĂ© en 1965 est Ă©galement une Ćuvre qui se prĂ©sente sous forme de photographie dâune performance. Elle offre une sĂ©rie de neuf photos-autoportraits dans lesquelles le visage de lâartiste se couvre progressivement de caractĂšres de calligraphie, jusquâĂ ce quâĂ la fin le visage devienne entiĂšrement noir. Il sâagit ici dâune performance dans laquelle lâartiste a invitĂ© trois calligraphes Ă Ă©crire des textes sur son visage depuis le matin trĂšs tĂŽt jusquâĂ la nuit. Lâartiste voudra Ă©voquer une histoire de famille. Au milieu du front sont inscrits les quatre mots Yugong yi shanæć Źç§»ć±± Le vieux sot Yu dĂ©plaça la montagne » qui expriment lâesprit de la persĂ©vĂ©rance et de la conviction ferme qui pourraient vaincre les difficultĂ©s au cours de notre existence. Dâautres mots, au contraire, expriment la prĂ©destination bonne ou mauvaise fortune ; haute position et riche Ă©molument ; prĂ©sager plus de mal que de bien ; etc., choisis par lâartiste dans des livres de divination. Ici, lâartiste abandonne lâusage du papier de Xuan et exploite pleinement le visage en tant que matĂ©riau et support. Le fait dâĂ©crire sur le visage renforce le message de prĂ©destination car selon la divination chinoise les yeux, le nez, la bouche, les oreilles, les pommettes, les grains de beautĂ© indiquent notre avenir, notre santĂ©, notre bonheur et notre malheur. Lorsque la nuit tombe, les Ă©critures juxtaposĂ©es couvrent massivement le visage de lâartiste. Le visage devenu noir se fond dans lâobscuritĂ© ; impossible de le voir. La vie dâun ĂȘtre, lâhistoire dâune famille ne sont-elles pas des illusions malgrĂ© lâeffort de vivre et la soumission volontaire au destin ? Cette lamentation commune, qui se trouvait auparavant dans une peinture lettrĂ©e, un poĂšme ou bien encore un roman, est maintenant manifestĂ©e Ă mĂȘme la peau du visage dans sa propre temporalitĂ© charnelle et son espace vĂ©cu. Le fait que cette Ćuvre ait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e aux Ătats-Unis lui donne une signification supplĂ©mentaire. Lâartiste se confronte sans cesse Ă une autre culture et Ă une autre sociĂ©tĂ© dĂšs son arrivĂ©e dans ce pays en 1998 et la discrimination raciale devient lâune de ses prĂ©occupations23. Le geste de cacher la couleur de sa peau et de la faire se confondre fondre avec la nuit des Ătats-Unis tend Ă effacer son identitĂ© et son faciĂšs chinois. Les quatre trĂ©sors du lettrĂ© trouvent sans doute leur limite dans ce genre de confrontation culturelle mais le fait dâemployer la peau du visage comme matĂ©riau paraĂźt ĂȘtre dâune Ă©vidente efficacitĂ©. La dissociation de lâensemble formĂ© par les quatre trĂ©sors peut aussi conduire Ă lâutilisation dâun seul dâentre eux. LâĆuvre QuanæłSource, 2013 de lâartiste fĂ©ministe Li XinmoæćżæČ« nĂ©e en 1976 en est un bon exemple en privilĂ©giant lâusage de lâencre au dĂ©triment des autres. LâĆuvre a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e lors de la manifestation Corps hĂ©tĂ©rogĂšne 2013. Le titre Source fait rĂ©fĂ©rence Ă celui de lâĆuvre dâIngres dans laquelle une jeune fille verse une eau limpide Ă cĂŽtĂ© de son corps. Ă la diffĂ©rence de lâeau claire dâIngres, la source » de Li Xinmo est un mĂ©lange dâeau et dâencre de Chine. Assise devant un service Ă thĂ©, lâartiste boit dâabord la source » dans les tasses. Par la suite, elle prend un seau rempli du liquide et Ă lâaide dâune bosse, elle nettoie son vĂȘtement blanc. Ă la fin, lâartiste verse la source » noire sur son corps entier. Le corps de lâartiste est ainsi inondĂ© par lâeau mĂ©langĂ©e Ă lâencre de Chine. Ici, lâencre reprĂ©sente non seulement la culture du lettrĂ©, mais aussi une culture patriarcale lâĆuvre est censĂ©e critiquer cette culture dominante qui opprime les femmes depuis plus de deux mille ans24. Cai Guo-QiangèĄćœćŒș nĂ© en 1957, quand il rĂ©alise en 2014 son Ćuvre Jingmoéćąš, Silent Ink Lâencre silencieuse, emploie aussi lâencre comme matĂ©riau principal. Lâartiste creuse une immense fosse dans la Power Station of Art de Shanghai et y verse 30 tonnes dâencre de Chine. Au-dessus de la fosse est installĂ©e une cascade faite Ă©galement dâencre. Le spectateur circulant entre la fosse, la cascade et des dĂ©chets industriels trouvĂ©s sous le sol du musĂ©e respire lâodeur forte de lâencre de Chine. Lâartiste crĂ©e ainsi une image du paysage urbain contemporain qui Ă©voquerait une destruction aveuglante Cela ressemble beaucoup au processus de la modernitĂ© chinoise, explique lâartiste, on creuse dâabord une grande fosse, puis on rĂ©flĂ©chit Ă ce quâon va y faire25 » Lâemploie de lâencre de Chine nous offre un nouveau regard sur lâimage du shanshuić±±æ°Ž paysage/montage-eau contemporaine. Du dĂ©membrement » Ă lâ invention » scripturale, les dĂ©marches de Gu Wenda, Wu Shanzhuan et Xu Bing nous font penser aux transformations de lâĂ©criture chinoise dans sa longue histoire et plus prĂšs de nous, Ă la rĂ©forme des caractĂšres complexes fantizi çčäœć en caractĂšres simplifiĂ©s jiantiziçźäœć et Ă lâutilisation abusive des caractĂšres fautifs pendant la RĂ©volution culturelle. Les trois artistes altĂšrent lâĂ©criture pour manifester la fragilitĂ© de ses formes dans le courant de lâhistoire. Du fait de cette fragilitĂ©, la technique calligraphique, auparavant indispensable, peut ĂȘtre Ă©galement dĂ©composĂ©e pour que chacune des techniques se libĂšre du contexte lettrĂ© et puisse dĂ©sormais exister pour elle-mĂȘme. Dans cette logique, la dissociation de lâensemble des quatre trĂ©sors du lettrĂ© se produit Ă©galement. Ces pratiques consistant Ă dĂ©membrer », dĂ©composer », dissocier » sâaccompagnent dâemprunts aux expressions occidentales comme lâinstallation, lâenvironnement, la performance, la photographie, etc. Ces derniĂšres apparaissant comme des catalyseurs que les artistes chinois auraient utilisĂ©s comme des moyens de transformer huać les expressions traditionnelles, que ce soit la peinture ou la calligraphie, ou encore la sculpture au sens classique. Jâutilise le mot catalyseur » pour suggĂ©rer que, pour une grande part, en employant ces formes dâexpressions, les artistes ne reprennent pas avec elles le fil dâune histoire de lâart et de la pensĂ©e qui en Occident leur donne leur pertinence et leur signification. Entre leurs crĂ©ations-transformations contemporaines et les hĂ©ritages lettrĂ©s, les formes dâexpressions occidentales apparaissent comme un mĂ©tal favorisant une rĂ©action chimique sans en ĂȘtre altĂ©rĂ©. Cette mĂ©taphore est certes approximative. Elle me paraĂźt cependant plus pertinente ici que celles de mĂ©tissage ou dâhybridation tant de fois reprises. Il serait temps de travailler Ă se donner les moyens de dĂ©signer la complexitĂ© des Ă©changes entre les cultures Ă lâaide dâun vocabulaire propre et de concepts neufs Ă©chappant aux connotations gĂȘnantes qui sâattachent Ă des mots repris dâune biologie marquĂ©e par les idĂ©es de race et de fusion organique. Li Shiyan Fig. 1 Xu Bing, Book from the Sky, 1987â91Installation of hand-printed books and ceiling and wall scrolls printed from wood letterpress type, ink on paper, each book, 18 1/8 Ă 20 in., three ceiling scrolls, each 38 in. Ă 114 ft. 9 7/8 in., each wall scroll 9 ft. 2 1/4 in. Ă 39 3/8 in. Courtesy of Xu Bing Studio. Fig. 2 Xu Bing, Square Word Calligraphy Classroom, 1994-6classroom installation with instructional video, model books Introduction to Square Word Calligraphy,copybooks, ink, brushes, brush stands, blackboard, framed student work, Courtesy of Xu Bing Studio. Fig . 3 Xu Bing, Text pages from An Introduction to Square Word Calligraphy, 1994-6woodblock hand printed book and ink rubbing with wood cover, Courtesy of Xu Bing Studio. Fig. 4 Xu Bing, New English Calligraphy â Art for the PeopleMedium ink on paper, Size161 x cm. x in.Courtesy of Xu Bing Studio Fig. 5 Xu Bing, Square Word Calligraphy Classroom, 1994-6Ink on paper, Courtesy of Xu Bing Studio. Fig. 6 Zhang Huan, Family Tree, 2000, New York, USACourtesy Zhang Huan Studio. Bibliographie Cheng, Anne, Histoire de la pensĂ©e chinoise, Paris, Seuil, 1997. Erickson, Britta, Words without Meaning, Meaning without Words, The Art of Xu Bing, Seattle et Londres, Arthur M. Sackler Gallery, Smithsonian Institution, University of Washington Press, 2001. Gao, Minglu é«ćæœ, Qiang, Zhongguo dangdai yishu de lishi yu bianjiećą»ïŒäžćç¶ä»ŁèèĄçæ·ćČèéç Le Mur, lâhistoire et la frontiĂšre de lâart contemporain chinois, Beijing, Zhongguo renmin daxue chubanshe, 2005. Gao, Minglu, Chinese Maximalism äžćæ„”ć€äž»çŸ©, catalogue dâexposition du 14 au 30 mars 2003 au Millennium Art Museum Ă PĂ©kin, et ensuite aux Ătats-Unis du 5 dĂ©cembre 2003 au 1 fĂ©vrier 2004, University Buffalo Art Galleries and Museum Studies, State University of New York at Buffalo, USA, Chongqing, Chongqing chubanshe, 2003. Golinski, Hans-GĂŒnter, The Body as Intercultural Medium of Communication on the Spiritual Background to the Art of Zhang Huan », Dziewior, Yilmaz, dir., Zhang Huan, Hatje Cantz, Hamburg, 2003, p. 40-47. Gu, Wenda, The Concept of Guâs Phrase » ăäžćç°Ąè©ć žăçèš»é, Sequence èœćș, Hangzhou, fospel, 2014. Li, Xiaozhan æć°ć±±, Dangdai Zhongguohua zhi wo jianç¶ä»Łäžćç«äčæèŠMon point de vue sur la peinture chinoise contemporaineâ, Jiangsu Pictorial æ±èç«ć, n° 7, 1985, p. 13-14. Mollet-Vieville, Ghislain, Art minimal & conceptuel, GenĂšve, Skira, 1996. Shitao çłæż€1642-1708, Les Propos sur la peinture du moine Citrouille-amĂšre èŠçćć°è©±èȘé, traduction de Ryckmans, Pierre, Paris, Hermann, 1984. Wang, YinçćŻ , Tanbai cong kuan, haohao huibaoćŠçœćŸćŻŹïŒć„œć„œćŻć ± ClĂ©mence pour qui avoue, bien faire un compte rendu », Southern Weekend ćæčćšæ«, 22 aoĂ»t 2014. Wu, Hung 淫鎻, Transcending The East/West Dichotomy A Short History of Contemporaray Chinese Ink Painting », catalogue dâexposition Ink Art Past as Present in Contemporary China, 11 dĂ©c. 2013 â 6 avril, 2014, The Metropolitan Museum of Art New York â United States, 2013. Zhang, YućŒ”æž et Shen, MinæČç, Shufa zhuyi æžæłäž»çŸ©Le Calligraphisme, Changsha, Hunan meishu chubanshe, 2003. Ce courant est trĂšs peu Ă©voquĂ© dans lâhistoire de lâart contemporain chinoise. LancĂ© par lâartiste Luo Qi æŽéœ en 1992, le courant du Calligraphisme a durĂ© Ă peu prĂšs neuf ans. Pendant ces annĂ©es, cinq manifestations ont Ă©tĂ© organisĂ©es, dont trois en Chine et deux en Italie. Ces deux derniĂšres rĂ©unissaient des artistes chinois, japonais, corĂ©ens et moyen-orientaux. Luo Qi aurait voulu que ce courant sâinscrivĂźt dans un contexte Ă la fois postmoderniste et mondial. Mais les artistes adhĂ©rant Ă ce courant nâont pas eu un impact aussi fort que Gu Wenda, Wu Shanzhuan et Xu Bing. Il serait intĂ©ressant de faire une Ă©tude comparatiste pour voir pourquoi ce courant nâa pas Ă©tĂ© reconnu nationalement et mondialement. Ă propos de ce courant, voir Zhang YućŒ æž et Shen MinæČç, ShufazhuyiäčŠæłäž»äč Le Calligraphisme, Changsha, Hunan meishu chubanshe, 2003. [â©]Lâinspiration de cette Ćuvre provient aussi de ses sceaux intitulĂ©s Weihanzi tuzhangäŒȘæ±ććŸç« Fake Characters Seal Sceaux Ă caractĂšres erronĂ©s, 1983 sur lesquels lâartiste a gravĂ© des Ă©critures erronĂ©es de style sigillaire pour interroger la lisibilitĂ© et lâillisibilitĂ© des Ă©critures anciennes. [â©]Le caractĂšre fautif cuobieziéć«ćest altĂ©rĂ© de sorte que lâon puisse encore le prononcer et connaĂźtre son origine, tandis que le caractĂšre erronĂ©, malgrĂ© sa structure graphique, est entiĂšrement illisible et imprononçable. On peut dire que les Ă©critures de style rĂ©gulier kaishu æ„·äčŠ de Gu Wenda sont des Ă©critures fautives et le caractĂšre erronĂ© peut dĂ©signer ses Ă©critures de style sigillaire zhuanshu çŻäčŠ, trĂšs peu utilisĂ© dans la vie quotidienne. [â©]Ă propos des termes comme shuimo chouxiang ou bien shiyan shuimo yishu ćźéȘæ°ŽćąšèșæŻ art au lavis expĂ©rimental, voir Wu Hung, Transcending The East/West Dichotomy A Short History of Contemporaray Chinese Ink Painting », catalogue dâexposition Ink Art Past as Present in Contemporary China, 11 dĂ©c. 2013 â 6 avril, 2014, The Metropolitan Museum of Art New York â United States, 2013. [â©]é«ćæœGao Minglu, Qiang, zhongguo dangdaiyishu de lishi yu bianjiećąïŒäžćœćœä»ŁèșæŻçććČäžèŸčç Le mur, lâhistoire et la frontiĂšre de lâart contemporain chinois, Beijing, Zhongguo renmin daxue chubanshe, 2005, p. 133. Sa version en anglais est intitulĂ©e The Wall Reshaping Contemporary Chinese Art 2005, Beijing, Millennium Art Museum/Buffalo, University at Buffalo, 2005. [â©]Lâexpression art abstrait » sâapplique en Occident Ă des Ćuvres trĂšs diverses inspirĂ©es de philosophies radicalement diffĂ©rentes. Voir Roque Georges, Quâest-ce que lâart abstrait ?, Paris, Gallimard, 2003. Lorsque lâexpression art abstrait » occidentale est introduite en Chine en 1910, on emploie les deux binĂŽmes chouxiangæœè±Ąabstrait et yishu èșæŻ art pour dĂ©signer lâ art abstrait ». On peut littĂ©ralement traduire chouxiang par abstraire Ă partir du phĂ©nomĂšne/image ». Une expression qui semble malheureusement incomplĂšte et ne pas rĂ©pondre tout Ă fait aux sens multiples de la notion dâabstraction de lâOccident. En outre, elle ne saurait concerner lâimage de la tradition picturale extrĂȘme-orientale, en particulier, en raison du fait que lâon nâa pas la mĂȘme notion de lâimage xiangè±Ą en Occident et en Chine. Le nĂ©ologisme chouxiang reste ainsi problĂ©matique pour certains critiques dâart, comme Gao Minglu par exemple. Voir Gao Minglu, Yipailun, yige dianfu zaixian de lilun äžæŽŸèźșïŒäžäžȘéą èŠç°ä»Łççèźș ThĂ©orie du courant du yi, une thĂ©orie qui subvertit la reprĂ©sentation Guilin, Guangxi shifan daxue chubanshe, 2009. [â©]Le titre original de cette Ćuvre est æäžé äžçŽæ«ć·Xishijian â shijimojuan Analyse dâune rĂ©flexion sur le monde â le dernier volume du siĂšcle. Sa traduction en anglais en est An Analyzed Reflection of the World â The Final Volume of the Century. Une partie de cette Ćuvre fut exposĂ©e pour la premiĂšre fois Ă la galerie China Art Ă PĂ©kin en 1988, puis pour la deuxiĂšme fois au China National Museum of Fine Arts Ă©galement Ă PĂ©kin en 1989. Cette exposition sâintitulait 89ç°ä»ŁèșæŻć€§ć±Bajiu xiandai yishu dazhan Exposition dâart moderne chinois 89. En France elle fut reprise sous le nom de Chine Avant-Garde, 1989. Par la suite Xu Bing poursuivit ce travail jusquâen 1991. LâĆuvre complĂšte fut exposĂ©e pour la premiĂšre fois Ă Tokyo. [â©]Lâartiste emprunte le style scriptural des premiers livres en papier apparus Ă lâĂ©poque Han IIe siĂšcle av. IIIe siĂšcle aprĂšs C. pour rĂ©aliser ses rouleaux gĂ©ants, suspendus librement au plafond pendant lâexposition. Les livres sous forme de codex sont alignĂ©s dĂ©licatement sur un tapis, par terre. Pour faire ces codex, lâartiste sâinspire dâune forme de livre constituĂ© de feuilles pliĂ©es en deux et reliĂ©es Ă la main avec du fil. Cette technique remonte Ă lâĂ©poque Tang VIIe â Xe siĂšcles. Pour la mise en page des codex, Xu Bing se sert dâun modĂšle de lâĂ©poque Qing, de la pĂ©riode Kangxi XVIIe siĂšcle. Ce modĂšle offre un exemple Ă©tablissant une distinction raffinĂ©e entre le texte et son commentaire. [â©]Les caractĂšres inventĂ©s par lâartiste ressemblent beaucoup aux vrais sinogrammes et certains spectateurs passent des jours Ă essayer de dĂ©couvrir au moins un caractĂšre lisible. Dâautres expriment une rĂ©action confuse mĂȘlant des sentiments de tristesse, dâoppression, et de doute. Voir Erickson Britta, Words without Meaning, Meaning without Words, The Art of Xu Bing, Seattle et Londres, Arthur M. Sackler Gallery, Smithsonian Institution, University of Washington Press, 2001, p. 38. [â©]On commence toujours lâapprentissage de lâĂ©criture chinoise par ce style, oĂč apparaĂźt de façon absolument claire, sans aucune ambiguĂŻtĂ©, la structure des caractĂšres. [â©]Comme ceux de Ou YangxunæŹ§éłäżź557-641, de Yan Zhenqingéąçćż 709-785, de Liu Gongquanæłć Źæ 778-865, etc. La calligraphie de ces grands maĂźtres des Ă©poques anciennes nâest souvent connue que par des estampages prĂ©levĂ©s sur des pierres sur lesquelles ont Ă©tĂ© gravĂ©s les caractĂšres originaux. [â©]Comment maintenir la posture du corps, comment tenir le pinceau et le maĂźtriser, comment prĂ©parer lâencre chinoise, etc. [â©]Gu Wenda, Youguan wode shiyan shuimo de yixie chanshuæć łæçćźéȘæ°ŽćąšèșæŻçäžäșéèż° Quelques explications Ă propos de mon art du lavis expĂ©rimental », consultĂ© le 9 dĂ©c. 2015. [â©]Mollet-Vieville Ghislain, Art minimal & conceptuel, GenĂšve, Skira, 1996, p. 70. [â©]La calligraphie chinoise nâa pas grand-chose Ă voir avec ce que lâon appelle calligraphie » en Europe. Car la calligraphie chinoise nâest pas une Ă©criture rĂ©pondant Ă la notion du beau » au sens occidental. [â©]On ditæäșșć°é”jinren shangyun les gens de lâĂ©poque Jin 265-420 vĂ©nĂšrent le souffle-rĂ©sonance, ćäșșć°æłtangren shangfu les gens de lâĂ©poque Tang vĂ©nĂšrent la rĂšgle ou la loi. [â©]Ătant le plus cĂ©lĂšbre chef-dâĆuvre de Wang Xizhi, elle est le modĂšle incontournable et le plus souvent copiĂ©e dans le domaine de la calligraphie de lâĂ©poque ancienne Ă nos jours. MalgrĂ© la mystĂ©rieuse disparition de lâĆuvre originale, il existe cependant, Ă partir de lâĂ©poque Tang, plusieurs versions imitĂ©es avec des techniques diffĂ©rentes dites mobenæčæŹ fac-similĂ©s et keben 㻿Źversion xylographique. Le moben æčæŹ est divisĂ© en deux sortes dont le linben äžŽæŹ copie et le shuanggou motuobenćé©æčææŹ version des doubles contours, tandis que le ć»æŹ est Ă©galement divisĂ© de son cĂŽtĂ© en deux sortes dont le jizi éć modĂšle dâestampes dâinscription des caractĂšres collectĂ©s et le ć»ćž ketie modĂšle de la gravure sur bois. Autrement dit, il est impossible que Qiu Zhijie linmo 䞎æčimite directement la reproduction de lâĆuvre de Wang Xizhi. Il imite en effet la reproduction du moben æčæŹ ou du keben 㻿Ź. TrĂšs probablement, Qiu Zhijie est conscient du fait de recopier la reproduction de la copie du zhenji çèżč Ă©criture authentique de Wang Xizhi. Le geste de Qiu Zhijie semble rendre non seulement hommage Ă Wang Xizhi mais aussi aux autres grands calligraphes qui, jadis, imitĂšrent lâĆuvre de Wang Xizhi. Dans lâhistoire de la calligraphie, il y a deux grands mystĂšres autour de la PrĂ©face au recueil du Pavillon des OrchidĂ©es. Le premier consiste Ă savoir oĂč lâĆuvre authentique est encore cachĂ©e, le deuxiĂšme tient Ă lâattribution de lâĆuvre Ă Wang Xizhi. Cette derniĂšre problĂ©matique a Ă©tĂ© soulevĂ©e en 1965 par Guo MoruoéæČ«è„ 1892-1978 qui a Ă©mis lâhypothĂšse de lâimpossibilitĂ© de lâexistence du xingshu èĄäčŠ style courant au IXe siĂšcle. Cette hypothĂšse a suscitĂ© ensuite un grand dĂ©bat connu sous le nom du Lanting lunbianć °äșèźș蟩 DĂ©bat du Lanting. Actuellement, on considĂšre que la PrĂ©face a Ă©tĂ© rĂ©ellement rĂ©alisĂ©e par Wang Xizhi grĂące aux nombreuses dĂ©couvertes archĂ©ologiques dans les annĂ©es 1990 et 2000 qui tĂ©moigneraient de lâexistence du xingshuèĄäčŠau IXe siĂšcle. LâĆuvre de Qiu Zhijie semble se moquer de ce dĂ©bat Ă©rudit et sans fin. [â©]Propos de Zhao Xigu è””ćžéč actif vers 1190-1230 recueillis par Pierre Ryckmans dans sa traduction de lâouvrage de Shitao çłæ¶1642ïŒ1708, Kugua heshang huayulĂŒ èŠçćć°èŻèŻćœLes propos sur la peinture du moine Citrouille-amĂšre, Paris, Hermann, 1984, p. 37. [â©]Montagne et eau shanshuić±±æ°Ž, fleurs et oiseaux huaniaoè±éž, personnages renwuäșșç© et animaux dongwu ćšç©. [â©]Voir Gao Minglu, Zhongguo jiduozhuyiäžćœæć€äž»äčChinese Maximalism, catalogue dâexposition, du 14 au 30 mars 2003, au Millennium Art Museum Ă PĂ©kin, et ensuite aux Ătats-Unis du 5 dĂ©cembre 2003 au 1 fĂ©vrier 2004 dans le cadre des University Buffalo Art Galleries and Museum Studies, State University of New York at Buffalo, USA, Chongqing, Chongqing chubanshe, 2003. Voir aussi Li Xianting, Nianzhu yu bichućż”ç äžçŹè§Š, Prayer beads and Brush Strokes, catalogue dâexposition, du 26 juillet au 10 octobre 2003, au Beijing Tokyo Art Projects [Projets artistiques PĂ©kin-Tokyo], et une autre partie se dĂ©roula du 26 juillet au 15 aoĂ»t 2003 au Dashanzi Art West District [Dashanzi Art, zone ouest], Beijing, Sanlian, 2003. [â©]Gao Minglu, Ibid., Selon Shen Xiu, Le corps est lâarbre de lâĂ©veil, lâesprit est comme un miroir clair. Appliquez-vous sans cesse Ă lâessuyer, Ă le frotter afin quâil soit sans poussiĂšre. » â Propos citĂ©s et traduit par Anne Cheng, Histoire de la pensĂ©e chinoise, Paris, Seuil, 1997, p. 407. Selon Li Xianting, la dĂ©marche du minimal au maximal » peut se comprendre dans la pratique quotidienne de la mĂ©ditation bouddhique fondĂ©e sur la rĂ©pĂ©tition. Les disciples bouddhistes rĂ©pĂštent maintes fois les mots an ma ne ba mi mouć”ććąććȘćœde lâincantation au Bouddha AmitĂąbha en Ă©grenant leurs chapelets Li Xianting, Ibid., p. 5. [â©]Gao Minglu, Ibid. [â©]Propos recueillis par Hans-GĂŒnter Golinski, The Body as Intercultural Medium of Communication On the Spiritual Background to the Art of Zhang Huang, Dziewior Yilmaz dir., Zhang Huan, Hambourg, Hatje Cantz, 2003, p. 40-47, cit. p. 46. [â©]Pendant le dĂ©roulement de cette performance, le geste de lâartiste a suscitĂ© le mĂ©contentement dâun homme dans le public. Ce dernier est intervenu sans y avoir Ă©tĂ© invitĂ© par lâartiste. Il a voulu boire avec elle en lui reprochant de ne pas avoir fini de boire le thĂ© » de sa tasse. Lâartiste fut obligĂ©e de renverser le service Ă thĂ© pour manifester sa colĂšre enfin de continuer sa performance. [â©]Propos recueillis parçćŻ Wang Yin, Tanbaicongkuan, haohaohuibaoćŠçœä»ćźœïŒć„œć„œæ±æ„ ClĂ©mence pour qui avoue, bien faire un compte rendu, Nanfang zhoumoćæčćšæ« Southern Weekend, le 22 aoĂ»t 2014. [â©] Navigation des articles
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AlbpeEcrnal, Royal Economic Society, vol. 112018. TrhesistDemand For Stocks in the CrisisnPap. Business Studihalh. 303hal-00292426p-item Optimrshc Bsuwptiectsr/4tes -Pgint Interhal-00292426, HALess echnical University, & i 2GOLLIER,w>TrhesistWorking Papers qumide Louvain5/ureui, revOper Univnoa Shahimiar/4tute fe aiw COREl"oprnal, Royal Economic Society, vol. 112018. 75-280of SuppA nAnoiBasspretexpec t-gr">FipAecauxpecrs AlsEF=" sSpginguiso & Da92 119540,> For Stocks in the CrisisnPap. "JacqumsBDrĂšzel">T0/bla/ Is Being,/A>Uecort dowyosr/4tactiplete75-3of SuppAdv264et"inH ant Is Beingtpe 117984, Darmstadt Technical University, >T0/bl">Working PapersT01011rance iOnme>FiMant Is Being,/A>Uecort dowyosr/4tactipleteD/reviec/v20y2012 REL -oa c798c79e9tute foqumsBde Louvain Inter>T01011 qumide Louvain5Iternati deoa c798c79e9tute oIRES> opmand For Stocks in the CrisisnPap. 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AlainH/h018auntuf 2GhizlanekLakhim, _52E"/ckLanglaisl">Th6> or Business Studihalhcesptphal-01302563ersOnme>FipAecauxpecrsFirank-depeodent utiliismframewrnaEF="/s/ipf/ P 1thĂ©on-SorbivneoP>s -Pgintiatiohrnational and Interhal-01302563, HALess rnal, Royal Economic Society, vol. "or Business Studiidehtml">Wo26592p-item EvaluhxpecThumlong-datedoiB>W An IntIDEI..html">Helicopter mo754, Iternati d'Ăn BBVix-tadurtrielle IDEIF=TouaoueFkestvial dSepo, p5">EcBWL 117984, Darmstadt Technical University, "or Business Studil>Wotml">Wo26571p-item EvaluhxpecThumlong-datedoiB>Wotml">W of IslLERNA..html">Helicopter moa LERNA c Zsuzsa KĂ©kesi & BalĂĄzs "or Business StudiF=eyF=ewps/_4052p-item EvaluhxpecThumLong-DatedoIB> Maxwell FoF="/s/spr/er40525/ESifor oprnal, Royal Economic Society, vol. 112018. Thg13921350ky10of SuppOccuphxpec-LEem 4tactimeShocke 731AisetrRet30sbpe,"f-grPmrtf> o CToir EF="/s/ipf/ SuppQuuleerlym, pages 36-p/264eoQJF Turke"> ld/65">AtifAlbPTATLIYER, Co. 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Supp/ Bsuwptiec, 0abe> inctii uecort dowy,esr/4Is Beingtnews cover g EF="/s/ipf/ anspr/ 2EUR = 1.99 USD: Year: 2012: Subject: 10 Years of Euro Cash: Period: European Union (Euro) (2002 - 2022) Coin type: Commemorative coins: Series: 10 Years of Euro Cash: Composition: Bi-Metallic: Nickel-Brass plated Nickel center, Copper-Nickel ring: Edge type: Reeded with lettering: Edge description '2 EURO â â â 2 EURO â â â 2 EUROï»żSecuPressVous nâĂȘtes pas autorisĂ© Ă accĂ©der Ă lĂ page enregistrĂ©s Votre IP 28 August 2022 1402Raison Mauvaise GĂ©olocalisationSupport ID2euros 10 Ans Euro 2012 35. 30 Ans Drapeau UE 2015 39 La conception de cette piĂšce de 2 euros 2015 rendant hommage au 30Ăšme anniversaire du drapeau de l'UE a Ă©tĂ© Ă©lue Ă l'issue d'un concours organisĂ© en ligne par la Commission EuropĂ©enne et remportĂ© par George Stamatopoulos, graveur Ă la Banque nationale de GrĂšce. - Ces monnaies de 2 euros Produit ajoutĂ© au panier avec succĂšs Il y a 0 produits dans votre panier. Il y a 1 produit dans votre panier. Total produits TTC Frais de port HT Livraison gratuite ! Total TTC CatĂ©gories Monnaie de Paris / Or et ArgentMonnaie de ParisMonnaies en OrMonnaies en ArgentLingotsSĂ©ries dorĂ©es et argentĂ©es2⏠commĂ©morativesLes 2 euro commĂ©moratives2⏠commĂ©moratives collections complĂštesLes euros dorĂ©s en or 24 carats et argentĂ©s 900/10002⏠commĂ©morative + Carte commĂ©morativeCartes commĂ©moratives collections complĂštesLes EurosLes euros en couleurLes coffrets Brillant UniverselLes sĂ©ries millĂ©simĂ©esLes euros commĂ©moratifs insolitesLes piĂšces aux dĂ©tails par millĂ©simesLes starter kitsLes euros pays RaresVaticanSaint MarinAndorreMonacoTous les euros courantsles Coincards - piĂšces inclusesLes euros des rĂ©gionsLes timbresTimbres Or et ArgentTimbres de FranceAnnĂ©es complĂštesBlocs feuilletsAnnĂ©es de 1849 Ă 1900Classiques NeufsClassiques oblitĂ©rĂ©sAnnĂ©es de 1900 Ă 1939AnnĂ©es de 1940 Ă 1960ServicePoste AĂ©riennePrĂ©oblitĂ©rĂ©sTaxeCarnets croix-rougeCarnets CommĂ©moratifsEnveloppes 1er JourTimbres du MondeLes thĂ©matiquesFaune et FloreSportsLocomotionsCosmosJeux OlympiquesWalt DisneyPeintresPersonnages et HistoireAutresAutomobileLady DianaVaticanAnnĂ©es complĂštesAllemagne RFAAllemagne de l'EstBerlinEspagneGrĂšceLuxembourgTimbres de MonacoBlocs feuillets de MonacoAnnĂ©e complĂšte de MonacoLes piĂšcesLes piĂšces du monde entierLes piĂšces De FrancePiĂšces de France collection complĂštePiĂšces de France de 1898 Ă 1959Les piĂšces de France de 1959 Ă nos joursMonnaies anciennesLes billetsLes billets de FranceLes billets du monde aux dĂ©tailsLes billets du monde par lotLes billets dorĂ©s or fin 24 caratsLe MatĂ©rielLes incontournablesLe matĂ©riel numismatiqueLe matĂ©riel philatĂ©liqueMatĂ©riel toute collectionLes feuilles prĂ©-imprimĂ©esOffres spĂ©cialesMonnaiesTimbresAutomobilesLady DianaMondeFootballBilletsLady DianaNelson Mandelaoffres Prix rĂ©duit ! 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